Le site d'Étretat est un site naturel remarquable de la Côte d'Albâtre situé sur le territoire de la commune d'Étretat dans le département de la Seine-Maritime, connu pour ses falaises, ses trois arches appelées portes (nom cauchois désignant un cap percé par un tunnel naturel)[1] et sa fameuse aiguille.

Falaise d'Aval modifier

Arche et aiguille modifier

Une rivière souterraine, puis l'érosion marine ont formé une arche naturelle et une aiguille haute de 55 mètres[2], morceau relique de la falaise. Maurice Leblanc la décrit en ces termes : « Roc énorme, haut de plus de quatre-vingts mètres, obélisque colossal, d'aplomb sur sa base de granit »[Note 1] » dans L'Aiguille creuse, 1909.

À son époque déjà, le site attirait de nombreux touristes parmi lesquels des « lupinophiles », admirateurs d'Arsène Lupin : des étudiants américains venus chercher la clé de la grotte, où le « gentleman cambrioleur » avait retrouvé le trésor des rois de France. Le film Arsène Lupin de Jean-Paul Salomé, sorti en , offre de nombreuses vues sur la falaise et l'Aiguille.

Elle est gravie pour la première fois en 1936 par l'alpiniste Pierre Allain. D'autres prendront sa suite, comme des alpinistes allemands en 1942, sous l'Occupation, et en 2020 l'écrivain voyageur Sylvain Tesson et le grimpeur Daniel Du Lac[3],[4].

Manneporte modifier

Les falaises d'Étretat présentent trois arches successives : la porte d'Amont (non visible sur cette photographie), la porte d'Aval et la Manneporte. Leur nom s'explique par l'action érosive d'une rivière souterraine parallèle à la plage qui aurait creusé son lit dans la falaise amont, aval et la falaise de Manneporte[5].
Vue sur la porte de la Manneporte et sur le Pertuiser (dont le chicot au large témoigne de l'effondrement d'une arche telle un colosse aux pieds de craie) depuis la pointe de la Courtine.

De l'ancien français manne porte, « grande porte, porte principale »[6]. Elle est plus large que la porte d'Aval dont elle est distante d'environ 500 mètres au sud-ouest. Elle est si grande qu'un navire, selon Maupassant, peut traverser ce portail gothique toutes voiles dehors[7].

Description modifier

Sur l'estran au Nord du massif d'Aval, on peut observer, creusés dans le socle calcaire et couverts partiellement d'algues vertes, d'anciens parcs à huîtres dont l'origine remonte à l'époque de la reine Marie-Antoinette. En 1777, le marquis de Belvert fait installer ces bassins d'affinage dans le platier rocheur. Des huîtres plates sont transportées depuis la baie de Cancale par deux sloops, « La Syrène » et la « Cauchoise », puis affinées plusieurs mois dans ces réservoirs rectangulaires où elles bénéficient des apports d'eau douce d'une rivière souterraine. Marie-Antoinette et l'aristocratie parisienne les font expédier dans la capitale, par voir fluviale ou terrestre (à dos d'âne ou de cheval). Ces parcs fonctionnent par intermittence durant tout le XIXe siècle avant d'être reconvertis en viviers au début du XXe siècle : quelques cases sont refaites en béton pour servir de dépôt aux pêcheurs d'Étretat qui y conservent leurs poissons au frais, leurs coquillages et leurs crustacés (crabes, homards). Ils subsistent aujourd'hui à l'état de vestiges[8].

Au-dessus, à côté de l'arche, on remarque un énorme trou noir dans la falaise : selon la légende locale, le « trou à l'homme » tiendrait son nom d'un marin suédois, seul survivant du naufrage en 1792 de son navire dû à une violente tempête qui y aurait passé près de vingt-quatre heures. Il aurait été projeté par une lame dans cette cavité, assurant du même coup sa survie. Le « trou à l'homme » auquel on accède par une échelle de fer est un conduit karstique toujours hors-d'eau au moment des marées et nombre de personnes s'y laissent enfermer, nécessitant l'intervention des pompiers ou une attente de près de six heures jusqu'à la marée basse. En 1922, le maire d'Étretat Henri Sarrazin-Levassor fait percer le conduit pour en faire un tunnel qui facilite l'accès à la plage de Jambourg par la plage d'Étretat et évite le long détour par la falaise d'Aval[1].

