Santiago Castro Gómez

philosophe colombien

Santiago Castro Gómez, né en 1958 à Bogota, est un philosophe colombien, professeur à l'Université pontificale Javeriana.

Biographie

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Il a suivi une formation en philosophie à l'université Santo Tomás de Bogotá, puis à l'université de Tübingen et à l'université Goethe de Francfort-sur-le-Main, où il a obtenu respectivement une maîtrise puis un doctorat de philosophie.

Cet intellectuel, grand connaisseur des courants post modernes européens ou nord-américains et de la tradition philosophique de son continent, a participé de façon critique à la diffusion de la théorie décoloniale latino- américaine. Il enseigne à Bogotá, à la Pontificia Javeriana et a joué un rôle important dans l’institut Pensar qui dépend de cette université, y ouvrant une chaire d’Études Culturelles, à la fin du siècle dernier. Il a été professeur invité à l'université Duke, à l'université de Pittsburgh et à l'université Goethe de Francfort.

Penser les sciences sociales depuis l'Amérique latine

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Dans les années 1980, il a été un étudiant familier des discussions et de l’enseignement des intellectuels du groupe de Bogotá (es). Ces derniers introduisirent en Colombie la philosophie de la libération, à la fin des années soixante dix. À l'époque, il n'existait pas en Colombie de tradition latino-américaniste comparable à celle du Pérou, du Mexique et de l'Argentine. Le groupe, de ce fait, se concentra au début sur l'étude de l'histoire des idées latino-américaines, d'une part, et sur la de l’existence ou non d’une philosophie latino-américaine rapidement, l'idée que l'Amérique latine pouvait être un horizon situé et concret de réflexions philosophiques dans un cadre interprétatif chrétien s'imposa.Le premier livre publié par Castro Gomez, Critica de la razón latino-américana, en 1996, est le fruit de cette histoire. C'est une analyse critique du « latino-américanisme». L'auteur s’attache à y décrire ce discours pour le critiquer. En bon foucaldien, il affirme que « au lieu de nous interroger sur la vérité de l’identité latino-américaine, nous nous interrogeons maintenant sur l’histoire de la production de cette vérité. Ce qui est recherché n’est pas un référent porteur de vérité sur l’Amérique latine, mais un cadre interprétatif dans lequel cette vérité est produite et énoncée (Castro Gómez, 1998). Dans ce livre, il assume une position méfiante vis-à-vis du projet révolutionnaire et des utopies en général, interrogeant la portée de notions comme celle de peuple, ou de nation, présentes dans les approches en « Amérique latine ». La notion de peuple lui semble liée à la question de l’identité, et l’utopie, à une volonté de changement qui ne tient pas compte de l’hétérogénéité de la société. Il aborde en même temps que l’œuvre de Rodolfo Kusch (es), Augusto Salazar Bondy (es) ou encore Leopoldo Zea Aguilar, représentants de la philosophie latino-américaine, la perspective du philosophe argentin Enrique Dussel et du sociologue Aníbal Quijano. Dussel, pour sa critique puissante de l’eurocentrisme ; Quijano, pour son analyse centrée sur le rôle axial de la colonisation dans la modernite et l’invention du concept de colonialité du pouvoir. Castro Gómez relève l’intérêt de cette approche novatrice mais il est déjà critique à leur égard.

Généalogie de la colombianité

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Dans la première décennie du XXIe siècle, il publie des travaux qui rendent compte de sa proximité avec l'approche décoloniale, mais aussi de son analyse particulière du pouvoi, moins axée sur la domination, plus attentive aux microphysiques qu’a cette macrophysique du pouvoir qui caractérise l’approche décoloniale. Inspiré par la vision de Michel Foucault, le philosophe colombien va revenir sur les héritages coloniaux en Amérique latine, et plus particulièrement, en Colombie. Il a recours à la méthode généalogique du penseur français, qu’il applique au contexte colombien, publiant des travaux concernant la période coloniale, comme la Hybris del punto zero ou la période contemporaine, avec Tejidos Oníricos.

À la différence des penseurs du courant décolonial avec lesquels il partage toujours certains positionnements, Castro Gómez s’attache à identifier à la spécificité du pouvoir en Amérique latine. Si un sociologue comme Quijano construit une réflexion très générale, sur le rôle de la race dans la formation du monde moderne, Castro Gómez, lui, s’attache à comprendre par exemple comment dans une société donnée, la Colombie des XVIIe et XVIIIe siècles le racisme prend forme. La Hybris del punto cero est l’analyse de la formation de l’idéologie de la blanchité chez les élites colombiennes du XVIIIe siècle. Quant à Tejidos oníricos, c’est un ouvrage dans lequel l’auteur s’intéresse à la formation d’une subjectivité colombienne moderne, dans la droite ligne de l’histoire des gouvernementalités. En montrant quels dispositifs de savoir pouvoir se mettent en place, il donne chair à des concepts comme ceux de colonialité du pouvoir et du savoir, et réalise une approche de type empirique peu fréquente chez les représentants du courant décolonial.

