« Internationale lettriste » : différence entre les versions

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=== Préhistoire ===
Nulle organisation n’étant de génération spontanée, la constitution de l’I.L. trouve certains de ses soubassements dans des évènements qui l’ont précédé et dans lesquels elle a su se reconnaître. Parmi ceux-ci, l’esclandre passéepassé à la postéritél’Histoire sous le nom de [[Scandale de Notre-Dame]] lors de la messe solennelle de Pâques 1950 a très naturellement été intégréeintégré à sa légende. D’autant qu’y participaient deux de ceux qui seront présents à sa constitution effective en 1952, [[Serge Berna]], son instigateur principal et [[Jean-Louis Brau]], l’un des comparses de la jeune garde lettriste avec ses épigones, venus soutenir l’exécutant, le jeune [[Michel Mourre]] déguisé en moine dominicain déclamant en chaire le texte violemment anticlérical et blasphémateur rédigé par Serge Berna « en vérité, je vous le dis : Dieu est mort »<ref group=n.>Parmi les autres participants notables : Claude-Pierre Matricon, Ghislain Desnoyers de Marbaix, Jean Rullier, Marc-Gilbert Guillaumin alias [[Marc'O|Marc, O]], Gabriel Pomerand, cf. Christophe Bourseiller, ''Vie et Mort de Guy Debord 1931-1994'', Plon, 1999, pages 35-36 ; Jean-Michel Mension, ''La Tribu'', éditions Allia, Paris, 1998, page 33</ref>. Le retentissement médiatique de cette action ainsi que sa haute portée symbolique l’ont donc logiquement inscrite dans cette préhistoire<ref group=n.>Dans une lettre du 6 avril 1989 au biographe de F. Truffaut, Guy Debord indique que ce scandale, comme la tentative à la même époque (par l'ami d'[[Ivan Chtcheglov]] Henry de Béarn) de dynamiter la tour Eiffel, a compté parmi les actes ayant amené à la formation de l’IL (Guy Debord, ''Correspondance volume 7'', Librairie Arthème Fayard, Paris, 2008, page 79).</ref>.
 
=== Prémices ===
Comme souvent, la formulation d’une idée ne s’avère être finalement que la mise en mots d’une réalité déjà éprouvée. C’est ainsi le cas pour la construction du nouveau regroupement en tant que courant distinct du lettrisme originel dont plusieurs manifestations du premier semestre 1952<ref group=n.>Détaillées au début de la conférence ''Histoire de l’Internationale lettriste'' enregistrée le 6 décembre 1956 in Guy Debord, ''Enregistrements magnétiques (1952-1961)'', ''Nrf'' Gallimard, Paris, 2010, page 41.</ref> ont sans doute servies de révélateurs d’une convergence d’idées et de comportements à ceux qui y participaient. Relèvent de ceux-ci, la présentation le 11 février à Paris au ciné-club d’Avant-Garde du musée de l’Homme du film de [[Gil J Wolman]] L’''Anticoncept'' qui déclenche une bataille entre les jeunes lettristes et le public<ref group=n.>Ce film consistant en une projection en alternance de ronds blancs et noirs rythmés sur ballon-sonde fera l’objet d’une décision d’interdiction par la Commission de censure le 2 avril 1952. Scénario intégral et documents annexes, ''L'Anticoncept'', Editions Allia, Paris, 1995 {{ISBN|2-904235-86-8}}. Existe également en VHS chez ce même éditeur.</ref>. Également marquantes, les irruptions agitées de commandos de lettristes débarqués de Paris pour perturber le {{Ve}} [[Festival international du film]] de [[Cannes]] du 23 avril au 10 mai et faire connaître la sortie de la revue ''Ion'' de [[Marc-Gilbert Guillaumin]] (Marc,O) entièrement consacré aux films, en cours ou réalisés, du groupe lettriste<ref group=n.>Á l’occasion de cette agitation d’opposition à la tenue du Festival qui a donné lieu à une dizaine d’arrestations, un tract ''Fini le cinéma français'' est diffusé et de nombreuses affiches du festival placardées dans la ville sont recouvertes de slogans (“Le cinéma est mort”). Cf. Christophe Bourseiller, ''Vie et mort de Guy Debord, 1931-1994'', Paris, Plon, 1999, page 51-52 ; Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris, 2006, pages 44 et 59 ; Andrew Hussey, ''Guy Debord'', 2001, traduction 2014, Paris, Globe, l’école des loisirs, pages 80-81.</ref>. Et, dans le même ordre d’idée, le sabotage, à la fin du mois de mai suivant,<ref>cf. Guy Debord, ''Enregistrements magnétiques (1952-1961) '', ''Nrf'' Gallimard, Paris, 2010, p. 16 et ''Potlatch'' n° 21, page 150 de l'édition Gérard Lebovici.</ref> du Congrès de la Jeune Poésie réunissant au Musée pédagogique de la rue d’Ulm à Paris des néo-réalistes et des sous-surréalistes<ref>cf. Jean-Paul Curtay, ''La poésie lettriste'', Éditions Séghers, Paris, 1974, page 104.</ref>. Là encore, l’intervention de nombreuses forces de police contre les manifestants lettristes entraine le retrait de nombreux participants et, partant, le succès de l’opération. Á n’en pas douter également, les déroulements particulièrement animés des deux premières séances de présentation du film ''[[Hurlements en faveur de Sade]]'' de [[Guy Debord]] les 30 juin au ciné-club d’Avant-Garde (projection interrompue par l’assistance au bout de dix minutes) et en intégralité le 13 octobre au ciné-club du Quartier latin dans la salle des Sociétés savantes, 8, rue Danton<ref group=n.>On en trouve le récit détaillé fait par Maurice Rajsfus dans ''Une enfance laïque et républicaine'', Manya, 1992, repris dans Jean-Michel Mension, ''La Tribu'', Éditions Allia, Paris, 1998, pages 97 à 100 (notes).</ref>, n’ont pu que conforter les quatre lettristes dissidents Debord, Wolman, Brau et Berna dans leur volonté de constituer le groupe qu’ils projetaient.
 
=== Fondation-Constitution ===
Même si [[Guy Debord]], et [[Gil J Wolman]] indiquent avoir fondé « arbitrairement à [[Bruxelles]] »<ref name="E">[[Guy Debord]], ''Enregistrements magnétiques'', ''Histoire de l'Internationale lettriste'' (1956), ''Nrf'' Gallimard, Paris, 2010, page 42.</ref> un groupe distinct, comme tendance à l’intérieur du mouvement lettriste en {{date-|juin 1952}}<ref>[[Guy Debord]], ''Correspondance volume « 0 »'', Librairie Arthème Fayard, Paris 2010, page 17.</ref>, lors d’un déplacement pour y préparer la projection du film [[Isidore Isou|d’Isou]] [[Traité de bave et d'éternité|''Traité de bave et d’éternité'']], la première expression publique attestant de la constitution d’un groupe autonome manifestant la rupture avec le système Isou fut le scandale perpétré le 29 octobre 1952 à l'encontre de [[Charlie Chaplin]], vedette unanimement aimée du public, lors de la conférence de presse organisée pour la sortie de son dernier film, scandale dont [[Isidore Isou]] se désolidarisera publiquement<ref group=n.>C'est effectivement à cette occasion que l’Internationale lettriste manifeste spectaculairement son existence pour la première fois à Paris le {{date|29|octobre|1952}}, en attaquant au Ritz la conférence de presse tenue par [[Charlie Chaplin]] pour la promotion de son film ''[[Les Feux de la rampe]]'' (''{{langue|en|Limelight}}''). Berna, Brau, Debord et Wolman y lancent un tract d'insulte (''Finis les pieds plats !'') traitant notamment Chaplin d'« escroc aux sentiments » et de « fasciste larvé ». Seuls Jean-Louis Brau et Gil J Wolman purent pénétrer dans la salle de la conférence de presse et y jeter les tracts. Guy Debord et Serge Berna furent arrêtés par la police (qui les prenait pour des admirateurs) en essayant de s’introduire frauduleusement par les cuisines du Ritz. Isou, Pomerand et Lemaître, refusant de cautionner cette action, publièrent aussitôt un démenti dans le journal ''[[Combat (journal)|Combat]]'' du {{date|1|novembre|1952}}. L’ensemble de ces échanges est relaté dans la première publication du groupe ''Internationale lettriste {{n°|1}}'' publiée dans le courant du mois de novembre avec le texte de Guy-Ernest Debord, ''Mort d’un commis voyageur''.</ref>. Ce désaveu officiel acheva de marquer la séparation idéologique des lettriste historiques avec la nouvelle génération radicale.
Cette rupture dûment établie, l’existence de cette nouvelle avant-garde est formalisée par l’organisation de la première conférence de l’Internationale lettriste qui se tient à [[Aubervilliers]], ville dont le père de [[Jean-Louis Brau]] est maire-adjoint, le {{date-|7 décembre 1952}} en présence des quatre fondateurs ayant participé à l’action récente contre [[Charlie Chaplin]]. Le protocole final de la conférence fut déchiré et introduit dans une bouteille jetée dans le canal Saint-Denis, [[Jean-Louis Brau]] la repêchant le lendemain. Ces statuts très radicaux, « pour solde de tout compte », (notamment le point 4 prévoyant l’exclusion ''ipso facto'' pour collaboration à des activités isouïennes ou publication sous son nom d’œuvres commerciales), entérinent le point de non-retour vis-à-vis des anciennes pratiques lettristes<ref>Jean-Michel Mension, ''La Tribu'', éditions Allia, Paris, 1998, pages 62-63</ref>.
 