Le long tunnel sur lequel s'ouvre le « trou à l'homme » aboutit à la crique du Petit-Port au débouché de la valleuse[Note 2] de Jambourg, en fait une plage au pied de l'aiguille et encadrée par les deux grandes portes. On peut accéder au sommet de la falaise par un escalier directement au bout du Perrey, suivi d'un chemin bien aménagé, en pente et qui longe le terrain de golf ; à droite, on monte jusqu'au sommet. On jouit à la fois de la vue sur le village, sur l'aiguille et sur la Manneporte. On peut également pénétrer dans le petit refuge naturel surnommé « Chambre des Demoiselles[Note 3] », décrit par Maurice Leblanc dans L'Aiguille creuse. En 1927, l'écrivain veut laisser une empreinte tangible de cette légende et demande à un maçon de graver dans la roche les lettres D et F (qui signifieraient Demoiselles de Fréfossé) qui seraient des indices menant à un trésor appartenant aux rois de France caché dans l'aiguille creuse[9].

Falaise d’Amont modifier

La porte d'Amont est la plus petite des trois portes. Dans une lettre du 6 novembre 1877 adressée à Flaubert puis dans son roman Une vie, Guy de Maupassant y voit, par paréidolie visuelle, une trompe d'éléphant plongée dans la mer[10]. Au large de la falaise, des chicots rocheux pointent de l'eau. Ils témoignent de l'effondrement d'une arche dont seul un pilier (appelé jambage) a été préservé de l'érosion. Ce pilier a d'abord évolué en aiguille, puis en chicot lorsque seule sa base indurée a résisté à l'érosion. Le cap d'Amont est ainsi une pointe multiporte[1].

On peut accéder à la falaise accessible via une route ou un escalier de 263 marches derrière l'hôtel des Roches Blanches. Au sommet de la falaise se dresse la silhouette de pierre de la chapelle Notre-Dame-de-la-Garde, protectrice des pêcheurs. L'édifice actuel succède à une chapelle du XIXe siècle en briques et en pierres de style néo-gothique. Elle a été détruite par l'occupant pendant la Seconde Guerre mondiale. Puis, on arrive au pied du monument et du musée réalisés par l'architecte Gaston Delaune et dédiés à Charles Nungesser et François Coli, deux pilotes qui tentèrent de rallier New York en 1927 et qui furent aperçus pour la dernière fois à cet endroit, après avoir décollé du Bourget à bord de l'Oiseau blanc ; les vestiges du monument initial, détruit par les Allemands en 1942[12], sont visibles à proximité.

Plage et front de mer modifier

Dans une de ses chroniques publiée dans Le Gaulois du 20 août 1880 et consacrée à Étretat, Maupassant compare le crépitement des galets charriés par les flots, à celui du feu d'artifice, et imagine que le nom sautillant de la ville est né de ce bruit de galets roulés par les vagues[13].

Encerclée par ses falaises, la plage est relativement protégée des vents dominants. Elle est constituée de galets. L'amplitude de la marée ne se fait pas trop sentir à cet endroit. Très fréquentée l'été, elle prend un air de fête, pour retrouver son aspect sauvage et grandiose hors saison. La présence exclusive de galets rend assez malaisée la promenade sur la plage. Cependant, ces « cailloux » sont un rempart naturel nécessaire à la protection du littoral. En effet, ils y contribuent en jouant le rôle d'un « amortisseur à vagues », tout comme le ferait un empierrement artificiel. Pour cette raison, la collecte des galets sur la plage est interdite, d'autant plus qu'ils ont tendance à être déplacés vers le large et vers le nord par les courants marins. Jadis, on pouvait voir des chevaux sur le rivage, auxquels étaient fixés des paniers qui servaient à contenir les pierres ramassées. Ces galets, après triage et calibrage, étaient ensuite revendus, notamment aux entreprises fabriquant de la porcelaine, de la faïence ou du verre, qui utilisent la silice composant en partie certains cailloux ou encore aux industries qui se servaient de sa dureté pour écraser d'autres matériaux.

La plage est séparée du village par une longue digue-promenade que l'on nomme le perrey ou perré, terme dialectal signifiant l'« empierré » et qui ne s'appliquait jadis qu'à la partie servant de lieu d'échouage aux bateaux. Cette digue est absolument nécessaire pour protéger la ville des tempêtes, surtout au moment des grandes marées d'équinoxe.

L'ancien front de mer, dont le casino « art nouveau », a été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale par l'occupant allemand pour la défense du littoral et améliorer sa visibilité. Au pied de la falaise d'aval subsistent des bunkers du mur de l'Atlantique.

Toujours vers la porte d'Aval, les « Caloges », terme dialectal signifiant « cabane », sont d'anciens bateaux convertis par les pêcheurs en abris et en locaux pour entreposer le matériel utile à leur activité. Ils sont recouverts d'une toiture en chaume.

Classement et protection modifier

Les espaces les plus remarquables du site font l'objet de protections réglementaires (sites classés et inscrits, zones Natura 2000 et espaces naturels sensibles qui sont la propriété du Conservatoire du Littoral au titre de la protection de sa biodiversité)[14].

