« Jean Racine » : différence entre les versions

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{{Semi-protection longue}}
{{voir homonymes|Racine}}
{{Infobox Biographie2
| charte = écrivain
| nom = Jean Racine
| image = Portrait de Jean Racine d'après Jean-Baptiste Santerre.jpg
| légende = Portrait de Racine, d'après [[Jean-Baptiste Santerre]]<br> (Versailles, {{s-|XVII}}).
| nom de naissance =
| surnom =
| activités = [[Dramaturge]], [[historiographe]], [[Poète]]
| date de naissance = {{Date|22|décembre|1639}}
| lieu de naissance = [[La Ferté-Milon]], [[Picardie]], <br>{{France monarchie}}
| date de décès = {{Date|21|avril|1699}} (à 59 ans)
| lieu de décès = [[Paris]], {{France monarchie}}
| langue sépulture = [[françaisÉglise Saint-Étienne-du-Mont]]
| mouvementlangue = [[classicismefrançais]]
| genre mouvement = [[tragédie]] essentiellement, [[comédieClassicisme]]
| formation = [[Lycée Saint-Louis]]<br>[[Collège de Beauvais]]
| adjectifs dérivés = « [[wikt:racinien|Racinien]] »
| maître = [[Antoine Le Maistre]], [[Claude Lancelot]], [[Pierre Nicole]], [[Jean Hamon (médecin)|Jean Hamon]]
| œuvres principales =
| enfant = [[Jean-Baptiste Racine]]<br>[[Louis Racine]]
* ''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'', 1667
| genre = [[tragédie]] essentiellement, [[comédie]]
| adjectifs dérivés = « [[wikt:racinien|Racinien]] »
| date de baptême = {{date|22|décembre|1639}}
| membre de = [[Académie française]] {{Petit|(1672-1699)}}<br>[[Académie des inscriptions et belles-lettres]] {{Petit|(1683-1699)}}
| œuvres principales = * ''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'', 1667
* ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'', 1669
* ''[[Bérénice (Racine)|Bérénice]]'', 1670
* ''[[Iphigénie (Racine)|Iphigénie]]'', 1674
* ''[[Phèdre (Racine)|Phèdre]]'', 1677
| complément =
| signature = Racine signature 29933.jpg
}}
 
'''Jean Racine''', né le {{date de naissance|22 décembre 1639}} à [[La Ferté-Milon]]<ref>{{Lien web |titre=Jean Racine |url=https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jean_Racine/140142 |site=Larousse}}</ref> et mort le {{date de décès|21 avril 1699}} à [[Paris]], est un [[dramaturge]] et [[poète]] [[France|français]].
 
Issu d'une famille de petits notables de [[la Ferté-Milon]] et tôt orphelin, Racine reçoit auprès des [[Solitaires (Port-Royal)|« Solitaires » de Port-Royal]] une éducation littéraire et religieuse rare. Se détournant d'une carrière ecclésiastique, il entreprend, jeune, de faire une carrière des [[Littérature|lettres]]<ref>L’histoire sociale de la littérature a souvent vu en Racine un premier archétype de celui qui fait carrière et métier des lettres, par lesquelles ce modeste Picard trouve richesse, renommée, et une ascension sociale certaine. L’écriture devenant un « métier », tout du moins un champ autonome, s’éloigne de la gratuité que lui attribuait ''l’otium'' humaniste. Voir [[Raymond Picard]], ''La Carrière de Jean Racine'', Paris, Gallimard, 1961 ; [[Alain Viala]], ''Naissance de l'écrivain. Sociologie de la littérature à l'âge classique'', Paris : Ed. de Minuit, 1985 ; ''Racine, la stratégie du caméleon'', Paris, Seghers, 1990.</ref>, en privilégiant la poésie et le théâtre tragique. Le succès d’''[[Alexandre le Grand (Racine)|Alexandre le Grand]]'', en 1665, lui confère une solide réputation et lui apporte le soutien du jeune roi {{souverain2|Louis XIV}}. ''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'', en 1667, ouvre une décennie de grandes créations qui voit, à côté d'une unique [[comédie]] (''[[Les Plaideurs]]'', 1668), représentées les sept [[tragédie]]s consacrées par l’historiographie comme ses plus remarquables : ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'' (1669), ''[[Bérénice (Racine)|Bérénice]]'' (1670), ''[[Bajazet]]'' (1672), ''[[Mithridate (Racine)|Mithridate]]'' (1673), ''[[Iphigénie (Racine)|Iphigénie]]'' (1674) et ''[[Phèdre (Racine)|Phèdre]]'' (1677). La « tristesse majestueuse<ref>Préface de ''Bérénice''. Racine'', Théâtre I'', Paris, Garnier-Flammarion, 1964, {{p.|377}}.</ref> » de ces pièces épurées rompant avec l’[[héroïsme]] [[Théâtre baroque|baroque]] fait la renommée du dramaturge et divise profondément le public français, dont une partie défend la tragédie [[Pierre Corneille|cornélienne]]. Le succès populaire, les querelles critiques, l'appui du roi et les faveurs à la cour de [[Madame de Montespan|{{Mme}} de Montespan]] entraînent une ascension sociale et économique fulgurante de l'auteur : élu à l'[[Académie française]] en 1672, anobli en 1674, Racine abandonne en 1677 le « métier de poésie » pour briguer le « glorieux emploi<ref>Les deux formules sont de [[Étienne Boileau|Boileau]], promu en même temps que Racine à l'emploi d'historiographe (Boileau, ''Œuvres complètes'', Paris, Gallimard, 1966, ''[[Bibliothèque de la Pléiade]]'', {{t.|1}}, {{p.|857}})</ref> » d'[[Historiographe de France|historiographe du roi]]. Devenu l'un des [[courtisan]]s proches du [[Louis XIV|Roi-Soleil]], il ne délaisse son travail d'historien que pour donner, à la demande de [[Madame de Maintenon|{{Mme}} de Maintenon]], deux tragédies [[Bible|bibliques]] aux jeunes filles de [[Maison royale de Saint-Louis|Saint-Cyr]] : ''[[Esther (Racine)|Esther]]'' (1689) et ''[[Athalie (Racine)|Athalie]]'' (1691), et pour écrire en secret un ''[[Abrégé de l'histoire de Port-Royal]]'', retrouvé et publié après sa mort. Le vaste travail historique auquel il consacre la majeure partie de ses vingt dernières années, l'histoire de {{souverain-|Louis XIV}}, disparaît entièrement dans l'incendie de la maison de son successeur, [[Jean-Baptiste-Henri de Valincour|Valincour]].
 
L'œuvre de Racine passe pour avoir amené la [[Théâtre classique|tragédie classique]] à son « accomplissement » et son « harmonie<ref>[[Paul Bénichou]], « RACINE (J.) ». In Universalis éducation [en ligne]. ''[[Encyclopædia Universalis]]'', consulté le {{date-|1er août 2017}}</ref> ». L'économie du propos, la rigueur de la construction (situation de crise menée à son [[acmé]]), la maîtrise de l'[[alexandrin]] et la profondeur de l'analyse psychologique ont élevé le ''corpus'' racinien au rang de modèle classique. Par son respect strict des [[Règles du théâtre classique|unités de temps, de lieu et d'action]], Racine refuse la primauté, la densité et l'héroïsme de l'action propres aux tragédies de [[Pierre Corneille]], auquel il est souvent opposé. Il lui préfère un épurement de l'intrigue (parfois extrême, en particulier dans ''[[Bérénice (Racine)|Bérénice]]'') et l'intensité psychologique. Abandonnant le ton [[Discours épidictique|glorieux]] et moral du théâtre du début du {{s|XVII}}, Racine soumet la vertu politique et la [[raison d'État]], chères à Corneille, sous les contingences passionnelles. La passion soumet et détruit ses personnages tout-puissants (rois, empereurs, princesses) qui tentent en vain de lutter contre elle, perdant le sens du devoir jusqu'à la déraison ou la mort. Les passions, parmi lesquelles l'amour prime, sont le fondement du tragique racinien en ce qu'ils sont les instruments du [[Fatalisme|destin]]. L'amour racinien suit en ordre général la structure du [[triangle amoureux]], inexorable et cruel pour chacun des partis. Le fondement de ce tragique relève à ce titre de la confrontation de la démesure et de la déraison des passions avec l'humilité de la [[finitude]] des mortels. Les tragédies de Racine se fondent sur la conjonction de la crainte et de la pitié (les deux émotions fondamentales du [[Tragédie antique|théâtre antique]]<ref>Aristote, ''[[Poétique (Aristote)|Poétique]]'', Paris, [[Les Belles Lettres]], 2002, 1449, {{p.|24-28}}.</ref>) ; la critique a souvent estimé que le dramaturge a ainsi cherché à associer la [[prédestination]] [[Jansénisme|janséniste]] et le [[Fatum (philosophie)|fatum]] [[Théâtre grec antique|antique]]. Consacré par la [[Critique littéraire|critique]] comme l'un des plus grands auteurs français de [[tragédie]]s, il est l'un des trois dramaturges majeurs, avec [[Pierre Corneille|Corneille]] et [[Molière]], de la période [[Classicisme|classique]] en [[Royaume de France|France]]. Aujourd'hui, il compte parmi les auteurs les plus joués à la [[Comédie-Française]] et dans le pays, et figure parmi les grandes références de la littérature universelle<ref>{{fr}} [http://www.comedie-francaise.fr/histoire-et-patrimoine?id=525 Auteurs et répertoires]&nbsp;– Official site of the Comédie Française.</ref>{{,}}<ref>{{Article |auteur1=Nathalie Simon |titre=Les auteurs les plus joués au théâtre |périodique=[[Le Figaro]] |date=27-11-2008 |lire en ligne=http://www.lefigaro.fr/theatre/2008/11/27/03003-20081127ARTFIG00484-les-auteurs-les-plus-joues-au-theatre-.php |accès url=libre |consulté le=15-09-2020}}.</ref>.
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=== L'enfant de Port-Royal (1639-1659) ===
==== L'orphelin de La Ferté-Milon ====
Le [[Société d'Ancien Régime|rang social]] de la famille Racine a fait l'objet de débats vigoureux, rendus d'autant plus sibyllins que le poète a lui-même alimenté les légendes sur ses origines{{sfn|Georges Forestier|2006|p=24-28}}. L'idée que la [[noblesse]] familiale est ancienne et fondée sur le service militaire a été formulée par Racine à la fin de sa vie. Dans un témoignage de moralité de 1696, le poète a laissé entendre que son père et son grand-père ont porté les armes avant de se voir accorder des charges. Cette information n'est vérifiée par aucune source, n'est jamais apparue avant ce témoignage tardif et est douteuse<ref>{{harvsp|Forestier|2006|p=27}} ; Louis Vaunois 1964, {{p.|33}}</ref>, maisjamais apparue avant ce témoignage tardif et . qui n'est vérifiée par aucune source, a parfois été reprise par les biographes<ref>. En particulier, avec beaucoup d'influence, par [[Louis Moréri]], ''Grand Dictionnaire historique, ou Le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane'', notice "Racine".</ref>. À l'inverse, la modestie de l'[[origine sociale]] du poète a parfois été exagérée, ou bien pour l'attaquer, ou bien pour souligner le caractère exceptionnel de son parcours<ref>. Une telle vision misérabiliste de l'origine sociale de Racine est encore celle d'Alain Viala, qui a été critiqué (notamment par Georges Forestier), pour avoir exagéré la pauvreté du jeune homme. Il décrit par exemple ainsi la famille proche de Jean : "Ces bourgeois rêvaient, comme tous leurs semblables, de pouvoir s'élever jusqu'à graviter dans la sphère des nobles. Mais bourgeois ils étaient, et petits, à l'échelle de leur bourg. Et en était un tout petit, ce jeune homme tout pauvre". (Alain Viala 1990, {{p.|32}}). Une telle vision lui permet de mettre en valeur la fulgurantefulgurance de la trajectoire sociale du poète qui, de ce bas de l'échelle sociale, arrive par mimétisme de l'''[[Habitus (sociologie)|habitus]]'' des classes dominantes, à se faire une place dans celles-ci.</ref> (une phrase de [[Nicolas Boileau|Boileau]] fait de Racine le « fils d'une espèce de fermier »{{sfn|Picard|1956|p=358}}{{,}}{{sfn|Georges Forestier|2006|p=28}}{{Référence à confirmer}}).
 