Une fois ce travail d’émancipation achevé, le groupe au départ constitué des seuls quatre fondateurs historiques va se donner plus de consistance. Naturellement, c’est parmi ceux qu’ils fréquentent habituellement que se constitue ce rassemblement informel, c’est-à-dire dans les nombreux cafés de [[Quartier Saint-Germain-des-Prés|Saint-Germain-des-Prés]] à [[Paris]] et notamment le bistrot ''Chez Moineau'', situé 22, rue du Four où se croisaient ces années là, outre les jeunes lettristes, un ensemble hétéroclite d’artistes plus ou moins connus, peintres, cinéastes, poètes expérimentaux, asociaux divers, ivrognes, toxicomanes, petits délinquants, filles mineures et ratés autoproclamés. On retrouve alors bon nombre de ces habitués parmi les signataires des nombreux textes collectifs du groupe, dont notamment, le ''Manifeste'' ouvrant le {{n°|2}} d’''Internationale Lettriste''<ref group=n.>Rédigé le 19 février 1953, il est signé Sarah Abouaf, [[Serge Berna]], P.-J. Berlé, [[Jean-Louis Brau|Jean-L. Brau]], [René] Leibé, Mohamed Dahou (ou |Midhou Dahou), [[Guy-Ernest Debord]], Linda [Fryde], Françoise Lejare, [[Jean-Michel Mension]], Éliane Pápaï, [[Gil J Wolman]] in [[Guy Debord]], ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris 2006, page 95.</ref>. Et, comme parmi ceux-ci figurent quelques étrangers en rupture de ban et des nord-africains, dont par exemple Mohamed (Midhou) Dahou, qui adhère dès le début de l’année 1953<ref name="E" />, le qualificatif d’internationale est d’autant plus justifié pour ce regroupement naissant qui se caractérise par son extrême jeunesse. À l’été de 1953, la moyenne d’âge de la bande des lettristes – internationalistes s’établissait légèrement au-dessous de 21 ans<ref>''Internationale Situationniste'' {{n°|2}}, page 12 et Éliane Brau, ''Le situationnisme ou le Nouvelle Internationale'', Nouvelles éditions Debresse, Paris, 1968, p. 118.</ref> et elle se trouvait en capacité, une fois la rupture avec le lettrisme d’Isou dûment consommée, de pouvoir, tout en prolongeant les théories du ''Soulèvement de la Jeunesse'' et de la destruction des arts prônés par Isou, radicaliser ses positions théoriques et pratiques issues du [[lettrisme]] en se rapprochant tout à la fois du [[marxisme]] révolutionnaire que du [[dadaïsme]] berlinois et des pensées nihilistes et anarchistes.
 
Le groupe officiellement constitué va principalement se manifester par ses publications et des actions d’agitation visant, avec une ironie souvent mordante, le petit monde culturel et intellectuel de l’époque, essentiellement parisien. Les quatre numéros d’''Internationale Lettriste'' à la parution aléatoire et dans des formats fluctuants et hasardeux ({{date-|décembre 1952}} - {{date-|juin 1954}}) correspondent à la période d’affermissement du groupe nouvellement constitué dans son rejet des pratiques passées. ''Potlatch'', ''bulletin d’information du groupe français de l’Internationale Lettriste''<ref group=n.>La mention “groupe français” disparaît au {{n°|22}} pour cause de cessation d’activité lettriste hors de France : cf. ''Potlatch 1954-57'', réédition de l’ensemble des numéros, précédée d’une présentation de Guy Debord, novembre 1985, éditions Gérard Lebovici, Paris, 1985</ref>, simplement ronéoté et à la pagination variable est d’une parution plus régulière, hebdomadaire durant l’été 54 ({{n°|1}} à 9-11), puis plutôt mensuelle jusqu’au {{n°|25}} de janvier 1956. Les 3 suivants 26, 27 et 28 s’échelonnent de mai 1956 à mai 1957, le numéro 29 du 5 novembre 1957 s’annonçant quant à lui ''Bulletin d’information de l’internationale situationniste'', seul et unique du genre<ref group=n.>Un numéro 30, nouvelle série {{n°|1}} se présentant comme ''Informations intérieures de l’Internationale situationniste'' se trouve reproduit in ''Documents relatifs à la fondation de l'Internationale situationniste, 1948-1957'', éditions Allia, Paris, juillet 1985, mais pas dans la réédition Lebovici/Debord de novembre de la même année.</ref>. À de partir de septembre 1955, ce corpus éditorial s’enrichira d’une collaboration suivie de Debord, Wolman et également Michèle Bernstein et Jacques Fillon à la revue surréaliste belge ''[[Les Lèvres nues]]''<ref group=n.>Une douzaine d’articles des numéros 6 à 9 (septembre 1955-novembre 1956 dont ''Théorie de la dérive'', ''Position du Continent Contrescarpe'', ''Mode d’emploi du détournement'', in [[Les Lèvres nues]], 12 numéros (Bruxelles, 1954-1958) ; ré-édition. en fac-similé des douze numéros, Paris, Éditions Plasma, collection Table Rase, 1978, réédition éditions Allia, Paris, 1999.</ref>.
 
C’est sur cet ensemble de supports, où s’expriment de féroces charges contre les divers modernistes dominants du moment et des informations régulières sur la vie marginale et mouvementée du groupe qui alterne exclusions et apports successifs, que vont apparaitre et se développer, au fil des semaines et des mois, les thèmes qui vont contribuer à l’élaboration et à la pratique des concepts expérimentaux grâce auxquels l’I.L. restera dans l’histoire des avant-gardes du {{s-|XX}} ([[Dérive (philosophie)|dérive]], [[psychogéographie]], constructions de situations, [[Détournement (art)|détournement]], urbanisme unitaire…). Dès lors, la nouvelle Internationale Lettristelettriste ainsi constituée et qui, en ordre de bataille, n'a plus de lettriste que le nom, possède alors en germes tous les éléments théoriques de ce qui constituera le socle de l'[[Internationale situationniste]] cinq ans plus tard.
 