Le syndicat mixte "Grand site Falaises d'Étretat-Côte d'Albâtre" qui regroupe treize communes dont Étretat, coordonne la démarche grand site de France engagée depuis 2012, ce programme de labellisation « répondant aux enjeux de protection des paysages, de maintien de la qualité de vie des habitants, d’organisation des déplacements et d’immersion des visiteurs au cœur de l’esprit des lieux ». Dans le cadre de cette démarche, la commune, avec le soutien de différents acteurs comme le Département, le conservatoire du littoral et le syndicat mixte, élabore un projet de renaturation du site (cheminement piétons, recul de la voiture et aménagements liés) afin de permettre la restauration écologique du milieu[15].

Problématique de l'éclairage des falaises modifier

Éclairage des falaises et monuments.

Les falaises sont puissamment éclairées du coucher du Soleil jusqu'à minuit, toute l'année, laissant dans le ciel une empreinte lumineuse très importante. Outre la consommation électrique et le coût de sa maintenance, cet éclairage remet en cause l'habitat de nombreux oiseaux qui nichent dans les falaises[16] et marque de son empreinte le ciel nocturne de toute la région.

Voir aussi modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. À ne pas confondre avec le granite, roche inconnue dans la région.
  2. Valleuse ou avalleuse est un terme dialectal à l'origine signifiant une sorte de vallée sèche débouchant sur la mer, sans lui donner nécessairement accès, « une vallée sèche suspendue » en quelque sorte.
  3. Selon une légende, cette grotte serait le refuge de trois demoiselles dont les fantômes continueraient de hanter les lieux et qui, surtout, poursuivaient partout jusque dans son château le chevalier de Fréfossé, qui les avait fait précipiter du haut de la falaise dans trois tonneaux dans lesquels étaient enfoncés de longs clous. En effet, ces demoiselles avaient eu le mauvais goût de refuser les avances de ce méchant seigneur.
  4. Deux hypothèse sont proposées pour expliquer le mode de formation de ce monticule dans la boue crayeuse. « La première hypothèse est une origine purement mécanique : sous l'influence de courants continus ou oscillatoires, la surface du fond prend la forme de dunes hydrauliques (comme par exemple les mégarides du détroit du Pas-de-Calais). La seconde hypothèse est une origine biomécanique : certains organismes ont une capacité de piégeage et de fixation de la boue. C'est le cas des Bryozoaires ou des Spongiaires ». Cf Bernard Hoyez, « À la découverte géologique des falaises d'Étretat : de la plage du Tilleul (Antifer) à l'anse de la Valaine », sur planet-terre.ens-lyon.fr, .

Références modifier

  1. a b et c Joël Rodet, La craie et ses karsts, Centre normand d'étude du karst et des cavités du sous sol, , 560 p.
  2. Donald W. Olson, Celestial Sleuth, Springer Science+Business Media, 2014 (ISBN 978-1-4614-8402-8) : l'astronome américain a procédé en à des mesures à l'inclinomètre et au sextant : « Nous avons observé, qu'au moment de la marée la plus basse, le sommet de l'aiguille se trouve 54,5 m au-dessus de sa base. ».
  3. Sylvain Tesson, « Sylvain Tesson à l'assaut de l'Aiguille creuse », Le Figaro Magazine,‎ , p. 52-58 (lire en ligne).
  4. Philibert Humm, « Opération Lupin », Le Figaro Magazine, 2 octobre 2020, p. 59-60.
  5. Francis Doré, Normandie, Maine, Masson, , p. 174.
  6. Le mot man(ne) issu du latin magnu / a- « grand » est un terme d'ancien français magne, main(e), normand *man(e) cf. Manneville-la-Goupil, Manéglise, Mandeville.
  7. René Tonnetot, Étretat à travers les siècles, Durand & fils, , p. 10
  8. René Tonnetot, Étretat à travers les siècles, Durand & fils, , p. 123-125
  9. Esther Buitekant, « Étretat : la lettre D gravée par le père d'Arsène Lupin et menant à un prétendu trésor a disparu », sur geo.fr, .
  10. Yvan Leclerc, Gustave Flaubert-Guy de Maupassant. Correspondance, Flammarion, , p. 129.
  11. Claude Prêcheur, Le littoral de la Manche, de Sainte-Adresse à Ault. Étude morphologique, SFIL, , p. 93.
  12. « Le monument Nungesser et Coli », sur www.lieux-insolites.fr (consulté le ).
  13. Gérard Pouchain, Promenades en Normandie avec un guide nommé Guy de Maupassant, C. Corlet, , p. 129.
  14. « Falaises d’Étretat-Côte d’Albâtre », sur grandsitedefrance.com, .
  15. « Falaises d’Etretat, Côte d’Albâtre », sur grandsitedefrance.com, .
  16. « Oiseaux marins nicheurs et littoral cauchois », sur Groupe Ornithologique Normand.