La famille de Racine est ancrée dans les emplois bourgeois de [[la Ferté-Milon]], alors bourgade sans grande envergure<ref>Alain Viala 1990, {{p.|25-26}}.</ref>. Elle est en particulier liée au [[grenier à sel]], unité économique centrale qui assure le recouvrement de la [[Gabelle du sel|gabelle]] et la répartition d'une denrée précieuse. La famille maternelle, les Sconin, forment une [[dynastie]] d'officiers [[gabelous]], la famille paternelle, une autre de greffiers<ref name=":1">Alain Viala 1990, {{p.|11}}. Sur l'ascendance de Jean Racine, voir les quatre premiers chapitres de {{harvsp|Vaunois|1964|p=13-35}} qui synthétisent les documents disponibles sur le sujet</ref>. Si leur noblesse réelle est incertaine, voire imaginaire{{sfn|Forestier|2006|p=25}}, les Racine adoptent au début du {{s|XVII}} un signe extérieur de noblesse, en prenant des [[Héraldique|armoiries]] choisies sous le principe du [[rébus]] [[Patronyme|patronymique]] (les armes parlantes montrent un ''rat'' et un ''cygne''){{sfn|Forestier|2006|p=25-26}}{{,}}. Ces armoiries sont peintes sur les vitres de la maison que Jean Racine grand-père fait édifier en 1622{{sfn|Forestier|2006|p=25}}{{,}}<ref>Alain Viala 1990, {{p.|32}}.</ref>. Il apparaît également que ses membres ont cherché à simuler un ''ethos'' nobiliaire{{sfn|Forestier|2006|p=26}} ; le poète en particulier, s'adresse d'abord à sa sœur célibataire sous le nom de « Madame Marie Racine » mais, une fois que celle-ci a dérogé en épousant un roturier, M. Rivière, ne la nomme plus que « Mademoiselle Rivière ». Le [[milieu social]] d'origine de Jean Racine peut être décrit comme celui d'une « bourgeoisie de village »{{sfn|Viala|1990|p=32}}, qui exerce un pouvoir social et économique certain, mais relatif à l'échelle d'une petite bourgade ; si la famille nucléaire de Racine semble en outre plus modeste, elle est soutenue par des familles élargies aisées et localement puissantes<ref>{{harv|Forestier|2006|p=29, 37}}.</ref>.[[Fichier:Musee jean racine.jpg|vignette|La maison des Racine à [[la Ferté-Milon]], où Jean vit de 1643 à 1649 (aujourd'hui Musée Jean Racine).]]Jean Racine naît le {{date-|22 décembre 1639}}<ref name=":2">Un doute existe quant à la date exacte de la naissance de Racine. De nombreux biographes placent sa naissance au {{date- |21 décembre 1639}} ({{harvsp|Viala|1990|p=32}}), d'autres au {{date-|22 décembre}} ({{harvsp|Racine|1747}}, {{harvsp|Vaunois|1964|p=37-38}}) fondant en cela les dates de naissance et de baptême. Il y a même désaccord entre deux des fils de Racine, l'un (Louis Racine), donnant dans la première édition des ''Mémoires'', la date du {{date-|21 décembre}}, puis se ravisant dans la deuxième pour celle du {{date-|22 décembre}} ; l'autre (Jean-Baptiste Racine, qui a guidé [[Louis Moréri]] dans la rédaction de la notice "Racine" de son dictionnaire) est certain d'une naissance le {{date-|21 décembre}}. En réalité, n'a été conservé pour Racine que l'acte de baptême, daté du {{date-|22 décembre}} (cité dans {{harvsp|Picard|1956|p=1}} ; acte original conservé au Musée Jean Racine de la Ferté-Milon et copié aux [[Archives départementales de l'Aisne]] (AD Aisne), 1 Mi 709). La date du {{date-|21 décembre}} est toutefois entrée dans la culture collective : la [[Comédie-Française|Comédie française]] fête l'anniversaire de Racine le {{date-|21 décembre}}.</ref> à La Ferté-Milon<ref>On ignore toutefois l'emplacement de sa maison natale ; seulement sait-on que l'enfant est baptisé à l'église Saint-Vaast, et ainsi que la première maison des Racine devait se situer dans le faubourg Saint-Vaast, en dehors des murs de la ville ({{harvsp|Forestier|2006|p=30}}). Les recherches les plus érudites, quoiqu'aporétiques, sur le lieu de naissance de Racine sont données par Louis Vaunois 1964, {{p.|39-49}}.</ref> premier enfant de Jean Racine et de Jeanne Sconin, mariés le {{date-|13 septembre 1638}}. Son père est procureur tiers référendaire<ref>Un procureur tiers référendaire est un officier de justice appelé en tiers pour régler entre les parties les conflits concernant la taxe des frais de justice. Louis Vaunois 1964, {{p.|58}}.</ref> au bailliage et greffier du grenier à sel{{sfn|Forestier|2006|p=28}}{{,}}{{sfn|Viala|1990|p=32}}{{,}}{{sfn|Vaunois|1964|p=33}}, postes modestes, mais certainement provisoires dans l'attente de la charge de son propre père{{sfn|Forestier|2006|p=28-29}}. Sa mère est la fille de Pierre Sconin, plus important personnage de la ville, dans le même temps procureur du roi à la maîtrise des eaux et forêts du [[duché de Valois]], président du grenier à sel, et durant quelques années échevin-gouverneur de la ville{{sfn|Forestier|2006|p=29}}. L'enfant Jean Racine est rapidement placé en nourrice, selon l'usage. Le deuxième enfant du couple, Marie, naît le {{date-|21 janvier 1641}} ; Jeanne Sconin meurt des suites des couches le {{date-|29 janvier}}{{sfn|Viala|1990|p=33}}{{,}}<ref>{{harvsp|Raymond Picard|1956|p=2}} ; Louis Vaunois 1964, {{p.|51-52}}. Acte d'inhumation conservé aux AD Aisne, 5Mi1209, fol. 95.</ref>. Le père, Jean, se remarie le {{date-|4 novembre 1642}} avec Madeleine Vol<ref>AD Aisne, 5Mi1209, fol. 125. Par coïncidence, Madeleine Vol a dans sa parenté Marie Héricart, épouse d'un autre littérateur, [[Jean de La Fontaine]] (Louis Vaunois 1964, {{p.|54}}).</ref>, mais meurt peu de temps après, le {{date-|6 février 1643}}, à vingt-huit ans<ref>AD Aisne, 5Mi1209, fol. 157.</ref>. Jean et Marie Racine se trouvent tôt orphelins. Ils sont dès lors élevés séparément : la seconde est recueillie par les grands-parents Sconin, le premier par les Racine (les maisons des deux familles étant toutefois presque voisines). La précarité de la jeunesse de Racine est moins liée à son origine sociale qu'à son orphelinage, qui arrête soudainement la trajectoire sociale de la famille<ref>Il est en revanche moins probable, au minimum moins visible, que la disparition précoce de ses parents ait eu des conséquences psychologiques véritables : l'enfant Jean Racine n'a qu'« à peine entrevus ({{harvsp|Forestier|2006|p=28}}) » ses parents, n'a guère connu durant cet âge tendre que sa nourrice et n'a jamais vécu chez la famille Racine. En outre, la correspondance du poète à la fin du {{s-|XVII}} suggère que Racine ne connaissait pas, à quarante-huit ans, la date de mort de ses parents, et n'a commencé à montrer quelque intérêts pour ces derniers que très tardivement ({{Référence harvsp|Forestier|2006|p=30-31}}).</ref>.
 
Jean Racine naît le {{date-|22 décembre 1639}}<ref name=":2">Un doute existe quant à la date exacte de la naissance de Racine. De nombreux biographes placent sa naissance au {{date- |21 décembre 1639}} ({{harvsp|Viala|1990|p=32}}), d'autres au {{date-|22 décembre}} ({{harvsp|Racine|1747}}, {{harvsp|Vaunois|1964|p=37-38}}) fondant en cela les dates de naissance et de baptême. Il y a même désaccord entre deux des fils de Racine, l'un (Louis Racine), donnant dans la première édition des ''Mémoires'', la date du {{date-|21 décembre}}, puis se ravisant dans la deuxième pour celle du {{date-|22 décembre}} ; l'autre (Jean-Baptiste Racine, qui a guidé [[Louis Moréri]] dans la rédaction de la notice "Racine" de son dictionnaire) est certain d'une naissance le {{date-|21 décembre}}. En réalité, n'a été conservé pour Racine que l'acte de baptême, daté du {{date-|22 décembre}} (cité dans {{harvsp|Picard|1956|p=1}} ; acte original conservé au Musée Jean Racine de la Ferté-Milon et copié aux [[Archives départementales de l'Aisne]] (AD Aisne), 1 Mi 709). La date du {{date-|21 décembre}} est toutefois entrée dans la culture collective : la [[Comédie-Française|Comédie française]] fête l'anniversaire de Racine le {{date-|21 décembre}}.</ref> à La Ferté-Milon<ref>. On ignore toutefois l'emplacement de sa maison natale ; seulement sait-on que l'enfant est baptisé à l'[[Église Saint-Vaast de La Ferté-Milon|église Saint-Vaast]], et ainsi que la première maison des Racine devait se situer dans le faubourg Saint-Vaast, en dehors des murs de la ville ({{harvsp|Forestier|2006|p=30}}). Les recherches les plus érudites, quoiqu'aporétiques, sur le lieu de naissance de Racine sont données par Louis Vaunois 1964, {{p.|39-49}}.</ref> premier enfant de Jean Racine et de Jeanne Sconin, mariés le {{date-|13 septembre 1638}}. Son père est procureur tiers référendaire<ref>Un procureur tiers référendaire est un officier de justice appelé en tiers pour régler entre les parties les conflits concernant la taxe des frais de justice. Louis Vaunois 1964, {{p.|58}}.</ref> au bailliage et greffier du grenier à sel{{sfn|Forestier|2006|p=28}}{{,}}{{sfn|Viala|1990|p=32}}{{,}}{{sfn|Vaunois|1964|p=33}}, postes modestes, mais certainement provisoires dans l'attente de la charge de son propre père{{sfn|Forestier|2006|p=28-29}}. Sa mère est la fille de Pierre Sconin, plus important personnage de la ville, dans le même temps procureur du roi à la maîtrise des eaux et forêts du [[duché de Valois]], président du grenier à sel, et durant quelques années échevin-gouverneur de la ville{{sfn|Forestier|2006|p=29}}. L'enfant Jean Racine est rapidement placé en nourrice, selon l'usage. Le deuxième enfant du couple, Marie, naît le {{date-|21 janvier 1641}} ; Jeanne Sconin meurt des suites des couches le {{date-|29 janvier}}{{sfn|Viala|1990|p=33}}{{,}}<ref>{{harvsp|Raymond Picard|1956|p=2}} ; Louis Vaunois 1964, {{p.|51-52}}. Acte d'inhumation conservé aux AD Aisne, 5Mi1209, fol. 95.</ref>. Le père, Jean, se remarie le {{date-|4 novembre 1642}} avec Madeleine Vol<ref>AD Aisne, 5Mi1209, fol. 125. Par coïncidence, Madeleine Vol a dans sa parenté Marie Héricart, épouse d'un autre littérateur, [[Jean de La Fontaine]] (Louis Vaunois 1964, {{p.|54}}).</ref>, mais meurt peu de temps après, le {{date-|6 février 1643}}, à vingt-huit ans<ref>AD Aisne, 5Mi1209, fol. 157.</ref>. Jean et Marie Racine se trouvent tôt orphelins. Ils sont dès lors élevés séparément : la seconde est recueillie par les grands-parents Sconin, le premier par les Racine (les maisons des deux familles étant toutefois presque voisines). La précarité de la jeunesse de Racine est moins liée à son origine sociale qu'à son orphelinage, qui arrête soudainement la trajectoire sociale de la famille<ref>. Il est en revanche moins probable, au minimum moins visible, que la disparition précoce de ses parents ait eu des conséquences psychologiques véritables : l'enfant Jean Racine n'a qu'« à peine entrevu ({{harvsp|Forestier|2006|p=28}}) » ses parents, n'a guère connu durant cet âge tendre que sa nourrice et n'a jamais vécu chez la famille Racine. En outre, la correspondance du poète à la fin du {{s-|XVII}} suggère que Racine ne connaissait pas, à quarante-huit ans, la date de mort de ses parents, et n'a commencé à montrer quelque intérêt pour ces derniers que très tardivement ({{Référence harvsp|Forestier|2006|p=30-31}}).</ref>.
Jean vit chez son grand-père paternel (nommé Jean Racine) de 1643 à 1649. Durant cette période, il grandit avec ses quatre tantes et oncles, encore jeunes. Il n'existe aucune source sur cette période de l'enfance, qui est interprétée par [[Alain Viala]]{{sfn|Viala|1990|p=33-35}} comme une expérience du vide après la perte des parents, et l'apprentissage d'un ordre social strict rappelant à l'enfant la précarité de sa situation nouvelle d'« obligé » permanent, son « peu d'existence »{{sfn|Viala|1990|p=34}}. Outre sa nourrice Marguerite<ref>Racine garde un attachement à sa nourrice Marguerite. Il semble lui avoir versé sa vie durant une petite rente chaque mois, ce qu'il mentionne dans une lettre de 1697. Elle figure encore au premier rang des recommandations de son testament de 1685. Voir à ce sujet Georges Forestier 2006, {{p.|30-31}} et Louis Vaunois 1964, {{p.|50-51}}.</ref>, Jean est élevé par sa tante Agnès Racine (qui semble lui avoir fourni une éducation religieuse), et sa grand-mère Maris Des Moulins-Racine, qui l'incorpore tout à fait dans l'éducation de ses propres enfants<ref>Jean n'a que huit ans de différence avec la plus jeune de ses tantes, Anne ({{harvsp|Forestier|2006|p=31}}).</ref>, et que Jean appelle « ma mère »<ref>Louis Vaunois 1964, {{p.|70-71}}.</ref>. En {{date-|septembre 1649}}, le grand-père Jean Racine meurt à son tour<ref>Acte d'inhumation du 22 septembre 1649, AD Aisne, 5Mi1209, fol. 202.</ref>. L'enfant devient alors légalement pupille de son autre grand-père, Pierre Sconin, tutelle parfois négligée par l'[[historiographie]]<ref>Alain Viala néglige tout à fait cet acte, et est en cela férocement critiqué par Georges Forestier ({{harvsp|Forestier|2006|p=35}}), qui pose comme caduque et psychologiste la thèse « caméléonesque » de la carrière de Racine à la lumière de cette tutelle, qui semble mettre à l'abri l'enfant de la dépendance entière au monastère de Port-Royal, élément fondamental de l'argumentation de Viala. Voir aussi Louis Vaunois 1964, {{p.|95}}.</ref>. Il semble toutefois bien que ce dernier grand-père, quoiqu'assez distant, joue un rôle important dans l'éducation de l'enfant : Jean n'est jamais un orphelin tout à fait abandonné{{sfn|Forestier|2006|p=35-37}}.
 
