« Soulèvement de Poznań en 1956 » : différence entre les versions

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Le '''soulèvement de Poznań en 1956''', connu en [[Pologne]] sous le nom de « juin de Poznań » (en [[polonais]], ''Poznański Czerwiec'') est la première révolte du peuple polonais contre le régime communiste de la [[République populaire de Pologne]].
 
Partie d'une [[grève]] des travailleurs, elle se transforme en un affrontement avec l'[[armée polonaise]]. Les manifestations débutent le [[28 juin]] [[1956]] à [[Poznań]], aux [[usines Cegielski]] et se dirigent vers le centre ville. Une centaine de milliers de personnes s'étant rassemblées à proximité de l'immeuble de la Sécurité d'État (UB - Urząd Bezpieczeństwa), les autorités chargent le général [[Stanislav Poplavsky]] d'étouffer la manifestation avec {{formatnum:1000}} hommes de l'[[Forces armées polonaises|Armée populaire de Pologne]] (Ludowe Wojsko Polskie - LWP) et du [[Ministère de la Sécurité intérieure polonais|Corps de sécurité intérieure]] (KBW), et l'appui de 400 [[char de combat|chars de combat]]. Au cours de cette opération, la troupe ouvre le feu sur les manifestants civils. <br />Les évaluations sur le nombre des victimes font état de 57<ref>Andrzej Paczkowski, ''Pół wieku dziejów Polski'', Wydawnictwo Naukowe PWN, Warszawa 2005, {{ISBN|83-01-14487-4}}, p. 203 (''Un demi-siècle d'histoire de la Pologne'')</ref> à 78 morts<ref>Łukasz Jastrząb, ''Rozstrzelano moje serce w Poznaniu. Poznański Czerwiec 1956 r. – straty osobowe i ich analiza'', Wydawnictwo Comandor, Warszawa 2006, {{ISBN|83-7473-015-3}} (''C'est mon cœur qu'ils ont fusillé à Poznań, le juin 56 de Poznań - les pertes humaines et leur analyse'')</ref>{{,}}<ref>Norbert Wójtowicz, "Ofiary „Poznańskiego Czerwca”, Rok 1956 na Węgrzech i w Polsce". ''Materiały z węgiersko–polskiego seminarium''. Wrocław październik 1996, ed. Łukasz Andrzej Kamiński, Wrocław 1996, p. 32–41.("Les victimes du "juin de Poznań", l'année 1956 en Hongrie et en Pologne", ''Actes du séminaire hongro-polonais'', Wrocław octobre 1996)</ref> et 500 à 600 blessés. Le soulèvement de Poznań n'en reste pas moins une étape décisive vers l'installation en octobre d'un régime moins inféodé à l'URSS.
 
== Contexte ==
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=== Débuts de la contestation en Pologne ===
En Pologne, le stalinisme marque encore profondément les institutions, l'économie et la société. [[Bolesław Bierut]] incarne parfaitement l'alignement politique sur le maître du Kremlin, il est d'ailleurs marqué au Politburo par Konstantin [[Rokossovsky|Constantin Rokossovski]], général soviétique d'origine polonaise imposé par Staline comme vice-premier ministre et ministre de la Défense. L'armée est un instrument essentiel, d'abord par son effectif pléthorique ({{formatnum:400000}} hommes) grâce à la conscription et surtout son encadrement qui est très politisé, les officiers passant par l'Académie Militaire Politique (WAP) créée en 1951. La Pologne est membre fondateur du [[Pacte de Varsovie]] en 1955. Pendant les années Bierut, l'économie a été collectivisée à outrance, l'Église persécutée (ses propriétés confisquées en 1950), l'industrie lourde est la priorité absolue comme en témoigne la construction de [[Nowa Huta (Cracovie)|Nowa Huta]]. Le mimétisme va jusqu'à l'introduction du [[stakhanovisme]] avec son corollaire, le relèvement des normes de production qui mécontente les ouvriers.
 
