« Edgar P. Jacobs » : différence entre les versions

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{{En-tête label|BA|année=2023}}
{{Voir homonymes|Edgar|Jacobs}}
{{Infobox Biographie2
| charte = auteur de bande dessinée
| image = Blake en Mortimer.JPG
| légende = Reproduction de la couverture de ''[[La Marque jaune]]'' sur une fresque murale du [[parcours BD de Bruxelles]].
}}
'''Edgard Félix Pierre Jacobs''', dit '''Edgar P. Jacobs''', né le {{Date de naissance|30|mars|1904}} à [[Bruxelles]], mort le {{Date de décès|20|février|1987}} à [[Lasne]], est un auteur de [[bande dessinée]] [[Belgique|belge]], principalement connu pour la série ''[[Blake et Mortimer]]'', l'une des [[Bande dessinée européenne|bandes dessinées européennes]] les plus populaires du {{s-|XX}}.
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Étudiant de l'[[Académie royale des beaux-arts de Bruxelles|Académie royale des beaux-arts]], Edgar P. Jacobs est également passionné d'[[opéra]]. Il tente une brève carrière de [[Art lyrique|chanteur lyrique]], d'abord comme [[choriste]] au [[music-hall]] puis en interprétant des rôles secondaires à l'[[Opéra de Lille]], tout en gagnant sa vie en illustrant des catalogues publicitaires. Pendant la [[Seconde Guerre mondiale]], il publie plusieurs dessins dans l'hebdomadaire ''{{nobr|[[Bravo !]]}}'' puis est chargé, dans ce même magazine, d'achever une aventure de ''[[Flash Gordon|Gordon l'Intrépide]]'' à la place de l'auteur [[Alex Raymond (auteur)|Alex Raymond]], dont les planches ne parviennent plus en Belgique. Il crée par ailleurs sa première bande dessinée, ''[[Le Rayon U]]'', qui connaît un certain succès.
 
Son utilisation novatrice de la couleur séduit ses confrères. Edgar P. Jacobs devient le premier collaborateur d'[[Hergé]] et participe à la refonte des premiers albums des ''[[Les Aventures de Tintin|Aventures de Tintin]]'', tout en l'aidant dans la conception de ses nouvelles aventures, en particulier ''[[Les Sept Boules de cristal]]'' et ''[[Le Temple du Soleil]]''. Il intègre l'équipe du ''[[Tintin (magazinepériodique)|Journal de Tintin]]'' à sa création, et en devient rapidement l'un des auteurs-phares avec ''[[Le Secret de l'Espadon]]'', première aventure de ''[[Blake et Mortimer]]''. Il se consacre à cette série jusque dans les {{nobr|années 1970}}, pour un total de huit aventures, mais en raison d'une santé déclinante, il ne peut entreprendre la réalisation graphique du second tome de la dernière aventure, ''[[Les Trois Formules du professeur Satō]]'', qui est achevé quelques années après sa mort par [[Bob de Moor]].
 
Si {{nobr|Edgar P. Jacobs}} est considéré comme l'un des plus grands auteurs de la bande dessinée belge et européenne, il a longtemps souffert d'un manque de reconnaissance et a toujours considéré sa carrière de dessinateur comme une véritable {{citation|damnation}}, lui qui rêvait d'une carrière de [[Baryton (voix)|baryton]]. Sa passion pour l'[[art lyrique]], en particulier le ''[[Faust (Gounod)|Faust]]'' de [[Charles Gounod]], détermine sa conception de la bande dessinée, qu'il perçoit comme un authentique [[opéra]] de papier. Son œuvre, marquée par le [[fantastique]] et la [[science-fiction]], puise dans de nombreuses références culturelles et littéraires, en particulier les romans de [[H. G. Wells]] et [[Jules Verne]], de même que les chefs-d'œuvre du [[cinéma expressionniste]] allemand, des passions qu'il partage avec son ami de toujours, [[Jacques Van Melkebeke]], qui l'aide à faire naître ses scénarios. De ces références naît une œuvre visionnaire et futuriste, empreinte de [[fantastique]] et d'[[ésotérisme]], qui accorde une large place à la crainte du déclin occidental, aux progrès de la science comme aux petits mystères du quotidien.
 
Perfectionniste et méticuleux, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} s'attache au réalisme et à l'authenticité de ses récits en images, qu'il appuie sur une abondante documentation, parfois établie par des déplacements sur les lieux de ses intrigues. Il préfère travailler seul et ne sollicite que rarement l'aide de ses confrères, principalement pour des tâches mineures comme l'[[Encrage (dessin)|encrage]] et la colorisation. Après sa mort, ''Les Aventures de Blake et Mortimer'' sont reprises par de nouveaux auteurs, de sorte que la série compte alorsmaintenant plus d'albums inventés par les successeurs de Jacobs que par le créateur de la série lui-même.
 
== Biographie ==
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L'[[Occupation allemande de la Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale|occupation allemande]] entraîne une série de restrictions qui touchent l'industrie du papier. Les Grands Magasins de la Bourse cessent d'éditer leurs catalogues et de fait, Edgard Jacobs perd sa seule source de revenus{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=69-70}}.
 
Après avoir postulé sans succès à l'[[Opéra flamand|Opéra de Gand]], il est engagé au [[Beursschouwburg|Théâtre de la Bourse]] pour créer sous le [[pseudonyme]] de Dalmas la revue ''Et ça donc !'', sous le [[pseudonyme]] de Dalmas, dont l'accueil est très réservé{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=69-70}}. Il se produit également à l'[[Ancienne Belgique]], puis intègre une [[chorale]] d'orchestre qui donne une série de concerts à Bruxelles et en province, en qualité de [[soliste]], avant d'interpréter son dernier rôle dans une représentation de ''[[Manon (opéra)|Manon]]'' au [[Théâtre royal de Mons]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=69-70}}.
 
Faute d'emploi stable, il abandonne à contrecœur sa carrière de chanteur pour tenter de gagner sa vie dans l'illustration. Il réalise d'abord une série de dessins pour les jeux de société Pergo, la couverture de quelques [[Roman d'amour|romans sentimentaux]] pour les éditions Janicot, ainsi qu'une collection de cahiers à colorier pour ''Les albums de l'oncle Bimbo''{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=71-73}}. À l'été 1941, il entame une collaboration avec l'hebdomadaire ''Terre et Nation'', organe de propagande de la nouvelle Corporation nationale des paysans, dont le tirage atteint {{unité|350000|exemplaires}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=71-73}}. Il livre également un dessin au journal flamand ''Welkom'' pour célébrer le retour au pays des soldats démobilisés, mais comme le soulignent ses biographes [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]], la motivation principale de ces travaux est {{citation|plus alimentaire qu'idéologique}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=71-73}}.
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=== Le magazine ''Bravo !'', ''Flash Gordon'' et ''Le Rayon U'' ===
[[Fichier:Flash Gordon Strange Adventures December 1936.jpg|vignette|redresse|alt=Couverture de magazine en couleurs, titrée en anglais, faisant apparaître trois personnages.|Jacobs est choisi pour achever la série ''[[Flash Gordon|Gordon l'Intrépide]]'' en Belgique.]]
En {{date-|août 1941}}, par l'intermédiaire de son ami [[Jacques Laudy]], Edgard Jacobs est embauché comme dessinateur par le magazine ''{{nobr|[[Bravo !]]}}'', un hebdomadaire pour la jeunesse qui publie des contes, des nouvelles et des romans, ainsi que des ''{{lang|en|[[Comic strips]]}}'' [[États-Unis|américains]] comme ''[[Félix le Chat]]'', ''Annie'' ou encore ''[[Kit Carson]]''. Son travail consiste dans un premier temps à livrer des illustrations de contes, principalement des légendes germaniques{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=74-78}}. En {{date-|novembre 1942}}, la publication de ''[[Flash Gordon]]'' — appeléeappelé ''Gordon l'Intrépide'' dans la version française — est menacée d'interruption : depuis l'entrée en guerre des États-Unis, les communications avec les éditeurs américains sont rompues et le stock de planches du ''{{lang|en|comic}}'' dessiné par [[Alex Raymond (auteur)|Alex Raymond]], importées et traduites chaque semaine, est épuisé. [[Jean Dratz]], rédacteur en chef de ''{{nobr|Bravo !}}'', demande alors à Edgard Jacobs de terminer la série, un travail dont il s'acquitte avec succès{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=74-78}}. Toutefois, la série s'achève prématurément ; selon Jacobs, c'est la censure [[Troisième Reich|allemande]] qui en interdit la publication, une thèse infirmée par ses biographes [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]] qui estiment qu'il s'agit d'un choix de la rédaction de ''Bravo !'' pour éviter d'éventuelleséventuels ennuis juridiques avec [[King Features Syndicate]], l'éditeur américain de la série{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=74-78}}.
 
{{Article détaillé|Le Rayon U}}
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{{nobr|Edgar P. Jacobs}} porte une attention particulière à la précision des détails dans l'exécution des ''Sept Boules de cristal'' et de sa suite, ''[[Le Temple du Soleil]]''. Il s'inspire notamment d'une maison bourgeoise devant laquelle il passe chaque matin pour dessiner la villa du professeur Bergamotte et réalise de nombreux croquis aux [[Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles]] pour enrichir la documentation dans laquelle Hergé puise pour dessiner son aventure{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=93-100}}.
 
La [[Libération de la Belgique et des Pays-Bas|Libérationlibération de la Belgique]] le {{date-|3 septembre 1944}} entraîne l'interruption du ''[[Le Soir|Soir]]'' et, de fait, celle des ''Aventures de Tintin''. La photo et l'adresse d'Hergé, de même que celles de Jacques Van Melkebeke et de [[Raymond De Becker]], rédacteur en chef du journal, sont publiées dans une {{citation|Galerie des traîtres}} éditée par ''L'Insoumis'', une gazette éditionpubliée par un réseau de [[Résistance intérieure belge|Résistance]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=101-105}}. Contrairement à ses amis, Jacobs n'est pas inquiété car {{citation|ni résistant, ni collaborateur, [il] s'est contenté de vivre cette période troublée en adoptant la position d'un spectateur, un brin attentiste}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=101-105}}. Arrêté pour faits de [[Collaboration en Belgique|collaboration]], Hergé est empêché de toute publication sous son nom<ref>{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Philippe Goddin]]|auteur2=[[Hergé]]|titre=La Malédiction de Rascar Capac|sous-titre=Le Mystère des boules de cristal|tome=1|lieu=Bruxelles|éditeur=[[Casterman]]|collection=éditions Moulinsart|année=2014|pages totales=135|passage=112|isbn=978-2-203-08777-4}}.</ref>. Au cours de l'année 1945, assisté de Jacobs, il redessine et met en couleurs ''[[Tintin au Congo]]'', ''[[Tintin en Amérique]]'', ''[[Le Lotus bleu]]'', puis ''[[Le Sceptre d'Ottokar]]''{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=101-105}}. {{nobr|Edgar P. Jacobs}} modifie en profondeur les décors de ce dernier album dans le but de les rendre plus proches des paysages observés dans les [[Balkans]]<ref>{{Ouvrage|prénom1=Philippe|nom1=Goddin|titre=Hergé|sous-titre=lignes de vie|lieu=Bruxelles|éditeur=[[Éditions Moulinsart]]|nature ouvrage=biographie|année=2007|pages totales=1010|passage=269|isbn=978-2-87424-097-3}}.</ref>, mais se sert également de sa culture musicale pour corriger les [[Note de musique|notes de musique]] dans les [[phylactère]]s de la [[Bianca Castafiore|Castafiore]] lorsqu'elle chante<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Lukas|nom1=Etter|titre=Jazz Between the Lines: Sound Notation, Dances, and Stereotypes in Hergé’s Early Tintin Comics|traduction titre=Jazz entre les lignes : Notation sonore, danses et stéréotypes dans les premières bandes dessinées de Tintin d'Hergé|périodique=European journal of American studies|volume=12|numéro=12-4|date=2017-12-22|issn=1991-9336|doi=10.4000/ejas.12402|lire en ligne=http://journals.openedition.org/ejas/12402|consulté le=2022-12-28}}.</ref>. Les deux hommes s'amusent également à se dessiner parmi les personnages de l'album<ref group="his" name="p8-15" />.
 