En guise de préambule à l'activité future du groupe, début 1953, accompagné d’une quinzaine de ses comparses, [[Guy Debord]] trace sur un mur de l’[[Institut de France|Institut]], [[Rue de Seine (Paris, ancienne)|rue de Seine]] à [[Paris]], ce qu’il considérait comme la plus belle de ses œuvres de jeunesse, comme l’affirmation alors du programme minimum de l’I.L. : “''Ne travaillez jamais''”<ref>''Internationale Situationniste'' {{n°|8}}, page 42</ref>. À ce moment, le groupe s’identifie simplement à l’ensemble des signataires du ''Manifeste''<ref group=n.>Outre les quatre membres fondateurs Berna, en prison à l’époque, Brau, Debord et Wolman, sont signataires Sarah Abouaf, mineure recherchée par la police, P.J. Berlé, (René) Leibé, Midhou (Mohamed) Dahou, Linda (Fryde), Françoise Lejare, épouse de J-L Brau et Eliane Papaï, petite amie de Debord à l’époque (février 1953).</ref> ouvrant le numéro 2 d’''Internationale Lettriste'' ronéoté sur une unique feuille recto-verso<ref>''Documents relatifs à la fondation de l'Internationale situationniste, 1948-1957'', éditions Allia, Paris, 1985, page 154.</ref>, l’essentiel de ces noms n’y figurant sans doute que pour faire nombre.
En avril 1953, se constitue à [[Alger]] autour de Mohamed Dahou, ancien habitué de ''Chez Moineau'', le Groupe Algérien de l’Internationale lettriste, centré sur [[Orléansville]] (actuelle [[Chlef]]) qui connaît en septembre 1954 un important séisme dont rendra compte le bulletin ''Potlatch'' et des conséquences sur la vie des membres dudit groupe<ref>''Internationale lettriste {{n°|3}}'' in ''Documents relatifs à la fondation de l'Internationale situationniste, 1948-1957'', éditions Allia, Paris, 1985, pages 156-157 ; ''Potlatch'' {{n°|12}} et 13, idem pages 184 et 186.</ref>. À l’automne 1954, sera signalée la formation d’un éphémère Groupe Suisse (20 octobre – 7 décembre) à la vie brève autant qu’agitée<ref group=n.>''Potlatch'' {{n°|13}} et 15. Un tract de soutien du groupe français de l’IL du 26 novembre 1954 relate les suites mouvementées d’une conférence de ce groupe suisse le 5 novembre à Neuchâtel. Il n’en sera pas moins exclu le 7 décembre suivant.</ref>. Entre temps, le groupe français commence à connaître des remaniements d’importances variables. En avril 53, Gaëtan M. Langlais alias Double Wagon, est incorporé au groupe. [[Serge Berna]], après avoir fait quelques mois de prison est écarté peu après avec comme motif d'exclusionpour « ''élasticité de conscience'' »<ref group=n.>Il est par ailleurs qualifié de « suspect de déviation vers la littérature » à la suite de sa participation à l'édition d'un manuscrit d'Antonin Artaud qu'il avait retrouvé dans un grenier (Potlatch {{n°|2}} , ''Á la porte'' et ''Histoire de l'Internationale lettriste'' in Guy Debord, ''Enregistrements magnétiques (1952-1961)'', ''nrf'' Gallimard, 2010, p. 42.).</ref>. Suivront la même année, les exclusions de ce qui est qualifié de tendance nihiliste (J-M. Mension, P-J Berlé)<ref group=n.>Pour « ''médiocrité personnelle'' » (cf. le tract ''Faire-part'', mars 1954 in Guy Debord, ''Œuvres'', page 123), Mension étant par ailleurs gratifié par Gil J. Wolman de « ''simplement décoratif'' » dans le numéro 2 de ''Potlatch'', juin 1954, ''Á la porte''.</ref>. Jean-Louis Brau n'échappe pas à ce mode de traitement, son engagement dans le corps expéditionnaire d’Indochine fournissant le motif tout trouvé de sa mise à l’écart pour “''déviation militariste''”, en dépit du fait qu'il ait assumé le poste de Directeur-Gérant du numéro 3 d’''Internationale Lettriste'' paru à l’été sous forme d’affichette vendue sur les trottoirs du [[Quartier latin (Paris)|Quartier Latin]].
 
=== Dérives, psychogéographie, construction des situations : constitution du futur socle théorique situationniste ===
Mais, au délà de ces ''"mouvements de troupes''", le véritable fait marquant pour l’histoire de l’I.L. durant cette période [[1953]]-[[1954]], est l’arrivée dans ses rangs d’[[Ivan Chtcheglov]] (alias [[Gilles Ivain]]) à l’été 1953<ref group=n.>De son vrai nom Ivan Vladimirovitch Chtchegloff (1933-1998) qu’il orthographie Chtcheglov à son adolescence. Même s’ils fréquentaient déjà ensemble le bistrot ''Chez Moineau'', la véritable rencontre entre Debord et Chtcheglov est attestée à la mi-juin (13 ou 16 selon les sources) où ils se découvrent alors de nombreux points de convergence qu’ils vont développer durant l’été. Il invente alors le Continent Contrescarpe. Peintre par ailleurs, il a réalisé, seul ou en compagnie de Gaëtan M. Langlais, de nombreuses ''métagraphies influentielles'', dont quelques-unes ont été montrées à Paris, lors d'une exposition organisée par Gil J Wolman à la galerie dite du Double Doute, passage Molière, du 11 juin au 7 juillet 1954.</ref>. Deux amis d’Ivan, Henry de Béarn et [[Patrick Straram]] vont s’adjoindre à cette arrivée majeure qui va permettre en quelques mois une évolution marquante de l'I.L., avec le développement des thèmes essentiels que sont notamment la [[Dérive (philosophie)|dérive]] et la [[psychogéographie]]. Accessoirement, à cette occasion, le centre de gravité de l’organisation va se déplacer du {{6e}} arrondissement à la [[Montagne Sainte-Geneviève]]<ref group=n.>Rebaptisée par anticléricalisme radical Montagne Geneviève chez les lettristes-internationaux.</ref>, la troupe quittant son fief de ''Chez Moineau'' pour une nouvelle permanence : ''Le Tonneau d’Or''.
 
À partir du mois d’août 1953, les lettristes présents sur Paris, entament des déambulations, fortement alcoolisées, dans les rues (et les cafés) de quartiers choisis de Paris, qu’ils vont d’abord baptiser puis théoriser après les avoir intensément pratiquées, sous le nom de [[Dérive (philosophie)|dérives]]. La multiplication de celles-ci va donner lieu à la découverte/invention de la [[psychogéographie]] que l’[[Internationale situationniste]] définira dans le premier numéro de sa revue éponyme en juin 1958 comme l'« ''étude des effets précis du milieu géographique… sur le comportement affectif des individus ''». De ce concept original, naît également celui d’urbanisme unitaire, largement développé par les premiers situationnistes. De ces premières expériences estivales sortent deux textes fondateurs : Enen septembre par [[Guy Debord]] ''Manifeste pour une construction de situations''<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris 2006, pages 103-112.</ref> et en octobre par [[Gilles Ivain]] ''Formulaire pour un urbanisme nouveau''<ref group=n.>Demeuré inédit, une version du texte établie par Guy-Ernest Debord parait en juin 1958 dans le premier numéro de la revue ''Internationale situationniste'' (pages 15 à 20). Une version complète à partir de plusieurs états du texte est proposée dans l’ouvrage ''Ivan Chtcheglov, Écrits retrouvés'' établis par Jean-Marie Apostolidès & Boris Donné, éditions Allia, Paris, 2006. En complément, en janvier 1954, Gilles Ivain écrit une ''Introduction au Continent Contrescarpe'' (même ouvrage pages 32-33).</ref>. Au même moment, [[Patrick Straram]] se trouve interné à l’hôpital psychiatrique de [[Neuilly-sur-Marne|Ville-Evrard]] pour lui éviter la prison à la suite d'un scandale sur la voie publique, en état d’ivresse<ref group=n.>Durant son séjour, il publie dans ''Le Tremplin'', bulletin des malades de Ville-Evrard, un éloge de la construction des situations (inédit à ce jour) que Guy Debord estimera avoir été la première déclaration « situationniste » imprimée (lettre à Patrick Straram du 23 août 1960, ''Correspondance volume 1'', Paris, Librairie Arthème Fayard, 1999, page 377). P. Straram sera libéré le 21 novembre 1953 (cf. projet de tract ''Faire-part'', in Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris 2006, page 122).</ref>. Si les deux textes de Debord et Ivain restent confidentiels et à usage interne au groupe, les réponses à deux enquêtes de la revue surréaliste belge de [[René Magritte]] ''La Carte d’après nature'' publiées en janvier et juin 1954<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris 2006, pages 119-121.</ref> vont permettre pour la première fois la formulation publique des thèmes pré-situationnistes de construction des situations, [[Dérive (philosophie)|dérive]], [[psychogéographie]], en cours d’élaboration au sein de l'Internationale lettriste. On les retrouvera sous des formes plus développées dans la série d’articles donnés par [[Guy Debord]] entre septembre 1955 et novembre 1956 à la revue belge ''Les Lèvres nues'', dont notamment ''Introduction à une critique de la géographie urbaine'', ''Position du Continent Contrescarpe'' et, précédant deux comptes rendus de dérive de décembre 1953 et mars 1956, ''Théorie de la dérive''.
 