Cela étant, le modèle n'a jamais totalement fonctionné que dans la propagande : pas de procès à grand spectacle comme les affaires [[Rudolf Slánský]] en [[Tchécoslovaquie communiste|Tchécoslovaquie]] ou [[Nikolaï Petkov]] en [[République populaire de Bulgarie|Bulgarie]], échec des kolkhozes, pas de déportations massives, une classe moyenne tracassée mais pas liquidée. En décembre 1954, le ministère de la Sûreté est supprimé (mais pas les services) et en 1955, [[Władysław Gomułka]] sort discrètement de prison<ref>Norman Davies, ''Histoire de la Pologne'', Fayard éd.,1986.pp. 26-30</ref> Le [[Parti ouvrier unifié polonais]] n'échappe pas aux évolutions qui dégèlent le Bloc soviétique : outre la critique du culte de la personnalité, on débat beaucoup du droit de chaque pays à définir sa propre voie nationale vers le socialisme plutôt que de suivre servilement le modèle soviétique. Même dans le Parti, des voix s'élèvent pour remettre en cause l'exécution de vétérans du Parti lors des [[purges staliniennes]]. En mars 1956, la mort du premier secrétaire du PZPR (parti communiste), le fidèle stalinien Bierut, ouvre une crise de succession et un débat sur la ligne du Parti.
 
Politiquement, la résistance anti-communiste en Pologne se réveille elle aussi. C'est ainsi qu'à Poznan[[Poznań]] un groupe de dirigeants de l'opposition et d'intellectuels de renom fondent le ''[[Klub Krzywego Koła]]'' (Club de la Roue Déviante). On y discute de l'indépendance de la Pologne, des aberrations de l'économie étatisée, des discriminations et même des persécutions que le gouvernement a fait subir aux forces armées polonaises de l'Ouest et l'arrogance gouvernementale. On y rappelle enfin le rôle de la résistance polonaise de l'Armée de l'intérieur ([[Armia Krajowa]]) pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mais tandis que l'intelligentsia exprime ses désaccords dans des débats et publications, les travailleurs descendent dans la rue.
 
=== Les ouvriers de Poznań ===
Poznań est l'un des principaux centres urbains et industriels de la République Populaire de Pologne. Le soulèvement intervient dans une phase d'instabilité du pays. En premier lieu, les conditions économiques et notamment la pénurie chronique irritent la population. Depuis l'été 1955, les ouvriers sidérurgistes de Poznań ont vu à la fois leurs conditions de vie et leur capacité de production régresser : les ruptures d'approvisionnement en tôles et produits semi-finis les mettaient de plus en plus fréquemment en chômage technique. D'autre part, les normes de travail étaient fréquemment relevées.
 
Les travailleurs de la plus grande usine de la ville, la ZISPO (Industries Métallurgiques [[Hipolit Cegielski]] - appelées usines Joseph Staline de 1947 à 1956) se plaignaient des discriminations salariales liées au système des normes. Les directeurs locaux n'avaient aucune marge de manœuvre par rapport à une planification tâtillonnetatillonne. Pendant des mois, on envoie des pétitions, des lettres et des délégations au ministre des industries mécaniques tout comme au Comité Central du P.O.U.P. En vain. Finalement, une délégation de quelque 27 travailleurs est envoyée vers le 23 juin. L'entrevue est positive et, dans la nuit du 26, la délégation revient à Poznań confiante d'avoir été entendue. Le ministre s'est engagé à revoir les normes et à payer des primes que le relèvement des quotas leur avait fait perdre. Or, dans la matinée, ce même ministre arrive à l'usine et, devant une assemblée générale du personnel stupéfait, il revient sur certains des engagements qu'il avait pris à Varsovie<ref>Les causes du déclenchement issu du [http://www.poznan.pl/mim/public/czerwiec56/pages.html?co=list&id=3043&instance=1017&parent=0&lang=fr&lhs=czerwiec56 site officiel de la ville de Poznań dédié aux événements de 1956], NB une « source » à considérer avec prudence, car orientée, traduisant l'idéologie de la municipalité, évidemment hostile à l'ancien régime et ne citant précisément pas de sources pour les événements rapportés</ref>.
 
== Un soulèvement populaire ==
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Les manifestants réclament la baisse des prix alimentaires, des augmentations de salaire et l'annulation des dernières mesures qui avaient dégradé les conditions de vie pour les travailleurs. Le gouvernement local affirmant n'avoir pas compétence pour résoudre ces problèmes, ils exigent la venue du premier ministre [[Józef Cyrankiewicz]]. On voit même des policiers se joindre au mouvement<ref>Le jeudi noir - film des événements issu du [http://www.city.poznan.pl/mim/strony/czerwiec56/pages.html?co=list&id=3043&ch=3060&instance=1017&lang=fr&lhs=czerwiec56 site officiel de la ville de Poznań] dédié aux événements de 1956 .</ref>.
 
