Serres chaudes (Chausson)

cycle de mélodies d'Ernest Chausson

Serres chaudes
op. 24
Genre Mélodie française
Nb. de mouvements 5
Musique Ernest Chausson
Durée approximative env. 13 minutes
Dates de composition de 1893 à 1896
Création
Paris Drapeau de la France France
Interprètes Thérèse Roger et Édouard Risler

Serres chaudes op. 24 est un cycle de cinq mélodies pour voix et piano d'Ernest Chausson, composées sur des textes extraits du seul recueil de poèmes de Maurice Maeterlinck, et terminées en . Ce cycle est dédié à la soprano Thérèse Roger et créé le à la Société nationale de musique[1].

Composition modifier

Debussy déchiffrant la partition de Boris Godounov en présence de Chausson
Debussy déchiffrant la partition de Boris Godounov en présence de Chausson et de sa famille

Pendant l'été 1893, cinq ans après les Chansons de Miarka (et un an après le Poème de l'amour et de la mer) Chausson compose Lassitude et Serre d'ennui à Luzancy dans la grande maison qu'il a loué pour les étés 1892 et 1893, alors que Claude Debussy en visite lui fait découvrir la partition de Boris Godounov[2]. Il compose ensuite Oraison puis Fauve las et enfin Serre chaude en 1896. Il sélectionne d'abord sept poèmes du recueil de Maeterlinck qui en comporte trente-trois (on a retrouvé des brouillons de Feuillage du cœur et de Reflets[3]), pour finalement n'en publier que cinq, « explorant le gouffre de l'abîme symboliste[3] » et recréant des poèmes musicaux abstraits et complexes[4], évocations de sentiments empreints d'angoisse et d'indécision et d'abord parfois difficile pour l'auditeur[3]. Leur difficulté d'exécution a été également soulignée[5].

Les cinq poèmes modifier

Les cinq mélodies finalement publiées par Chausson, sont :

  1. Serre chaude, en si mineur
  2. Serre d'ennui, en mi mineur
  3. Lassitude, en fa dièse mineur
  4. Fauve las, en fa mineur
  5. Oraison, en mi bémol mineur

Serre chaude modifier

O serre au milieu des forêts !
Et vos portes à jamais closes !
Et tout ce qu'il y a sous votre coupole !
Et sous mon âme en vos analogies !

Les pensées d'une princesse qui a faim,
L'ennui d'un matelot dans le désert,
Une musique de cuivre aux fenêtres des incurables.

Allez aux angles les plus tièdes !
On dirait une femme évanouie un jour de moisson ;
Il y a des postillons dans la cour de l'hospice ;
Au loin, passe un chasseur d'élans, devenu infirmier.

Examinez au clair de lune !
(Oh rien n'y est à sa place !)
On dirait une folle devant les juges,
Un navire de guerre à pleine voile sur le canal,
Des oiseaux de nuit sur des lys,
Un glas vers midi,
(Là-bas sous ces cloches !)
Une étape de malade dans la prairie,
Une odeur d'éther un jour de soleil.

Mon Dieu ! Mon Dieu ! Quand aurons-nous la pluie
Et la neige et le vent dans la serre !

— Maeterlinck

Serre d'ennui modifier

O cet ennui bleu dans le cœur !
Avec la vision meilleure,
Dans le clair de lune qui pleure,
De mes rêves bleus de langueur !

Cet ennui bleu comme la serre,
Où l'on voit closes à travers,
Les vitrages profonds et verts,
Couvertes de lune et de verres,

Les grandes végétations
Dont l'oubli nocturne s'allonge,
Immobilement comme un songe,
Sur les roses des passions ;

Où de l'eau très lente s'élève,
En mêlant la lune et le ciel
En un sanglot glauque éternel,
Monotonement comme un rêve.

— Maeterlinck

Lassitude modifier

Ils ne savent plus ou se poser ces baisers,
Ces lèvres sur des yeux aveugles et glacés ;
Désormais endormis en leur songe superbe,
Ils regardent rêveurs comme des chiens dans l'herbe,
La foule des brebis grises à l'horizon,
Brouter le clair de lune épars sur le gazon,
Aux caresses du ciel, vagues comme leur vie ;
Indifférents et sans une flamme d'envie,
Pour ces roses de joie écloses sous leurs pas ;
Et ce long calme vert qu'ils ne comprennent pas.

— Maeterlinck

Fauves las modifier

O les passions en allées
Et les rires et les sanglots !
Malades et les yeux mi-clos
Parmi les feuilles effeuillées,

Les chiens jaunes de mes péchés,
Les hyènes louches de mes haines,
Et sur l'ennui pâle des plaines
Les lions de l'amour couchés !