Au printemps 1954, alors que le groupe vient de se séparer de Gaëtan Langlais<ref group=n.>Cf. le projet de tract ''Faire-part'' de mars 1954 reprenant par ordre successif les exclusions depuis le printemps de Berna, Mension, Berlé, Brau, Langlais, in Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, 2006, page 123, projet de tract confirmant les termes de la lettre de Guy Debord à Gil J Wolman du 8 février 1954 «L'affaire Double Wagon totalement réglée .... - Mort.» in ''Lettres de Guy Debord à Gil J Wolman''" édition privée hors commerce, 2020, p. 38.</ref>, les arrivées d’André-Frank Conord, qui assume la rédaction en chef de ''Potlatch'' du numéro 1 au numéro 8 et de Jacques Fillon, ancien condisciple de lycée de [[Guy Debord]] à [[Cannes]] ainsi que le retour de [[Gil J Wolman]], un temps éloigné, viennent certes compenser l'éloignement à l'étranger d’Henry de Béarn, l’ami d’Ivan, pour le [[Venezuela]]<ref group=n.>Cf. projet de tract ''Faire-part'' de mars 1954 mentionnant qu’il y dirigerait un groupe de l’I.L. et qu’il prendra des contacts dans d’autres pays voisins avant de rentrer en France !, in Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, 2006, page 123</ref> ou de [[Patrick Straram]] vers le [[Canada]], mais, plus gravement, les circonstances de l’exposition ''Avant la guerre, 66 métagraphies influentielles''<ref group=n.>Ces métagraphies influentielles consistent en quelques collages réalisés en 1953-1954. La métagraphie est, à la base, un art créé par [[Isidore Isou]] en 1950 qui se base sur l'exploitation de tous les signes (alphabets, codes, idéogrammes…) de la communication. Les membres de l'I.L. ont repris ce terme à leur compte pour désigner les collages qu'ils réalisèrent à partir d'éléments issus de journaux ou de magazines, revenant à une attitude proche de celle des dadaïstes [[Raul Hausmann]], [[Kurt Schwitters]] ou [[John Heartfield]].</ref>, organisée par [[Gil J Wolman]] à la galerie du Passage dite du Double Doute, [[passage Molière]]<ref group=n.>Cette galerie, située entre le 83, rue Quincampoix et le 157, rue Saint-Martin, était en fait l'atelier de couture de la mère de Wolman, nous apprend l'édition privée hors commerce des ''Lettres à Gil J Wolman'' de Guy Debord, nouvelle édition 2020, page 62.</ref>, à [[Paris]] du 11 juin au 7 juillet 1954, vont offrir à [[Ivan Chtcheglov]]/[[Gilles Ivain]] dont des œuvres sont exposées, un motif majeur pourde se désolidariser de l’affiche conçue par [[Guy Debord]], et le conduire ainsi à rompre ainsi avec le groupe quelques jours après<ref group=n.>Sans doute par dépit, cette rupture sera transformée en exclusion pour « ''mythomanie, délire d’interprétation, manque de conscience révolutionnaire ''» dans le numéro 2 de ''Potlatch'' du 29 juin 1954 dans l’article de Gil J Wolman “''Á la porte''” reprenant les principales mises à l’écart et leurs motifs depuis le création de l’I.L. en concluant “''il est inutile de revenir sur les morts, le bloom s’en chargera''”.</ref>. Cette rupture est naturellement suivie, en soutien à leur ami, de celles de [[Patrick Straram]] et d’Henry de Béarn. Á l’occasion de cette même exposition, [[Guy Debord]] renoue avec [[Michèle Bernstein]], une ancienne de ''Chez Moineau'' qu’il épouse le 17 août suivant. Les témoins de cette union sont Mohamed Dahou et André-Frank Conord, lequel sera pourtant exclu définitivement le 29 sous l’accusation de « ''néobouddhisme, évangélisme, spiritisme ''»<ref>''Potlatch'' {{n°|9-10-11}}, ''Nos lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes…''</ref>. La petite équipe en charge du bulletin ''Potlatch'' se trouve donc réduite, moins de deux ans après la création de l’Internationale lettriste, à Mohamed Dahou, rédacteur en chef, [[Gil J Wolman]], Jacques Fillon et son épouse Véra, et [[Guy Debord]] et [[Michèle Bernstein]], à l’entame de cette nouvelle période qui va les amener trois ans plus tard à la fondation de l’[[Internationale situationniste]].
 
=== La deuxième I.L. : l'élargissement international ===
Après ces nombreux soubresauts, l’objectif est, dans l’optique de se consolider, de nouer des contacts avec divers représentants avant-gardistes européens afin de donner une assise véritablement internationale au petit groupe parisien originel<ref group=n.>cf. l'article ''le choix des moyens'' signé de la rédaction dans le numéro 16 de ''Potlatch'' daté du 26 janvier 1955.</ref>. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le rapprochement, dès octobre 1954, avec le groupe surréaliste bruxellois aboutissant aux publications d’articles de [[Guy Debord]], [[Gil J Wolman]], Jacques Fillon et [[Michèle Bernstein]] dans les numéros 6 à 9 de la revue ''[[Les Lèvres nues]]'' de [[Marcel Mariën]]<ref group=n.>Entre octobre 1954 et juillet 1957, Guy Debord adresse 59 lettres à Marcel Mariën reprises en intégralité dans Guy Debord, ''Lettres à Marcel Mariën'', Editions de la Nerthe, Toulon, 2015.</ref>. À la même époque, l’équipe rédactionnelle de ''Potlatch'' se renforce de l’apport de [[André Frankin|Léonard Rankine]], pseudonyme du militant marxiste liégeois [[André Frankin]]. Futur membre ''Hors section'' de l’[[Internationale situationniste]] il offrira dans les articles qu’il signe un niveau d’analyse politique nouveau qui préfigure ce que deviendra ultérieurement l’organisation situationniste à partir de 1962<ref group=n.>André Frankin est né le 16 juin 1925 à Liège où il est mort le 28 mars 1990. J.-M. Apostolidès en dresse un portrait détaillé dans son ''Debord, Le Naufrageur'', Paris, Flammarion, 2015, p. 153-155. Les articles signés Rankine sont parus dans les numéro 15, 17, 20 et 22 de ''Potlatch'' ; le dernier paru dans le numéro 28, comme ceux qui seront publiés par la revue de l’I.S., est signé de son vrai nom.</ref>.
 