Ensemble, Hergé et Jacobs réalisent trois planches d'essai pour des séries réalistes, qu'ils envisagent de signer sous le [[pseudonyme]] Olav : un [[western]] dont le synopsis est repris plus tard par [[Paul Cuvelier]], une aventure dans le Grand Nord et une aventure policière se déroulant à [[Shanghai]]. Ces trois récits, proposés à différents journaux, ne voient finalement jamais le jour<ref group="his">{{chapitre|auteur=Jacques Langlois|titre chapitre=Jacobs + Hérgé = Olav|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=16}}.</ref>{{,}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=101-105}}.
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En 1946, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} fait partie de l'équipe réunie par l'éditeur [[Raymond Leblanc]] pour créer le ''[[Tintin (magazine)|Journal de Tintin]]'', dont [[Hergé]] assure la direction artistique tandis que [[Jacques Van Melkebeke]] en est le rédacteur en chef. En plus d'Hergé et de Jacobs, les dessinateurs [[Paul Cuvelier]] et [[Jacques Laudy]] sont recrutés, et l'équipe gagne rapidement le surnom des {{citation|quatre mousquetaires}}{{sfn|De Weyer|2015|gr=d|p=51}}. Le premier numéro paraît en Belgique le {{date-|26 septembre 1946}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=105-112}}. Aux côtés des premières [[Planche (bande dessinée)|planches]] de la nouvelle aventure de ''[[Les Aventures de Tintin|Tintin]]'', ''[[Le Temple du Soleil]]'', figure la première page du ''[[Le Secret de l'Espadon|Secret de l'Espadon]]'', une aventure signée {{nobr|Edgar P. Jacobs}}<ref group="his">{{chapitre|auteur=[[François Rivière]]|titre chapitre=En 1946, E.P. Jacobs|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=29}}.</ref>. Hergé lui confie également la réalisation de chromos pour la rubrique ''Voir et savoir'' du magazine, ainsi qu'une série d'illustrations pour accompagner la publication en feuilleton du roman ''[[La Guerre des mondes]]'', de [[H. G. Wells]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=105-112}} puis ''Les Frères de la côte''{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=113-114}}. Comme il l'avait fait pour ''Les Sept Boules de cristal'', Jacobs fournit à Hergé plusieurs idées pour alimenter le scénario du ''Temple du Soleil'', notamment celle du train qui dégringole ou des souterrains qui permettent d'accéder au temple{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=105-112}}. Il prend parfois la pose pour qu'Hergé réalise des croquis d'attitude et saisisse l'expression la plus juste de ses personnages<ref>{{chapitre|titre chapitre=Traits de génie|titre ouvrage=Tintin à la découverte des grandes civilisations|éditeur=''[[Le Figaro]]'', ''[[Beaux Arts Magazine]]''|année=2008|isbn=978-2-8105-0029-1|passage=151-159}}.</ref>.
 
Dans un premier temps, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} avait proposé un récit [[Moyen Âge|médiéval]] historico-légendaire intitulé ''Roland le Hardi'', une idée finalement rejetée par Hergé car plusieurs histoires du journal se déroulent à cette même époque{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=113-114}} : {{citation|Je fus prié d'écrire incontinent une histoire contemporaine réaliste. C'est sans enthousiasme que, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je m'attelai à ce nouveau scénario. Nourri de lectures de [[Arthur Conan Doyle|Conan Doyle]] et de H.G. Wells, je choisis, comme un moindre mal, la [[science-fiction]] et ce fut ''Le Secret de l'Espadon''{{sfn|Jacobs|1981|gr=j|p=82}}.}}. Les vingt premières planches de cette nouvelle aventure sont réalisées dans la douleur. D'une part, alors qu'il était habitué à dessiner six images chaque semaine pour ''[[Le Rayon U]]'', Jacobs doit désormais livrer une planche d'au moins neuf cases, en plus de ses autres commandes. D'autre part, alors qu'il aimerait réaliser le dessin et la colorisation sur le même support, sans [[Encrage (dessin)|encrage]], il doit céder à la demande d'Hergé qui lui impose d'appliquer sa propre méthode, à savoir d'exécuter les planches originales en noir et blanc avant que les couleurs soient appliquées sur une épreuve imprimée. Aussi, pour satisfaire son directeur artistique et respecter les délais, il choisit de confier l'encrage à [[Jacques Van Melkebeke]] pour les premières planches de son aventure{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=115-125}}.
 
De fait, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} s'implique entièrement dans son travail, sans compter ses heures. Il héberge d'ailleurs Jacques Van Melkebeke, poursuivi par la justice belge pour ses activités pendant l'[[Occupation allemande de la Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale|Occupation]], dans le grenier de l'immeuble qu'il occupe avenue du Couronnement à [[Bruxelles]] depuis sa séparation avec « Ninie » au cours de l'année 1946{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=113-114}}. Du fait de cette surcharge de travail, Jacobs cesse sa collaboration aux ''[[Les Aventures de Tintin|Aventures de Tintin]]'' le {{date-|31 janvier 1947}} pour se consacrer à ses propres activités. Bien des années plus tard, après la disparition d'Hergé, il explique à l'écrivain [[Benoît Peeters]] l'autre raison de cette séparation : {{citation|Hergé m'avait demandé de travailler avec lui à cent pour cent. Pour ma part j'étais assez réticent ([)]. Je lui ai dit que j'accepterais de rester avec lui si nous pouvions cosigner les albums. La semaine suivante, il m'a dit que, chez [[Casterman]], les responsables n'étaient pas d'accord. En fait, je crois que ça l'aurait gêné, lui{{sfn|Lenne|1990|gr=c|p=31}}.}}.
 
=== ''Blake et Mortimer'' ===
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Redoutant l'invraisemblance et l'extravagance de son récit, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} hésite quant à la ligne d'écriture qu'il doit suivre, mais les discussions avec Jacques Van Melkebeke le poussent {{citation|à foncer franchement en pleine science fiction{{sfn|Jacobs|1981|gr=j|p=110}}}}. Il choisit d'articuler son intrigue autour d'une arme secrète, un engin amphibie opérant à partir d'une base sous-marine, capable de jaillir des flots comme une fusée, de fondre sur l'objectif et de replonger une fois la mission accomplie{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=105-112}}. La lecture d'un ouvrage de [[François Balsan]] sur l'histoire du [[Baloutchistan]], avec sa description des falaises du [[Makran]], l'incite à implanter la base secrète de ses héros dans le [[Moussandam|Musandam]], non loin du [[détroit d'Ormuz]]. Des échanges épistolaires avec l'explorateur le confortent dans son idée et lui permettent d'apporter encore plus de réalisme à son récit{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=105-112}}. Jacobs reconnaît cependant que le scénario est encore à ce moment-là en forme ouverte et qu'il lui faut procéder à des découpages au fur et à mesure qu'il avance dans l'intrigue<ref group="cbd" name="Rivière-1976-30">[[François Rivière]], « Entretien avec Jacobs un puritain de la B.D ».</ref>. La publication dans le ''[[Tintin (magazine)|Journal de Tintin]]'' s'étale finalement jusqu'au mois de {{date-|septembre 1949}}, pour un total de {{unité|142|planches}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=129-138}}.
 
Dès sa parution, ''Le Secret de l'Espadon'' rencontre un grand succès, ce qui étonne positivement le directeur du magazine, [[Raymond Leblanc]] : {{citation|On s'attendait à ce que tout le monde dise : « Ah ! Hergé paraît dans un journal ! » Mais les réactions en faveur de Jacobs étaient probablement aussi nombreuses et aussi importantes, à ma grande surprise d'ailleurs !}} Pour satisfaire la demande du public, cette première aventure est ensuite éditée en album<ref name="dayez">{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Hugues|nom1=Dayez|lien auteur1=Hugues Dayez|titre=Le Duel Tintin-Spirou|lieu=Bruxelles|éditeur=Tournesol Conseils SPRL - Les Éditions Contemporaines|année=1997|pages totales=255|isbn=978-2-86645-272-8}}.</ref>, ce qui oblige {{nobr|Edgar P. Jacobs}} à remanier son récit pour respecter le format de deux volumes de soixante-deux pages dont il dispose{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=129-138}}. En {{date-|décembre 1950}}, la parution du premier volet de l'aventure, sous le titre ''La poursuitePoursuite fantastique'', devient le premier album édité par [[Le Lombard]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=162}}{{,}}{{sfn|De Weyer|2015|gr=d|p=64}}. Malgré son apparent soutien à son ancien collaborateur, Hergé jalouse le succès de Jacobs, comme il l'avoue à son directeur : {{citation|Un album de ''Blake et Mortimer'' acheté est un album de ''Tintin'' que je ne vendrai pas<ref name="brethes"/> !}}
 
==== ''Le Mystère de la Grande Pyramide'' ====
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==== ''La Marque jaune'' ====
[[Fichier:Comic wall Blake & Mortimer 2. Edgar P. Jacobs. Brussels.jpg|vignette|gauche|alt=Fresque murale en couleurs avec les personnages Blake et Mortimer devant un mur portant une marque jaune.|La couverture dude l'album est reprise sur un mur d'immeuble à [[Bruxelles]].]]
La troisième aventure de ''Blake et Mortimer'', ''[[La Marque jaune]]'', commence à paraître dans ''[[Tintin (magazine)|Tintin]]'' à partir du {{date-|6 août 1953}}, soit près de quinze mois après la fin de l'aventure précédente{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=188-199}}. Passionné par les expériences sur le cerveau auxquelles des chirurgiens et médecins se livrent à cette époque et dont il prend connaissance dans des magazines de vulgarisation comme ''[[Science et Vie]]'', {{nobr|Edgar P. Jacobs}} imagine une aventure fondée sur l'invention d'un scientifique qui, pour assouvir son désir de revanche envers la société, prend le contrôle d'un esprit faible et le charge d'exécuter une série de crimes nocturnes{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=173-187}}. Il adapte ainsi l'intrigue du film expressionniste ''[[Le Cabinet du docteur Caligari]]'', une œuvre qui l'a profondément marqué au cours de sa jeunesse{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=173-187}}. Plus encore, le scénario de ''La Marque jaune'' apparaît comme une agrégation des nombreuses références littéraires ou cinématographiques que le dessinateur partage avec son ami [[Jacques Van Melkebeke]] qui, encore une fois, est d'une aide précieuse dans la construction du récit{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=173-187}}. Par ailleurs, le dessinateur se rend à [[Londres]] pour effectuer des repérages. Il prend de nombreuses photographies qui lui servent à dessiner les décors de son aventure et à en accentuer le réalisme{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=173-187}}.
 