Jean vit chez son grand-père paternel (nommé Jean Racine) de 1643 à 1649. Durant cette période, il grandit avec ses quatre tantes et oncles, encore jeunes. Il n'existe aucune source sur cette période de l'enfance, qui est interprétée par [[Alain Viala]]{{sfn|Viala|1990|p=33-35}} comme une expérience du vide après la perte des parents, et l'apprentissage d'un ordre social strict rappelant à l'enfant la précarité de sa situation nouvelle d'« obligé » permanent, son « peu d'existence »{{sfn|Viala|1990|p=34}}. Outre sa nourrice Marguerite<ref>RacineIl garde un attachement à sa nourrice Marguerite. Il semble qu'il lui avoirait versé sa vie durant une petite rente chaque mois, ce qu'il mentionne dans une lettre de 1697. Elle figure encore au premier rang des recommandations de son testament de 1685. <ref>Voir à ce sujet Georges Forestier 2006, {{p.|30-31}} et Louis Vaunois 1964, {{p.|50-51}}.</ref>,. Jean est élevé par sa tante Agnès Racine (qui semble lui avoir fourni une éducation religieuse), et sa grand-mère Maris Des Moulins-Racine, qui l'incorpore tout à fait dans l'éducation de ses propres enfants<ref> : Jean n'a que huit ans de différence avec la plus jeune de ses tantes, Anne ({{harvsp|Forestier|2006|p=31}}).</ref>, et que Jean appelle « ma mère »<ref>Louis Vaunois 1964, {{p.|70-71}}.</ref>. En {{date-|septembre 1649}}, le grand-père Jean Racine meurt à son tour<ref>Acte d'inhumation du 22 septembre 1649, AD Aisne, 5Mi1209, fol. 202.</ref>. L'enfant devient alors légalement pupille de son autre grand-père, Pierre Sconin, tutelle parfois négligée par l'[[historiographie]]<ref>. Alain Viala néglige tout à fait cet acte, et est en cela férocement critiqué par Georges Forestier ({{harvsp|Forestier|2006|p=35}}), qui pose comme caduque et psychologiste la thèse « caméléonesque » de la carrière de Racine à la lumière de cette tutelle, qui semble mettre à l'abri l'enfant de la dépendance entière au monastère de Port-Royal, élément fondamental de l'argumentation de Viala. Voir aussi Louis Vaunois 1964, {{p.|95}}.</ref>. Il semble toutefois bien que ce dernier grand-père, quoiqu'assez distant, joue un rôle important dans l'éducation de l'enfant : Jean n'est jamais un orphelin tout à fait abandonné{{sfn|Forestier|2006|p=35-37}}.
 
==== L'attrait de Port-Royal ====
Si Racine est un enfant de [[la Ferté-Milon]], il n'a pas conservé d'attachement fort à sa ville natale{{sfn|Forestier|2006|p=37-38}}, {{quoi|ni celle-ci, pendant longtemps, elle a la mémoire du poète}}<ref>.La commune de la Ferté-Milon ne conserva aucune trace patrimoniale de son illustre enfant avant [[c:File:Statue_racine_jean.jpg|la statue de David d'Angers]] au {{s-|XIX}}. (Georges Forestier 2006, {{p.|23}})</ref>. La raison de cette distance tient dans la place qu'occupe [[Port-Royal des Champs|Port-Royal-des-Champs]] dans sa jeunesse. Dans sa propre mémoire<ref>Racine ne se séparera jamais de ses cahiers d'écoliers ni des ouvrages étudiés à Port-Royal, toujours conservés à la BnF (Manuscrits français 12886-12891).</ref> comme dans l'imaginaire collectif, la vie de Racine est fortement liée à l'abbaye, où il reçoit l'essentiel de son éducation et dont l'empreinte culturelle et spirituelle est visible jusqu'à sa mort.
 
Si le passage de Racine aux [[Petites écoles de Port-Royal|Petites écoles]] a souvent passé pour l'effet d'une chance unique qui élève l'enfant bien au-dessus de son milieu social, il trouve une explication simple dans l'histoire familiale. La famille Racine-Des Moulins est socialement très liée à [[Port-Royal des Champs|Port-Royal]]. En 1625, Suzanne Des Moulins, grand-tante maternelle de Jean, se fait religieuse et rejoint le [[Abbaye de Port-Royal de Paris|couvent parisien de Port-Royal]], alors régi par [[Angélique Arnauld (religieuse)|Angélique Arnauld]]<ref>Alain Viala 1990, {{p.|27}} ; Louis Vaunois 1964, {{p.|76-77}}.</ref>. Les Arnauld possèdent des terres à [[Pomponne (Seine-et-Marne)|Pomponne]], près de la Ferté-Milon, et sont à ce titre proches des notables de la région. C'est par ce lien social, non doctrinal, qu'il vient logiquement à l'idée de Suzanne Des Moulins, se destinant à la religion, de s'en remettre à une connaissance, en la personne d'Angélique, pour l'éducation de son petit-neveu. Il se trouve concomitant que cette abbaye suit un vaste mouvement de réforme, influencé en doctrine par le rigorisme de [[Jean Duvergier de Hauranne|Saint-Cyran]]. Ce mouvement alors naissant, auquel on donnera plus tard une unité sous le nom de « [[jansénisme]] », ne peut pas alors être pensé comme hétérodoxe, rebelle, voire hérétique, comme il peut être qualifié plus tard{{sfn|Forestier|2006|p=46-47}}. Il s'agit alors en pratique d'appliquer avec rigueur les normes de la vie régulière (en particulier la [[Clôture religieuse|clôture]]), en doctrine (qui ne concerne guère que les théologiens) de chercher un élan vers Dieu (la [[Grâce efficace]]) par l'austérité des fidèles, dans une conception anthropologique pessimiste héritée de [[Augustin d'Hippone|Saint Augustin]]<ref>{{harvsp|Forestier|2006|p=46-49}}. Voir également les pages [[Jansénisme]] et [[Augustinisme]].</ref>. Mais Port-Royal est alors avant tout une institution parmi d'autres{{sfn|Forestier|2006|p=49}}, avec pour seule particularité de proposer une éducation plus réputée.
 
Suzanne Des Moulins reste jusqu'à sa mort l'intendante de toute l'abbaye de Paris{{sfn|Forestier|2006|p=49-50}}. Par son biais, Port-Royal exerce un attrait sur toute la famille. Dans les années 1620, Anne Passart, belle-sœur de Suzanne, s'y retire également<ref>Louis Vaunois 1964, {{p.|76}}.</ref>. En 1637, Saint-Cyran demande à son successeur, [[Antoine Singlin]], de choisir les trois premiers élèves des [[Petites écoles de Port-Royal|Petites écoles]] : parmi ceux-ci se trouve Nicolas Vitart, cousin de Racine<ref>Louis Vaunois 1964, {{p.|76-77}}.</ref>. En 1646, la tante de ce dernier, Agnès Racine, entre au couvent de Port-Royal, où elle a peut-être aussi reçu plus tôt son éducation<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|36}} ; Louis Vaunois 1964, {{p.|61-62, 79}}.</ref>. Agnès entre sans apporter de dot, probablement en raison de l'engagement de sa famille à l'abbaye{{sfn|Forestier|2006|p=51}}. Marie Des Moulins, grand-mère de Jean, s'installe encore à Port-Royal-des-Champs, comme aide à l'entretien du monastère, probablement en 1651<ref>. Celui-ci accueillait, par charité, des laïcs souhaitant se retirer du monde séculier, contre une aide matérielle à l'entretien et au ménage du lieu. Marie Des Moulins, qui n'est pas religieuse, bénéficie du logement, de la pitance, d'une place aux prières à l'abbaye contre ses services. Pour Alain Viala, qui souligne l'aspect contingent de l'arrivée de Racine à l'abbaye, il s'agit d'un "échange" et d'un "arrangement" ({{harvsp|Viala|1990|p=35-36}}) rare, voire unique, ce qui lui permet d'appuyer la thèse de l'exceptionnalité du parcours de Racine, pauvre orphelin qui trouve par hasard une place dans la meilleure institution d'éducation de France, qui lui donnera le capital culturel, sa seule richesse, lui permettant de faire fortune des lettres. Cette vision est aujourd'hui critiquée, pour la simple raison que ce type d'échange de services entre un laïc et l'abbaye s'avère très courant, et est même l'une des raisons de l'attrait de Port-Royal à son apogée. Le parcours de Marie Des Moulins, et au-delà de Racine, est en cela beaucoup moins étonnant que la critique l'a parfois souligné, et s'inscrit dans des procédés d'échanges conventionnels (voir {{harvsp|Forestier|2006|p=30-33 et 41}}). L'historiographie a en outre souvent décrit en Marie Des Moulins une femme faible, apeurée, effacée, se réfugiant au monastère après la mort de son mari en 1649 (cette vision est encore celle d'Alain Vial 1990, {{p.|35-36}}). Les biographes les plus récents ont toutefois relevé que cette vision, qui se fonde sur un billet rédigé par Angélique Arnaud demandant à [[Antoine Le Maistre]] de traiter avec douceur la vieille dame pour ne pas l'effrayer davantage, est fausse et généralise au personnage un trait conjoncturel (ce billet concerne l'arrivée à l'abbaye de Marie, probablement très intimidée par la stature de Le Maistre). Il n'y a aucune autre occurrence d'une quelconque faiblesse du service de Marie Des Moulins durant les onze années qu'elle passe à l'abbaye, et celle-ci a probablement un rôle fondamental et durable dans l'entrée et les études de son petit-fils à Port-Royal. En outre, il semble que Marie ne soit arrivée qu'à la fin de l'année 1651 (plusieurs années après la mort de son mari), et ne soit pas accueillie par charité (elle paie, comme les autres laïques, une pension).</ref>. Ces éléments permettent de mettre en cause une vision misérabiliste de l'arrivée de Racine à Port-Royal : la famille n'est pas réduite à la dernière nécessité, et ne cherche pas à Port-Royal la seule charité<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|55}}. Il est difficile de suivre Alain Viala, pour qui Racine entre à Port-Royal par un heureux concours de circonstance quand {{citation|sa famille éclate}} (1990, {{p.|35}}), et par la charité de l'abbaye, qui donne au jeune homme la conscience d'être {{citation|en trop}}, et le besoin de s'adapter aux normes pour prouver sa valeur et légitimer sa seule existence.</ref>. En tout état de cause, avant l'entrée de Racine aux Petites écoles, sa famille est pénétrée de l'influence pieuse de Port-Royal, et il semble logique pour elle de s'en remettre pour l'éducation de Jean à une abbaye si proche, en même temps que si réputée.
 
Un élément conjoncturel rapproche encore la ville de la Ferté-Milon de Port-Royal après 1638. La tension entre Saint-Cyran et le [[Armand Jean du Plessis de Richelieu|cardinal de Richelieu]], inquiet de l'attrait que suscite le premier, est d'abord d'ordre politique, et aboutit en {{date-|mai 1638}} à l'emprisonnement du théologien. Parce que Saint-Cyran est lié à Port-Royal et que la famille Arnauld s'intéresse à ses projets réformateurs, l'abbaye est tôt associée comme la pensée [[Augustinisme|augustinienne]], et est mise sous surveillance en 1638. Pour s'éloigner de ces tensions, les [[Solitaires (Port-Royal)|Solitaires]] partent de Paris. Trois d'entre eux, [[Antoine Le Maistre]], [[Louis-Isaac Lemaistre de Sacy|Isaac Le Maistre de Sacy]] et [[Claude Lancelot]], arrivent à La Ferté-Milon, hébergés par la famille Vitart, cousins des Racine<ref>Louis Vaunois 1964, {{p.|77-78}}.</ref>. Tous trois sont liés à la famille Arnauld qui se trouve ainsi dans une relation de clientèle avec les Vitart. À la réouverture des Petites écoles à la fin de l'année 1639, les Vitart s'installent aussi à Paris, protégés par la famille Arnauld et le couvent. Les trois Solitaires laissent une empreinte et une influence durable à la Ferté-Milon, dont les notables nourrissent un attrait durable pour Port-Royal<ref>Louis Vaunois 1964, {{p.|78}}.</ref>.
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L'enseignement des Petites écoles est alors radicalement différent de celui des [[Collège (Moyen Âge)|collèges]] réguliers, et marque profondément Racine. Astreints à un régime quotidien sévère, les élèves sont réunis par groupes de six sous l'égide d'un maître (au nombre de quatre en 1646) qui ne quitte jamais, ni le jour ni la nuit, ses pensionnaires<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|61-63}} ; Alain Viala 1990, {{p.|37}}.</ref>. Le maître a pour vocation la surveillance et l'éducation du groupe, mais aussi sa conduite spirituelle et une bienveillance paternelle (les châtiments corporels, au centre du système éducatif jésuite, sont extrêmement rares à Port-Royal). Il exerce ainsi une forte et durable influence sur les jeunes gens{{sfn|Forestier|2006|p=62, 78}}. [[Pierre Nicole]] a peut-être été le maître de Racine, quoiqu'il n'y ait, par manque de sources, aucune assurance sur ce point<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|62}}. Louis Racine affirme positivement que Nicole est le maître de son père à Port-Royal, mais l'affirmation n'est pas autrement vérifiée.</ref>. Il bénéficie des enseignements de Nicole, [[Claude Lancelot]], [[Antoine Le Maistre]], [[Jean Hamon (médecin)|Jean Hamon]]<ref>Alain Viala 1990, {{p.|38}}.</ref>.
 
