« Intentionnalité (philosophie analytique) » : différence entre les versions

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==== La définition de Brentano ====
[[Fichier:Franz Brentano.jpeg|vignette|170px|[[Franz Brentano]]. Pour ce psychologue de formation, les « objets intentionnels » existent littéralement dans l'esprit, en tant qu'objets d'un « acte psychique ».]]
Par le terme « in-existence », [[Franz Brentano]] n'entend pas signifier la non-existence, mais l'existence immanente<ref name=RI-CM-13>Ruedi Imbach et Cyrille Michon, « Avant-propos », dans {{harvsp|Perler|2003|p=13}}.</ref>, bien que le sens de son concept et son lien avec l'idée de non-existence soient encore discutés<ref name=PJ-I-52>{{harvsp|Jacob|2004|p=52}}.</ref>. Pour Brentano, certains objets existent littéralement dans l'esprit, en tant qu'objets d'un « acte psychique » (la « visée intentionnelle »), et ils n'ont de ce fait aucune réalité physique. C'est en vertu de ce mode d'existence que les phénomènes psychiques diffèrent des phénomènes physiques, et qu'ils reçoivent des propriétés distinctes. Par exemple, une couleur que l'on voit ne caractérise pas directement un objets physique : elle appartient à un objet mental dont les [[qualia|propriétés qualitatives]] sont immanentes à l'esprit et ne peuvent être attribuées à des réalités physiques. Des objets mentaux, on ne peut dire qu'ils n'existent absolument pas, mais seulement qu'ils n'existent pas physiquement ou « réellement ».
 
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=== La distinction frégéenne entre sens et référence ===
[[Fichier:Young frege.jpg|vignette|190px|[[Gottlob Frege]]. En distinguant dans le langage entre sens et [[Référence (philosophie)|référence]], Frege a permis de renouveler la réflexion sur l'intentionnalité.]]
Le logicien et philosophe allemand [[Gottlob Frege]] est le premier à avoir posé en termes « analytiques » le problème de la signification des énoncés. Il s'agit du problème central concernant tout langage : comment un signe, qui n’est qu’une suite de phonèmes ou de graphes, a-t-il la faculté de référer à quelque chose de la réalité et d’acquérir de la sorte une intentionnalité ?
 
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==== L'opacité de la description ====
[[Fichier:Mengs, Hesperus als Personifikation des Abends.jpg|vignette|200px|[[Éosphoros et Hespéros|Hespérus]], personnification de « l'étoile du matin ». Parce que Vénus apparaît tantôt le matin et tantôt le soir, on a longtemps vu en elle deux étoiles distinctes.]]
Le contenu descriptif d'un énoncé est dit « opaque » lorsqu'il ne peut pas être substitué ''[[salva veritate]]'' par celui d'un autre énoncé pourtant [[Intension et extension|coextensif]]<ref name="VA-18" /> ou coréférentiel (référant à la même chose ou aux mêmes objets). Par exemple, « Galilée sait que l'étoile du matin est Vénus » n'implique pas « Galilée sait que l'étoile du soir est Vénus », même si « étoile du matin » et « étoile du soir » sont deux expressions qui réfèrent au même objet (la planète Vénus). Ici, c'est le savoir ou l'ignorance du sujet qui est en jeu : le sujet peut ignorer que ce que le langage désigne comme deux étoiles distinctes est en fait une seule et même planète, qu'il y a là deux expressions inappropriées désignant un même astre sous deux perspectives différentes.
 
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==== L'intentionnalité intrinsèque et l'intentionnalité dérivée ====
[[Fichier:John Searle speaking at Google 5.jpg|vignette|180px|[[John Searle]] en 2015. La [[Conscience phénoménale|conscience]] est pour lui plus fondamentale que l'intentionnalité, et l'intentionnalité de l'esprit première par rapport à celle du langage.]]
La distinction aujourd'hui communément admise entre « intentionnalité intrinsèque » et « intentionnalité dérivée » a été mise en avant pour la première fois par le philosophe [[John Searle]] au début des années 1980. Searle tente de concilier l'internalisme et l'[[externalisme]] en redéfinissant l'intentionnalité à la fois comme la capacité biologique fondamentale de l'esprit à mettre l'organisme en rapport avec le monde, et comme une expérience consciente subjective. Si cette capacité est commune aux états mentaux et au langage, l'intentionnalité du langage n'est toutefois que « dérivée » : elle implique en effet toujours l'intentionnalité « intrinsèque » du locuteur qui doit se présenter à l'esprit ce qu'il dit. Selon Searle, la [[Conscience phénoménale|conscience]] est plus fondamentale que l'intentionnalité et l'intentionnalité de l'esprit est première par rapport à celle du langage. C'est parce que nous sommes conscients que nous pouvons penser et parler et intentionnellement. L'intentionnalité ne peut être attribuée au langage qu'en tant qu'elle est dérivée de l'intentionnalité propre à l'esprit des sujets qui ont conscience de ce qu'ils signifient.
 