[[Fichier:Painterly Tower of London (11053499795).jpg|vignette|alt=Vue nocturne et d'ensemble du monument.|La [[Tour de Londres]] où s'ouvre, de nuit, l'album.]]
''La Marque jaune'' apparaît dès sa première publication comme un mythe fondateur de la bande dessinée francophone, comme le souligne le critique [[François Rivière]] : {{citation|''La Marque jaune'' réunit toutes les caractéristiques de l’œuvre savamment construite. C'est à la fois une histoire de suspense sur le plan du schéma, comportant une sorte d'intrigue policière, avec une enquête lente, savante, etc. qui débouche sur une chute qui, elle, est proprement fantastique ; en même temps, c'est une histoire de science-fiction basée sur des choses très précises que [Jacobs a] longuement étudiées et qui sont, vers la fin de l'histoire, développées par le fameux professeur Septimus<ref group="cbd" name="Rivière-1976-30" />.}} Cette aventure suscite aussi l'admiration des propres collègues d'{{nobr|Edgar P. Jacobs}}, comme l'explique le dessinateur [[Albert Weinberg]] : {{citation|Ce qui nous frappait tous dans cette histoire, c'est qu'elle n'avait rien à voir avec ce qui paraissait alors dans la presse pour enfants. C'était très éloigné des histoires d'[[Hergé]], qui restent bien innocentes en comparaison de ce récit angoissant}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=187-188}}.}}
 
Une forme de censure s'exerce cependant à son encontre. Hergé, comme l'ensemble du comité de rédaction du magazine, s'oppose à la couverture réalisée par {{nobr|Edgar P. Jacobs}} pour annoncer le lancement de l'aventure car il la juge déplacée. Il recommande à l'auteur de remplacer la silhouette géante qu'il veut faire planer dans le ciel de Londres, au centre de l'image, par un ciel menaçant et des nuages, mais aussi d'effacer le revolver tenu par [[Francis Blake]] au premier plan{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=188-199}}{{,}}<ref group="his">{{chapitre|titre chapitre=Les ciseaux d'Hergé|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=49}}.</ref>. Ce refus est vécu comme un affront par le dessinateur qui refuse dès lors de signer la moindre couverture pour le magazine{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=188-199}}. De même, il est contraint de modifier le dessin d'une case dans lequel figure, en détail, une danseuse courtement vêtue{{sfn|De Weyer|2015|gr=d|p=84}}. Quant à la séquence d'autocritique de Vernay, Calvin et Macomber à la fin du récit, elle scandalise [[Georges Dargaud]], l'éditeur français du magazine ''Tintin'', qui craint qu'une telle scène n'alerte la censure. Du propre aveu d'Edgar Jacobs, la réalisation des dernières planches de l'aventure se fait ainsi dans une {{citation|atmosphère de désapprobation}}{{sfn|Le Gallo|1984|gr=b|p=85}}.
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==== ''L'Énigme de l'Atlantide'' ====
[[Fichier:Atlantis Kircher Mundus subterraneus 1678.jpg|vignette|gauche|alt=Gravure faisant apparaître plusieurs continents sur une carte.|Carte fantaisiste de l'Atlantide d'[[Athanasius Kircher]], en 1678 ([[Carte inversée|le nord est en bas]]).]]
Sensible aux critiques sur le [[Didactique|didactisme]] excessif qui ont visé ''[[Le Mystère de la Grande Pyramide]]'' et aux attaques contre ''[[La Marque jaune]]'' pour son atmosphère morbide{{sfn|Jacobs|1981|gr=j|p=138}}, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} choisit le style du « {{anglais|[[space opera]]}} » pour sa nouvelle aventure, ''[[L'Énigme de l'Atlantide]]'', et renoue par là mêmeainsi avec un univers entrevu dans ''[[Le Rayon U]]''. Il s'appuie principalement sur les travaux d'Alexandre Braghine, auteur d'un ouvrage du même nom en 1939, et sur les écrits du philosophe grec [[Platon]], pour situer le [[Atlantide|continent disparu]] à l'ouest de [[Détroit de Gibraltar|Gibraltar]]. {{nobr|Edgar P. Jacobs}} construit son scénario autour de deux postulats : d'une part, les analogies ethnographiques, religieuses et architecturales relevées entre les [[Civilisation précolombienne|civilisations précolombiennes]] et l'[[Égypte antique|Égypte ancienne]], d'autre part l'existence de l'[[orichalque]] qui, d'après le ''[[Critias (Platon)|Critias]]'' de Platon, était le métal le plus précieux après l'or{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=202-206}}. Le récit de Jacobs s'inscrit par ailleurs dans la tradition populaire, tant les publications sur le mythe de l'[[Atlantide]] sont nombreuses dans la première moitié du {{s-|XX}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=202-206}}.
 
''L'Énigme de l'Atlantide'' fait coexister deux ethnies différentes, l'une très évoluée et l'autre « barbare », suivant ainsi les suppositions de l'écrivain américain [[Ignatius Donnelly]], auteur d'un ouvrage sur l'Atlantide qui n'a cependant jamais été traduit en français{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=207-208}}. Le premier projet de Jacobs situe ce qui subsiste d'une ancienne colonie atlante dans un site sauvage et inaccessible d'Amérique centrale, mais pour des raisons de vraisemblance, il choisit toutefois « d'enterrer » l'action. Alors qu'il prévoit de commencer son histoire en évoquant l'apparition de soucoupes volantes et de phénomènes extra-terrestres, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} apprend que son confrère [[Willy Vandersteen]] prépare une histoire intitulée ''[[Les Martiens sont là]]''. Il décide alors de réorganiser son récit en sabordant la première partie du scénario, une décision qu'il finit par regretter, d'autant plus que l'histoire de Vandersteen n'est qu'une « mystification humoristique » n'ayant aucun rapport avec son propre sujet{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=207-208}}.
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Par ailleurs, la réalisation graphique de cette nouvelle aventure est retardée par l'installation d'Edgar Jacobs et de sa nouvelle compagne dans une nouvelle maison, située à l'écart du village de [[Lasne]], une commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de [[Bruxelles]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=209-211}}. La première planche de ''L'Énigme de l'Atlantide'' paraît finalement le {{date-|19 octobre 1955}} dans la nouvelle formule du magazine ''[[Tintin (magazine)|Tintin]]'', qui compte désormais {{unité|32|pages}}. Sa publication se poursuit sans heurts malgré les nouvelles difficultés que rencontre Edgar Jacobs avec la censure du journal : plusieurs vignettes sont jugées trop agressives, notamment par l'éditeur français [[Georges Dargaud]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|group=a|p=212-218}}.
 
Cette quatrième aventure de ''Blake et Mortimer'' est saluée par la critique. Selon l'écrivain [[Gérard Lenne]], il s'agit d'une {{citation|fresque magistrale, spectaculaire à souhait, propre à frapper l'imagination d'adolescents pour qui, souvent, ce sera la première et hallucinante description d'un monde futuriste{{sfn|Lenne|1990|gr=c|p=47}}.}}. La cité de l'Atlantide telle que Jacobs la dessine semble en effet inspirée des œuvres de maîtres italiens du [[futurisme]]<ref group="his">{{chapitre|titre chapitre=Une cité empreinte de futurisme|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=59}}.</ref>. L'œuvre est également saluée par [[Jacques Bergier]], qui considère que {{citation|Parpar la qualité du détail, l'importance de la recherche, les animaux préhistoriques, les grands cataclysmes, les engins scientifiques extraordinaires, ''L'Énigme de l'Atlantide'' est […] le meilleur de Jacobs sur le plan science-fiction{{sfn|Rivière ''et alii'' 1973|p=2-3}}.}}.
 
==== ''S.O.S. Météores'' ====
''[[SOS Météores]]'', qui paraît à partir du {{date-|8 janvier 1958}}, diffère des précédentes aventures car pour la première fois {{nobr|Edgar P. Jacobs}} tente de coller au plus près du réel pour établir son scénario. Il s'éloigne ainsi du réseau de références culturelles et littéraires qu'il s'est constitué, comme le remarquent [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]] : {{citation|Les références directes à la fiction sont ici remplacées par une franche transcription du sentiment de paranoïa qu'éprouve l'auteur depuis la fin des {{nobr|années 1940}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=222}}.}}. L'auteur transpose le souvenir de vacances désastreuses dans le sud de la France au cours de l'hiver 1954, particulièrement rude, pour bâtir une œuvre fantastique digne des meilleurs [[roman d'espionnage|romans d'espionnage]] alors en vogue. Il y intègre une peur nouvelle et largement répandue dans les milieux populaires, liée à la crainte du péril atomique dans le contexte de la [[Guerre froide]]. À cette époque, des scientifiques, américains comme des soviétiques, se livrent en secret à des expériences visant à modifier le climat. Il est d'ailleurs surpris d'apprendre, quand il soumet son hypothèse de manipulation du climat par une puissance étrangère à un responsable de la [[Direction de la Surveillance du territoire|DST]] française, que cette idée est sérieusement étudiée par ses services{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=219-225}}.
 
[[Fichier:Rocquencourt.jpg|vignette|gauche|alt=Vue aérienne du site, en noir et blanc.|Le [[Grand Quartier général des puissances alliées en Europe]] de [[Rocquencourt (Yvelines)|Rocquencourt]].]]
{{nobr|Edgar P. Jacobs}} réalise un repérage minutieux et localise à l'ouest de Paris une zone proche d'un certain nombre d'objectifs sensibles pouvant être visés par une attaque surprise, comme le [[Centre CEA de Saclay|centre de recherches nucléaires de Saclay]] et l'[[Grand Quartier général des puissances alliées en Europe|état-major de l'OTAN]] situé à [[Rocquencourt (Yvelines)|Rocquencourt]]. C'est à [[Jouy-en-Josas]] qu'il imagine la maison de campagne du professeur Labrousse, directeur de la Météorologie nationale et ami de [[Philip Mortimer|Mortimer]], tandis que la station-pilote permettant aux assaillants de « commander le temps » est installée dans un château à [[Buc (Yvelines)|Buc]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=219-225}}. Comme à son habitude, l'auteur s'appuie sur des personnes réelles pour dessiner ses personnages : le professeur Miloch reprend les traits du dramaturge [[Arthur Miller]], tandis que le général de la base météorologique secrète est un sosie de l'homme d'État soviétique [[Anastase Mikoïan]]<ref group="his">{{chapitre|titre chapitre=Miloch, le savant fou|auteur=Didier Pasamonik|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=67-68}}.</ref>.
 
Dans cette aventure, où la tension est permanente, le dessinateur s'attache à retrouver le réalisme expressif entrevu dans ''[[La Marque jaune]]''. Pour Benoît Mouchart et François Rivière, ce récit {{citation|s'impose comme l'un des plus brillants exercices de manipulation visuelle du [[Bande dessinée|neuvième art]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=235-236}}.}}. L'album est publié en 1959 mais, curieusement, ne sera pas réédité pendant les huit années suivantes<ref group="dbd">Christian Viard, ''« Jacobs sa vie : Edgar P. Jacobs le chanteur d'histoires »''.</ref>.
 
==== ''Le Piège diabolique'' ====
[[Fichier:Chronoscaphe.jpg|vignette|alt=Photographie d'une maquette.|Une réplique du chronoscaphe installée au [[château de La Roche-Guyon]].]]
{{citation bloc|[''Le Piège diabolique'' est] une extrapolation romancée de l'expression populaire : « C'était le bon temps », essayant de démontrer aux nostalgiques du passé et aux utopistes du futur, que « le bon temps » tel qu'ils l'entendent n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais.|Edgar P. Jacobs, ''Un opéra de papier'', 1981{{sfn|Jacobs|1981|gr=j|p=157}}}}.
 
 
Dans cette sixième aventure de ''[[Blake et Mortimer]]'', {{nobr|Edgar P. Jacobs}}, grand admirateur des œuvres de [[H. G. Wells]], et notamment du livre ''[[La Machine à explorer le temps]]'', renouvelle le thème du voyage dans le temps à partir d'un « chronoscaphe » déréglé par la volonté malveillante du professeur Miloch, le savant fou de ''[[SOS Météores]]''{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=245-254}}. Il situe l'action de son récit en contrebas du [[château de La Roche-Guyon]], qui lui paraît présenter un intérêt géographique, stratégique et historique correspondant à son scénario, et effectue sur place un repérage méthodique{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=245-254}}. Pour dessiner les séquences médiévales du premier volet de l'aventure, il sollicite le concours de [[Liliane Funcken|Liliane]] et [[Fred Funcken]], spécialistes belges de la bande dessinée historique, tandis que des membres des [[Studios Hergé]], en particulier Josette Baujot, France Ferrari et [[Roger Leloup]], interviennent également dans la mise en couleurs{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=245-254}}.
 
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Afin d'assister Jacobs dans son travail, le rédacteur en chef de ''Tintin'', [[Marcel Dehaye]], contacte le dessinateur [[Gérald Forton]]. Celui-ci réalise l'encrage des premières planches, de même que le dessin de la plupart des décors et des scènes de foule, dans un style assez éloigné de celui de l'auteur de ''[[Blake et Mortimer]]''{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=267-277}}{{,}}<ref group="dbd">Gérard Boiron, Didier Bruimaud et Christian Viard (propos retranscrits par Bernadette Bréchoteau), ''« L'affaire Gérald Forton »''.</ref>. Cette substitution déplait fortement aux lecteurs et la collaboration est interrompue à la douzième planche{{sfn|Jacobs|Dierick|Lebedel|Lejeune|2004|p=196}}{{,}}<ref group="his">{{chapitre|auteur=[[François Rivière]]|titre chapitre=En 1965, E.P. Jacobs|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=93}}.</ref>. Pour autant, Jacobs ne parvient pas à renouer avec son propre style dans la suite de l'aventure, comme si le caractère figé des poses photographiées qu'il utilise pour le dessin de ses cases l'éloignait du charme graphique de ses premiers albums{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=267-277}}.
 