La pédagogie de Port-Royal rompt également en contenu avec celle des collèges, innovant en particulier dans deux domaines : l'enseignement des langues et le rapport aux textes anciens. Le français est, en premier lieu, la langue unique d'éducation. Les élèves apprennent à lire, écrire, composer, formuler leurs pensées directement en français plutôt que par la médiation du latin ; l'enseignement du [[latin]] même se fait en et à partir du français<ref>[[Claude Lancelot]] publie en 1644 une ''Nouvelle méthode latine'' profitant de ces nouvelles méthodes. {{harvsp|Forestier|2006|p=65}}</ref>. Il est possible que ce rapport révolutionnaire à la langue, en particulier à la langue française, soit l'un des fondements de la modernité de la langue racinienne, immédiatement pensée et versifiée dans la syntaxe française, par opposition à la langue « latinisante » de [[Pierre Corneille|Corneille]]<ref>Gilles Declercq. « La formation rhétorique de Jean Racine », ''Jean Racine, 1699-1999. Actes du colloque Île-de-France, La Ferté Milon, 25-{{date-|30 mai 1999}}. ''Presses Universitaires de France, 2004, {{p.|257-29}} ; Alain Viala 1990, {{p.|38}}.</ref>. Une autre particularité de l'enseignement linguistique de Port-Royal est l'apprentissage du [[Grec ancien|grec]], alors extrêmement rare<ref>L'enseignement du grec suit les mêmes méthodes que celui du latin ; Claude Lancelot adaptant même son ouvrage didactique au grec sous le titre ''Nouvelle méthode pour apprendre facilement la langue grecque'' (1955). {{Référence harvsp|Forestier|2006|p=65-66}}</ref>. Racine est ainsi l'un des seuls élèves de son temps à connaître avec érudition le grec, capacité épistémique qu'il mettra à profit comme dramaturge, privilégiant les sujets et les historiens grecs, jusqu'alors méconnus du théâtre français. Il profite également d'enseignements en [[Langue vernaculaire|langues vernaculaires]], maîtrisant l'[[italien]] et l'[[espagnol]]<ref>. Lancelot publie également des méthodes pour ces deux langues en 1660. {{harvsp|Forestier|2006|p=66}}.</ref>. À la faveur de son éducation, Racine possède le savoir, alors singulier et remarquable, de cinq langues : Port-Royal offre au garçon un capital intellectuel unique.
 
Le rapport au texte ancien n'est pas non plus sans influence sur l'élève. Quand les ouvrages antiques servent dans l'enseignement jésuite à développer à partir d'eux des leçons morales par amplifications ou à collectionner des [[Topos (littérature)|topoï]] rhétoriques, ils sont à Port-Royal le support d'une explication visant à dérouler la pensée de l'auteur et la structure logique. Les élèves doivent chercher à comprendre plutôt qu'à simplement copier, à former leur jugement plutôt que leur seul style<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|67}} ; Alain Viala 1990, {{p.|38}}.</ref>. En cela, non seulement Racine lit les auteurs grecs dans le texte quand ses contemporains se contentent de traductions, mais il cherche encore à en saisir les substructions logiques, quand d'autres dramaturges ne les abordent que par mimétisme stylistique. La primauté donnée au français permet aux élèves de réunir dans une seule langue les outils cognitifs autrement partagés entre plusieurs chez les [[Compagnie de Jésus|Jésuites]]{{sfn|Forestier|2006|p=69}}.
 
L'éducation de l'abbaye vise encore à donner à l'élève une forme de politesse. Le but de l'éducation des écoles est d'amener l'élève à la « civilité chrétienne », ''ethos'' de l'amour d'autrui, opposée à la civilité mondaine qui vise la séduction des autres pour le seul amour de soi{{sfn|Forestier|2006|p=63}}. Cette civilité est atteinte à la fois par un savoir hors-norme, acquis par une austère étude, et l'humilité de l'élève. Certains biographes ont mis en lumière le rôle de cet ''ethos'' port-royalien dans la réussite sociale de Racine, qui sait, au long de sa vie, plaire, séduire par sa circonspection et se fondre dans les milieux mondains{{sfn|Forestier|2006|p=70-71}}. Racine, toutefois, ne suit qu'en partie cet idéal de civilité chrétienne ; quand les lettres sont pour les maîtres de l'abbaye un moyen d'arriver à une vertu chrétienne et jamais une fin<ref>. Ils sont en particulier opposés à la lecture du théâtre, de la poésie, des ouvrages de fiction, en ce que ceux-ci visent le plaisir plutôt que l'utilité. Ces lectures sont toutefois nécessaires pour l'apprentissage de la langue et de la civilité, plaçant certains maîtres dans une contradiction âprement débattus à l'abbaye. {{harvsp|Forestier|2006|p=69-72}}</ref>, elles semblent avoir été lues et retenues avec plaisir par le futur poète, en cela « heureuse victime »<ref>{{harvsp|Forestier|2006|p=72}} ; l'idée est aussi émise par Alain Viala 1990, {{p.|40}}.</ref> des contradictions de la formation.
 
Racine vit à Port-Royal-de-Paris durant [[Fronde (histoire)|la Fronde]]. Les troubles touchent particulièrement la communauté : l'abbaye des Champs est abandonnée entre {{date-|avril 1652}} et {{date-|mars 1653}}, les religieuses rejoignant celle de Paris, les [[Solitaires (Port-Royal)|Solitaires]] le [[château de Vaumurier]]. Les affrontements entre loyalistes (dont font partie les gens de Port-Royal) et frondeurs agitent le quartier, les élèves y prenant part. Durant l'un d'entre eux, Jean est blessé au front par la pierre d'une [[Fronde (arme)|fronde]], blessure dont il gardera cicatrice sa vie durant. Il est alors présenté comme modèle de bravoure loyaliste par le supérieur des Petites écoles{{sfn|Forestier|2006|p=73-75}}.
 
À la rentrée 1653, le garçon est envoyé au collège Pastour de [[Beauvais]]<ref>Alain Viala 1990, {{p.|39}}.</ref>. Ce départ est d'abord circonstanciel : l'établissement parisien de Port-Royal ferme cette même année, et les Petites écoles rejoignent le monastère des Champs. Les élèves sont alors répartis, durant l'été, dans plusieurs propriétés des alentours de l'abbaye : seul Jean est envoyé dans une autre institution. Ce transfert singulier semble être lié à Pierre Sconin, grand-père et tuteur de l'enfant, sur lequel le choix de l'établissement repose ''in fine''. Son fils Antoine Sconin, durant une décennie prieur claustral à l'abbaye de Saint-Quentin de Beauvais, lui a vraisemblablement suggéré le choix du collège de Beauvais{{sfn|Forestier|2006|p=76-78}}. Jean fait là sa classe d'humanités (seconde) et de rhétorique (première). Ce séjour n'a laissé que peu de traces archivistiques, mais est sans doute mal vécu par l'enfant de Port-Royal qu'est Jean, le système pédagogique des collèges étant autrementbien moins protecteur que celui des Petites écoles{{sfn|Forestier|2006|p=79}}.
 
==== À Port-Royal-des-Champs et au [[collège d'Harcourt]] (1655-1659) ====
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Le {{date-|1 octobre 1655}}, Racine quitte Beauvais pour réintégrer les Petites écoles, désormais situées à [[Port-Royal des Champs|Port-Royal-des-Champs]]<ref>Alain Viala 1990, {{p.|39-40}}.</ref>. Les raisons de ce nouveau déplacement ne sont pas claires : selon toute vraisemblance, l'écolier aurait dû finir ses classes à Beauvais. La présence de Nicolas Vitart, cousin de Jean et proche de la famille Sconin, au [[château de Vaumurier]] auprès des [[Solitaires (Port-Royal)|Solitaires]], et, au monastère, d'[[Antoine Le Maistre|Antoine le Maistre]], que Pierre Sconin avait fréquenté lors de l'exil de l'avocat à la Ferté-Milon en 1638 et 1639, ont probablement poussé le grand-père et tuteur de l'enfant à accepter ce retour à Port-Royal{{sfn|Forestier|2006|p=80-82}}. Jean reste deux ans aux Champs, avant d'être envoyé au [[collège d'Harcourt]] à Paris, dont le directeur était proche des jansénistes, pour accomplir ses deux classes de philosophie (logique et morale la première année, physique et métaphysique la seconde). La durée anormale de son séjour aux Champs (deux années complètes pour la seule classe de rhétorique supérieure) trouve explication dans des circonstances exceptionnelles affectant le monastère durant l'année 1656. Celle-ci correspond à l'acmé des tensions entre Port-Royal et la [[Sorbonne]] ; par la publication des différentes ''Lettres'' d'[[Antoine Arnauld (1612-1694)|Antoine Arnauld]], par celle des ''[[Les Provinciales|Provinciales]]'' de [[Blaise Pascal|Pascal]] entre {{date-|janvier 1656}} et {{date-|mars 1657}}, enfin par l'exclusion d'Arnaud de la Sorbonne. Antoine Le Maistre, qui dirige les études de Jean, se cache à Paris à partir de {{date-|janvier 1656}}. Les élèves, les maîtres, les Solitaires sont dispersés en mars de la même année. Pour ces raisons, Racine voit retarder d'un an sa classe de rhétorique supérieure.
 
De fait, arrivant aux Champs en 1655, à seize ans, Jean se trouve au cœur des vifs [[Jansénisme#Les polémiques entre jansénistes et molinistes|affrontements entre jansénistes et molinistes]], jusqu'alors discrets ou ne concernant que les seuls théologiens{{sfn|Forestier|2006|p=82-88}}. L'enseignement théologique s'intensifie, ce que montrent les annotations que l'élève laisse endans margeles marges de son édition des ''[[Vies parallèles des hommes illustres|Vies parallèles]]'' de [[Plutarque]]<ref>Jean Racine commente les passages de Plutarque en termes de « Grâce », "Grâce suffisante", etc. Cette édition est conservée à la [[Bibliothèque nationale de France]] (BnF ; cote RES-J-88). {{harvsp|Forestier|2006|p=84}}.</ref>. Il réside aux Champs quand y sont rédigées et préparées par Pascal et Arnauld les ''[[Les Provinciales|Lettres écrites à un provincial]]'', publiées par l'aide de son cousin Nicolas Vitart{{sfn|Forestier|2006|p=89}}. Le frère de ce dernier, Antoine, avec lequel Jean entame une longue correspondance versifiée{{sfn|Forestier|2006|p=90-91}}, offre un exemplaire des ''Provinciales'' au jeune élève. Jean semble avoir été très marqué par l'ouvrage, dont il mimera le style dans plusieurs de ses écrits de jeunesse<ref>Il rédigera dans le style des ''Provinciales'' ses premières lettres, les écrits dits de {{citation|la querelle des Imaginaires}} en 1666 et 1667, ainsi que les préfaces polémiques de certaines de ses tragédies. {{harvsp|Forestier|2006|p=90}}</ref>. À la suite de la publication des ''Provinciales'', la controverse théologique devient un conflit politique. Le [[Pierre Séguier|chancelier Séguier]] obtient de [[Jules Mazarin|Mazarin]] la dispersion des écoliers et des Solitaires de Port-Royal-des-Champs. Cette fermeture est achevée le {{date-|30 mars 1656}}. Jean Racine, en tant qu'élève avancé<ref>La présence d'un garçon si âgé aux écoles risquait d'être perçu comme une tentative de faire concurrence aux collèges de l'Université.</ref>, est caché par ses maîtres et logé dans les appartements de l'intendant du [[duc de Luynes]] au [[château de Vaumurier]]<ref>{{harvsp|Georges Forestier|2006|p=91-93}}. Il a parfois été avancé que la scène de l'arrestation de Junie dans ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'' (acte II, scène II) est inspiré par cette fermeture de mars 1656, ce que certains biographes, dont Forestier ({{p.|94}}), refusent toutefois.</ref>. À l'occasion de ce déménagement forcé, Antoine Le Maistre, caché à Paris, lui envoie un billet demeuré célèbre<ref>Il s'agit de l'un des seuls documents conservés nous renseignant sur la proximité de la longue relation de Racine et Antoine Le Maistre. BnF, manuscrits français 12886, fol.273 ; Raymond Picard 1956, {{p.|2}} ; Georges Forestier 2006, {{p.|93}} ; Louis Vaunois 1964, {{p.|158-159}}. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9060956f/f408.item Le billet original est numérisé et visible sur Gallica.]</ref> :{{Boîte déroulante|titre=Lettre d'Antoine Le Maistre à Jean Racine, 21 mars 1656 (BnF (Mss.), Français 12886, fol. 273)|contenu=«Pour le petit Racine à Port-Royal ; ce 21 de mars. Mon fils, je vous prie de m'envoyer au plus tôt l'Apologie des saints Pères, qui est à moi, et qui est de la première impression. Elle est reliée en veau marbré in-4°. J'ai reçu les cinq volumes de mes Conciles que vous aviez fort bien empaquetés. Je vous en remercie. Mandez-moi si tous mes livres sont au château, bien arrangés sur des tablettes, et si tous mes onze volumes de saint Chrysostome y sont, et voyez-les de temps en temps pour les nettoyer. il faudrait mettre de l'eau dans des écuelles de terre, où ils sont, afin que les souris ne les rongent pas. Faites mes recommandations à Mme Racine et à votre bonne tante, et suivez leurs conseils en tout. La jeunesse doit toujours se laisser conduire, et tâcher de ne point s'émanciper. Peut-être que Dieu nous fera revenir où vous êtes. Cependant il faut tâcher de profiter de cette persécution, et de faire qu'elle nous serve à nous détacher du monde, qui nous paraît si ennemi de la piété. Bonjour, mon cher fils. Aimez toujours votre papa comme il vous aime. Écrivez-moi de temps en temps. Envoyez-moi aussi mon Tacite in-folio. »|alignB=center|largeur=105%}}
 
[[Fichier:Antoine le Maître (Jacques Lubin).jpg|vignette|[[Antoine Le Maistre]], maître de Racine à Port-Royal.]]
 
La lettre montre la proximité des liens entre Le Maistre et Racine. Elle a fait déduire, par les biographes, que l'élève avait durant son éducation été spirituellement « adopté » par Le Maistre<ref>Il s'agit aux Petites écoles d'un procédé courant liant le maître à l'élève, mais qui semble dans ce cas autrementbien plus profond qu'à l'usage. Voir sur cette relation Louis Vaunois 1964, {{p.|97-100}}.</ref>, que Racine appelle « papa ». Au moment du départ de Le Maistre à Paris au {{date-|1 février 1656}}, leur relation est encore assez profonde pour que l'avocat nomme « son fils » conservateur de sa bibliothèque transférée au château de Vaumurier et lui demande l'envoi d'ouvrages utiles. Racine sert ainsi de relai pour les jansénistes cachés à Paris, préparant leur défense contre les attaques jésuites<ref>{{harvsp|Georges Forestier|2006|p=93}}, Alain Viala 1990, {{p.|43}}.</ref>. Selon [[Georges Forestier (professeur de littérature)|Georges Forestier]], les conseils moraux donnés à l'élève dans ce billet trahissent peut-être la crainte de Le Maistre, par la suite justifiée, que le « petit Racine » soit, à dix-sept ans, tenté par les plaisirs du monde plutôt qu'adonné à la seule piété{{sfn|Forestier|2006|p=93-94}}.
 