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==== L'externalisme physique ====
[[Fichier:Hilary Putnam.jpg|vignette|180px|[[Hilary Putnam]]. Son expérience de pensée de la « Terre jumelle » a provoqué un débat important autour de l'intentionnalité et du rapport entre nos concepts et l'environnement physique.]]
La conception [[externalisme|externaliste]] de l'intentionnalité est la position selon laquelle le contenu intentionnel des états mentaux dépend essentiellement de facteurs qui se situent en dehors de l'esprit ou du cerveau des individus. Son principal représentant dans les années 1970 est [[Hilary Putnam]] qui, dans son article « La signification de "signification" »<ref>[[Hilary Putnam]], « The meaning of "meaning" », ''Mind, Language and Reality'', Cambridge, Cambridge University Press, 1975, p. 218-227 (traduit par Pascal Ludwig dans ''Le langage'', Paris, Flammarion, 1997).</ref>, cherche à montrer que le contenu conceptuel des états intentionnels d'un sujet dépend de la constitution réelle de l'environnement physique dans lequel il se situe<ref name="ME-11-1">{{harvsp|Esfeld|2012}}, chap. 11.1 : « L'externalisme physique (Putnam) ».</ref>.
 
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==== Le rapport entre perception et connaissance ====
[[Fichier:M%C3%BCller-Lyer_illusion.svg|vignette|190px|L'[[illusion de Müller-Lyer]] est un cas exemplaire d'illusion d'optique montrant que la perception est aussi une affaire de [[cognition]].]]
La question du rapport entre la perception et la connaissance s'inscrit dans le débat opposant les conceptualistes aux non-conceptualistes. Suivant les premiers, le contenu intentionnel de la perception est intégralement [[Concept (philosophie)|conceptuel]]. On ne peut percevoir un objet sans mobiliser quelque concept de cet objet et sans former, ou être disposé à former, une certaine croyance à son sujet. La perception est donc une forme de savoir qui met en relation un sujet avec le monde. Pour [[Wilfrid Sellars]]<ref>[[Wilfrid Sellars]], ''Empirisme et philosophie de l'esprit'' (1956), Nîmes, L'Éclat, 1992.</ref> et [[John McDowell]]<ref>[[John McDowell]], ''L'esprit et le monde'' (1994), Paris, Vrin, 2007.</ref>, la perception appartient à l' « espace des raisons » et implique une connaissance de type « propositionnel », susceptible de fournir un compte-rendu sur le monde. Sellars, puis McDowell, dénoncent en ce sens ce qu'ils appellent le « mythe du donné », auxquels adhèrent d'après eux aussi bien les [[Empirisme|empiristes]] classiques que les partisans de l'[[empirisme logique]]. Selon ce « mythe », la perception est un donné pré-conceptuel indépendant des capacités conceptuelles d'arrière-plan et des théories dont dispose le sujet. Cette caractéristique de la perception « brute » tiendrait au fait qu'elle constitue le fondement de toutes nos croyances sur le monde. À l'opposé de ce point de vue, Sellars et McDowell considèrent qu'il n'est pas possible d'appréhender le monde sans l'exercice de nos capacités conceptuelles et linguistiques.
 