Le résultat déçoit d'autant plus les lecteurs que l'auteur renonce à introduire dans son récit les éléments [[fantastique]]s auxquels il a songé, par crainte d'une nouvelle censure. Il livre ainsi une simple fiction policière, presque désuète{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=267-277}}, tandis qu'Olrik perd de sa superbe, relégué au rang de simple chef d'une bande de malfrats{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=267-277}}. Le critique [[Numa Sadoul]] considère qu'il s'agit là d'un {{citation|temps faible dans l'œuvre de Jacobs ([)] Une intrigue banalement policière, des personnages transparents en leur manichéisme de tradition, un dessin soigné mais souvent terne, un texte lourd et que les ans ont affublé de rides<ref group="cbd">[[Numa Sadoul]], « ''L'Affaire du collier'' ».</ref>}}.
 
==== ''Les Trois Formules du professeur Satō'' ====
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{{nobr|Edgar P. Jacobs}} opère un changement de décor radical en situant au [[Japon]] le cadre des ''[[Les Trois Formules du professeur Satō|Trois Formules du professeur Satō]]'', la huitième aventure de son duo. Sa fascination pour la culture japonaise, en particulier les œuvres cinématographiques d'[[Ishirō Honda]], comme ''[[Godzilla (film, 1954)|Godzilla]]'', explique en partie ce choix. Il accumule une importante documentation sur les traditions, la vie quotidienne, le tourisme et les infrastructures de ce pays, aidé dans ses recherches par Hasumi Shigehiko, un professeur [[Japon|japonais]] de langue et de littérature française de l'université de [[Tokyo]] qui a épousé Chantal, la fille de son ami [[Jacques Van Melkebeke]]<ref group="his" name="p99">{{chapitre|titre chapitre=Des difficultés d'obtenir de la documentation nippone|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=99}}.</ref>{{,}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=279-281}}. En parallèle, la lecture de plusieurs articles de ''[[Science et Vie]]'' à propos du possible recours aux robots et aux [[cyborg]]s dans l'industrie aéronautique l'aide à mettre sur pied son scénario, de même que la découverte du roman ''La Formule du professeur Matheson'' de [[J.S. Fletcher]] qui met en scène l'enlèvement d'un scientifique{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=285-286}}.
 
Jacobs imagine un récit qui penche d'emblée vers le [[fantastique]] avec l'apparition d'un dragon japonais « [[Dragon oriental#Japon : le Ry%C5%AB|Ryū]] ». Selon Stéphane Bielikoff qui résume le premier tome dans ''[[Les Cahiers de la bande dessinée]]'', {{citation|le récit semble chavirer dans l'intrigue policière pour enfin se rattacher au genre dit du « merveilleux fantastique » avec l'apparition du laboratoire souterrain et de son inquiétant gardien. Cet épisode est aussi un retour à quelques grands thèmes jacobsiens, l'abri souterrain à l'épreuve du temps ([)], le Traître ([)] et enfin la dualité du bien et du mal ([)]<ref group="cbd">Stéphane Bielikoff, « ''U.F.O., robots, no, sato'' ».</ref>.}} Comme pour la précédente aventure, Jacobs sollicite l'aide des [[Studios Hergé]] pour la colorisation des cases{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=302-306}}.
 
Le dessinateur présente son scénario à son rédacteur en chef [[Michel Greg]] le {{date-|24 avril 1967}}, mais les deux premières planches de l'album ne paraissent que le {{date-|5 octobre 1971}} dans un numéro spécial de {{unité|100|pages}} marquant les {{nombre|25|ans}} du ''[[Tintin (magazine)|Journal de Tintin]]''<ref group="his">{{chapitre|auteur=[[François Rivière]]|titre chapitre=En 1971, E.P. Jacobs|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=103}}.</ref>{{,}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=302-306}}. La publication se poursuit jusqu'au {{date-|30 mai 1972}} mais ne soulève pas le même enthousiasme que les premières aventures de la série, notamment en raison du manque de rythme de l'action{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=302-306}}. Les {{unité|46|planches}} du premier volet ne sont éditées en album qu'en {{date-|août 1977}} sous le titre ''Mortimer à Tokyo'', tandis que Jacobs se lance dans la rédaction du {{anglais|[[storyboard]]}} de la deuxième partie du récit{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=302-306}}{{,}}<ref group="his" name="p99" />.
 
=== Derniers projets ===
==== Réédition du ''Rayon U'' et mise en pause des ''Trois Formules du professeur Satō'' ====
[[Fichier:Tintin et Milou billboard 2.jpg|vignette|gauche|alt=Photographie montrant le haut d'un immeuble, surmontée d'une enseigne à l'effigie de Tintin et Milou.|Le siège des éditions [[Le Lombard]] à [[Bruxelles]].]]
En 1974, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} épouse Jeanne Quittelier, qui est sa compagne depuis 1952 et avec qui il vivait à Bruxelles dans un appartement de l'[[Avenue Herbert Hoover|avenue Hoover]] jusqu'en 1955 avant de s'établir à Lasne dans une propriété nommée « le Bois des Pauvres »<ref group="his">{{chapitre|auteur=[[François Rivière]]|titre chapitre=En 1955, E.P. Jacobs|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=63}}.</ref>.
 
Les [[Le Lombard|Éditions du Lombard]] et [[Michel Greg]], le rédacteur en chef de ''[[Tintin (magazine)|Tintin]]'', qui espèrent faire patienter le public de Jacobs dans l'attente de la publication du deuxième tome des ''[[Les Trois Formules du professeur Satō|Trois formules du professeur Satō]]'', décident de publier une version modernisée du ''[[Le Rayon U|Rayon U]]'', ce qui impose au dessinateur un gros travail de recomposition, de modernisation et d'ajout de [[Phylactère_(bande_dessinée)|phylactères]]. Ce travail de remontage s'étend d'{{date-|avril 1973}} à {{date-|juin 1974}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=309-310}}.
 
Questionné à maintes reprises sur la parution de ce deuxième tome, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} assure à ses lecteurs qu'il ne les oublie pas{{sfn|Lenne|1990|gr=c|p=64}}. Bien qu'il en ait terminé la rédaction du {{anglais|[[storyboard]]}}, il n'entame pas sa réalisation graphique en raison des problèmes de santé qui l'affectent{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=311-315}}. Il envisage alors de faire appel à [[Gilles Chaillet]], qui ne donne pas suite, puis à [[Bob de Moor]], qui se heurte au refus de son employeur, [[Hergé]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=311-315}}.
 
==== ''Un Opéra de papier'' ====
[[Fichier:Tardi-IMG 0181.JPG|vignette|[[Jacques Tardi]] (ici en 2021) réalise la couverture des [[mémoires]] de Jacobs.]]
[[Pierre Marchand (éditeur)|Pierre Marchand]], directeur du département jeunesse des [[Éditions Gallimard]] et marqué par la publication des entretiens d'[[Hergé]] avec [[Numa Sadoul]], ''[[Tintin et moi]]'', demande en {{date-|octobre 1978}} au journaliste Pierre Lebedel de contacter {{nobr|Edgar P. Jacobs}} pour lui proposer de l'accompagner dans la rédaction de ses [[mémoires]]{{sfn|Jacobs|Dierick|Lebedel|Lejeune|2004|p=15}}. Les deux hommes rencontrent Jacobs et son ami Evany<ref group="note">Eugène van Nijverseel</ref>, ancien directeur technique des [[Le Lombard|Éditions du Lombard]], le {{date-|25 octobre}} afin de mettre au point diverses questions techniques. Au fil des échanges, il apparaît que la forme autobiographique est la mieux adaptée au projet. Trois années s'écoulent finalement jusqu'à la parution de l'ouvrage, Jacobs évoque à ce sujet un {{citation|travail de fou}}. Selon Pierre Lebedel, {{citation|''Un Opéra de papier'' ne fut pas une entreprise facile à mener à son terme. Edgar et Evany firent la maquette. Evany contretypa tous les documents ([)] un par un dans sa salle de bain qu'il avait transformée en studio photo (..[…].) Il y eut aussi de multiples corrections de la part d'Edgar{{sfn|Jacobs|Dierick|Lebedel|Lejeune|2004|p=16}}}}.
 
Dans cet ouvrage, Jacobs, très pudique, ne fait aucune mention de sa vie privée. Par ailleurs, pour éviter toute polémique, il s'efforce de minimiser {{citation|les histoires de critiques, de crocs-en-jambe et autres petites vacheries qui ont jalonné [sa] carrière et se contente de décrire en détail le processus de ses travaux{{sfn|Jacobs|Dierick|Lebedel|Lejeune|2004|p=16}}}}. En guise de conclusion, il tire un bilan doux-amer de ses activités, évoquant {{citationCitation|soixante années de quête alimentaire, dont trente-six exclusivement consacrées à cette satanée bande dessinée ! Seule la lointaine et éphémère « séquence lyrique », toute rayonnante de jeunesse, d'enthousiasme… et d'illusion, vient illuminer cette grisaille}}{{sfn|Jacobs|1981|gr=j|p=187}}. Quelques lignes plus loin toutefois, il explique : {{citationCitation|maMa tâche de « conteur d'histoires » n'aura pas été entièrement négative. Puisque grâce à elle il m'aura été accordé le rare privilège d'être à la fois l'auteur, l'interprète et le metteur en scène d'un singulier, mais bien passionnant, opéra… de papier}}{{sfn|Jacobs|1981|gr=j|p=187}.}}}.
 
''Un Opéra de papier'' paraît en {{date-|décembre 1981}} avec une abondante iconographie, sous une couverture réalisée par [[Jacques Tardi]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=321-325}}. En mars de l'année suivante, Gallimard organise à Paris une série de réceptions à Paris au cours desquelles {{nobr|Edgar P. Jacobs}} accorde plusieurs entretiens et qui culmine par une séance de dédicaces au [[Festival du Livre de Paris|Salon du livre]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=321-325}}.
 
Le réalisateur Guy Lejeune, de la [[Radio-télévision belge de la Communauté française|RTBF]], lui propose peu après de réaliser une émission sur son œuvre. Jacobs s'implique avec zèle dans ce projet, qu'il considère comme le complément animé et sonore de son ''Opéra de papier''. La préparation dure plusieurs mois et le tournage a lieu pendant l'été 1982, au domicile de l'auteur, qui l'évoque avec humour comme sa [[nécrologie]]. Sous le titre ''Des planches aux planches'', le film est présenté en deux parties les 11 et {{date-|18 janvier 1984}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=335}}.
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Dès la fin des {{nobr|années 1970}}, les relations entre {{nobr|Edgar P. Jacobs}} et [[Le Lombard]] se tendent. L'auteur regrette que son éditeur ne mette pas suffisamment en avant sa collection, tandis que l'éditeur considère que l'œuvre de Jacobs est quelque peu tombée en désuétude, tout en reprochant au dessinateur de ne pas achever le deuxième tome des ''[[Les Trois Formules du professeur Satō|Trois Formules du professeur Satō]]''. À l'échéance de son contrat, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} s'associe au disquaire bruxellois [[Lefrancq (maison d'édition)|Claude Lefrancq]] pour créer les [[Éditions Blake et Mortimer]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=326-329}}. L'objectif est de rééditer les huit aventures du tandem, dans le format des planches originelles. Le dessinateur en profite pour apporter des modifications à son travail : dans un premier temps, ''[[Le Secret de l'Espadon]]'' est refondu en trois volumes au lieu de deux, avec le soutien de [[Philippe Biermé]] et Luce Daniels pour la colorisation{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=326-329}}.
 