Après la guérison miraculeuse de [[Marguerite Périer]], la nièce de Pascal, les Solitaires sont autorisés à regagner les Champs au milieu de l'année 1656. Antoine le Maistre y revient également en août. Les Petites écoles, toutefois, restent définitivement fermées. Racine a dès lors un statut très particulier aux Champs : l'un des deux seuls élèves demeurant (le second étant [[Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont|Le Nain de Tillemont]]), il profite d'un régime de plus grande liberté, de la proximité et de la confiance des Messieurs. Il se lie, durant ces années, au jeune [[Charles-Honoré d'Albert de Luynes|marquis d'Albert]], éduqué au château de Vaumurier par Claude Lancelot, son précepteur.
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Libre, Racine entre également dans la vie mondaine. Il fréquente à partir de 1659 le petit salon que réunit le couple Vitart, mimant modestement ceux de l'[[hôtel de Rambouillet]] et de [[Madeleine de Scudéry]]. Il apprend là les normes de la conversation galante, dans laquelle il acquiert vite une belle réputation<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|127}} ; Alain Viala 1990, {{p.|51-53}}.</ref>. Il compose pour ces réunions mondaines de nombreuses chansons, madrigaux, épigrammes, selon la mode de l'époque influencée par la poésie de [[Vincent Voiture]]. Ces vers servent moins à faire œuvre de poète que de se fondre dans les codes de la sociabilité des salons et à passer pour un esprit fin{{sfn|Forestier|2006|p=128-129}}. Ils suscitent vite l'admiration de son cousin Nicolas Vitart, de l'abbé Le Vasseur, enfin de tout le cercle Vitart. Aidé de cet appui, Racine doit se sentir légitime à s'essayer plus sérieusement à la poésie et à se frayer une place dans les lettres parisiennes.
[[Fichier:La Nymphe de la Seine (...)Racine Jean btv1b8612046f.jpg|vignette|Frontispice de la ''Nymphe de la Reine à la Seyne'', première publication de Racine en 1660.]]
À la fin de l'année 1659 et au cours de l'année 1660, le jeune homme semble prendre pour projet sérieux de consacrer son temps à l'écriture et donne coup sur coup, entre d'autres vers galants, un sonnet politique, une pièce de théâtre, une [[ode]] sur le mariage du roi. En {{date|novembre 1659}}, à vingt ans, Jean Racine cherche à attirer les faveurs de [[Jules Mazarin|Mazarin]], en écrivant un sonnet, aujourd'hui perdu, célébrant la [[Traité des Pyrénées|paix des Pyrénées]]<ref>L'existence de ce premier poème, qui n'est jamais parvenu jusqu'à Mazarin est connue par une lettre de Racine à son ami l'abbé Le Vasseur, le {{date-|19 novembre 1659}}. ({{harvsp|Viala|1990|p=11-14}}). Selon [[Georges Forestier (professeur de littérature)|Georges Forestier]] toutefois, ce sonnet daterait de l'été 1660 et aurait un autre sujet que la paix des Pyrénées, contredisant dès lors les ambitions clientélistes de Racine ({{harvsp|Forestier|2006|p=123 et 136}}). La plupart des critiques garde toutefois pour plus crédible la date de 1659 et le sujet politique.</ref>. S'introduisant dans la vie mondaine littéraire, il s'agit pour le jeune Jean de se montrer et de se faire reconnaître comme « poète » en s'essayant au genre de la poésie d'éloge le plus noble, l'ode{{sfn|Forestier|2006|p=137}}. Au cours de l'année [[1660]], il compose une pièce de théâtre, ''Amasie'', et la présente, en vain, à l'une des trois troupes professionnelles de Paris, le [[théâtre du Marais]]<ref>. Cette pièce en cinq actes est également perdue ({{harvsp|Viala|1990|p=15-16}}</ref>{{,}}{{sfn|Georges Forestier|2006|p=133-136}}). En {{date-|mai 1660}}, il compose un sonnet célébrant la naissance du premier enfant du couple Vitart<ref>Pléiade, II, {{p.|36}}.</ref>. Ces premiers essais d'écriture mondaine provoquent la colère de sa famille et de ses anciens maîtres de Port-Royal<ref>. Dans une lettre à Le Vasseur ({{date-|13 septembre 1660}}, Pléiade II, {{p.|384}}), Racine se plaint de recevoir de Port-Royal "tous les jours lettres sur lettres, ou, pour mieux dire, excommunications sur excommunications, à cause de mon triste sonnet". Georges Forestier 2006, {{p.|138}} ; Alain Viala 1990, {{p.|60-61}}.</ref>.
 
En {{date-|septembre 1660}}, il soumet à [[Jean Chapelain]], par l'intermédiaire de son cousin et hôte Nicolas Vitart, un long [[Éloge|poème encomiastique]] à l'occasion du mariage de {{souverain2|Louis XIV}} et de [[Marie-Thérèse d'Autriche (1638-1683)|Marie-Thérèse d'Autriche]]<ref>Lettre de Racine à Levasseur, {{date-|5 septembre 1660}} ; Lettre de Racine à Levasseur, {{date-|13 septembre 1660}} (citées par {{harvsp|Viala|1990|p=15-20}}). Voir aussi Jean Dubu, « La Nymphe de la Seine à la Reyne », ''Revue d'histoire littéraire de la France'', {{61e|année}}, {{n°|3}}, ({{date-|juillet-septembre 1961}}), {{p.|411-419}}.</ref>. Chapelain, figure majeure de l'[[Académie française]] et pivot de la vie littéraire française<ref>Chapelain est aussi explicitement un ennemi du cénacle littéraire réuni autour de [[Nicolas Fouquet]] et du protégé de celui-ci, [[Paul Pellisson]]. Pour Racine, se tourner en priorité vers Chapelain est également un moyen de prendre parti socialement et politiquement, contre la richesse ostentatoire et le jésuitisme défendu par le financier. Voir Georges Forestier 2006, {{p.|129-133}}.</ref>, fournit à Racine le premier succès de sa jeune carrière et l'introduit véritablement dans la vie des lettres, en corrigeant et soutenant l'ode. Vitart présente encore le texte à [[Charles Perrault]], autre figure influente de la vie littéraire de Paris, qui apporte également ses corrections<ref>Alain Viala 1990, {{p.|17}}.</ref>. Racine se montre d'une grande docilité, en même temps que d'une grande maîtrise des normes poétiques, à l'égard des corrections suggérées par Chapelain et Perrault<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|138-139}}.</ref>. L'ode, ''la Nymphe de la Seine à la Reyne'', devient la première publication de Racine<ref>Jean Racine, ''La Nymphe de la Seine à la Reyne, ode'', Paris, chez Augustin Courbé, 1660. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8612046f Édition originale disponible sur Gallica.]</ref>, qui finance lui-même son impression, en épuisant sa maigre fortune et en empruntant à Nicolas Vitart. Le poème de deux cent cinquante vers constitue un éloge conventionnel sur l'actualité, prenant pour objet l'entrée de la reine à Paris, décrite par le biais de [[Topos (littérature)|topiques]] mythologiques{{sfn|Alain Viala|1990|p=17-19}}. Il est avant tout un exercice convenu du genre encomiastique : Racine se place alors, jeune auteur, dans la plus grande conformité aux normes littéraires du temps<ref>Le conformisme opportuniste (ici à la fois stylistique et politique) est souligné comme un trait caractéristique du jeune poète par Alain Viala (1990, {{citation|Je vous envoie mon sonnet}}). Celui-ci exprime l'attitude de Racine, ambitieux cherchant à conquérir en se fondant et mimant ce qui se fait déjà, par l'image de caméléon, qui a {{citation|la faculté de se fondre dans des milieux pour y quérir patûre}} (1990, {{p.|24}}).</ref>, reprenant la structure et le ton d'un modèle du lyrisme officiel, ''À la Reine sur sa bienvenue en France'' de [[François de Malherbe|Malherbe]]<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|139}}.</ref>. La seule originalité de Racine est dans cette ode d'avoir substitué aux traditionnels [[dizain]]s d'[[octosyllabe]]s des [[quatrain]]s d'[[alexandrin]]s au rythme plus souple, inspirés par la poésie galante. Si le poème ne trouve pas de succès politique, il lui permet de s'affirmer en société comme « poète » et d'entrer dans la norme de la vie littéraire de Paris<ref>Alain Viala 1990, {{p.|21-22}} ; Georges Forestier 2006, {{p.|140-141}}.</ref>.
 
Après ce premier succès, Jean Racine projette en 1661 l'écriture d'une deuxième pièce de théâtre, ayant pour héros [[Ovide]]<ref>Ce projet, manifestement très développé, est évoqué par le poète dans une lettre à l'abbé le Vasseur ({{date-|juin 1661}}, Pléiade II, {{p.|397-398}}).</ref>. Si la pièce n'est jamais achevée, son projet permet de voir l'organisation du travail du dramaturge, qu'il conservera par la suite pour cesses autres pièces. Racine commence par établir un plan très précis du déroulement de l'intrigue<ref>Georges Forestier voit dans ce projet la preuve de la réalité d'une méthode de travail racinienne rendue célèbre par une anecdote rapportée par Louis Racine : {{citation|Quand il avait ainsi lié toutes les scènes entre elles, il disait "Ma tragédie est faite", comptant le reste pour rien}}. Georges Forestier 2006, {{p.|142-143}}.</ref>, puis demande l'avis de comédiens. On ignore ce qu'il advient de cette pièce, manifestement abandonnée par son auteur. Seulement sait-on que la troupe de l'[[Hôtel de Bourgogne (Paris)|hôtel de Bourgogne]], pour laquelle elle était écrite, fait finalement appel à [[Gabriel Gilbert]], qui rédige ''Les Amours d'Ovide'', pièce créée en {{date-|juin 1663}}{{sfn|Forestier|2006|p=144-145}}. Il entame également en 1661 une vaste composition poétique, ''Les Bains de Vénus'', qu'il ne peut achever, victime d'une épidémie de fièvre<ref>L'œuvre est aujourd'hui perdue. Georges Forestier 2006, {{p.|145-146}}.</ref>.
 
Ces compositions galantes montrent que Racine s'est déjà éloigné de la morale de [[Port-Royal des Champs|Port-Royal]]. Alors même que l'abbaye vit au cours de l'année 1661 les débuts des « [[Jansénisme#L.27opposition politique au jansénisme|grandes persécutions »]] visant à forcer les religieux à signer [[Formulaire d'Alexandre VII|le Formulaire]], l'ancien élève semble indifférent, voire ironique, à l'égard des malheurs de son ancienne institution<ref>Dans une lettre à Le Vasseur, Racine se moque de la fuite d'Antoine Singlin et de la dispersion des novices (Pléiade II, {{p.|398}}). Georges Forestier souligne toutefois que ces marques d'indifférence ne sont probablement pas totalement sincères, mais marquent le souci rhétorique de s'adapter à son interlocuteur, en l'occurrence Le Vasseur, abbé léger et libertin (Georges Forestier 2006, {{p.|149-150}}).</ref>. Jean Racine est alors porté vers les plaisirs du monde desquels son maître Antoine le Maistre avait tenté de le détourner. En 1660 et 1661, il fréquente quotidiennement [[Jean de La Fontaine]], autre [[La Ferté-Milon|milonais]], qu'il accompagne dans les cabarets parisiens<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|147}} ; Alain Viala 1990, {{p.|51}}.</ref>.
 
==== L'échec d'une carrière ecclésiastique ====
En cherchant une carrière littéraire et mondaine en l'absence de soutiens familiaux, Racine se ruine et se couvre de dettes<ref>{{harvsp|Forestier|2006|p=152-153}} ; Alain Viala 1990, {{p.|65-71}}.</ref>. Il est poussé à trouver un revenu stable, et, ayant abandonné les études de droit, cherche un [[bénéfice ecclésiastique]], par nécessité et avec réticence, craignant de se voir obligerobligé à accepter la [[Prêtre|prêtrise]]<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|153}} ; Alain Viala 1990, {{p.|76-77}}.</ref>. Son oncle Antoine Sconin, propriétaire de deux bénéfices (l'un en [[Anjou]], l'autre en [[Languedoc]]), se dispose à résigner dans le futur l'un d'eux au profit de son neveu<ref>La raison de ce transfert n'est pas pleinement connue. Georges Forestier 2006, {{p.|154-155}} ; Alain Viala 1990, {{p.|71-72}}.</ref>. Ou bien par souci de guérir sa maladie par un changement d'air, ou bien par besoin financier immédiat<ref>Les raisons réelles de ce déplacement à Uzès sont inconnues. Selon Georges Forestier, il est vraisemblable que la famille Sconin s'inquiète des dettes contractées par le jeune homme, et décide de lui trouver un emploi, jugeant que la famille Des Moulins avait échoué en son éducation. Georges Forestier 2006, {{p.|156-157}}.</ref>, Racine quitte Paris, et arrive à [[Uzès]] le {{date-|8 novembre 1661}}, après quinze jours de voyage<ref>Une lettre du jeune homme à Jean de la Fontaine décrit longuement ce voyage ({{date-|11 novembre 1661}}, Pléiade II, {{p.|400-403}}). Georges Forestier 2006, {{p.|158}} ; Alain Viala 1990, {{p.|72-73}}.</ref>. Il s'installe au château de [[Saint-Maximin (Gard)|Saint-Maximin]], rénové en somptueuse demeure par le Père Sconin. Là, « exilé »{{sfn|Forestier|2006|p=162}} des cénacles parisiens, il maintient un lien avec la vie littéraire en entamant une vive correspondance avec le salon Vitart, l'abbé le Vasseur, et surtout [[Jean de La Fontaine|Jean de la Fontaine]]. Dans ses lettres, marquées d'un signe de croix en-tête, à la manière des gens d'Église, Racine s'essaie à la versification galante, gardant ainsi un nom et une existence de poète, à distance, dans les petits cercles parisiens<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|162-166}} ; Alain Viala 1990, {{p.|73-74}}.</ref>.
 
