Sauvetage du gouffre des Vitarelles

Le sauvetage du gouffre des Vitarelles est une opération de secours du 11 au 21 novembre 1999 pour faire sortir sept spéléologues bloqués dans le gouffre des Vitarelles, sur la commune de Gramat dans le Lot en France. Partis explorer le gouffre et ses différentes cavités le 11 novembre, les sept hommes se font surprendre par des pluies torrentielles le lendemain, qui provoquent une montée soudaine du niveau de la rivière l'Ouysse qui coule dans le gouffre et empêchent tout retour à la surface. Près de 150 personnes sont mobilisés à partir du 13 novembre dans ce qui constitue la plus grande opération de sauvetage spéléologique en France : pompiers, secouristes du Spéléo Secours Français, gendarmes et ouvriers qui réalisent plusieurs forages afin d'aménager d'autres points d'accès au réseau souterrain de l'Ouysse. Finalement, le 21 novembre 1999, les sept spéléologues bloqués près de la salle de la Clé de Voûte sont secourus et remontés sains et saufs à la surface par le nouveau puits de Bret[1]. Au total, l'opération coûte 3,5 millions de francs. En 2010, le puits du Bret est agrandi et les expéditions dans le réseau des Vitarelles reprennent.

Sauvetage du gouffre des Vitarelles
La rivière Ouysse dans le gouffre des Vitarelles (1996).
La rivière Ouysse dans le gouffre des Vitarelles (1996).

Type Opération de secours
Pays Drapeau de la France France
Localisation Gouffre des Vitarelles, Gramat (Lot)
Cause Pluies torrentielles bloquant les spéléologues
Date au
Nombre de participants Plus de 150
Résultat Sauvetage des 7 spéléologues
Bilan
Blessés 2
Morts 0

Contexte

modifier
Un groupe de spéléologues descend vers le gouffre des Vitarelles en 1996.

La commune de Gramat, dans le Lot en France, est choisie comme lieu d'expérimentations militaires après la Seconde Guerre mondiale. En particulier, le gouffre de Bèdes est utilisé pour tester les fusées Véronique. Abandonné en 1953, le lieu devient en 1955 un centre d'essais d'explosifs entrant dans la fabrication d'armes atomiques. En 1959 est officiellement créé le Centre d'études de Gramat (CEG), d'une surface de 360 hectares[2], où sont menées de nombreuses études sur les effets des explosions nucléaires[3].

Afin d'apporter au CEG l'eau nécessaire à son fonctionnement, un forage est effectué dans le gouffre des Vitarelles en 1947 : une galerie de 20 mètres et un puits artificiel d'une cinquantaine de mètres sont creusés en pleine roche, qui débouchent sur une galerie donnant sur la rivière des Vitarelles. En 1948, les différentes cavités sont explorés à l'amont et à l'aval par des spéléologues, d'abord de Paris puis des locaux. En 1974, la Fédération française de spéléologie (FFS) signe un accord avec le Centre d'études de Gramat sur les conditions d'exploration du gouffre, mais pendant 20 ans les expéditions se font rares : la FFS a délégué l'usage du site au comité départemental de spéléologie du Lot (CDS 46), et au sein de celui-ci, le Groupe spéléologique de Gramat gère les explorations. Des expéditions ont lieu en 1983 et 1992[4].

Expédition

modifier
Vue du bief amont de la rivière des Vitarelles : partie de rivière très haute, étroite, aux roches acérées, en amont de la salle du Cône (1972).

Le jeudi 11 novembre 1999, sept membres de la section spéléologie de l'Association Culture et Loisirs (ACL)[5] du Centre d’études de Gramat (CEG)[Note 1] se lancent dans une exploration de trois jours du gouffre des Vitarelles. Elle a pour but d'explorer la galerie au delà du passage Kupiek, à 5,5 kilomètres de l'entrée[6].