Après 10 h, la situation se détériore rapidement avec une rumeur, peut-être lancée par des provocateurs : Des membres de la délégation qui est allée négocier auraient été arrêtés. La colère explose. Les unités locales de la Milice Civique sont rapidement débordées malgré l'utilisation de lances à eau et la situation tourne à l'émeute : la foule prend d'assaut la prison de la rue Młyńska, où les délégués étaient censés être retenus. Vers 10 h 50, des centaines de détenus sont libérés. A 11 h 30, les émeutiers s'emparent de l'armurerie de la prison et distribuent des armes à feu. EntretempsEntre temps, d'autres ont mis à sac la Direction du Parti avant de s'en prendre, vers 11 h au siège de la Sécurité d'État, rue Kochanowski. C'est là qu'éclatent les premiers coups de feu, tirés depuis les fenêtres de la Police secrète, sur les assaillants qui refluent. À partir de là, et jusqu'à 6 h du soir, les insurgés s'emparent ou assiègent de nombreux bâtiments du gouvernement et de l'administration, dont le Palais de Justice et le bureau du procureur, la Sécurité Sociale rue Dąbrowski, les postes de la milice à Junikowo, Wilda, Swarzędz, Puszczykowo et Mosina. En investissant le camp de détention de Mrowino et l'École militaire de l'Université de Technologie de Poznań ils raflent les armes qui y sont entreposées. Ils font main basse sur un certain nombre de documents au poste de milice, à la procurature et au tribunal et les détruisent.
 
Pendant ce temps, vers 11 h, 16 chars, 2 half-tracks et 30 véhicules quittent l'École des officiers des Unités Blindées, une garnison de Poznań, et prennent position autour des bâtiments qu'ils ont mission de protéger. Non seulement il n'y a pas d'échanges de tirs avec les manifestants, mais on voit même les soldats fraterniser avec la foule. Selon certains témoignages, les manifestants s'emparent alors de deux chars et désarment des soldats.
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=== La répression ===
 
C'en est trop pour le maréchal [[Konstantin Rokossovski|Constantin Rokossovski]], ministre de la Défense nationale en Pologne. Il décide de prendre directement les choses en main. Les événements vont dès lors prendre une tournure dramatique. Rokossovski envoie son représentant, le général soviéto-polonais Stanislaw[[Stanislav PoplavskiPoplavsky]] et un groupe d'officiers subalternes soviétiques avec mission de réduire à leur façon le soulèvement. Il s'agit de couper court à l'agitation pour éviter un scénario à l'est-allemande, [[Émeutes de 1953 en Allemagne de l'Est|version 1953]], lorsqu'un mouvement de protestation qu'on n'avait pas étouffé dans l'œuf avait contaminé d'autres régions.
Il est 14 h quand les officiers soviétiques débarquent à l'aéroport de Ławica. Ils prennent aussitôt leur commandement. Poplavski ne va pas se servir des régiments cantonnés à Poznań, mais fait venir des troupes de la région militaire de Silésie, épaulées par des unités spéciales amenées du Polygone de Biedrusko (une base militaire excentrée au nord de Poznań, qui formait une bande d'une vingtaine de km entre Suchy Las et l'aérodrome de Bolechowo). Les soldats, ignorants de ce qui se déroule en ville, sont mis en condition : on leur raconte que les meneurs des manifestations sont en fait des « provocateurs allemands » qui veulent mettre à profit la Foire Internationale de Poznań pour salir l'image de la Pologne.
 