L'octroi d'un bénéfice ecclésiastique s'avère vite difficile. Dès l'arrivée du jeune homme, Antoine Sconin lui promet un bénéfice, très rémunérateur, dépendant du [[Chapitre de chanoines|chapitre]] de la [[Cathédrale Saint-Théodorit d'Uzès|cathédrale d'Uzès]], dès qu'un bénéfice viendrait à vaquer. Pour cet octroi qui nécessite la prêtrise, Racine commence à étudier la [[théologie]]. Mais il tarde à recevoir le « démissoire »<ref>Il s'agit d'une lettre autorisant au diocésain d'un certain évêché (en l'occurrence, celui de Soissons pour la Ferté-Milon) à prendre les ordres dans un autre évêché.</ref> nécessaire à l'ordination, et, entretemps, le Père Sconin perd le pouvoir de nomination qu'il exerçait jusqu'alors au chapitre{{sfn|Forestier|2006|p=166-171}}. Sans autre soutien, le jeune homme perd tout espoir de profiter dans l'[[Liste des évêques d'Uzès|évêché]] d'un bénéfice conséquent. Il tente d'obtenir, par l'intermédiaire de l'abbé le Vasseur, un bénéfice à [[Oulchy-le-Château|Oulchy]], dans le [[diocèse de Soissons]], également en vain. Il prétend enfin au deuxième bénéfice de son oncle Sconin, en Anjou ; l'espoir de sa possession s'enlise dans une longue procédure judiciaire<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|170}}; Alain Viala 1990, {{p.|78-79}}.</ref>. Si le Père Sconin tente de le faire prêtre pour accepter le bénéfice d'une petite chapelle, Racine refuse, ne souhaitant pas rester en Languedoc à si faible prix.
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En 1666, Racine est impliqué dans une vive querelle contre ses anciens maîtres de [[Port-Royal des Champs|Port-Royal]]. La situation du monastère est alors fragile. Les religieuses refusant de signer le [[Formulaire d'Alexandre VII|formulaire]] sont retirées au monastère [[Port-Royal des Champs|des Champs]], les [[Solitaires (Port-Royal)|Solitaires]] exilés ou cachés. À partir de 1664, [[Pierre Nicole]], ancien maître de Racine aux [[Petites écoles de Port-Royal|Petites écoles]], commence à rédiger des ''Lettres sur l'Hérésie imaginaire'', défendant le jansénisme contre les accusations d'hérésie. Les huit dernières de ces ''Lettres'', publiées en {{date-|décembre 1665}}, prennent pour cible le dramaturge et pamphlétaire anti-janséniste [[Jean Desmarets de Saint-Sorlin]]. Nicole réactive, pour disqualifier Desmarets, un ''topos'' de la pensée janséniste ; la corruption de la fiction et en particulier du théâtre, qui, même s'il paraît honnête, « empoisonne » toujours l'âme<ref>Le mot est de Nicole. {{harvsp|Forestier|2006|p=263-264}}</ref>{{,}}{{sfn|Viala|1990|p=113-114}}. Qu'il prenne ces accusations personnellement, ou qu'il entende simplement défendre le genre auquel il se consacre désormais, Racine choisit de répondre violemment à son ancien maître en {{date-|janvier 1666}} dans une ''Lettre a l'auteur des Hérésies imaginaires et des deux Visionnaires''. Le fait de répondre à ces attaques contre le théâtre, pourtant fréquentes au {{s|XVII}}<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|259-262}}.</ref>, et le ton inhabituellement brutal du texte rompent avec les usages de la vie littéraire. Non seulement le jeune poète attaque le corps de doctrine port-royaliste, mais attaque aussi ''[[Argumentum ad hominem|ad hominem]]'' les deux figures vénérées au monastère depuis leurs morts, [[Angélique Arnauld (religieuse)|Angélique Arnauld]] et [[Antoine Le Maistre|Antoine le Maistre]], qui fut encore son père spirituel. Par cette publication, Racine, désormais auteur mondain, semble vouloir rompre à la fois avec le jansénisme rigoriste et le milieu social de Port-Royal, dont les membres expriment depuis plusieurs années leur réprobation de la carrière littéraire de l'ancien élève, tout en utilisant les outils rhétoriques appris au monastère<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|265-268}} ; {{harvsp|Forestier|2006|p=265-268}}</ref>{{,}}{{sfn|Alain Viala|1990|p=114-117}}.
 
En 1666, Nicole réplique en éditant ses lettres et un ''Traité sur la comédie'', en un recueil, ''les Imaginaires''. Dans la préface, il cible directement celui qu'il réduit au rang de « jeune poète ». Racine rédige en réponse, la même année, deux autres lettres sur le même ton virulent. Son cousin Nicolas Vitart menace Port-Royal, par une lettre à [[Claude Lancelot]], de leur publication imminente. Lancelot menace en retour Racine de faire une révélation publique, minant ainsi la carrière mondaine de Racine. Celui-ci, probablement depuis le début de l'année 1666<ref>Le premier acte notarié faisant référence au bénéfice date du {{date-|3 mai 1666}}. Cet acte, aujourd'hui perdu, a été consulté par Paul Mesnard, ''Notice biographique sur Jean Racine'', {{p.|49}}.</ref> possède le [[bénéfice ecclésiastique]] de Sainte-Madeleine de l'Épinay en Anjou, qui appartenait auparavant à son oncle Antoine Sconin, et que celui-ci avait cherché à lui attribuer lorsqu'il avait accueilli à Uzès. Le fait de profiter d'un revenu ecclésiastique dans le même temps qu'il triomphe au théâtre fragilise sa position dans cette querelle, et peut paraître amoral à une partie de la bonne société parisienne, qui pourrait l'accuser de servir à la fois "Dieu et le diable"<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|270-271}}.</ref>. Devant la menace, Racine renonce à sa publication.
 
La querelle, et particulièrement les violents écrits de Racine, aont pour effet de réintroduire dans la vie littéraire la question de la moralité du théâtre et ranime de vifs débats. À sa suite, l'[[François Hédelin|abbé d'Aubignac]] publie une ''Dissertation sur la condamnation des théâtres'', et le [[Armand de Bourbon-Conti|prince de Conti]] un ''Traité de la Comédie et des Spectacles.'' Corneille, entraîné dans la controverse, doit justifier la moralité de son théâtre dans la préface d'''[[Attila (Corneille)|Attila]]''<ref>Georges Forestier 2006, {{p.|272}}.</ref>. Racine gagne indirectement en notoriété : non seulement il est reconnu comme l'origine du vaste mouvement critique qui agite le monde théâtral, mais sa plume polémique, mordante, ironique, est remarquée. La querelle est d'autant plus ambiguë que Racine utilise comme arme les outils rhétoriques mêmes qu'il a appris à Port-Royal à la suite des ''[[Les Provinciales|Provinciales]]'', qu'il retourne contre le monastère et ses anciens maîtres. En répondant si durement à ces derniers, Racine brise leur domination en l'art de la polémique, et se pose, avec dureté, comme l'une des plumes acerbes de la vie littéraire. L'épisode rompt tout à fait les contacts que le dramaturge nourrissait encore avec le monastère, y compris avec sa famille{{sfn|Forestier|2006|p=274-277}}{{,}}{{sfn|Viala|1990|p=116-117}}. Il a pu également parfois donner de Racine une réputation d'homme excessif et violent : [[Gédéon Tallemant des Réaux|Tallemant des Réaux]] écrit que l'« on peut tout croire de lui après avoir écrit comme il l'a fait contre Mrs de Port-Royal qui l'ont instruit ''gratis'' et qui donnaient à sa mère de quoi vivre »<ref>''Le Manuscrit 673'', ed. cit., {{p.|511}} ; Raymond Picard, ''Nouveau Corpus Racinianum'', {{p.|104}}. </ref>.
 
=== L'homme de cour (1666-1677) ===
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La création d'''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'' en {{date-|novembre 1667}} marque un bouleversement dans la carrière et l'œuvre de Racine, et a été décrite comme une rupture dans l'histoire du [[théâtre classique]]{{sfn|Meyer|2005|p=210}}{{,}}{{sfn|Viala|2009|p=211}}{{,}}{{sfn|Viala|2017|p=59}}. Dans ses deux premières pièces créées, ''[[La Thébaïde (Racine)|La Thébaïde]]'' et ''[[Alexandre le Grand (Racine)|Alexandre le Grand]]'' Racine emprunte une conception de la tragédie héritée de [[Pierre Corneille|Corneille]]. Celui-ci, dans son ''Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique'', en 1660, avait théorisé le rapport de la politique et de l'amour (la "[[galanterie]]") dans les tragédies, la seconde n'étant autorisée que si elle occupe un rôle second à l'[[héroïsme]] politique et est soumise à celui-ci. Pour Corneille, la primauté de l'amour relève du registre de la [[comédie]] plutôt que de la tragédie. ''[[La Thébaïde (Racine)|La Thébaïde]]'' et ''[[Alexandre le Grand (Racine)|Alexandre le Grand]]'' jouent de ce dualisme, cherchant à faire cohabiter également galanterie et enjeu politique{{sfn|Forestier|2006|p=297-298}}.
 
La nouveauté d{{'}}''Andromaque'' est de s'extraire du dualisme [[Pierre Corneille|cornélien]]. Après le succès d{{'}}''[[Alexandre le Grand (Racine)|Alexandre le Grand]]'', fondé sur son intrigue amoureuse, Racine ne peut pas négliger l'amour. ll en fait le seul moteur d{{'}}''Andromaque'', mais éviterévite la simple comédie galante en allant chercher dans l'amour les passions fondamentales du théâtre tragique, que Corneille pensait réservées à l'héroïsme politique. L'enchaînement des passions amoureuses contradictoires de [[Néoptolème|Pyrrhus]], [[Andromaque]], [[Oreste]] et [[Hermione (mythologie)|Hermione]]<ref>Alain Viala note toutefois que ce schéma de chaine d'amours malheureux n'est pas une nouveauté d'''Andromaque'' : ''Alexandre le Grand'' porte une même structure galante. {{harvsp|Viala|1990|p=119}}.</ref> pousse le désastre final, le meurtre de Pyrrhus par Oreste sous l'injonction d'Hermione, qui n'a pas d'autre motif que la tension des passions amoureuses. Cette "révolution" a souvent fait dire aux critiques "qu'''Andromaque'' est la première tragédie véritablement racinienne : après une première tragédie où l'amour était dissocié du tragique et rejeté au second plan, après ''Alexandre'' où l'amour passait au premier plan et exténuait le tragique, ''Andromaque'' développe une action dans laquelle le tragique réside dans les conséquences destructrices de la passion amoureuse{{sfn|Forestier|2006|p=298}}".
 
[[Fichier:Andromaque 1668 title page.JPG|vignette|Frontispice de la première édition d'''Andromaque'' (1668)]]
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==== Asseoir une carrière : ''[[Les Plaideurs]]'', essai comique ====
[[Fichier:Les Plaideurs, Racine, frontispice 1669.jpg|vignette|Frontispice de l'édition princeps des ''[[Les Plaideurs|Plaideurs]]'', 1669.]][[Fichier:Racine - Les Plaideurs, Barbin, 1669.djvu.jpg|vignette|Dernier paragraphe de la préface de la première édition des ''[[Les Plaideurs|Plaideurs]]'', accusant les comédies de [[Molière]] de grivoiserie.]]Cette fortune permet à Racine de consacrer du temps à l'écriture d'une nouvelle pièce. L'enjeu de l'écriture est aussi grand que la querelle d'''Andromaque'' a été vive : le public attend avec impatience une nouvelle pièce de celui qui passe pour un nouveau [[Pierre Corneille|Corneille]]<ref name="Viala p125">{{harvsp|Viala|1990|p=125}}</ref>{{,}}<ref name="Forestier p324">{{harvsp|Forestier|2006|p=324}}</ref>. Racine travaille dès le printemps 1668 à une tragédie, ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]''. Avant de l'achever, il joue toutefois une autre pièce, qui a souvent passé, dans l'[[historiographie]], pour un "accident<ref name="Viala p125" />{{,}}<ref name="Forestier p324" />". ''[[Les Plaideurs]]'' constituent l'unique comédie de Racine. Son processus de composition est entièrement inconnu. Elle est créée à l'[[Hôtel de Bourgogne (Paris)|hôtel de Bourgogne]], probablement la deuxième semaine de {{date-|novembre 1668}} ; le [[Privilège (livre)|privilège]] est accordé le {{date-|5 décembre}}. Les représentations de cette comédie n'ont laissé que très peu de témoignages : seulement sait-on qu'elle a été jouée à [[Château de Versailles|Versailles]] à la fin de l'année. Cette lacune a nourri des légendes vives sur cette pièce, décrite comme un franc échec par les biographes des {{s2|XVIII|XIX}}<ref>Valincour, successeur de Racine comme historiographe du roi, a notamment forgé l'idée de l'échec des ''Plaideurs'', à partir d'une allusion cryptique du dramaturge. Histoire ''de I’Académie française depuis 1652 jusqu’en 1700'' de I’[[Pierre-Joseph Thoulier d'Olivet|abbé d’Olivet]] (éd. in-8°, 1743, {{p.|368-369}}).</ref> : il a été avancé que Racine compose ''les Plaideurs'' au cabaret avec [[Nicolas Boileau|Boileau]] et [[Antoine Furetière|Furetière]], ou encore que l'idée d'une comédie judiciaire lui viennent du procès dans lequel il a été engagé au sujet de son bénéfice ecclésiastique, comme une forme de sublimation par écrit d'un échec en cour de justice<ref>{{harvsp|Forestier|2006|p=326-328}}. Cette anecdote est reprise de Valincour, sans critique, par Louis Racine.</ref>.
 