Le {{date-|23 octobre 1983}}, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} dépose chez le notaire bruxellois Jean-Marie Gyselinck les statuts de la Fondation Jacobs, dont le but est d'assurer la conservation de son œuvre artistique et littéraire. En parallèle, il dépose lui-même ses planches et ses dossiers dans un coffre au nom de sa fondation à la [[Banque Bruxelles Lambert]], afin de, comme il le précise dans son testament, d'{{citation|éviter la dispersion anarchique de [son] œuvre ou la mainmise de celle-ci par certains affairistes de la bande dessinée{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=333-334}}{{,}}<ref>{{Article |auteur1=Jérôme Dupuis |titre=Blake et Mortimer: le mystère des planches disparues |périodique=L'Express |date=10 novembre 2017 |lire en ligne=https://www.lexpress.fr/culture/blake-et-mortimer-le-mystere-des-planches-disparues_1959111.html}}.</ref>}}. Selon Pierre Lebedel, l'un des administrateurs de la Fondation Jacobs, ce dépôt réunit plus de {{unité|700|planches}}, mais aussi des centaines de crayonnés et des calques<ref>{{Article|auteur1=Nicolas Jacquard et Christophe Levent |titre=Sur la piste des planches disparues de « Blake et Mortimer » |périodique=Le Parisien |date=24 juin 2018 |lire en ligne=http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/sur-la-piste-des-planches-disparues-de-blake-et-mortimer-24-06-2018-7790826.php |pages= }}.</ref>.
 
=== Fin de vie ===
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{{nobr|Edgar P. Jacobs}} est également touché par la mort à quelques semaines d'intervalle de ses deux amis [[Hergé]], le {{date-|3 mars 1983}}, et [[Jacques Van Melkebeke]] le {{date-|8 juin}} suivant{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=330-333}}.
 
Durant l'hiver 1985-1986, la santé d'{{nobr|Edgar P. Jacobs}} décline à son tour. Il est sujet à plusieurs [[Angine de poitrine|angines de poitrine]] qui entraînent son hospitalisation en urgence à l'[[Clinique Saint-Jean|hôpital d'Ottignies]]. Il refuse alors de suivre les recommandations des médecins qui l'incitent à entrer en maison de retraite. Il effectue sa dernière apparition publique le {{date-|16 avril 1986}} lors de l'inauguration du [[Centre belge de la bande dessinée]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=347-352}}. Le dessinateur se dit également accablé par des soucis professionnels, administratifs et financiers, qui le conduisent notamment à créer le Studio Jacobs, société détentrice des droits de la série ''[[Blake et Mortimer]]'' après un [[redressement fiscal]] en 1985{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=347-352}}. Peu à peu, il refuse les invitations et les entretiens, s'isolant à son domicile de [[Lasne]]. Ses confrères le décrivent {{citation|comme un aigri, un ermite, un homme invisible, le reclus du Bois des Pauvres{{sfn|Jacobs|Dierick|Lebedel|Lejeune|2004|p=10}}.}}.
 
{{nobr|Edgar P. Jacobs}} meurt à son domicile le {{date-|20 février 1987}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=347-352}}. Il est enterré dans le cimetière communal, où un mausolée à sa mémoire, financé par les propriétaires du Studio Jacobs et les Éditions Blake et Mortimer, est érigé et inauguré le {{date-|2 février 1988}}. Sa tombe est surmontée d'un imposant monument funéraire représentant un [[Sphinx de Gizeh|sphinx]], lequel évoque le Grand Sphinx [[Harmakhis|Rê-Harmakhis]] dessinéqu’il para Jacobsdessiné dans ''Le Mystère de la Grande Pyramide''. À la base de la sculpture, un texte gravé évoque les talents d'{{nobr|Edgar P. Jacobs}}<ref group="his" name="langlois">{{chapitre|auteur=Jacques Langlois|titre chapitre=D'un tombeau à l'autre|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=37}}.</ref> : {{Citation bloc|Edgar P. Jacobs<br>1904 - 1987<br>Artiste lyrique, peintre, illustrateur et créateur de la bande dessinée Blake et Mortimer.|style=center}}
 
La maison du couple Jacobs, au « Bois des Pauvres », est finalement détruite<ref group="his" name="langlois"/>.
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Comme le soulignent ses biographes [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]], Edgar Jacobs s'est toujours montré discret sur sa vie privée, n'abordant qu'en de très rares occasions les liens affectifs qui ont ponctué sa vie, de l'enfance à l'âge adulte. À titre d'exemple, les prénoms de ses parents ne sont pas mentionnés dans ses mémoires, ''Un Opéra de papier''. Pour les deux auteurs, {{citation|ce silence appuyé révèle surtout un trait de caractère qui hantera Jacobs jusqu'à la fin de sa vie : la crainte obsessionnelle de trahir sa propre nature}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=15}}. Cette position est assumée par Jacobs qui déclare dans un entretien avec la journaliste Michèle Cédric en 1982 : {{citation|J'estime qu'un auteur ou un acteur doit être connu par ce qu'il écrit, par ce qu'il évoque ou par ce qu'il représente quand il est sur scène. Il y a souvent une déception du lecteur ou du spectateur, quand il connaît le personnage en chair et en os{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=15}}.}}
 
Edgar Jacobs connaît sa première relation amoureuse en 1922 avec une choriste prénommée Madeleine et, qui figure comme lui dans la troupe de la revue ''Bonjour Paris'' de [[Mistinguett]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=41-49}}. Refusant le mariage, il décide de rompre deux ans plus tard, juste avant son départ pour le [[service militaire]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=50}}. En 1928, il rencontre Léonie Bervelt, une chanteuse d'opérette bruxelloise âgée de sept ans de moins que lui, surnommée « Ninie »{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=56-57}}. Il l'épouse le {{date-|27 septembre 1930}} à l'[[église Sainte-Catherine de Bruxelles]]{{sfn|Jacobs|Dierick|Lebedel|Lejeune|2004|p=208}}{{,}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=56-57}}, puis le couple s'installe à [[Lille]] où il se produit à l'[[opéra de Lille|opéra]] pendant deux saisons, avant de rentrer à Bruxelles{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=61-62}}. Leur relation est d'autant plus houleuse que la jeune femme semble alors reprocher à Edgar Jacobs ses nombreux échecs, lui qui ne parvient pas à percer dans le métier de chanteur lyrique{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=61-62}}. Selon Benoît Mouchart et François Rivière, la stérilité de leur union contribue certainement au désordre de leur couple : {{citation|Comme si elle cherchait à compenser son désir inassouvi de maternité, Ninie retrouve la frivolité de sa jeunesse, sans rien cacher de ses aventures à son mari{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=67}}.}}. Dès lors, ils se montrent infidèles, l'un comme l'autre{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=93}}, jusqu'à leur rupture en {{date-|août 1945}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=113}}. Leur divorce n'est pourtant prononcé que le {{date-|20 octobre 1951}} et le couple se quitte en bons termes, conservant de forts liens amicaux{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=170}}. Edgar Jacobs se montre ainsi particulièrement affecté par la mort de son ex-femme le {{date-|18 juillet 1969}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=294}}.
 
Dès la fin des {{nobr|années 1940}}, il entame une nouvelle relation amoureuse avec Jeanne Quittelier, une de ses voisines qui donne des cours particuliers de piano et qui lui propose dans un premier temps à Edgar Jacobs de l'accompagner lorsqu'il s'entraîne à chanter. Jeanne finit par s'installer au domicile du dessinateur, avenue du Couronnement à Bruxelles, au cours de l'année 1952{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=139-140}}. Jalouse et possessive, elle finit par le convaincre de s'éloigner de la capitale : au mois de {{date-|juin 1955}}, le couple achète un petit [[cottage]] à l'écart du village de [[Lasne]], dans la banlieue bruxelloise, au lieu-dit le « Bois des Pauvres »{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=209-211}}. Le dessinateur s'y aménage un atelier où il vit parfois comme un reclus pendant plusieurs jours, le temps de réaliser ses dessins. Il apprécie également la compagnie de la petite-fille de Jeanne, Viviane<ref group="note">De son premier mariage avec Henri Quittelier, Jeanne, née à [[Schaerbeek]] en 1903, a deux enfants : René, né en 1929, et Laurette, née deux ans plus tard. Viviane est la fille de René. Voir {{harvsp|Mouchart|Rivière|2021|p=139-140}}.</ref>, qui séjourne régulièrement chez eux{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=243}}.
 
Tous les deux divorcés, ce qui ne manque pas d'attiser les commérages du voisinage, Jeanne et Edgar Jacobs finissent par régulariser leur situation et se marient le {{date-|5 juin 1974}} au [[Château Malou]], à [[Woluwe-Saint-Lambert]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=311-315}}.
 
== Portrait ==
{{citation bloc|Afin de masquer du mieux possible sa véritable personnalité, Jacobs aimait se draper dans la pose d'un créateur ténébreux aux pensées impénétrables. Les photographies officielles reproduites sur ses albums l'immortalisent dans cette affectionaffectation où le dessinateur semble vouloir se montrer à la hauteur de son œuvre. Ceux qui ont eu la chance de l'approcher conservent pourtant de lui une image bien différente de ces clichés hiératiques.|[[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]]|''Edgar P. Jacobs, un pacte avec Blake et Mortimer{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=15}}''}}
 
=== Un homme chaleureux et jovial, mais aussi solitaire et méfiant ===
[[Fichier:Fausses fenetres du 80 rue Saint Roch à Angouleme - Hotel des Pyrénées.jpg|vignette|gauche|alt=Fresque murale en trompe-l'œil montrant deux personnages.|Fausses fenêtres en hommage à Blake et Mortimer, à [[Angoulême]].]]
Dans les ''Témoignages d'amitiés vraies'' publiés dans ''Tintin'' après la mort du dessinateur, de nombreux confrères le décrivent comme une personnalité involontairement comique, un gaffeur, {{citation|roi des catastrophes ambulantes}}<ref name="tintin1987"/>, ce que ses biographes [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]] confirment en évoquant un homme {{citation|affable, chaleureux et volontiers rieur}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=16-19}}. Dans son introduction au ''Manuscrit E.P. Jacobs'', l'historien de la bande dessinée Charles Dierick observe que le portrait laissé par Jacobs est {{citation|fort contrasté et donc sans nuances ([)]. En société il était ([)] théâtral, flamboyant, drôle et enjoué ([)], la parole facile et le rire communicatif. Par contre professionnellement, Jacobs était connu pour sa minutie obsessionnelle, ses scrupules excessifs ([)] voire sa maniaquerie pure et simple{{sfn|Jacobs|Dierick|Lebedel|Lejeune|2004|p=10}}}}.
 
[[Raymond Leblanc]], premier directeur du ''[[Tintin (magazine)|Journal de Tintin]]'', évoque en Jacobs {{citation|un homme adorable de modestie}}, mais aussi {{citation|solitaire et minutieux à l'excès}}, dont les retards sont {{citation|légendaires}}<ref group="dbd" name=":5">Liliane Funcken, Fred Funcken, Raymond Leblanc, Roger Leloup et Albert Weinberg (propos recueillis par Daniel Couvreur), ''« Témoignages »''.</ref>. Ce caractère perfectionniste et méticuleux est aussi mis en avant par le dessinateur [[Albert Weinberg]], qui l'assiste sur ''[[Le Mystère de la Grande Pyramide]]'' : {{citation|Jacobs pouvait buter sur un détail et vouloir tout reprendre. Il était à ce point perfectionniste qu'à la rédaction, ils enfermaient ses planches sous clef une fois remises, car sinon il les reprenait pour les améliorer encore<ref group="dbd" name=":5" />.}}.
 