Par contre, une démarche commune avec les surréalistes français envisagée à l’occasion du centenaire de la mort d’[[Arthur Rimbaud]] (tract ''Ça commence bien !'' signé des deux groupes) tourne rapidement court (tract ''Et ça finit mal'', ''faussaires'' de l’I.L.) suivi d’un troisième tract des surréalistes, ''Familiers du Grand Truc'' (''Potlatch'' {{n°|13}} du 23 octobre 1954) qui met un point final à ces échanges définitivement rompus pour l'I.L.. Toujours fin 1954, des contacts sont pris avec le plasticien danois [[Asger Jorn]]<ref group=n.>Asger Jorn, né Asger Oluf Jørgensen (1914-1973), peintre danois co-fondateur du mouvement CoBrA (1948) et de l'Internationale situationniste (1957). En 1953, il avait créé le M.I.B.I. Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste.</ref> se disant intéressé par les thèmes défendus par ''Potlatch'' qui publie d’ailleurs dans son numéro 15 des extraits du livre ''Image et Forme'' sur l’architecture et son avenir. Progressivement affiliéintégré au groupe lettriste, il est intégré au comité directeur de l'I.L. à l'issue du Congrès d'Alba début septembre 1956<ref>''Potlatch ''{{n°|27}} du 2 novembre 1956, ''La plate-forme d'Alba''</ref> et participe en décembre à l’enregistrement de la conférence ''Histoire de l’Internationale lettriste'' en présence de tous les lettristes<ref group=n.>Il contresigne également pour l’Internationale lettriste, avec [[Guy Debord|G.-E. Debord]] et [[Gil J Wolman]], l’''Ordre de boycott'' lancé le 31 juillet 1956 contre le Festival de la Cité Radieuse à Marseille. Cf. Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris 2006, page 239.</ref>. Durant l’année 1955, l’I.L. enregistre également l’adhésion à son programme de l’écrivain écossais [[Alexander Trocchi]], rédacteur en chef démissionnaire de la revue d’avant-garde anglo-américaine ''Merlin''<ref>Potlatch {{n°|23}} du 13 octobre 1955, ''vite fait''</ref> et futur situationniste, ainsi que le passage plus éphémère de l’écrivain espagnol [[Juan Goytisolo]] qui co-signe en octobre 1955 sous le pseudonyme de Juan Fernandez, avec le reste du groupe, une lettre d’insulte à la rédaction du ''[[Groupe Le Monde]]''. Le dernier apport notable, est celui d’Abdelhafid Khatib, ami de Mohamed Dahou et futur membre de la section algérienne de l’IS, qui signe un article dans le {{n°|27}} de ''Potlatch'' du 2 novembre 1956 avant de participer à l’enregistrement de la conférence ''Histoire de l’Internationale lettriste''.
 
Au-delà de ces questions d’effectifs qui ne sont pas l'essentiel, même si, dans le numéro 24 de ''Potlatch'' du 24 novembre 1955 une annonce proclame ironiquement « ''Adhérez en masse à l'Internationale lettriste. On en gardera quelques-uns. ''», la période 55-56 se signale surtout par la poursuite de productions éditoriales telles celles de [[Guy Debord|Debord]] et Fillon dans la revue ''[[Les Lèvres nues]]''<ref group=n.>Guy Debord, ''Introduction à une critique de la géographie urbaine'', ''Les Lèvres nues'' {{n°|6}}, septembre 1955, pages 11 à 15 ; ''Théorie de la dérive'', ''Les Lèvres nues'' {{n°|9}}, novembre 1956, page 39 ; ''Mode d’emploi du détournement'' (co-signé Gil J Wolman), ''Les Lèvres nues'' {{n°|8}}, septembre 1955, pages 2 à 9 ; Jacques Fillon, ''Description raisonnée de Paris'', ''Les Lèvres nues'' {{n°|7}}, décembre 1955, page 39, ainsi que, dans ce même numéro, pages 18 à 23, une version définitive du scénario du film de Debord ''[[Hurlements en faveur de Sade]]'', dont une première version, provisoire, avait été donnée dans l’unique numéro de la revue ''Ion'' de Marc-Gilbert Guillaumin ([[Marc'O|Marc,O]]) en avril 1952.</ref> ou l’important article bilan de [[Guy Debord|Debord]] et [[Gil Joseph Wolman|Wolman]] dans le “''numéro 22 des vacances''” du 9 septembre 1955 de ''Potlatch'', ''Pourquoi le lettrisme ?'' Á celles-ci, s’ajoutent des interventions de plus en plus marquées dans les milieux culturels avancés visant à installer une notoriété au groupe au-delà des seuls cercles d’avant-garde parisiens. Ainsi faut-il comprendre le courrier adressé (en anglais) en octobre 1955 à la rédaction du ''[[The Times|Times]]'' de Londres pour protester contre le projet de démolition du quartier chinois de la capitale britannique<ref>''Potlatch'' {{n°|23}}, ''Intervention lettriste''.</ref>. Et plus encore, en juillet 1956, l’''Ordre de boycott'' lancé contre un Festival de l’Art d’Avant-Garde devant réunir à la Cité Radieuse à [[Marseille]] la fine fleur de la modernité d’alors. Dénonçant ce rassemblement artistique d’une avant-garde selon eux déjà dépassée, voire en faillite, [[Guy Debord|G.-E. Debord]], [[Asger Jorn]] et [[Gil J Wolman]], pour l'Internationale lettriste, appelaient les artistes sollicités à s’en désolidariser ou sinon prendre le risque de voir le nom des participants rendus publics. Dans son compte-rendu publié dans ''Potlatch'' {{n°|27}}, l’I.L. estimera avoir largement contribué à l’échec de la manifestation<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris 2006, pages 239 à 241.</ref>.
 
=== Vers l'Internationale situationniste ===
Mais le fait essentiel de l’année 1956, est la participation du groupe au {{1er}} Congrès mondial des artistes libres organisé à [[Alba (Italie)|Alba]] en Italie du 2 au 9 septembre par le Laboratoire expérimental du M.I.B.I. ([[Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste]]) fondé par [[Asger Jorn]] en 1953. Cette participation avait été préparée par la multiplication des contacts avec cette organisation et Jorn depuis fin 1954. Réunissant les représentants de fractions avant-gardistes de huit nations, les travaux avaient pour fin de jeter les bases d’une organisation unie. [[Guy Debord]] étant retenu à Paris par les autorités militaires, c’est [[Gil J Wolman]] qui représentait l’Internationale lettriste. Il y était porteur d’une déclaration programmatique qui y fut lue. La résolution finale, préparée et signée par [[Guy Debord|Debord]] à Paris, fut adoptée avec quelques modifications par les participants du Congrès d’Alba, pas décisif vers ce qui deviendra un an plus tard l’[[Internationale situationniste]] ainsi que lerelaté relatedans le''Potlatch'' {{n°|27}} du 2 novembre 1956 de la revue ''Potlatch'' <ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris 2006, pages 242 à 250.</ref>. Á la fin de l’année, l’ensemble des membres<ref group=n.>à l'exception de Mohamed Dahou</ref> enregistre au ''Tonneau d’Or'' à [[Paris]], un peu comme un testament,<ref group=n.>En fait, destiné à être diffusé à l’occasion d’une exposition du M.I.B.I. organisée à Turin du 10 au 15 décembre 1956 et dont Debord a rédigé le tract d’annonce, l’enregistrement du 6 décembre ne sera pas exploité. Y participaient : Michèle Bernstein, Guy Debord, Jacques Fillon, Abdelhafid Khatib et Gil J Wolman ; la voix d’Asger Jorn s’y entend à la toute fin. Cf. Guy Debord, ''Enregistrements magnétiques'', Gallimard, Paris, 2010, pages 33 à 69, Cd 1 piste 2</ref> une « ''bande sonore obtenue par un détournement collectif ''» intitulée ''Histoire de l’Internationale lettriste''.
 
L’année 1957 s’ouvre par les deux exclusions, le 13 janvier, de Jacques Fillon et Gil J Wolman pour le motif officiel de « ''mode“mode de vie ridicule'' »ridicule”<ref group=n.>''Potlatch'' {{n°|28}}, 22 mai 1957, ''La retraite''. En réponse à l'annonce de cette exclusion, Wolman répondra à Debord : "''L'un n'exclut pas l'autre''"</ref>. Il ne sera pas procédé à d’autres mouvements d’effectif jusqu’à la fondation de l’[[Internationale situationniste]] les 27-28 juillet à la conférence de [[Cosio di Arroscia]] dans les Alpes italiennes de [[Ligurie]] qui voit l’unification, approuvée « ''par 5 voix contre 1, et 2 abstentions'' », du [[Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste]] d'[[Asger Jorn]], du [[Comité psychogéographique de Londres]]<ref group=n.>Représenté par Ralph Rumney, ancien habitué de ''Chez Moineau'', qui en est l’unique membre, cette appellation ayant été créée début 1957, «pour donner une apparence internationale au mouvement» à l'occasion de la ''Première exposition de prsychogeéographie'' à la galerie Taptoe de Bruxelles : cf. Ralph Rumney, ''Le Consul'', Allia, Paris, 1999, p. 43 et Piet de Groof, ''Le Général situationniste'', Allia, Paris, 2007, P. 212-223.</ref> et de l’Internationale lettriste, ouvrant la page d’un autre chapitre de l’histoire des idées contemporaines.
 