Il est plus probable que la pièce soit une forme de commande de l'[[Hôtel de Bourgogne (Paris)|hôtel de Bourgogne]] à Racine. La troupe essaie alors de capter une partie du succès des comédies de la troupe de [[Molière]], concurrente, en commandant des [[comédie]]s aux auteurs, usuellement portés vers la [[tragédie]]<ref>Un passage de ''La Promenade de Saint-Cloud'' de [[Gabriel Guéret]], en 1669, éclaire ces essais comiques de l'hôtel de Bourgogne. Voir {{harvsp|Picard|1976|p=51-52}}.</ref>. ''[[Les Plaideurs]]'' fait probablement partie de ces tentatives comiques. Il est aussi possible que Racine trouve dans la [[Traité d'Aix-la-Chapelle (1668)|paix d'Aix-la-Chapelle]] un contexte favorable à la comédie, comme une forme de célébration pacifique opposée à la tragédie guerrière{{sfn|Forestier|2006|p=330-333}}. La réponse positive de Racine à l'invitation de l'hôtel constitue encore une attaque contre Molière. L'affront est double : il se place sur le terrain privilégié par le comique, et il vise à montrer que Racine peut exceller dans les deux genres comiques et tragiques, Molière étant réputé incapable de composer pour le second. La préface de la première édition, en 1669, reprend contre Molière, sans le nommer expressément, une attaque fréquente depuis la querelle de l'[[L'École des femmes|''École des femmes'']] en 1663, l'accusant d'avoir réintroduit dans le théâtre des thèmes grivois hérités de la farce de rue, que la génération précédente d'auteurs s'était échinée à supprimer.
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''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'' est créée le {{date-|13 décembre 1669}} à l'[[Hôtel de Bourgogne (Paris)|hôtel de Bourgogne]]{{sfn|Forestier|2006|p=361}}{{,}}{{sfn|Viala|1990|p=133}}. [[Floridor]] joue [[Néron]], [[Brécourt]] [[Britannicus (Racine)|Britannicus]], [[Noël Lebreton de Hauteroche|Hauteroche]] [[Narcisse (affranchi)|Narcisse]], {{qui|[[Lafleur]]}} [[Sextus Afranius Burrus|Burrhus]]{{sfn|Forestier|2006|p=363}}. La première représentation n'obtient pas un vrai succès. Contrairement à ''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'', elle n'est pas précédée d'une avant-première à la [[Cour de France |cour]], ce qui fragilise sa réputation Les anecdotiers ironisent sur la concurrence que lui fait, le même jour et à la même heure, une exécution par décapitation en [[Place de l'Hôtel-de-Ville - Esplanade de la Libération|place de Grève]]. Le public n'est pas si nombreux qu'à l'usage, et est en partie composé d'auteurs rivaux cherchant à faire sombrer la pièce. [[Pierre Corneille|Corneille]] se serait offert une loge entière pour assister à ce qu'il prédisait être un fiasco, et aurait participé à la [[cabale]]{{sfn|Viala|1990|p=133}}{{,}}<ref>{{harvsp|Forestier|2006|p=372}}. Ces anecdotes sont fournies par [[Edme Boursault]] (voir {{harvsp|Forestier|1999|p=439-441}})</ref>. La pièce est donnée pour le roi et applaudie le {{date-|5 janvier 1670}} à [[Château de Saint-Germain-en-Laye|Saint-Germain-en-Laye]], ce qui a parfois été interprété comme un sauvetage de la monarchie pour son protégé<ref name="Viala p134">{{harvsp|Viala|1990|p=134}}</ref>. Une anecdote, donnée par [[Nicolas Boileau|Boileau]], transmise par [[Louis Racine]], probablement infondée toutefois, soutient que {{ souverain2 |Louis XIV}}, jusqu'alors danseur enthousiaste, aurait abandonné cette passion après avoir vu le tyran [[Néron]] s'y adonner durant cette représentation<ref>Le roi a effectivement annulé la danse prévue après la représentation de la pièce, mais pour cause de maladie. Âgé de 31 ans, il ne pratique du reste plus qu'exceptionnellement la danse, d'abord réservée aux jeunes adultes. {{harvsp|Forestier|2006|p=374-375}}.</ref>. Sans que la pièce soit un vrai échec populaire, les cabaleurs réussissent à donner une mauvaise réputation à ''Britannicus''. Elle est toutefois vite parodiée, montrant que le public ne l'a pas mésestimée : dès 1670, Antoine de Montfleury tourne en dérision la tirade d'[[Agrippine l'Aînée|Agrippine]] dans sa pièce ''Le Gentilhomme de Beaune''{{sfn|Forestier|2006|p=381-382}}. Racine, amer, rend compte de la cabale des critiques dans la préface de la première édition, férocement dirigée contre le théâtre cornélien :{{Boîte déroulante|titre=Britannicus, Préface|contenu=De tous les ouvrages que j'ai donnés au public, il n'y en a point qui m'ait attiré plus d'applaudissements ni plus de censeurs que celui-ci. Quelque soin que j'aie pris pour travailler cette tragédie, il semble qu'autant que je me suis efforcé de la rendre bonne, autant de certaines gens se sont efforcés de la décrier. Il n'y a point de cabale qu'ils n'aient faite, point de critique dont ils ne se soient avisés. Il y en a qui ont pris même le parti de Néron contre moi.|alignB=center|largeur=70%}}La pièce s'adresse de fait à un public différent des précédentes. Quand ''[[Alexandre le Grand (Racine)|Alexandre le Grand]]'' visait la cour, ''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'' et ''[[Les Plaideurs]]'' la société mondaine, ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'' cherche le succès critique. Ayant acquis la fortune par le roi et la réputation par le public parisien, Racine cherche désormais à asseoir sa place dans la société littéraire la plus sérieuse, celle des [[Critique littéraire|critiques]] et des théoriciens du [[théâtre classique]], qui font la plus haute renommée et la postérité{{sfn|Viala|1990|p=135}}.
 
Le passage d'un sujet grec à un sujet romain a été interprété comme une attaque contre Corneille, ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'' devenant un "anti-''[[Cinna (Corneille)|Cinna]]''<ref>{{harvsp|Viala|1990|p=131}}. D'autres, comme Georges Forestier, refusent toutefois l'idée que Racine ait voulu attaquer Corneille, soulignant l'aspect commun de la tragédie romaine ({{harvsp|Forestier|2006|p=349}}).</ref>". ''Cinna'', qui a rencontré un très vif succès à sa création en 1641, passe depuis pour le canon de la tragédie la plus noble, d'inspiration romaine, de thème politique et de visée morale. Elle montre la progression d'[[Auguste]] de la violence politique, nécessaire à son arrivée au pouvoir, à la vertu exprimée dans sa [[magnanimité]] et la primauté du sens de l'[[Bien commun|État]] sur les passions de l'individu. Corneille reflète les préoccupations des conflits politiques entre la [[Noblesse française|noblesse]] et [[Armand Jean du Plessis de Richelieu|Richelieu]], par un regard politique moralisé hérité de la tradition [[Nicolas Machiavel|machiavélienne]]. Racine, dans ''Britannicus'', semble aller entièrement à rebours de ce schéma, en montrant la métamorphose d'un empereur pacifique, consensuel, acclamé, [[Néron]], en un tyran sanguinaire, sous l'effet de passions irrépressibles. Cette trajectoire, décrite comme antinomique à celle d'Auguste dès la première scène de la pièce<ref>"Il commence, il est vrai, par où finit Auguste/Mais crains que l'avenir détruisant le passé/Il ne finisse ainsi qu'Auguste a commencé". ''Britannicus'', acte I, scène 1 (''Théâtre complet, I'', Paris, Garnier-Flammarion, 1964, {{p.|310}}.)</ref>, joue avec les conceptions machiavéliennes en ce qu'elle montre un prince incapable de se rendre vertueux, qui asservit l'État à ses propres pulsions{{sfn|Alain Viala|1990|p=130-132}}. Inversant l'intrigue et les fondements politiques de ''Cinna'', Racine se fond dans l'orthodoxie politique de la cour de {{souverain2|Louis XIV}}, très différente de celle du temps de Richelieu. Dans le même temps, ce conformisme lui sert à affermir son rang dans la société littéraire{{sfn|Alain Viala|1990|p=132}}.[[Fichier:Racine - Britannicus, Barbin, 1670.djvu-, 2.jpg|vignette|Frontispice de la première édition de ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'', 1670]]L'assassinat de [[Britannicus]] par la volonté de son frère, [[Néron]] offre un sujet idéal dans cette perspective politique. Le fratricide avait déjà fait la matière de [[La Thébaïde (Racine)|''la Thébaïde'']], et permet à Racine d'introduire le sujet de la stabilité [[Dynastie|dynastique]] [[Primogéniture|par le droit du sang]]. Néron fait du lien familial un élément d'instabilité politique, en devenant roi à la place de son frère par adoption et rival, la fraternité n'étant qu'un masque à l'usurpation tyrannique. La tension tragique de la rivalité fraternelle rencontre ainsi un enjeu politique{{sfn|Forestier|2006|p=351-353}}. Depuis le {{s|XVI}}, les réflexions sur l'usurpation et sur la place politique du [[Monsieur (Ancien Régime)|frère du roi]] abondent, encore avivées par [[Fronde (histoire)|la Fronde]]. La représentation négative de l'arrivée au pouvoir de Néron, usurpateur du fils légitime de [[Claude (empereur romain)|Claude]], a un enjeu moral fort pendant le règne personnel de {{souverain2|Louis XIV}}, et dans le [[royaume de France]], strictement régi en succession par la primogéniture masculine.
Élaborant sa pièce, Racine prend en considération sur les critiques formulées par [[Charles de Saint-Évremond|Saint-Évremond]] dans sa ''Dissertation sur le Grand Alexandre'' en 1666, qui avait exposé la nécessité de décrire le caractère particulier de l'époque, du pays et du héros concernés dans la tragédie historique. Corneille passe alors pour le maître de cet art du particularisme. Racine, qui a démontré sa maîtrise générale de l'Antiquité avec ''[[Alexandre le Grand (Racine)|Alexandre le Grand]]'' et ''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'', est ainsi invité à faire montre de celle de l'[[idiosyncrasie]] de l'histoire, et à donner une tragédie réellement politique, historique, plutôt que galante<ref>{{harvsp|Forestier|2006|p=349-351}} ; "Dissertation sur le Grand Alexandre", ''Œuvres mêlées de Mr de Saint-Évremond, tome premier'', Amsterdam, Chez Henry Desbordes, 1691, {{p.|202-216}}</ref>. Il cherche ainsi à construire sa tragédie autour de personnages situés le plus précisément dans l'histoire, plutôt que sur des personnages-types abstraits et atemporels.
 
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D'un geste ou d'un soupir échappé pour lui plaire.|alignB=center|largeur=70%}}
[[Fichier:Racine - Britannicus, Barbin, 1670.djvu.jpg|vignette|Extrait de la préface de ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'' (première édition, 1670), dans lequel Racine pose une nouvelle vision de la tragédie, demeurée célèbre, opposée à l'héroïsme [[Pierre Corneille|cornélien]] : "Une action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour, et qui, s'avançant par degrés vers sa fin, n'est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages".]]
Dans le même temps, en mêlant l'intrigue amoureuse, en principe secondaire, à la rivalité politique des deux frères, Racine tend à mettre en valeur la première, qui n'existe pas dans les récits historiques. Par ses aspects galants, la pièce semble subjuguer la politique sous les passions, donnant à la première un statut instrumental. La progression déclinante de la pièce, qui voit un empereur pacifique évoluer en tyran fratricide, introduit une conception anthropologique négative qui fait dépendre le dénouement tragique de l'inexorabilité de passions incontrôlables.
 
Dans la préface de la première édition, le poète cherche à poser une nouvelle définition de la [[tragédie]], opposée à l'action [[Héroïsme|héroïque]] [[Pierre Corneille|cornélienne]] : "Une action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour, et qui, s'avançant par degrés vers sa fin, n'est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages". Alors que ''[[La Thébaïde (Racine)|La Thébaïde]], [[Alexandre le Grand (Racine)|Alexandre le Grand]]'', dans une moindre mesure ''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'', se fondaient sur la profusion de l'action, d'événements, de rebondissements, artificiellement comprimés en une seule journée, Racine adopte avec et à partir de ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'', une approche contraire de l'[[Règles du théâtre classique|unité de temps]], qu'il confond avec l'unité d'action<ref name="Viala p134" />. Plutôt que de chercher à faire rentrer un ensemble politique complexe dans une journée et dans cinq actes, il s'agit d'épurer au possible l'intrigue autour d'une action unique et ''in fine'' peu importante. La pièce n'est ainsi plus basée sur le récit d'actions, dont les contradictions formeraient un tragique essentiellement politique, mais sur le développement psychologique des personnages, qui contiennent en eux-mêmes, dans leurs passions irrépressibles, les sources d'une irrésolution anthropologique. Cette conception s'oppose fortement à celle de Corneille, qui place l'action "complexe" (dont le dénouement est provoqué par l'arrivée d'un élément exogène à l'intrigue) au-dessus de l'action simple (dont le développement complet est cohérent et continu), et utilise abondamment le dénouement par rebondissement final. Affirmer que seule une action simple "chargéchargée de peu de matière" peut former une tragédie cohérente contenue en une journée est réduire les pièces de Corneille non seulement à l'invraisemblance factuelle, mais aussi à la fausseté anthropologique{{sfn|Forestier|2006|p=372-373}}. Cette nouvelle conception tragique irritent les critiques cornéliens, que Racine cherche pourtant à séduire : Robinet condamne l'économie de la pièce, [[Charles de Saint-Évremond|Saint-Évremond]] sa noirceur et son manque d'héroïsme. L'aveuglement de [[Britannicus]], la monstruosité de [[Néron]], l'imperfection des personnages est reprochée, qui ne sont contrepesés par aucune vertu d'un héros extraordinaire, comme l'est la noirceur des tyrans chez Corneille{{sfn|Forestier|2006|p=364-370}}.
 