Ses confrères mettent également l'accent sur son inquiétude permanente et sa constante méfiance<ref name="tintin1987">{{Article |auteur1=[[Guy Dessicy]], [[André Franquin]], [[Michel Greg|Greg]], [[Bob de Groot]], Germaine Hergé, [[Jacques Martin (auteur)|Jacques Martin]], [[Bob de Moor]], [[Tibet (dessinateur)|Tibet]], [[Willy Vandersteen]]|titre=Témoignages d'amitiés vraies|périodique=[[Tintin (magazine)|Tintin]]|numéro=13 |date=24 mars 1987}}.</ref>. La crainte d'être copié, voire plagié, ne le quitte pas. Selon [[Roger Leloup]], {{citation|il voyait des traîtres partout, comme dans ses histoires. Il accumulait des dossiers sur ceux qui, pensait-il, le plagiaient<ref group="dbd" name=":5" />}}. [[Jacques Martin (auteur)|Jacques Martin]], qu'il accuse de l'avoir copié pour ''[[La Grande Menace (Lefranc)|La Grande Menace]]'', renchérit : {{citation|Il était hyper-méfiant vis-à-vis de tout le monde, surtout vis-à-vis de ses amis ! Il se méfiait plus d'Hergé et de moi que de quiconque<ref name="dayez"/>.}} À l'inverse, Jacobs réagit très mal lorsque le journaliste Denis Philippe le qualifie, dans la revue ''Fiction'' d'{{date-|avril 1972}}, de {{citation|plagiaire de grande classe}} à propos de ses illustrations de ''[[La Guerre des mondes]]''. Le dessinateur récuse vigoureusement ce qualificatif et lui oppose notamment le sérieux des études techniques préalables à sa conception des machines martiennes{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=304}}.
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=== Un homme avide de reconnaissance ===
La carrière d'{{nobr|Edgar P. Jacobs}} est marquée par un irrépressible besoin de reconnaissance longtemps insatisfait, ce que [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]] expliquent par un traumatisme de l'enfance : {{citation|paralyséParalysé par l'autorité de son père, blessé par l'indifférence de sa mère très soumise, il brûle de jouir d'une reconnaissance que seuls les applaudissements du public des théâtres semblent pouvoir lui offrir}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=35}}.}} Il souffre notamment de la comparaison avec son jeune frère André, qui obtient de meilleurs résultats scolaires que lui et se destine à une carrière d'[[instituteur]], pendant qu'Edgar Jacobs mène une vie de {{citation|bohème}} en poursuivant ses rêves de gloire lyrique{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=27}}. François Rivière pense également que l'origine modeste de l'auteur est déterminante dans sa carrière : {{citation|Même si par la suite, Jacobs a fait un considérable bond en avant, culturellement et socialement, il a toujours conservé une forme de complexe à cet égard}}<ref name="cahiersBD1">{{chapitre|auteur=[[Nicolas Tellop]]|titre=Entretien avec François Rivière|titre ouvrage={{harvsp|id=cahiers|texte=La Marque Jaune, le chef-d'œuvre de Blake et Mortimer}}|année=2020|p=40-43}}.</ref>. Ce besoin de reconnaissance, qui s'accompagne d'un certain manque de confiance et d'estime de soi, conduit Edgar Jacobs à se montrer particulièrement soucieux de son apparence. Narcissique, il se distingue dès l'adolescence par sa recherche d'une tenue distinguée en toute circonstance, lui qui apparaît alors comme {{citation|un marginal romantique}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=42, 45}}.
 
Les succès qu'obtient Jacobs dans la bande dessinée ne suffisent pas à lui faire oublier le regret d'une carrière de chanteur d'opéra avortée, comme l'expliquent Benoît Mouchart et François Rivière : {{citation|Sa chute dans les récits en images, parce qu'elle l'oblige à renoncer aux altitudes de l'art lyrique, constitue une preuve supplémentaire de sa damnation dans l'enfer des travaux alimentaires. À ses propres yeux, Jacobs ne fait que se compromettre dans une forme d'expression que le monde artistique ignore quand il ne la méprise pas{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=82-90}}.}} François Rivière évoque même la bande dessinée comme une {{citation|contrainte terrifiante}} pour le dessinateur, d'autant plus que [[Hergé]] le pousse à adopter le style [[ligne claire]] quand la préférence de Jacobs va au dessin avec des crayons gras, de manière à donner plus de volume et d'épaisseur au trait<ref name="cahiersBD1"/>. Les dessinateurs [[Fred Funcken|Fred]] et [[Liliane Funcken]] affirment que l'auteur donnait l'impression de ne pas avoir confiance en son immense talent : {{citation|En réalité, il ne s'est jamais senti solide dans son métier de dessinateur. Il avait débuté sur le tard. Il avait déjà passé la quarantaine à la naissance de Blake et Mortimer. Il se sentait mieux sur une scène d'opéra. Là il rayonnait<ref group="dbd" name=":5" />.}}
 
LeBenoît manqueMouchart dinsiste sur les difficultés rencontrées par l'assuranceauteur, dpour qui le dessin n'{{nobr|Edgarest Pni naturel ni spontané. Jacobs}} transparaîts'appuie nonsur seulementde dansnombreuses sonphotographies travailpour maistravailler égalementses dansimages, sesélaborées relationspar publiques.la D'unesuperposition part,de lnombreux calques pour saisir la meilleure composition. L'auteur lui-même n'a jamais caché que le dessin était pour lui un exercice contraignant : {{citation|Je ne dessine pas facilement. Tout est pour moi un boulot de longue haleine. C'est mon tempérament{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=153-154}}.}} DDe même, Benoît Mouchart révèle une difficulté dans l'autreécriture part: {{citation|Face à un tel exercice, chaqueil était complètement empêtré, emprunté, ne serait-ce que lorsqu'il devait rédiger une lettre, pour laquelle il usait de nombreux brouillons}}<ref name="cahiersBD2"/>. Jacobs va même jusqu'à payer son ami Jacques Van Melkebeke pour qu'il réponde à des courriers de lecteurs jugés trop littéraires<ref name="cahiersBD2"/>. Le manque d'assurance d'{{nobr|Edgar P. Jacobs}} transparaît non seulement dans son travail mais également dans ses relations publiques. Chaque interview devant un micro ou une caméra se traduit pour lui par une forme d'angoisse, aussi le dessinateur exige parfois une répétition avant l'enregistrement, tout en conservant ses propres fiches sous les yeux{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=153-154}}.
 
Par ailleurs, [[Michka Assayas]], journaliste de ''[[Libération (journal)|Libération]]'', souligne que la pudeur de Jacobs s'affirme dans ses [[mémoires]], ''Un Opéra de papier'' : {{citation|Une des questions auxquelles [ce livre] aurait pu répondre est : Jacobs a-t-il des intentions d'auteur ? Or à aucun moment il ne cherche à les exposer, ces intentions ([)]. Toute son inspiration vient d'un versant obscur de sa personnalité, qu'il se refuse à explorer : seule l'''exécution'', opération quantifiable, lui semble digne de commentaire{{sfn|Lenne|1988|loc= {{chap.|''Un homme nommé Jacobs''}}|p= 127}}.}}
 
== Le style Jacobs ==
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[[Fichier:Blake et Mortimer 1 à 26.jpg|vignette|alt=Photographie montrant une collection de bande dessinée, dont seule la tranche est visible.|Tomes des aventures de ''[[Blake et Mortimer]]''.]]
{{citation bloc|Contrairement à beaucoup de gens qui se veulent [[Cartésianisme|cartésiens]], j'aime le surnaturel tout en aimant la nature avec la même passion, les orages, les tempêtes, les éruptions volcaniques, les arbres, etc. Peut-être y a-t-il là un petit reste de [[paganisme]] ?|Edgar P. Jacobs{{sfn|Le Gallo|1984|gr=b|p=26}}}}
Jacobs revendique la {{citation|théâtralité exemplaire}} des aventures de ''[[Blake et Mortimer]]''. Il considère ses récits illustrés comme {{citation|des sortes de grands opéras, dont chacun comporte ses héros, ses « traîtres », un « père noble » ou un grand prêtre, ses chœurs et même ses ballets, ainsi que ses décors qui donnent l'ambiance}}<ref name="leborgne"/>. Dans son esprit, la bande dessinée se doit d'être un véritable spectacle sur papier, {{citation|tout en poses hiératiques, en coups de théâtre et en grandiloquence}}<ref name="quillien"/>. Son[[François Rivière]] compare les œuvres de Jacobs à des compositions musicales : {{citation|Comme dans la musique, [il] travaille toujours à partir d'une introduction pour ensuite donner forme à plusieurs mouvements. Or, dans ses albums, le premier mouvement est toujours très beau, et celui de ''La Marque jaune'' est éblouissant. Quand on dit qu'il a été marqué par l'opéra, ce n'est vraiment pas une légende<ref name="cahiersBD1"/>}}.

Le rythme de parution hebdomadaire des aventures de ''Blake et Mortimer'' permet à Jacobs d'adopter le mode de travail des grands [[Roman-feuilleton|feuilletonistes]] du {{s-|XIX}} et du {{s-|XX}}, laissant libre cours à des récits de grande ampleur<ref name="cahiersBD1"/>. Comme le souligne François Rivière, la série débute par {{citation|deux aventures interminables}}, d'une densité incomparable avec les standards de son époque<ref name="cahiersBD1"/>.

L'œuvre de Jacobs est marquée par la [[science-fiction]], qu'il assimile au {{citation|merveilleux moderne}}. Cependant, dans ce domaine, il n'éprouve que peu d'attraits pour le « {{lang|enanglais|[[space opera]]}} ». Sa préférence va à ce qu'il nomme le {{citation|mystère quotidien}}, que l'on côtoie à chaque instant sans s'en rendre compte<ref name="leborgne"/> : en d'autres termes, les {{citation|petits moments de mystère qui font basculer la banalité du quotidien dans une atmosphère fantastique}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=21}}. Ses aventures se rapprochent donc du [[fantastique]] et abordent {{citation|l'inexplicable présent}} où se retrouvent {{citation|[les] phénomènes qui déconcertent en attendant d'être analysés, décryptés et catalogués comme le furent auparavant l'électricité, le magnétisme, la radio-activité, etc<ref name="leborgne"/>.}}
 
Pour autant, la fantaisie des récits n'exclut pas leur réalisme et {{nobr|Edgar P. Jacobs}} les construit à partir d'une abondante documentation à propos des grandes découvertes scientifiques de son époque et des interrogations qu'elles suscitent<ref name="granier">{{Chapitre|auteur1=Frédéric Granier|titre chapitre=De la science à la fiction|titre ouvrage={{harvsp|id=Geo|texte=Blake et Mortimer, deux aventuriers dans l'histoire}}|passage=62-77}}.</ref>.
 
{{nobr|Edgar P. Jacobs}} se démarque également des autres auteurs de son époque, en particulier [[Hergé]], par sa conception même de la bande dessinée et notamment la réception de celle-ci auprès du jeune lectorat. Dans un entretien accordé à [[François Rivière]] en 1971, il explique : {{citation|[J]e n'ai jamais écrit en pensant à un enfant, mais plutôt au jeune homme que j'étais. Je cherche toujours à me faire plaisir, parce que je suis plus exigeant avec moi-même que les autres. Le grand secret, c'est de conserver la spontanéité de sa jeunesse le plus longtemps possible : c'est ça qui permet de faire des histoires pour les jeunes}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=194-195}}.}} Il ajoute : {{citation|On ne peut pas tricher avec les jeunes lecteurs : ils sentent quand on fait des choses pour leur faire plaisir. Certains éditeurs se croient par exemple obligés, pour faire un succès, de publier des histoires mettant en scène des héros jeunes. L'enfant ne réclame pas ça ! […] Les jeunes d'aujourd'hui savent qu'aucun enfant de leur âge ne pourrait accomplir pareils exploits !{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=194-195}}}} De fait, François Rivière estime que Jacobs a permis d'amener la bande dessinée {{citation|à sortir de la nurserie et des cours de récréation grâce à des personnages adultes et des intrigues plus sombres qu'à l'accoutumée<ref name="cahiersBD1"/>}}.
 