Logiquement, il continue son travail de commentaire de l’œuvre foucaldienne. Il contribue à faire connaître la perspective du dernier Foucault, celui des séminaires de 78 à 85, avec son Historia de la gubernamentalidad ( 2010), étude minutieuse dans laquelle il suit le trajet de concepts foucaldien comme celui de biopolitique, remarquant avec pertinence la disparition de ce dernier à partir de Naissance de la biopolitique .Dans un article qui a été traduit et publié dans Penser l’envers obscur de la modernité, il montre que le philosophe français a une vision réductrice de l’histoire de la colonisation car il fait de cette dernière un effet de la modernité européenne, alors que cette modernité est indissociable de la colonisation du monde.

Une position originale

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Sa connaissance du corpus postmoderne autant que de celui de la pensée critique latino-américaine font de lui un penseur difficilement contournable pour ceux ou celles qui désirent appréhender la richesse des perspectives critiques en Amérique latine. Son regard critique sur le courant décolonial, lui permet, et nous permet donc d’échapper aux écueils actuels : adhésion ou rejet. Dans une interview très récente, accordée en 2021 à un journal français, il disait se sentir toujours en dette avec la pensée du projet Modernité/Colonialité/ Décolonialité, tout en rejetant fermement certaines de leurs analyses ou prises de position.

« (...)parmi les réalisations du tournant colonial auxquelles je m’identifie encore, il y a les suivantes : la première est qu’il a contribué à rendre visible l’eurocentrisme endémique des sciences sociales et de la philosophie pratiquées en Amérique latine. En général, les sciences sociales opèrent avec des catégories d’analyse dérivées de la réalité sociale des pays européens une fois qu’ils sont passés par les processus d’industrialisation aux XVIIIe et XIXe siècles. Pour la modernité, il a été postulé que ces pays européens modernes étaient à l’avant-garde d’un processus historique supposé universel. C’est-à-dire que toutes les régions du monde devraient passer par les mêmes étapes historiques que les pays européens. C’est ce que nous appelons aujourd’hui le sophisme du développementaliste. Eh bien, bien que la théorie de la dépendance ait déjà démantelé plusieurs de ces hypothèses eurocentriques dans les années 1970, ce n’est qu’avec l’émergence de la pensée décoloniale que nous pouvons parler d’une conception radicalement différente de la modernité et des processus de modernisation dans les sciences sociales latino-américaines".

Mais il concluait également que, malheureusement, la pensée coloniale reconduit certains problèmes théoriques et politiques majeurs. Il critique « une vision macrosociologique de l’histoire, héritée du marxisme, qui comprend le pouvoir sous le paradigme de la domination », de « graves problèmes de compréhension des rouages de la dynamique historique au niveau local ». Il regrette la confusion opérée par trop de décoloniaux entre une critique nécessaire de l’universalisme occidental et le rejet finalement stérilisant de l’idée d’universel. D’autre part, il met en doute la chronologie du racisme établie par Quijano, qui fait démarrer le racisme au XVIe siècle, voyant là une de méconnaissance de la mise en place des processus historiques, ce à en quoi les travaux récents d’historiens comme Max Herring Torres, ou Jean-Frédéric Schaub lui donnent raison. Il est également critique de ce qu’il appelle l’Abyayalisme ( Abya Yala est le nom indigène, kuna, du continent américain, appellation qui est reprise par de nombreux mouvements indigènes) qui serait le fait d’intellectuels blancs ou métis, idéalisant les communautés dont ils parlent, sans y appartenir.

Dans ses derniers travaux et interventions, il effectue une relecture critique du penseur José Carlos Mariátegui chez lequel il trouve à la fois l'attention à la réalité spécifique de l’Amérique latine et l'ouverture à un universel qui ne soit pas une autre forme d'eurocentrisme

Publications

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Articles traduits en français

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Bibliographie

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  • Claude Bourguignon Rougier, « Santiago Castro Gómez », dans Un dictionnaire décolonial, Éditions Science et Bien commun, (lire en ligne).

Liens externes

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