Le plus jeune du groupe, Nicolas Wioland, a 22 ans ; le plus âgé est Yvon Cazals (53 ans)[6] ; il descend avec son fils Yannick Cazals et son neveu Sébastien Delmas. Philippe Vergé, Christian Dutarte et Laurent Delrieu complètent l'équipe[1]. Ce sont des spéléologues expérimentés qui connaissent les lieux[1]. La plupart sont militaires employés au CEG

Ils emportent du matériel pour explorer la grotte (notamment des canots pneumatiques), de la nourriture et de l'eau pour trois jours, des couvertures de survie[7] ainsi que des comprimés d'hydroclonazone, servant à purifier l'eau pour la rendre potable[2]. Le bulletin météo de Bèdes du 11 novembre indique « petites pluies éparses sur le causse » et ne prévoie pas de fortes pluies : les sept hommes s'engagent à travers le puits d'entrée du gouffre des Vitarelles et débutent leur expédition[8]. Ils installent leur bivouac le premier jour, puis le lendemain franchissent le passage Kupiek. Le vendredi soir, ils reviennent à leur point de chute[9].

Dans la nuit du vendredi 12 au samedi 13 novembre, d'intenses précipitations s'abattent sur les départements de l'Aude, du Tarn, de l'Hérault et des Pyrénées-Orientales[10]. Ces pluies provoquent « les pires inondations jamais vues depuis des décennies » et causent 31 morts[7]. Ces précipitations touchent également le Lot et la région de Gramat[1]. Le débit de l'Ouysse augmente brusquement, inondant le puits d'accès du gouffre et forçant les sept spéléologues à s'abriter sur leurs radeaux au fur et à mesure que l'eau monte. Ils se réfugient dans une poche d'air sous pression d'1,5 m[11] près de la salle de la Clé de Voûte.

Les sept hommes commencent à rationner leur nourriture et leur eau, et attendent dans cette position une dizaine d'heures, le temps que l'eau baisse avec la fin des pluies[9]. Le dimanche matin, le gouffre se vide rapidement et violemment de ses eaux, entraînant une baisse rapide et très bruyante du niveau de la rivière[11].

Après le reflux, les sept installent un bivouac sur une corniche quelques mètres au-dessus de l'eau et décident de se mettre « en mode survie » en attendant les secours[9]. À l'intérieur, les températures sont assez basses, autour de 13°C. Les spéléologues dorment serrés les uns contre les autres pour se tenir au chaud. Ils s'imposent une organisation avec des horaires précis, se nourrissant toutes les douze heures, en partageant une ration individuelle en sept[9]. Ils récupèrent l'eau qui ruisselle le long de la paroi et la filtrent avec l'hydroclonazone, et utilisent un réchaud pour chauffer leur nourriture[9]. Pour passer le temps, garder un bon moral et conjurer le rationnement alimentaire, les sept hommes blaguent et discutent, évoquant notamment les meilleurs restaurants de la région où ils sont allés[9].

Sauvetage

modifier

Les secours sont alertés le 13 novembre de la situation, mais ne peuvent intervenir car le puits d'accès au gouffre est inondé. Ce n'est que le 15 novembre, après le reflux des eaux, que les opérations de sauvetage commencent[1]. La préfecture du Lot, dirigée par Michel Sappin, met en place un important dispositif, avec près de 150 personnes : des sapeurs-pompiers du SDIS du Lot, des gendarmes ainsi que 89 membres de la fédération française de spéléologie[1],[12].

Rapidement, l'opération prend une ampleur nationale est est fortement médiatisée, attirant de nombreux curieux et journalistes sur place[13].

Une première équipe de secouristes descend dans le puits et essaie de progresser dans le réseau souterrain jusqu'à la salle de la Clé de Voûte, où auraient pu se réfugier les sept spéléologues. Néanmoins, le cheminement est difficile en raison du courant de la rivière[14]. Deux secouristes se blessent en chutant dans les galeries[13]. Une équipe de secours partie le jeudi 18 novembre se retrouve bloquée pendant vingt-quatre heures par une nouvelle montée des eaux suite à des précipitations, avant de pouvoir être évacuée le lendemain[2].

Face à ces difficultés, il est alors décidé de réaliser des forages pour rejoindre directement la salle de la Clé de Voûte. Toutefois, le réseau souterrain de l'Ouysse étant mal connu, les équipes chargées des travaux doivent forer à plusieurs endroits différents avant de réussir à trouver la salle depuis la surface, au sein du causse de Gramat[2]. D'autre part, il est possible que les spéléologues se soient réfugiés dans une cavité encore non répertoriée. Des forages sont notamment entrepris à Flaujac-Gare[2].