== Concepts, théorie ==
Conçue comme acte de rupture avec le lettrisme officiel d’[[Isou]] et ses principaux lieutenants accusé d’avoir abandonné l’esprit de révolte originel du mouvement et qualifié pour cela de « ''tendance rétrograde ''», la nouvelle Internationale Lettristelettriste, se proclamant par opposition « ''tendance extrémiste'' », s’est vite lancée dans le monde à la fin de 1952 sans grand appareil programmatique ou théorique autre que la réaffirmation des principes initiaux de mépris ou de refus du monde ancien portés par [[Isou]] lorsqu’il arrivait à Paris au lendemain de la guerre à peine achevée. Et de fait, c’est par sa pratique de groupe, pourtant particulièrement informel, et non par des réunions, conférences, conseils<ref group=n.>Ainsi, la première conférence fondatrice d’Aubervilliers le 7 décembre 1952 ne sera suivie d’aucune autre dont il aurait été rendu compte dans les expressions publiques de l’I.L. Tout au plus est-il fait état, en mars 1954 dans le projet de tract ''Faire-part'', d’un Comité directeur de l’I.L. qui semble ne s’être réuni que pour traiter de questions organisationnelles (cf. Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, 2006).</ref>…, qu’elle va se forger, au fil du temps un corpus de pensée qui va graduellement faire apparaître des concepts, nouveaux ou réactivés, qui vont constituer le socle théorique de la pensée de l’I.L. pour servir ensuite de base à celle de la future [[Internationale situationniste|I.S]]. lors de sa fondation et ses premières années.
 
D’ailleurs, comme l’observera plus tard [[Guy Debord]], « ''La formule pour renverser le monde, nous ne l’avons pas cherchée dans les livres, mais en errant. ''»<ref>in ''[[In girum imus nocte et consumimur igni]]'', long métrage 1978, scenario publié dans Guy Debord, ''Œuvres cinématographiques complètes, 1952 – 1978'', Éditions Champ Libre, Paris, 1978, p. 247, repris dans Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, 2006, p.1378.</ref>, évoquant ce qu’était la vie des lettristes de cette époque. En vérité, l’essentiel de leur temps était passé autant à boire dans la plupart des nombreux bars et bistrots de [[Saint-Germain-des-Prés (quartier parisien)|Saint-Germain-des-Prés]], principalement ''Chez Moineau'', [[Rue du Four (Paris)|rue du Four]], qu’à simplement flâner dans les rues du quartier.
Il y avait cependant un dessein réfléchi derrière ces déambulations. Par celles-ci, les lettristes entendaient expérimenter ce qu’ils appelèrent la « ''[[Dérive (philosophie)|dérive]]'' » au cours de laquelle ils divaguaient dans l’environnement urbain comme des nuages dans le ciel, pendant des heures et quelquefois même plusieurs jours d’affilée, ce mode de comportement expérimental pouvant se définir comme unela « ''technique“technique du passage hâtif à travers des ambiances variées'' »variées”<ref>''Internationale situationniste'' {{n°|1}}, juin 1958, p. 13.</ref>. Au cours de leurs vagabondages de l’été 53, un Kabyle illettré leur suggéra le terme de “[[psychogéographie]]” pour désigner l’ensemble des phénomènes qui les occupaient alors<ref>cf. [[Guy Debord]], ''Introduction à une critique de la géographie urbaine'' in ''[[Les Lèvres nues]]'', {{n°|6}}, septembre 1955, p. 11-15 de la réédition complète de la collection chez Plasma, Paris, 1978.</ref> et qu’on peut résumer comme l’étude des effets précis du milieu géographique et de ses forces influentielles sur le comportement affectif des individus permettant de concourir à une transformation de la ville. La dérive pouvait déboucher ainsi sur l'établissement de cartes figurant ces forces afin d'être ensuite utilisées comme support d’un “[[urbanisme unitaire]]” à élaborer et développer ultérieurement par la future [[Internationale Situationniste]]. Parmi les textes les plus importants sur ces sujets, figurent notamment la “''Théorie de la dérive''” publiée par [[Guy Debord|Debord]] dans le {{n°|9}} de la revue surréaliste bruxelloise «''[[Les Lèvres nues]]'' » en novembre 1956 et le “''Formulaire pour un urbanisme nouveau''” d’[[Ivan Chtcheglov]] (Gilles Ivain), rédigé en octobre 1953 mais dont une version établie par [[Guy Debord|Debord]] ne sera publiée qu’en juin 1958 dans le premier numéro de la revue ''Internationale situationniste''. Dans ce texte, Chtcheglov plaide pour une ville nouvelle où, comme il l’écrit, « ''chacun habitera sa « cathédrale » personnelle. Il y aura des pièces qui feront rêver mieux que des drogues et des maisons où l’on ne pourra qu’aimer ''.». Après avoir proclamé « ''il faut construire l’hacienda ''»<ref group=n.>Ce mot d’ordre inspirera des années plus tard le nom du fameux night-club mancunien [[The Haçienda]]</ref>, il indique que l’activité principale des habitants de la ville qu’il appelle de ses vœux sera la ''Dérive continue''. Au même moment, [[Guy Debord]] rédige un « ''Manifeste pour une construction de situations'' »<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris, 2006, p. 105-112.</ref>, dans lequel, tout en faisant le point sur les avancées apportées à la pensée de l’avant-garde par l’I.L. depuis sa création, il renvoie aux principaux apports du texte de Gilles Ivain. Dans un texte ultérieur publié dans le {{n°|6}} de la revue « ''[[Les Lèvres nues]]'' » en septembre 1955, « ''Introduction à une critique de la géographie urbaine'' » consacré à la [[psychogéographie]]<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris, 2006, p. 204-208.</ref>, il illustre la notion de cartes psychogéographiques futures par l’exemple d’un ami ayant récemment parcouru la région du Hartz en Allemagne en suivant aveuglement les indications d’un plan de la ville de [[Londres]], méthode favorite chez les psychogéographes. Le groupe lettriste présente par ailleurs un large ensemble de propositions : Abolition des musées avec répartition des œuvres d’art dans les bars, ouvrir le métro la nuit ainsi que les squares en les éclairant faiblement par intermittence, ouvertureouvrir desles toits de Paris à la promenade au moyen d’échelles de secours et de passerelles, libre accès illimité de tous auxdans les prisons, etc, etc<ref>''Potlatch'', {{n°|23}}, octobre 1955, ''Projet d’embellissements rationnels de la Ville de Paris''.</ref>.
 
Une autre notion importante développée par l’I.L. fût le « '' [[Détournement (art)|détournement]] ''», technique s’inspirant du plagiat consistant à réutiliser des matériaux esthétiques préexistants (littéraires, artistiques, cinématographiques…) pour parvenir à une construction du milieu radicalement nouvelle et supérieure. Le texte qui en formule les contours et les enjeux, ''Mode d’emploi du détournement'', signé [[Guy Debord|Debord]] et [[Gil J Wolman|Wolman]], paraît dans le numéro 8 des ''[[Les Lèvres nues|Lèvres nues]]'' de mai 1956. Ils y soutiennent, se référant notamment au précédent illustre d’[[Isidore Ducasse]], comte de [[Lautréamont]], qu'que « '' Á vrai dire, il faut en finir avec toute notion de propriété personnelle en cette matière. Le surgissement d'autres nécessités rend caduques les réalisations ''géniales'' précédentes. Elles deviennent des obstacles, de redoutables habitudes. La question n'est pas de savoir si nous sommes ou non portés à les aimer. Nous devons passer outre '' ».<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Quarto Gallimard, Paris, 2006, p. 221-229.</ref>. Ces techniques seront par la suite amplement utilisées par les situationnistes.
 