=== Influences ===
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Pour Jacobs, l'écriture occupe une place majeure dans la construction de son œuvre et l'auteur rédige longuement son scénario avant d'aboutir à un [[storyboard]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=150-153}}, si bien que, pour [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]], {{citation|la bande dessinée, dans l'esprit de Jacobs, consiste d'abord en une forme de littérature où l'image n'est que la dernière étape d'un long processus de création{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=150-153}}.}}
 
L'apport de [[Jacques Van Melkebeke]] dans la construction du scénario est essentiel mais non décisif. À partir du thème général et du point de départ du récit décidé par Jacobs, les discussions menées par les deux amis permettent à l'auteur d'échafauder l'intrigue. Mais, si Van Melkebeke apporte ses suggestions, c'est bien Jacobs qui, en dernier lieu, décide du scénario{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=150-153}}. Selon [[Benoît Mouchart]], pour qui il semble difficile de démêler l'influence de Van Melkebeke sur le travail de Jacobs, tant les deux hommes sont comme {{citation|des sortes de jumeaux}}, {{citation|l'auteur soumettait à son ami des désirs d'images, et Van Melkebeke l'aidait à trouver une structure narrative à ses récits}}<ref name="cahiersBD2">{{chapitre|auteur=[[Nicolas Tellop]]|titre=Entretien avec Benoît Mouchart|titre ouvrage={{harvsp|id=cahiers|texte=La Marque Jaune, le chef-d'œuvre de Blake et Mortimer}}|année=2020|p=6-10}}.</ref>. Le rôle de Van Melkebeke se bornes'apparente donc à celui d'un [[script doctor]], comme il le reconnaît lui-même en 1979 dans un entretien avec le journaliste Daniel Fano : {{citation|Je ne veux pas nier ce travail , mais je ne tiens pas à me gonfler en prétendant avoir joué un rôle qui n'a jamais été le mien. Ce n'est pas de la modestie, c'est de l'honnêteté. Un scénariste occasionnel comme moi se modèle forcément en fonction de l'esprit du dessinateur. […] Jacobs est vraiment l'auteur de ''[[Blake et Mortimer]]'' ; il a toujours l'idée générale, qu'il rédige en [[synopsis]]. Ma présence se situe au moment où son histoire est déjà jetée dans les grandes lignes. Je ne lui donne que des suggestions et, quand je lui livre un prédécoupage, il retient l'esprit des situations et des dialogues pour se les approprier complètement{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=150-153}}.}}
 
Jacobs multiplie donc les cahiers de synopsis, les découpages graphiques et les croquis préparatoires avant d'entamer la réalisation graphique de ses aventures. De même, le dessin n'a pour lui rien de spontané : il s'impose la superposition de calques pour trouver la composition graphique la plus expressive et ainsi la reporter sur le [[crayonné]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=153-154}}. Il s'assure parfois de l'impact de ses images en les projetant sur les murs de son atelier à l'aide d'un [[Épiscope (optique)|épiscope]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=153-154}}. Le découpage retenu par l'auteur ne subit guère de modifications, sauf pour améliorer le tempo du récit, un élément essentiel pour lui{{sfn|Rivière ''et alii'' 1973|p=29-36}}. Malgré sa maîtrise du trait et l'attention qu'il porte au moindre détail, la mise en image du récit est pour l'auteur la tâche la plus ingrate de son travail, comme le rapporte [[Albert Weinberg]], qui fut son assistant sur ''[[Le Mystère de la Grande Pyramide]]'' : {{citation|Je crois que le dessin était une forme de souffrance pour lui. Je ne suis pas sûr qu'il prenait un plaisir sensuel à mettre en image ses scénarios}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=153-154}}.
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==== Le fétichisme du détail ====
{{citation bloc|Il était d'une exigence envers lui-même qui n'a jamais cessé de me surprendre. J'étais plus approximatif que lui et je m'émerveillais d'une telle patience, d'un tel scrupule dans le travail…|[[Hergé]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Numa Sadoul]]|titre=Entretiens avec Hergé|lieu=Tournai|éditeur=[[Casterman]]|année=1989|passage=137-138|isbn=}}.</ref>}}.
Dans l'esprit d'Edgar P. Jacobs, {{citation|pour être crédible, pour parler au lecteur, la bande dessinée de science-fiction doit être fortement branchée sur le réel}}{{sfn|Le Gallo|1984|gr=b|p=82}}. Cette obsession du détail authentique le conduit à multiplier les recherches, les déplacements sur le terrain et les rencontres avec des scientifiques, tout en accumulant une riche documentation sur le sujet qu'il entend traiter. Contrairement à d'autres dessinateurs de son époque, Jacobs ne s'inspire pas seulement du document choisi mais le recopie minutieusement en utilisant le plus souvent la technique du quadrillage pour reporter pas à pas les différents éléments de l'image<ref name="cahiers secrets">{{chapitre|auteur=[[Vincent Bernière]]|titre=Les petits secrets de la Marque jaune|titre ouvrage={{harvsp|id=cahiers|texte=La Marque Jaune, le chef-d'œuvre de Blake et Mortimer}}|année=2020|p=112-123}}.</ref>. [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]] considèrent que le {{citation|fétichisme du détail}} dont il fait preuve constitue l'apport principal d'Edgar P. Jacobs à la bande dessinée belge{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=41-49}}. Cette inclination trouve probablement son origine dans les travaux d'illustrations que l'auteur réalisait avant la [[Seconde Guerre mondiale]] pour les catalogues des Grands Magasins de la Bourse{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=41-49}}. Pour satisfaire à cette exigence d'authenticité, Jacobs s'appuie systématiquement sur des photographies ou des croquis de décors existants, comme le rappelle le professeur d'université Benoît Grevisse : {{citation|Partageant avec [[Hergé]] le rôle de figure tutélaire de la [[ligne claire]] et d’un certain réalisme, Jacobs avait également en commun avec le père de [[Les Aventures de Tintin|Tintin]] un souci presque maniaque du détail référentiel réaliste}}<ref name="grevisse">{{article|auteur=Benoît Grevisse|titre=Le mystère de la grande Pyramide ou le fantastique discret d’Edgar P. Jacobs|sous-titre=Référents historiques et vecteur du regard|périodique=Textyles|numéro=10|année=1993|titre numéro=Fantastiqueurs|pages=193-203|lire en ligne=https://journals.openedition.org/textyles/1917}}.</ref>.
 
L'écrivain [[Jean-Paul Dubois]], prenant l'exemple de ''[[La Marque jaune]]'', estime que cette précision du détail est au service de l'univers [[fantastique]] que le dessinateur met en place, dans la mesure où elle renforce la ligne de rupture entre le réel et l’étrange : {{citation|Les vues ressemblent à la réalité, nous permettent d’identifier les lieux. Mais elles fonctionnent avant tout comme des images-signes, chargées d’un sens extraordinairement puissant. Le [[Londres]] quotidien a disparu, pour faire place à l’univers imaginaire jacobsien. C’est ce qui rend d’ailleurs à proprement parler [[fantastique]] un récit comme ''La Marque jaune'' : la normalité et les éléments science-fictionnels s’y interpénètrent intimement. Ce fonctionnement, Jacobs le mettra en œuvre dans à peu près tous ses récits.{{sfn|Dubois|1989|p=69}}}}
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Les aventures conçues par Edgar P. Jacobs commencent parfois par un [[Prologue (littérature)|prologue]] qui résume des évènements qui ne sont pas rappelés dans la suite du récit. Cela permet à l'auteur {{citation|d'évacuer des scènes d'exposition qu'il juge embarrassantes et inutiles}}, comme l'expliquent [[Benoît Mouchart]] et [[François Rivière]]{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=81}}. Selon Claude Le Gallo, les récitatifs qui abondent dans son œuvre sont indispensables dans sa conception de la bande dessinée{{sfn|Le Gallo|1984|gr=b|p=147}} et participent à la mise en place d'une atmosphère mystérieuse et déstabilisante pour le lecteur{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=228-231}}. Il s'agit de la partie la moins bien comprise du travail de l'auteur, car certains n'y voient qu'une redondance par rapport au dessin ou la trace d'un didactisme inutile<ref name="soumois"/>. Mais pour François Rivière, les récitatifs créent souvent une soudure essentielle entre deux cases dont l'enchainement ne serait pas compréhensible avec le dessin. De plus, ils empêchent le regard du lecteur de sauter trop rapidement d'une case à l'autre, comme une invitation à savourer la {{citation|composition complexe}} de chaque dessin{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=187-188}}.
 
Comme le rappelle Stéphane Thomas, le didactisme de Jacobs et le caractère imposant de certaines explications technico-scientifiques ou historiques données par les personnages sont liés à une volonté pédagogique assumée de l'auteur. À la différence de certains de ses confrères, il ne s'adressait pas seulement à des enfants, mais aussi à des adolescents ou à des adultes{{sfn|Thomas|2012|p=54}} : {{citation|[I]l n'y a rien de plus vexant, quand on est enfant, que de se faire interpeller « jeune homme ». Je me rappelle avoir été furieux à cause de ça, en tant que jeune lecteur ! J'évite donc de faire des babillages et je m'adresse à eux comme j'aurais aimé qu'on s'adresse à moi{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=194-195}}}}. Par ailleurs, Benoît Mouchart et François Rivière relèvent qu'Edgar P. Jacobs s'exprime {{citation|dans une langue conservatrice, parfois ampoulée mais généralement débarrassée de tout belgicisme}}. Pour lui comme pour [[Hergé]], la suppression de tout élément régionaliste est nécessaire dans la mesure où ils s'adressent à un public français largement plus nombreux que le public belge{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=228-231}}. L'utilisation d'un ton professoral est l'une des critiques les plus souvent formulées à l'auteur<ref name="soumois"/>.
 
=== Thèmes récurrents ===
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Tout comme son biographe [[François Rivière]]<ref group="dbd">[[François Rivière]] (propos recueillis par Frédéric Bosser), « ''Témoignage : Edgard et moi'' ».</ref>, l'écrivain et commissaire d'exposition [[Thierry Bellefroid]] qualifie Edgar P. Jacobs de visionnaire : {{citation|En avance sur son temps […] et toujours en recherche}}<ref name="bellefroid"/>. Cet aspect est présent dès la naissance de la série. Selon Claude Le Gallo, dans ''[[Le Secret de l'Espadon]]'', l'auteur {{citation|fait preuve de qualité de graphiste visionnaire}}{{sfn|Le Gallo|1984|gr=b|p=38}}. Son Espadon, avion à réaction submersible et supersonique, trouve un écho quelques années plus tard : en 1952, soit six ans après le début de son aventure, le [[Douglas X-3 Stiletto]], premier avion à fuselage effilé, est lancé aux États-Unis<ref name="invetions">{{chapitre|titre chapitre=Les inventions|titre ouvrage={{harvsp|id=Geo2|texte=Les voyages de Blake et Mortimer}}|passage=94-100}}.</ref>.
 
Pour ''[[Le Mystère de la Grande Pyramide]]'', l'auteur choisit de situer l'action sur le plateau de [[Gizeh]] et imagine l'existence d'une chambre secrète au cœur de la [[pyramide de Khéops]]. En cela, il décide de ne pas suivre les conseils de l'égyptologue [[Pierre Gilbert (égyptologue)|Pierre Gilbert]], qui l'assure que le plateau, fouillé depuis des siècles, ne recèle plus aucun secret. Pour autant, quatre ans après la rédaction de cette aventure, des archéologues découvrent sur le plateau, à quinze mètres sous le sable, l'une des barques solaires de [[Khéops]]. D'autres découvertes sur le site ont lieu dans les décennies suivantes. Ainsi, en 2016 et 2017, une amorce de couloir puis une vaste cavité sont découvertes au cœur de la pyramide par la mission scientifique franco-égyptienne [[Scanpyramids|ScanPyramids]]<ref>{{Chapitre|auteur1=Daniel Couvreur|titre chapitre=À l'ombre des pyramides|titre ouvrage={{harvsp|id=Geo|texte=Blake et Mortimer, deux aventuriers dans l'histoire}}|passage=52-61}}.</ref>{{,}}<ref name="khéops">{{Article |auteur1=Pierre Barthélémy |titre=Pyramide de Khéops : détection d’une grande cavité inconnue au cœur de l’édifice |périodique=Le Monde |date=2 novembre 2017 |lire en ligne=https://www.lemonde.fr/archeologie/article/2017/11/02/detection-d-une-grande-cavite-inconnue-au-c-ur-de-la-pyramide-de-kheops_5209258_1650751.html }}.</ref>{{,}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=170-171}}.
 