Un forage au Bret, sur la commune de Flaujac, finit par trouver une entrée vers une galerie. Dans la nuit du samedi 20 au dimanche 21 novembre, une équipe de trois sauveteurs menée par Guy Bariviera descendent par ce puits et trouvent un passage obstrué, qui donne sur la rivière. Une autre équipe les relève le lendemain matin, descend un dénivelé de 90 mètres, et finit par retrouver les sept spéléologues à 300m en aval, à 11h45[6]. Après quelques soins médicaux prodigués sur place, les hommes sont remontés l'un après l'autre dans la soirée[6].

Conséquences

modifier

Polémiques

modifier

Peu après le sauvetage, une polémique éclate entre les spéléologues et les sapeurs-pompiers[15]. Plusieurs spéléologues, notamment le directeur du comité départemental de spéléologie du Lot, estiment que les conditions météo semblaient être correctes et que le niveau des eaux était dans une « période stable ». Le bulletin d'alerte sur les pluies torrentielles est émis le 12 novembre, un jour après l'entrée des sept spéléologues dans le gouffre[15]. D'autres spéléologues rétorquent qu'il est dangereux de s'aventurer sous terre en période de crue[15]. Le coût du sauvetage déclenche également la polémique quand la facture du Spéléo Secours Français (SSF), plus de 800 000 francs, est rendue publique en janvier 2000[16]. Le SDIS juge que certaines dépenses ne sont pas justifiées. Certains secouristes ajoutent que les spéléologues ont gêné le travail des pompiers et que leur intervention a coûté trop cher[16]. La polémique est médiatisée, l'opération des Vitarelles est qualifiée de « gouffre financier »[17]. Finalement, le SSF diminue de moitié les frais demandés[18]. Le SSF annonce également qu'il a refusé les offres du magazine Paris Match (250 000 francs) et de la chaîne de télévision publique France 2 (50 000 francs) pour obtenir l'exclusivité des images des rescapés dans le gouffre[16].

Coût du sauvetage

modifier

Le sauvetage coûte au total 3,5 millions de francs (soit environ 800 000 euros de 2023[19]), répartis de la façon suivante : 1,7 millions de francs pour les forages, 980 000 francs pour les sapeurs-pompiers, 470 000 francs pour le Spéléo Secours Français, 100 000 francs pour l'hébergement des secouristes et 90 000 francs de frais pour la base militaire[1]. La facture s'avère moins élevée que prévue, car ni la gendarmerie, ni l'armée ne font payer leurs dépenses (notamment l'acheminement aérien de matériel). De même, le Spéléo Secours Français demande moitié moins que la somme initialement envisagée[18].

Selon le principe de solidarité nationale, les frais sont répartis entre plusieurs entités : le SDIS du Lot paye un million de francs, le ministère de l'intérieur paie 1,5 millions, 500 000 francs sont réglés par le ministère de la Défense et 500 000 francs par le Conseil général du Lot[1]. De même, toutes les communes du Lot voient leur contribution au SDIS augmenter de 5,1%, au lieu que cette augmentation soit supportée par les seules communes de Gramat et Flaujac-Gare[18]. L'entreprise COFOR qui a réalisé les forages assigne en justice le SDIS, le Département et la préfecture à cause d'impayés, et en octobre 2000 encore un million de francs n'ont pas été réglés[18].

Réorganisation des secours

modifier

Un an après le sauvetage, un nouveau plan de secours spéléologique est mis en place par la préfecture[15]. Ce plan prévoit la création d'une unité de décision et de communication, dirigée par le préfet[15]. Pour le journal La Dépêche du Midi, cela démontre la volonté de l’État, à travers la préfecture, de reprendre le contrôle des opérations, après un sauvetage où sont intervenus à la fois des sapeurs-pompiers et des membres de la fédération française de spéléologie, créant de fait une concurrence entre service public et acteurs privés[15].

Il est décidé de mener un relevé topographique précis des zones souterraines à risques, ainsi que l'acquisition par le comité départemental de spéléologie d'appareils Nicola de système de transmission par le sol[15].

Vingt ans plus tard, en novembre 2019, un exercice recréant le sauvetage des spéléologues dans le réseau souterrain de l'Ouysse est organisé avec une centaine de personnes[20], notamment des pompiers du Grimp (Groupe de reconnaissance et d'intervention en milieu périlleux) et des membres du Spéléo Secours Français[21].