Le 29 à l'aube (entre 4 et {{heure|5}}), {{unité|10300|hommes}} des {{10e}} et {{19e|divisions}} blindées, des {{4e}} et {{45e|divisions}} d'infanterie, soutenus par le Corps de sécurité intérieure et sous le commandement de Poplavski investissent Poznań. Pendant deux heures, c'est un interminable cortège de chars, de véhicules blindés, d'artillerie de campagne et de camions chargés de troupes qui traverse la ville et l'encercle. À {{heure|9}} commence une vague massive d'arrestations. Les suspects interpellés sont regroupés à l'aéroport de Lawica et soumis à un interrogatoire musclé (tabassages). 746 personnes au total seront internées, pour certaines jusqu'au 8 août. En ville, la répression dure jusqu'au 30 juin, avec des échanges de tirs sporadiques entre militaires et insurgés. Le 29 juin, à {{heure|19|30}}, le premier ministre Cyrankiewicz déclare à la radio locale {{citation|que les provocateurs ou les fous qui ont levé la main sur le gouvernement populaire sachent que cette main sera coupée.}}
 
Le bilan est toujours sujet à polémique chez les historiens. Ainsi [[Łukasz Jastrząb]] de Ll'institut IPN ([[Instytut Pamięci Narodowej|l'Institut dude la mémoire nationale]] - Commission de poursuite des crimes contre la souvenirnation nationalpolonaise) l'évalue à 57 morts et environ 500 blessés alors qu'un autre chercheur du même institut [[Stanisław Jankowiak]] situe le nombre des blessés à 600 personnes, car il prend en compte les rapports de justice établis à partir des témoignages de personnes présentes sur les lieux, témoignages que le Dr. Jastrząb ne reconnaît pas comme crédibles. La liste officielle, reconnue par le gouvernement en 1981, fait elle état de 74 morts, au nombre desquels un jeune garçon de 13 ans, Romek Strzałkowski.
 
Les pertes matérielles sont de plusieurs dizaines de millions de [[zloty]]s dans la ville tandis qu'une trentaine de [[char de combat|chars de combat]], une dizaine d'autre blindés et des dizaines de camions sont détruits ou rendus inutilisable lors des combats<ref>{{article|langue=fr|auteur1=Mark Kramer|titre=La Révolution Hongroise de 1956: Nouvelles Approches. Prélude aux crises polonaises et hongroise|périodique=Communisme|volume=|numéro=88-89|jour=|mois=|année=2006/2007 |pages=38|lire en ligne=}}.</ref>.
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Le 21 juin 2006, pour célébrer le {{50e|anniversaire}} du soulèvement, la Diète polonaise a fait du 28 juin une fête nationale, le Jour du Souvenir de Juin 56 à Poznań<ref>Uchwała Sejmu Rzeczpospolitej Polskiej z dnia 21 czerwca 2006 r. w sprawie ustanowienia dnia 28 czerwca Narodowym Dniem Pamięci Poznańskiego Czerwca 1956.(Décision de la Diète de la République de Pologne du 28 juin 2006, faisant du 28 juin 1956 la Journée Nationale du Souvenir du juin 1956 de Poznań</ref>.
 
=== Controverses ===
Avec l'effondrement du régime en 1989, la tendance historiographique officielle dès la présidence de [[Lech Wałęsa]] sera bien sûr de remettre à l'honneur les précurseurs et notamment le soulèvement de Poznań. C'est ainsi que la majorité des historiens d'aujourd'hui veulent voir dans la contestation de 1956 un moment-clé dans l'histoire contemporaine de la Pologne voire un jalon vers la fin du communisme dans ce pays. Certains acteurs ou historiens rappellent que ce mouvement de 56 n'exprimait pas une idéologie anti-communiste, ce que les ouvriers réclamaient, c'était des réformes économiques et de meilleures conditions de travail plutôt que des revendications politiques. Ils chantaient [[L'Internationale]] et leurs banderoles proclamaient « Nous demandons du pain ». C'est peut-être l'incapacité du gouvernement à leur apporter satisfaction, puis la prise de conscience de leur propre force qui les a ensuite poussés à des revendications politiques. Rechercher les similitudes entre un état d'esprit répandu aujourd'hui et la conscience d'alors répond souvent à des préoccupations politiques très actuelles, auxquelles l'histoire sert plus ou moins d'alibi. Il faut enfin se souvenir que même dans les débuts de Solidarité, seule une minorité en appelait à un grand changement politique<ref>Interview de Karol Modzelewski, l'un des leaders de la révolte</ref>{{,}}<ref>Hot June '56 Warswaw Voice 31 mai 2006</ref>.
 
== Notes et références ==