==== L'empreinte des sciences ====
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[[Fichier:19111103 - Excelsior - Page 1.jpg|vignette|gauche|alt=Une de journal montrant un personnage de type asiatique recouvrant la carte de l'Europe et enserrant des personnages entre des ongles pareils à des serpents.|Une du quotidien ''[[Excelsior (journal)|Excelsior]]'' en 1911 illustrant la menace du « [[Péril jaune]] ».]]
L'écrivain et journaliste [[Daniel Riche]] affirme que le choix de héros [[Royaume-Uni|britanniques]] n'a rien d'anodin de la part d'Edgar Jacobs, qu'il décrit comme un {{citation|conservateur}} pour qui la culture [[États-Unis|américaine]], qui déferle sur l'Europe dès la fin de la [[Seconde Guerre mondiale]], est fondée sur {{citation|des valeurs matérielles, donc forcément aliénantes}} qui symbolise {{citation|un changement voué à favoriser le désordre, ne pouvait que susciter méfiance et hostilité}}. De fait, pour Edgar P. Jacobs, le Royaume-Uni offre un visage rassurant, car ce pays concilie d'une part {{citation|la tradition de la monarchie et le libéralisme du système politique}}, et représente d'autre parpart le monde libre, {{citation|responsable de la chute de l'oppresseur nazi}} et donc {{citation|l'ultime espoir de la civilisation occidentale face aux assauts des barbares de tous poils}}. Autrement dit, le Royaume-Uni apparaît pour l'auteur comme {{citation|une sorte de Belgique magnifiée qui n'aurait pas eu à subir les humiliations de la défaite et de l'occupation, un refuge pour la civilisation (occidentale, cela va sans dire) et un recours contre le désordre issu du changement et de la modernité}}<ref name="riche">{{article|auteur=[[Daniel Riche]]|titre=Subversion et empire|sous-titre=Jacobs : une guerre trop loin|périodique=Otrante|éditeur=[[Éditions Kimé|Kimé]]|numéro=13|titre numéro=Fantastique et Bande Dessinée|pages=85-94|mois=mars|année=2003|isbn=2-84174-305-5|lire en ligne=http://www.imageandnarrative.be/inarchive/fantastiquebd/danielriche.htm}}.</ref>.
 
Blake et Mortimer, comme figés dans le temps, incarnent unune image presque fantasmée d'une nation en pleine mutation et de ce qu'elle fut jadis. À l'époque où se déroulent leurs aventures, des {{nobr|années 1950}} aux {{nobr|années 1960}}, la puissance britannique se délite face à la montée des nationalismes dans ses colonies et à l'hégémonie grandissante des États-Unis au sein du bloc occidental. De même, la société britannique évolue, et l'émergence d'une certaine contre-culture n'est pas évoquée dans la série<ref>{{chapitre|titre chapitre=And Gove save the Queen !|titre ouvrage={{harvsp|id=Geo2|texte=Les voyages de Blake et Mortimer}}|passage=21-23}}.</ref>.
 
Si le Royaume-Uni est présenté de manière idéalisée, à l'inverse, {{nobr|Edgar P. Jacobs}} offre une vision très négative de l'[[Extrême-Orient]] dans ''Le Secret de l'Espadon'', qui mêle aux souvenirs encore très présents de la [[Seconde Guerre mondiale]] la menace du « [[Péril jaune]] », une peur ancienne et très ancrée dans la culture occidentale depuis le début du {{s-|XX}}<ref>{{article|auteur=[[Georges-Henri Soutou]]|titre=Le Secret de l’Espadon : perceptions idéologiques et géopolitiques prémonitoires entre le {{s mini-|XX}} et le {{s-|XXI}}|périodique=Stratégique|année=2017/2|numéro=115|pages=21-36|lire en ligne=https://www.cairn.info/revue-strategique-2017-2-page-21.htm}}.</ref>{{,}}<ref name="péril jaune" group="his">{{chapitre|auteur=François Pavé|titre chapitre=Le péril jaune, histoire d'une peur blanche|titre ouvrage={{Harvsp|id=Historia2014|texte=Les personnages de Blake et Mortimer dans l'histoire}}|passage=26-31}}.</ref>. À cette époque, la menace d'une invasion militaire venue d'Extrême-Orient, renforcée par le [[Guerre russo-japonaise|conflit russo-japonais]] entre 1904 et 1905, devient une source d'inspiration pour de nombreux auteurs de fiction dont les récits nourrissent les lectures d'enfance de Jacobs<ref name="péril jaune" group="his"/>.
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=== Une reconnaissance tardive ===
Si le travail d'Edgar P. Jacobs, qui figure selon Geert De Weyer parmi les trois grands de l'[[École de Bruxelles (bande dessinée)|École de Bruxelles]] avec [[Hergé]] et [[Jacques Martin (auteur)|Jacques Martin]]{{sfn|De Weyer|2015|gr=d|p=54}}, est salué dès ses premières aventures, il souffre comme d'autres auteurs du manque de reconnaissance de la bande dessinée, longtemps déconsidérée. Elle connaît cependant une première forme de consécration vers la fin des {{nobr|années 1960}}. Une première exposition consacrée au « neuvième art » est organisée du {{date-|29 juin}} au {{date-|25 août 1968}} à la [[Bibliothèque royale de Belgique|Bibliothèque royale Albert {{Ier}}]]. Le catalogue en est rédigé par [[Jean Van Hamme]] et présente Edgar Jacobs comme l'une des références de la bande dessinée belge{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=291-292}}. Des clubs d'amateurs de bande dessinée se créent en France comme en Belgique et des fanzines sont éditées{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=298-303}}. Comme l'écrit [[Hergé]], {{citation|Le temps du dédain semble révolu. Les gens « sérieux » reconnaissent eux-mêmes, aujourd'hui, dans la bande dessinée, un langage nouveau, un moyen d'expression autonome<ref group="cbd">[[Hergé]], « ''Hommage à Edgar P. Jacobs'' ».</ref>}}.
 
[[François Rivière]] estime que peu d'auteurs contemporains de Jacobs ont témoigné de l'admiration pour son travail, ce qui l'affectait beaucoup. Pour autant, [[Hergé]] considérait ''Le Secret de l'Espadon'' comme un chef-d'œuvre devant servir de modèle aux collaborateurs du magazine ''[[Tintin (périodique)|Tintin]]'', et [[Michel Greg]] comme [[André Franquin]] le tenaient en haute estime, ce dernier considérant les dessins de Jacobs comme {{citation|des images inoubliables}}<ref name="cahiersBD1"/>.
 
En 1969, un supplément aux ''[[Les Cahiers de la bande dessinée|Cahiers de la bande dessinée]]'' rassemble la cinquantaine d'illustrations de ''[[La Guerre des mondes]]'' réalisées par Edgar Jacobs pour les premiers numéros du magazine ''[[Tintin (magazine)|Tintin]]'', accompagnées d'un texte de présentation intitulé « Edgar P. Jacobs ou la logique des rêves », préfacé par Hergé lui-même qui rend hommage à son ancien collaborateur et ami{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=298-303}}. L'année suivante, les journalistes du ''[[Le Figaro|Figaro]]'', Pierre Lebedel et Michel Daubert, se rendent à Bruxelles pour y rencontrer trois auteurs reconnus comme des « classiques » de la bande dessinée belge : Hergé, [[Michel Greg]] et Edgar Jacobs. Leurs articles sont publiés le {{date-|22 août 1970}} et contribuent à faire sortir la bande dessinée du ghetto de la presse enfantine dans lequel elle était enfermée jusqu'alors aux yeux des médias<ref>{{Ouvrage|auteur1=Pierre Lebedel|titre=Le secret d'un « opéra »|sous-titre=Séance publique du 15 janvier 2005 : La marque d'Edgar P. Jacobs|lieu=Bruxelles|éditeur=[[Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique]]|année=2005|isbn=|lire en ligne=http://www.arllfb.be/ebibliotheque/seancespubliques/15012005/lebedel.pdf}}.</ref>.
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Au fil des ans, une mésentente se fait jour entre Claude Lefrancq, propriétaire des [[Éditions Blake et Mortimer]], et Philippe Biermé qui possède le Studio Jacobs, détenteur des droits d'exploitation de l'œuvre. Les éditions [[Dargaud]], sous l'impulsion de leur directeur général [[Claude de Saint-Vincent]], rachètent finalement les deux sociétés en 1992 et décident de poursuivre la série ''[[Blake et Mortimer]]'' en lançant une nouvelle production. [[Jean Van Hamme]] est choisi pour le scénario et Ted Benoit pour le dessin. Ce nouvel album, intitulé ''[[L'Affaire Francis Blake]]'', est largement inspiré par le graphisme de ''[[La Marque jaune]]'', et développe une aventure teintée d'espionnage située en Angleterre dans les {{nobr|années 1950}}<ref group="dbd">Claude de Saint Vincent, ''« Les dessous de la reprise : Blake et Mortimer revival'' ».</ref>{{,}}{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=353-357}}.
 
Plusieurs équipes de scénaristes et de dessinateurs se succèdent et travaillent en alternance à la production de nouvelles aventures, au point qu'il y aita davantage d'albums de ''Blake et Mortimer'' imaginés par de nouveaux auteurs que par Edgar P. Jacobs lui-même{{sfn|Mouchart|Rivière|2021|gr=a|p=353-357}}.
 
La décision de poursuivre la série après la mort de son créateur soulève des critiques que rejette l'un des nouveaux scénaristes, [[Yves Sente]] : {{citation|Ce n'est pas parce qu'on imagine une suite qu'on touche au corpus original. Je me souviens de ma frustration, enfant, de savoir qu'il n'y aurait pas de nouvelles aventures de ''[[Les Aventures de Tintin|Tintin]]''. […] C'est pourquoi, quand je conçois un ''Blake et Mortimer'', je prolonge un plaisir d'enfance. Je réalise l'album « en plus » que j'aurais aimé lire<ref>{{chapitre|auteur=Frédéric Granier|titre chapitre=Un entretien avec le scénariste de Blake et Mortimer|titre ouvrage={{harvsp|id=Geo|texte=Deux aventuriers dans l'histoire}}|passage=118-125}}.</ref>.}}
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==== Articles et revues ====
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Vincent Bernière]]|responsabilité1=rédacteur en chef|et al.=oui|titre=Blake et Mortimer face aux grands mystères de l'humanité|sous-titre=Histoire, mythes, civilisations…|éditeur=[[Beaux Arts Magazine]]|mois=juin|année=2015|isbn=9791020401854|pages totales=144|id=beaux arts}}.
* {{Article|langue=fr|auteur=Collectif|titre=Edgar P. Jacobs|périodique=Schtroumpf - Les Cahiers de la bande dessinée|lien périodique=Les Cahiers de la bande dessinée|éditeur=[[Glénat]]|date={{3e}} trimestre 1976|numéro=30|id= Schtroumpf-1976-30}}.
* {{article|langue=fr|nom=Collectif|titre=Blake et Mortimer face aux démons de la science|périodique=[[Science et Vie]]|année=2003|mois=novembre|numéro=17|pages totales=146|asin=B004PJ6BQ4}}.
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* {{Ouvrage|langue=fr|nom1=Collectif|titre=Blake et Mortimer mythes et conséquences|volume=Hors série {{n°|18}}|éditeur=[[DBD (périodique)|dBD]]|année=2016|mois=décembre|jour=5|isbn=|issn=1951-4050|ean=978-2376030157|lire en ligne=http://www.dbdmag.fr/dbdpresse/numeros/detail/271.html|id=dDB18}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Collectif|titre=Blake et Mortimer|sous-titre=Deux aventuriers dans l'histoire|éditeur=[[Prisma Media|Prisma]]|collection=[[Geo (magazine)|Geo]]|année=2020|mois=octobre|pages totales=128|isbn=978-2-8104-2948-6|id=Geo|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Collectif|titre=La Marque jaune|sous-titre=Le chef-d'œuvre de Blake et Mortimer|éditeur=Les Cahiers de la BD|lien éditeur=Les Cahiers de la bande dessinée|mois=novembre|année=2020|pages totales=128|isbn=979-1096119400|id=cahiers}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Collectif|titre=Les voyages de Blake et Mortimer|sous-titre=Deux aventuriers à travers le monde|éditeur=[[Prisma Media|Prisma]]|collection=[[Geo (magazine)|Geo]]|année=2022|mois=novembre|pages totales=144|isbn=978-2-8104-3733-7|id=Geo2}}.
* {{Chapitre|langue=fr|prénom1=Alain|nom1=Corbellari|titre chapitre=Jacobs à la croisée des chemins|sous-titre chapitre=de ''Flash Gordon'' à l'invention d'un style|auteurs ouvrage= Marc Atallah et Alain Boillat (dir.)|titre ouvrage=BD-US|sous-titre ouvrage=les ''{{lang|en|comics}}'' vus par l'Europe|lieu=[[Gollion]]|éditeur=Infolio|année=2016|pages totales=171|isbn=978-2-88474-824-7|passage=23-40}}.
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=== Liens externes ===
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{{DEFAULTSORTCLEDETRI:Jacobs, Edgar P.}}
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[[Catégorie:Naissance en mars 1904]]
[[Catégorie:Naissance à Bruxelles au XXe siècle]]
[[Catégorie:Décès en février 1987]]
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[[Catégorie:Naissance en mars 1904]]
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