En l'impuissance de leur rêve
Et languides sous la langueur
De leur ciel morne et sans couleur,
Elles regarderont sans trêve

Les brebis des tentations
S'éloigner lentes, une à une,
En l'immobile clair de lune,
Mes immobiles passions.

— Maeterlinck

Oraison modifier

Vous savez, Seigneur, ma misère !
Voyez ce que je vous apporte !
Des fleurs mauvaises de la terre
Et du soleil sur une morte.

Voyez aussi ma lassitude,
La lune éteinte et l'aube noire ;
Et fécondez ma solitude
En l'arrosant de votre gloire.

Ouvrez-moi, Seigneur, votre voie,
Eclairez-y mon âme lasse,
Car la tristesse de ma joie
Semble de l'herbe sous la glace.

— Maeterlinck

Analyse modifier

Selon Isabelle Brétaudeau « le mot « serre » est doublement chargé de sens en cette fin de XIXe siècle. Il évoque à la fois l'engouement d'une génération pour l'architecture en verre et en métal et l'univers clos des symbolistes… et est en même temps un microcosme de tout ce qui vit sur le globe[6] ». L'ordre des cinq mélodies correspond à leur ordre d'apparition dans le recueil de Maeterlinck. Chausson exclut les titres à connotation lumineuse et conserve plutôt les poèmes véhiculant une idée de claustration ou d'abattement, en écrivant les cinq mélodies dans des tonalités mineures[7].

Serre chaude modifier

L'accompagnement agité, très expressif et très modulant soutient une mélodie angoissée et maladive[8] qui s'efface tout d'un coup pour les deux derniers vers, laissant place à un rythme apaisé et à des harmonies beaucoup plus larges[9].

Serre d'ennui modifier

Cette mélodie s'oppose à la précédente par l'atmosphère mélancolique et rêveuse d'un tranquille balancement harmonique sur un accompagnement de croches régulières [9].

Lassitude modifier

La pièce évoque une « sorte de léthargie floue, qui enveloppe les sens en endormant les mouvements réfléchis de l'esprit[10] », à laquelle l'alternance des mesures à
et
donne une atmosphère hypnotique, influencée par la découverte récente de Boris Godounov selon Ralph Scott Grover[11].

Fauve las modifier

Cette mélodie renoue avec la fébrilité de Serre chaude, matérialisée ici par un accompagnement de triolets traversant des modulations continuelles[5].

Oraison modifier

La conclusion du cycle invite à la paix et à la stabilité exprimées dans la texture d'un choral[5], procession d'accords au piano rappelant la fin de Serre chaude[12].

Bibliographie modifier

Ouvrages généraux modifier

Monographies modifier

Discographie modifier

  • Ernest Chausson « Les mélodies » par Brigitte Balleys (mezzo-soprano) et Billy Eidi, avec Jean-François Gardeil (baryton) et Sandrine Piau, 2 CD (Mis - 2008), ASIN : B000001YNO
  • Gabriel Fauré / Ernest Chausson « Mélodies sur des poètes symbolistes » par Florence Katz (mezzo-soprano), 1 CD (Lyrinx) – Fauré : La Chanson d'Ève, Le Jardin clos et mélodies séparées – Chausson : Serres chaudes avec Marie-Pascale Talbot (piano) (Lyrinx)
  • Serres Chaudes : Mélodies Françaises Bettina Smith (soprano), Einar Røttingen (piano), 1 CD (LAWO - 2013 - LWC1008)

Notes et références modifier

  1. Sylvain Caron, « 1896. Serres chaudes de Maeterlinck/Chausson : le symbolisme renouvelle la mélodie », Nouvelle histoire de la musique en France (1870-1950), sous la direction de l'équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles : discours et idéologies »,‎ (lire en ligne)
  2. Ralph Scott Grover 1980, p. 104.
  3. a b et c Jean Gallois 1994, p. 427.
  4. Scott Grover 1980, p. 101.
  5. a b et c Ralph Scott Grover 1980, p. 106.
  6. Isabelle Bretaudeau 1999, p. 179.
  7. Isabelle Bretaudeau 1999, p. 181.
  8. Isabelle Bretaudeau 1999, p. 183.
  9. a et b Isabelle Bretaudeau 1999, p. 184.
  10. Isabelle Bretaudeau 1999, p. 187.
  11. Ralph Scott Grover 1980, p. 103.
  12. Isabelle Bretaudeau 1999, p. 189.

Liens externes modifier