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=== La conscience phénoménale ===
[[Fichier:Daniel Dennett in Venice 2006.png|vignette|180px|[[Daniel Dennett]] en 2006. Son approche [[Naturalisme (philosophie)|naturaliste]] de l'intentionnalité le conduit à rejeter la notion même de [[conscience phénoménale]].]]
Avec la « psychologie descriptive » de [[Franz Brentano]], l'intentionnalité devient pour la première fois un critère explicite de démarcation entre la [[conscience (biologie)|conscience]] et les entités purement physiques. Pour Brentano, ce qui caractérise en propre la conscience est sa « direction » vers autre chose qu'elle-même, le fait qu'elle est toujours conscience de quelque chose, alors que les entités physiques ne sont pas autre chose que ce qu'elles sont. C'est cette direction de la conscience vers quelque chose d'autre qu'elle-même que Brentano nomme « intentionnalité ». Aujourd'hui, la plupart des philosophes contemporains acceptent l'idée que l'intentionnalité est un signe de l'activité mentale, mais ils considèrent également qu'il s'agit d'un phénomène distinct et indépendant de ce que nous entendons généralement par « conscience », et plus particulièrement, par « [[conscience phénoménale]] ». Cette position désormais dominante est qualifiée de « séparatiste »<ref name="GHT">George Graham, Terence Horgan et John Tienson, « Conscience et intentionnalité » (2007), dans {{harvsp|Dewalque|Gauvry|2016|p=223-250}}.</ref> par certains auteurs, au sens où elle stipule que la conscience dite phénoménale et l'intentionnalité sont deux aspects séparables ou indépendants de l'activité mentale.
 
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=== La thèse de l'intentionnalité « dérivée » ===
[[Fichier:Turing Test version 3.png|vignette|200px|Critiqué par [[John Searle]], le [[test de Turing]] autorisait l'attribution d'une intentionnalité à certains systèmes artificiels en s'appuyant sur un principe d'indiscernabilité des réponses.]]
Bien que, depuis [[Franz Brentano|Brentano]], l'intentionnalité soit considérée traditionnellement comme une propriété exclusive de l'esprit, il est aussi possible de l'attribuer au langage. Les signes, les mots ou les phrases se référent en effet à des choses et ont un contenu signifiant<ref name="FL-50">François Loth, « L'intentionnalité : une marque du mental », dans ''Métaphysique, ontologie, esprit'' (blog philosophique de François Loth), n° 50, 2007. [https://francoisloth.wordpress.com/2007/04/24/l%E2%80%99intentionnalite-une-marque-du-mental/ Article en ligne].</ref>. L’expression « J'entends un oiseau chanter », par exemple, représente ou se réfère à un oiseau particulier. Cependant, le langage n'a pas de portée signifiante par lui-même : on ne peut attribuer un sens à une suite de graphes ou de phonèmes indépendamment de la signification qu'a tenté de lui donner la personne qui les a produit. Depuis [[John Searle]], il est convenu de distinguer pour cette raison l’intentionnalité originelle ou « intrinsèque » que possèdent les états mentaux d'une personne et l’intentionnalité dérivée que nous attribuons à certains phénomènes qui ne possèdent qu’un « semblant » d’intentionnalité, tels que les expressions linguistiques. L'« oiseau que j'entends chanter » représente un oiseau particulier seulement parce que des locuteurs du français utilisent cette phrase pour représenter quelque chose<ref name="FL-50"/>. Les locuteurs possèdent l’intentionnalité de façon intrinsèque, tandis que l’intentionnalité d'une expression est dérivée<ref name="FL-50"/>.
 
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==== L'intentionnalité de l'action ====
[[Fichier:Younganscombe.jpg|vignette|120px|[[G. E. M. Anscombe|Elizabeth Anscombe]]. Dès les années 1950, elle théorise l’idée selon laquelle « l’intention n’existe pas sans [[Action (philosophie)|action]] ».]]
Dans un ouvrage publié en 1957 et intitulé ''[[L'Intention|Intention]]'', [[G. E. M. Anscombe|Elizabeth Anscombe]] tente de définir l'intentionnalité dans une perspective [[Ludwig Wittgenstein|wittgensteinienne]] avec, comme point de départ méthodologique, l'idée qu'il faut d'abord mettre au jour la façon dont nous procédons dans la vie courante pour déterminer les intentions ou représentations des gens<ref name="VA-56">{{harvsp|Aucouturier|2012|p=56}}.</ref>. Il s'agit d'identifier les éléments contextuels, langagiers, comportementaux grâce auxquels nous attribuons, généralement avec justesse, certaines intentions ou représentations aux personnes. Ce point de départ méthodologique doit permettre de mettre en évidence les traits caractéristiques des rapports entre l'[[Action (philosophie)|action]] et l'intention, et de montrer en particulier que l'intention, au lieu d'être une simple composante de l'action, est si intimement liée à elle qu'on ne peut concevoir l'existence de l'une sans l'autre. Pour Anscombe, l'intentionnalité est une dimension essentielle de l'action<ref name="VA-57">{{harvsp|Aucouturier|2012|p=57}}.</ref>, qui est à comprendre de façon rétrospective à partir de la réalisation même de l'action.