Par ailleurs, les concepts situationnistes aussi représentatifs que la Construction[[construction de Situationssituations]] et le Dépassement[[dépassement de l’Art l’art]] ont été également abordés, sinon complètement définis et théorisés, du temps de l’I.L.
 
== Principaux membres ==
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*[[Groupe Algérien]]. Sa création est attestée en avril 1953 par la publication de son Manifeste signé à [[Alger]] par Hadj Mohamed Dahou, Cheik Ben Dhine, Ait Djafer<ref>cf. ''Internationale Lettriste'' n° 3 in Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris, 2006, page 99.</ref>. On possède peu d’information sur ses activités, étant rappelé qu’à l’époque les troubles de ce qui deviendra la [[guerre d’Algérie]] ont déjà débuté rendant toute manifestation dans cette région hautement problématique. Le projet de tract ''Faire-part'' du 10 mars 1954<ref name="C">cf Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris, 2006, page 122-123.</ref> nous apprend que Mohamed Dahou envoyé sur place pour dissoudre ce Groupe algérien est finalement rentré après l’avoir réorganisé. Une brève dans le numéro 1 de ''Potlatch'' (''nouvelle affectation''), juin 1954, indique que le groupe est centré sur [[Orléansville]] (actuelle [[Chlef]]) « ''la ville la plus lettriste du monde'' » selon ''Potlatch'' {{n°|12}}, tandis que le {{n°|8}} du 10 août 954, informe d’un projet d’affiche du groupe pour les murs d’Algérie : « Allez passer vos vacances au Maroc ». Le 9 septembre 1954 la ville d’Orléansville est victime d’un puissant séisme faisant des milliers de victimes ; le {{n°|12}} de ''Potlatch'' (28 septembre 1954) qui en rend compte craint des pertes lourdes parmi les membres locaux de l’I.L., mais le suivant (23 octobre) se montre cependant rassurant sur ce bilan et le maintien des possibilités d’agitations sur place. Même si Mohamed Dahou reste ensuite très présent au sein du groupe français, dans le bulletin ''Potlatch'' dont il est rédacteur en chef du {{n°|9}} au {{n°|18}} et du {{n°|20}} au 22, puis dans les débuts de l’I.S., le Groupe algérien ne fait plus parler de lui après 1954.
 
*[[Gaëtan M. Langlais]]. Marcel Henri Langlais (dit Gaëtan M., 1935-1982). Très tôt intégré au groupe lettriste au printemps 53 (ainsi que son jeune frère Pierre qui se suicidera de manière inexpliquée), il n’apparaît pas dans le manifeste de février 53, mais est des signataires du tract ''Touchez pas aux lettristes'' (avril 1953) diffusé après l’arrestation,? pour vol de plomb la nuit dans les catacombes,? de Pierre-Joël Berlé. Auteur de ''Jolie Cousette'', texte par détournement (1952-1953) présenté dans le numéro 3 d'''Internationale Lettriste'' (août 1953) où il retranscrit le slogan qu’il laisse partout sur son passage sous forme de graffiti :« Les Chinoises pour Gaëtan ». Dans ce même numéro, il est mentionné encore comme l’assistant d'un projet de film avec [[Guy-Ernest Debord]], ''La Belle Jeunesse'' ; il fait partie également, avec [[Jean-Louis Brau|Bull D. (Jean-Louis) Brau]], [[Guy-Ernest Debord]] et [[Gil J Wolman]], des signataires de l'« ''Acte additionnel à la constitution d'une Internationale Lettriste'' » (« Les rapports humains doivent avoir la passion pour fondement, sinon la terreur ») et du texte « Il faut recommencer la guerre en Espagne ». Au titre de ses activités de groupe, l’une des dérives qu’il effectue à la fin de l’année 1953 en compagnie de [[Guy Debord|Debord]] et [[Ivan Chtcheglov|Chtcheglov]] fera l’objet d’un compte-rendu détaillé publié dans le {{n°|9}} de la revue belge ''Les Lèvres nues'' (pages 10 à 12). Rare lettriste à avoir un emploi, il exerçait son activité dans une entreprise d’import-export d’où son surnom de Double Wagon. Présenté comme démissionnaire de l’Internationale Lettriste en février ou mars 1954, un projet de tract du Comité directeur de l’I.L<ref name="C" /> le cite cependant comme le dernier des éliminés pour déviations doctrinales ou médiocrité personnelle, ''Potlatch'' numéro 2 du 29 juin 1954 précisant sous la signature de [[Gil J Wolman]], « exclu » pour « sottise ». Il restera cependant en rapport avec [[Ivan Chtcheglov]], malgré le jugement défavorable que porte Guy Debord sur cette relation<ref>Guy Debord, ''Correspondance vol 1'', Arthème Fayard 1999, page 219 et 379 et ''Correspondance vol 2'', 2001, page 248</ref>. Il collabore ensuite régulièrement, en y apportant des dessins et poèmes, à ''Front noir'' (1963-1967), revue opposée aux théories situationnistes sans toutefois s’y référer explicitement, dirigée par [[Louis Janover]] dont sa sœur Monique est la compagne et future épouse. Il avait pour frère cadet [[Roger Langlais]] (1941-2018) essayiste et peintre français, co-fondateur de la revue [[L’Assommoir]] (1978-1895) et directeur de la collection Table rase aux éditions Plasma qui rééditeront en 1978 la revue bruxelloise ''Les lèvres nues'' avec de nombreux textes de [[Guy Debord|Debord]] de l’époque lettriste, mais sans la préface souhaitée par [[Marcel Mariën]].
*[[Gilles Ivain]] (Ivan Chtcheglov). Bien que n'ayant été présent au sein du groupe que tout juste une année (juin 53 - juin 54juin54) son apport y aura été fondamental. Guy Debord lui rend ainsi un vibrant hommage dans son film de 1978 ''In girum imus nocte...'': « (...) personnePersonne d'autre ne le valait cette année là (...) On eût dit qu'en regardant seulement la ville et la vie, il les changeait. Il découvrit en un an des sujets de revendicationsrevendication pour un siècle ; les profondeurs et les mystères de l'espace urbain furent sa conquête ».<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris, 2006, pages 1376-1377 et 1778-1779.</ref>.
 