Agrandissement du puits du Bret

modifier

Après le sauvetage, les expéditions dans le gouffre des Vitarelles sont interdites par les autorités militaires du Centre d'études de Gramat[22].

En janvier 2008, le Comité départemental de spéléologie du Lot rachète le terrain à Flaujac-Gare sur lequel se situe le puits du Bret, par lequel ont été remontés les sept spéléologues en 1999[22]. Des travaux d'agrandissement du trou initial, d'un diamètre de 44 centimètres, sont menés en 2010 pour élargir l'ouverture et permettre à une personne de descendre de manière autonome, sans nécessiter l'aide d'un treuil[4]. Une entrée de 120 cm et 29 m de profondeur est ainsi creusée[4]. Des aménagements sont installés dans les puits pour faciliter la descente, et à partir d'août 2010 plusieurs explorations du réseau souterrain de l'Ouysse sont menées. Au total, environ 10 kilomètres de galeries sont topographiées[4]. L'endroit est également accessible à davantage de personnes, puisque l'exploration du puits du Bret est ouverte aux spéléologues de la Fédération française de spéléologie[4],[23].

Notes et références

modifier
  1. Le CEG « se consacre à mieux prévoir les prochaines menaces dans le domaine militaire, à évaluer leurs effets et à mettre au point les parades efficaces. » (« Le Centre d'Etudes de Gramat rattaché au Commissariat à l’Énergie Atomique », La Dépêche du Midi,‎ (lire en ligne)

Références

modifier
  1. a b c d e f g et h « Gouffre des Vitarelles : sains et saufs après dix jours prisonniers de la terre », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  2. a b c d et e Gilbert Laval, « Les sept spéléos des Vitarelles bloqués depuis huit jours. Une mobilisation sans précédent s'organise à Gramat. », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. « L'histoire sortie du gouffre », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  4. a b c d et e Guy Bariviera, « Le puits du Bret, un accès aux galeries des Vitarelles - Flaujac-Gare (Lot) », Spelunca, no 124,‎ (lire en ligne)
  5. « Un impact sur le milieu associatif », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  6. a b c et d Jérôme Poupon, « 23 h 35 : la délivrance », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  7. a et b Robert Marmoz, « Le sauvetage modèle de sept spéléologues bloqués durant dix jours », Le Temps,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. « Les spéléologues de Gramat sauvés grâce à des moyens exceptionnels », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. a b c d e et f « Le récit des jours d'angoisse », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  10. Freddy Vinet, Crues et inondations dans la France méditerranéenne: géographie des risques les crues torrentielles des 12 et 13 novembre 1999, Aude, Tarn, Pyrénées-Orientales, Hérault, Éd. du Temps, coll. « Questions de géographie », (ISBN 978-2-84274-252-2)
  11. a et b Gilbert Laval, « Les spéléos: «Nous n'avons pas paniqué». «Nous sommes des gens responsables», ont-ils insisté. », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. Spéléo secours Isère, « 1999-11-16 : Gouffre des Vitarelles » (consulté le )
  13. a et b Gilbert Laval, « Les 7 spéléos voient le bout de la nuit.Ils ont été retrouvés sains et saufs hier dans le gouffre du Lot. », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. Françoise-Marie Santucci, « Inondations: course contre la montre pour dégager les spéléologues . Malgré d'importants secours, on est sans nouvelles d'eux depuis huit jours. », Libération,‎ (lire en ligne, consulté le )
  15. a b c d e f et g « Un nouveau plan secours en route », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  16. a b et c « Derrière la facture exorbitante une polémique virulente », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  17. « Le gouffre financier des Vitarelles (46) », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  18. a b c et d « La facture des Vitarelles », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  19. « Convertisseur franc-euro | Insee », sur www.insee.fr (consulté le )
  20. « Lot. Un exercice en temps réel pour le 20e anniversaire du sauvetage des Vitarelles », sur actu.fr, (consulté le )
  21. « Le GRIMP des pompiers du Lot en exercice avec le Spéléo secours français », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  22. a et b « Les spéléos du Lot achètent le puits de Flaujac », sur ladepeche.fr, (consulté le )
  23. CDS 46, « Réglement d'accès puits du Bret » (consulté le )

Voir aussi

modifier