*[[Patrick Straram]]. Ancien habitué des caves et cafés de Saint-Germain-des-Prés dés 1950, il ne rejoint toutefois le groupe de l'I.L. qu'en septembre 1953 après que son ami Ivan Chtcheglov s'y soit intégré en juin 1953. Mais, peu de temps après, à la suite d'un esclandre sur la voie publique il sera mis en détention deux mois à l'automne à l'asile d'aliénés de Ville-Évrard. Une fois relâché grâce à l'intervention de ses amis, il ne reste à Paris que quelques semaines avant de repartir vers le Canada en avril 1954 fuyant la conscription militaire. Entretemps, il avait essayé de soumettre à quelques éditeurs son roman, maintes fois remanié, ''Les bouteilles se couchent'' où il évoque, dans un style mouvementé et cru, l'atmosphère des bistrots fréquentés par les lettristes dont on reconnaît le portrait de certains au détour de quelques pages. Ce court roman, longtemps considéré comme perdu a fait l'objet en 2006 aux éditions Allia d'une heureuse édition, car il constitue un témoignage unique sur cette période et ce milieu des avant-gardes marginales.
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* [[Hervé Falcou]]. Á peine évoqué par les premiers biographes de [[Guy Debord]] comme condisciple de lycée, né à [[Cannes]] le 27 août 34 et décédé dans l’Aube le 7 décembre 2000<ref>{{lien web |titre=Fichier des décès de l'INSEE |url=https://arbre.app/insee#s=FALCOU&n=Herv%C3%A9&e=b&a=1934&b=1934&o=a |site=arbre.app |consulté le=28-06-2020}}.</ref>, il serait demeuré ignoré du public sans la publication en fac-similé en 2004 des lettres reçues de Guy Debord entre l’automne 49 et le début 1953<ref>Guy Debord, ''Le marquis de Sade a des yeux de fille'', Librairie Arthème Fayard, </ref>. Fruits d’une amitié née au printemps 1949, alors que pour raison de santé, il était venu terminer à [[Cannes]] son année scolaire, elles sont un témoignage irremplaçable de la formation de la pensée du futur fondateur de l’I.L, puis de l’I.S. ou tout du moins d’un embryon de système de représentation du monde et comment le bouleverser, voire si possible davantage. D’abord empruntes de références aux grands poètes de la rupture ([[Baudelaire]], [[Rimbaud]], [[Guillaume Apollinaire|Apollinaire]]) puis au surréalisme et ses figures tutélaires ([[Lautréamont]], [[Cravan]], [[Dada]]) et aux premières manifestations lettristes autour d’[[Isidore Isou]], ces correspondances intenses et exigeantes permettent à ces jeunes interlocuteurs de se dégager un chemin de vie. Hervé Falcou, parisien d’origine, retourne chez lui à la rentrée 1950 pour effectuer sa terminale à Paris mais les échanges se poursuivent et s’entretiennent lors de quelques séjours à Cannes. Ainsi, à l’été 51, les deux comparses adressent une lettre commune à [[Picasso]] pour lui exprimer leur admiration. Mais [[Guy Debord|Debord]], devenu parisien à l’automne 51, est à présent engagé dans l’aventure collective du [[lettrisme]] qui l’accapare fortement. Il essaye un temps d’y inviter son ancien compagnon notamment dans une dernière lettre fin février 53 lui proposant de l’inclure parmi les signataires du manifeste de l’Internationale Lettriste à paraître dans le numéro 2 de la feuille ronéotypée au titre éponyme. Silence ou refus explicite de celui-ci, le lien sera de toute façon définitivement rompu. Hervé Falcou deviendra professeur de philosophie à l’École normale de [[Versailles]] puis à [[Saint-Raphaël (Var)|Saint-Raphaël]]. Par fidélité à ce passé commun, en mars 1963 alors que son ancien ami publie un article critique dans [[l’Express]] sur les revues en marge où l’[[Internationale situationniste]] se trouve citée, Debord refuse qu’il y soit répliqué publiquement.
* [[Claude-Pierre Matricon]]. De Claude-Pierre Matricon (19 septembre 1929-10 mars 2013)<ref>{{lien web |titre=Fichier des décès de l'INSEE |url=https://arbre.app/insee#s=MATRICON&n=Claude-Pierre&e=b&a=1928&b=1934&o=a |site=arbre.app |consulté le=28-06-2020}}.</ref>, les bibliographies du [[lettrisme]] font état, dans le numéro 1 de ''Ur, Cahiers pour un dictat culturel'', s.d. [décembre 1950], de plusieurs articles signés CP-Matricon (''La Ménopause des Dieux'' (fragment), ''Prélude à un autre'', ainsi que ''Pour une mort synthétique'' avec [[Gil J Wolman]], et, cosignés avec ***, alias [[Jean-Louis Brau]], ''Vingt questions sur le lettrisme'' et ''De la narration signifiée à la période haeccitatique''). Après cette abondante production, il n’existe aucun autre texte antérieur ou postérieur à la création en juin 52 à [[Bruxelles]] de l’I.L., d’abord comme tendance puis comme groupe autonome à l’automne, signé de ce même Matricon. Mais, son nom figure sur cette fiche, estimée de 1953, établie par Guy Debord intitulée “''Internationale Lettriste, les pages de l’I.L. mises bout à bout…''”<ref group=n.>Guy Debord, ''Le marquis de Sade a des yeux de fille…'', Paris, éd. Fayard, 2004, p. 126 et Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris, 2006, page 97 ; texte complet de la fiche : "''les pages de l'I.L. mises bout à bout couvriraient une avenue de 1.080 millimètres de large et 17.840.000 millimètres de long, c'est-à-dire la distance du quai de Conti au Panthéon''".</ref> où sont répertoriés par ordre alphabétique les noms des quatre fondateurs historiques, plus JM. Mension, Hervé Falcou et donc CP. Matricon. Même si l’on ne connaît guère plus sur ce personnage, au moins à ce titre, sa présence comme membre secondaire de l’I.L. parait justifiée, d’autant qu’il convient de noter que le terme « Internationale Lettriste » avait été employé pour la première fois dans l’article précité de décembre 1950 ''Vingt questions sur le lettrisme''<ref group=n.>« Le poète cesse d'écrire pour des hommes et s'adresse aujourd'hui à l'humanité entière (le métèque ISOU, plus grand poète français...) et pose la première pierre de l'INTERNATIONALE LETTRISTE.», ''Ur, Cahiers pour un dictat culturel'', 1950, p. 8, cité dans Éric Brun, ''Les Situationnistes, une avant-garde totale'', CNRS Éditions, Paris, 2014, p. 84. {{ISBN|978-2-271-07511-6}}</ref>. Et il faut également rappeler que Claude-Pierre Matricon faisait partie des troupes de soutien à [[Serge Berna|Berna]] et [[Mourre]] lors du [[Scandale de Notre-Dame]]<ref>Christophe Bourseiller, ''Vie et mort de Guy Debord, 1931-1994'', Paris, éd. Plon, 1999, p. 36</ref>.
* [[Jacqueline Harispe]] (dite Kaki). Sœur cadette de Guitou, future femme d’[[Henry de Béarn]]. Leur père, [[Michel Harispe]], né en 1905, ingénieur électricien de profession, cagoulard avant guerre et membre après l’armistice de 1940 du groupe collaborationniste [[M.S.R.]], sera condamné à mort en 1948 pour trahison et mourra en prison, leur mère étant elle décédée avant 1950. Les deux sœurs sont élevées par leur grand-mère puis seules 7, rue Le Goff dans le {{5e}}. [[Patrick Straram]] est un des meilleurs amis de la cadette, Kaki, d’une beauté fascinante et qui fût un temps mannequin chez [[Christian Dior (entreprise)|Dior]]. Mais sa vie de bohème où la drogue prend une place de plus en plus importante la conduise le 28 novembre 1953, à demi_nuedemi-nue, à enjamber la fenêtre de sa chambre d’hôtel pour se jeter du troisième étage dans le vide<ref>Jean-Maris Apostolidès, ''Debord, le Naufrageur'', Paris, Flammarion, 2015, p. 110</ref>{{,}}<ref group=n.>cf. le récit détaillé dans l'article de ''La Bourgogne Républicaine'' du 30 novembre 1953, p. 3 : «Sous les yeux de son amant, Un ancien mannequin de chez Dior se suicide en se jetant par la fenêtre» consultable sur Retronews, le site de presse de la BnF : https://www.retronews.fr/journal/la-bourgogne-republicaine/30-novembre-1953/1681/4038553/3.</ref>. Elle avait juste 20 ans et sa mort attriste tous ses proches et notamment [[Guy Debord]] qui réalisera à sa mémoire une très belle Métagraphie qu’il intitule ''Mort de J.H. ou Fragiles Tissus (en souvenir de Kaki)''<ref>cf. Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, Paris, 2006, page 127</ref>, l’inscrivant à jamais dans la légende de l{{'}}Internationale lettriste. Avant cette fin tragique, elle avait eu une fille, Michèle, que sa sœur aînée Marguerite (dite Guitou) adoptera<ref>J-M. Apostolidès & B. Donné, ''Ivan Chtcheglov, profil perdu'', Allia, 2006, p. 79</ref>. Elle figure, sous le pseudonyme à peine déformé de Louki, comme personnage du roman de [[Patrick Modiano]], ''Dans le café de la jeunesse perdue''<ref>''Nrf'' Gallimard, 2007.</ref> dont le titre provient d'une phrase placée en exergue tirée du film de [[Guy Debord]], ''In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni''<ref>Guy Debord, ''Œuvres'', Gallimard Quarto, 2006, p. 1370.</ref>.
 
== Historiographie ==