''Britannicus'' marque la consécration économique du dramaturge dans le métier des lettres. Racine fait dès lors partie de la population riche de Paris. Les revenus des représentations et de la publication de la pièce sont certainement supérieurs à ceux d'''Andromaque'', puisqu'en {{date-|mai 1670}}, le poète achète 275 [[Livre (monnaie)|livres]] de [[rente]] pour {{nombre|5637|livres}}{{sfn|Picard|1976|p=56}}, soit plus du double de ses revenus usuels à l'année. Il perçoit ainsi au moins {{nombre|2500|livres}} fixes annuelles, dont 1200 de pensions qu'il reçoit encore de la monarchie en {{date-|décembre 1669}}<ref>[[Archives nationales (France)|AN]], O/1/2130</ref>. Il faut probablement ajouter à ce chiffre les revenus d'un nouveau bénéfice ecclésiastique ou bien en supplément, ou bien en échange de son précédent bénéfice en [[Anjou]] : Racine est mentionné, dans le titre de rente de 1670, comme "prieur de Saint-Jacques de [[La Ferté-Milon|la Ferté]]"{{sfn|Forestier|2006|p=375-376}}.
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=== L'historiographe ===
[[Fichier:Blasons Jean Racine et Catherine de Romanet (cropped).jpg|vignette|Blasons de Jean Racine (à gauche) et de son épouse Catherine de Romanet dans l'[[Armorial général de France]] de 1696]]
Après le grand succès de ''[[Phèdre (Racine)|Phèdre]]'', qui triomphe rapidement d'une ''Phèdre et Hippolyte'' concurrente due à [[Jacques Pradon|Pradon]] et jouée sur le théâtre de l'hôtel Guénégaud, Racine se tourne vers une autre activité : comme [[Nicolas Boileau|Boileau]], il devient historiographe du roi, grâce à l'appui de [[Madame de Montespan|{{Mme}} de Montespan]], maîtresse du roi, et de sa sœur, {{Mme}} de Thianges. Pour préparer son entrée dans l'entourage du roi, il quitte sa maîtresse, épouse une héritière issue comme lui de la bourgeoisie de robe anoblie<ref>Elle. étaitCatherine de Romanet, avec qui il aura sept enfants, est fille et sœur de Trésoriers de France, charge anoblissante dont Racine était lui-même titulaire depuis 1674.</ref>, Catherine de Romanet, avec qui il aura sept enfants<ref>. Le contrat de mariage passé entre les futurs époux est conservé aux [[Minutier central des notaires|Archives nationales]] à Paris sous la cote MC/ET/LXXVI/62 et est [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?udId=c1p721a6pbm3-17ew04r6x33af&irId=FRAN_IR_042678 consultable sur microfilm (cote MC/MI/RS/447)].</ref>. La correspondance révèle que le mariage d'intérêt, préparé par Nicolas Vitart, s'est mué en union amoureuse.
 
Longtemps après sa mort, les historiens découvrirent dans les archives de la [[Bastille (Paris)|Bastille]] que Racine avait été suspecté dans l'[[affaire des Poisons]] qui a éclaté entre 1679 et 1681. [[La Voisin]] avait accusé Racine d'avoir fait assassiner, dix ans auparavant, son ancienne maîtresse « Du Parc ». En réalité, l'actrice connue de Racine, nommée « Du Parc », est morte des complications d'un [[avortement]] provoqué. Elle avait été confondue avec une autre ''Du Parc'' qui était une avorteuse et victime dans l'affaire des poisons. Racine a donc été disculpé en interne par la police, sans jamais être informé des poursuites dont il aurait pu faire l'objet<ref>''2000 ans d'histoire'', [[France Inter]], {{date-|2 mai 2007}}</ref>. En réalité, précise l'historien [[Raymond Picard]], la lettre d'arrestation de Racine signée par Louvois était prête, mais le magistrat Bazin de Bezon ne donna pas suite.
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Au cours des quinze années qui suivent, il ne dévie de cette entreprise — qui l'amène à suivre régulièrement {{souverain-|Louis XIV}} dans ses campagnes militaires, prenant des notes et rédigeant ensuite des morceaux dont il discute sans cesse avec Boileau — qu'à quatre reprises :
* Une première fois en 1685 en composant les paroles de ''l’Idylle sur la Paix'' (mise en musique par [[Jean-Baptiste Lully|Lully]], à la demande du marquis de Seignelay, fils et successeur de Colbert).
* Puis en 1689, en écrivant à la demande de [[Madame de Maintenon]]<ref>{{Article|auteur1=Anne Piéjus|titre=Les tragédies à intermèdes entre stratégies de cour et expérience d’écriture|périodique=Europe|volume=1092|pages=143-153|date=2020}}</ref> une tragédie"espèce de poème moral" biblique pour les élèvespensionnaires de la Maison Royale de Saint-Louis, un pensionnat pour jeunes filles, à Saint-Cyr (actuelle commune de [[Saint-Cyr-l'École]]) : Ce fut ''[[Esther (Racine)|Esther]]'', courte tragédie en trois actes jouéedont etles chantéeintermèdes (musiquemusicaux deont été composés par [[Jean-Baptiste Moreau]]) et qui fut jouée à plusieurs reprises par les Demoiselles, soutenues par des chanteuses de la Chambre du roi, en représentations privées devant le roi et unla grandfamille nombreroyale deainsi courtisansqu'à triésSaint-Cyr surdurant le voletcarnaval parde {{Mme}}1689, deen Maintenonprésence durantd'un legrand carnavalnombre de 1689courtisans triés sur le volet.
* Le succès de l'expérience incitaa incité {{Mme}} de Maintenon à demandercommander très rapidement à Racine deune tenternouvelle depièce, laalors renouvelermême etque illes écrivitautorités unereligieuses tragédiecompétentes (l'évêque de Chartres en particulier) avaient formulé les plus ambitieuse,grandes réserves sur l'exercice. La commande d'''[[Athalie (Racine)|Athalie]]'' ,était destinée elle aussi à être accompagnée de musique et decependant chantslancée. Elle ne fut pas prête pour le carnaval de 1690 et les jeunes demoiselles de Saint-Cyr recommencèrent à jouer ''Esther'', mais les désordres que cela provoqua dans la communauté incitèrent {{Mme}} de Maintenon à interrompre les représentations avant leur terme. ''Athalie'' ne fit donc pas l'objet d'une création ensemi-publique, mais donna lieu à des représentations confidentielles au parloir de la maison royale, sans décors grandeni pompecostumes, et le roi ne vit la tragédie qu'à l'occasion d'une répétition ouverte à la famille royale. Racine, devenuqui progressivementaffichait dévotprudemment ausa coursdistance desvis-à-vis années 1680, en même temps que le roi (influencé par {{Mme}} de Maintenon), {{citation nécessaire|était désormais résolument hostile audu théâtre ditet «qui mercenaire »}}(mêmen'avait sjusqu'ilalors seécrit refusaitdes àvers renierpour sonle œuvre passée,chant qu'ilavec polissaitréticences, d'éditionavait enaccepté édition).cette Maiscommande lespédagogique tragédiessur écritesun poursujet Saint-Cyrpieux furentet, duen pointprincipe, deétrangère vueau monde de la commanditairecour<ref>{{Ouvrage|auteur1=Anne commePiéjus|titre=Le du sien,Théâtre des œuvresDemoiselles. pédagogiquesTragédie et moralesmusique (auxquellesà leSaint-Cyr talentà dela Racinefin nedu pouvaitGrand queSiècle|lieu=Paris|éditeur=Société conférerfrançaise unede valeurmusicologie|année=2000|pages poétique supérieure)totales=847|isbn=9782853570107}}</ref>.
* Quatrième et dernière entorse à l'écriture exclusive de l'histoire du roi : à la fin de l’été 1694, Racine composa — toujours à la demande de {{Mme}} de Maintenon —, quatre ''Cantiques spirituels'', dont trois furent mis en musique par [[Jean-Baptiste Moreau]] et un par [[Michel-Richard de Lalande]] (n°II°)<ref>Denise Launay, ''La Musique religieuse en France du Concile de Trente à 1804'', Société française de musicologie, Paris, 1993, {{p.|457}}.</ref>, puis par [[Pascal Collasse|Pascal Colasse]] et [http://data.bnf.fr/14036918/jean-noel_marchand/ Jean-Noël Marchand]<ref>{{Lien web|langue=fr|nom1=FAVIER|prénom1=Thierry|titre=La Licorne - les cantiques spirituels de Racine mis en musique : aspects esthétiques d'un succès programmé|url=http://testjc.edel.univ-poitiers.fr/document.php?id=4372|site=testjc.edel.univ-poitiers.fr|date=2009-05-15|consulté le=2017-11-25}}</ref>.
 
Récompensé par une charge de Gentilhomme ordinaire de la Maison du Roi (1691), Racine se rapprochait toujours plus du roi, qu'il suivit régulièrement dans son petit château de [[Marly-le-Roi|Marly]] avec les courtisans les plus proches du couple royal, et à qui il arriva qu'il fît la lecture durant des nuits d'insomnie consécutives à une maladie, à la place des lecteurs en titre. Il obtint ensuite la survivance de cette charge pour son fils aîné [[Jean-Baptiste Racine]], puis se sentit obligé d'acheter en 1696 une charge de Conseiller-Secrétaire du Roi qui ne lui apportait rien de plus en termes de reconnaissance et qui lui coûta une forte somme.
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[[Fichier:P1310097 Paris V église St-Etienne plaque Racine rwk.jpg|thumb|Plaque indiquant le transfert des restes de Jean Racine de l'[[abbaye de Port-Royal]] à l'[[église Saint-Étienne-du-Mont]], le {{date-|2 décembre}} [[1711]].]]
 
Racine meurt [[Rue Visconti|rue des Marais-Saint-Germain]] à [[Paris]] ([[Église Saint-Sulpice de Paris|paroisse Saint-Sulpice]]) le {{date|21|avril|1699}}<ref>« Le vingt-unième jour d'{{date-|avril 1699}} a été fait le convoi à l'église de Port-Royal des Champs de Messire Jean-Baptiste Racine, conseiller secrétaire du Roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre, âgé de cinquante-neuf ans, décédé le jour même entre trois et quatre du matin en sa maison, rue des Marets ; et ont assisté au convoi et transport maître Claude-Pierre Colin de Morambert, seigneur de Riberpré, avocat en Parlement, gendre dudit sieur défunt, et maître Germain Willard, bourgeois de Paris, ami dudit défunt, qui ont signé ». Extrait du [[registre paroissial]] de l'[[Église Saint-Sulpice de Paris|église Saint-Sulpice]] à [[Paris]], [[Registres paroissiaux et d'état civil à Paris|détruit par l'incendie de 1871]] mais cité par Paul Mesnard dans ''Œuvres de Jean Racine'', [[Hachette Livre|Hachette]], Paris, 1865, {{p.|193}}.</ref>, à l'âge de cinquante-neuf ans, des suites d'un abcès ou d'une tumeur au foie. {{souverain-|Louis XIV}} accède à la demande qu'il a formulée d'être inhumé à [[Port-Royal des Champs|Port-Royal]], auprès de la tombe de son ancien maître [[Jean Hamon (médecin)|Jean Hamon]]<ref name="societePR">''[http://www.amisdeportroyal.org/societe/?Racine-Jean-1639-1699.html Jean Racine, « enfant de Port-Royal » (1639-1699)]'', Société des amis de Port-Royal, {{date-|novembre 2006}}.</ref>. Après la destruction de Port-Royal par {{souverain-|Louis XIV}} en 1710 {{ref nec|(les deux cadavres auraient été, sur ordre royal, arrachés aux tombes et jetés aux chiens)}}, ses cendres sontont été déplacées à l'[[église Saint-Étienne-du-Mont]] de Paris).
 
== Œuvres ==
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=== Autres ===
;Travaux historiques
* ''Vie de {{souverain-|Louis XIV}}'' (perdue){{Note|texte=Le manuscrit fut détruit dans l'incendie de la bibliothèque de Valincour ; voir [http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jean-baptiste-henri-de-valincour cette notice de l'Académie Françaisefrançaise]|nom=incendie}}
* ''[[Abrégé de l’histoire de Port-Royal]]'', 1767, Paris, 358 pages<ref>[https://books.google.fr/books?id=l7qRFdo5E1wC&pg=PA9 Lire en ligne]</ref>.
 
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== Analyse de l’œuvre ==
=== Le théâtre racinien ===
Le théâtre de Racine peint la passion comme une force fatale qui détruit celui qui en est possédé. On retrouve ici les théories [[jansénisme|jansénistes]] : soit l'homme a reçu la [[Grâce (christianisme)|grâce divine]], soit il en est dépourvu, rien ne peut changer son destin, il est condamné dès sa naissance. Réalisant l'idéal de la tragédie classique, le théâtre racinien présente une action simple, claire, dont les péripéties naissent de la passion même des personnages.
 
Les tragédies profanes (c'est-à-dire ''[[Esther (Racine)|Esther]]'' et ''[[Athalie (Racine)|Athalie]]'' exclues) présentent un couple de jeunes gens innocents, à la fois unis et séparés par un amour impossible parce que la femme est dominée par leun roi (''[[Andromaque (Racine)|Andromaque]]'', ''[[Britannicus (Racine)|Britannicus]]'', ''[[Bajazet]]'', ''[[Mithridate (Racine)|Mithridate]]'') ou parce qu'elle appartient à un clan rival (Aricie dans ''[[Phèdre (Racine)|Phèdre]]''). Cette rivalité se double souvent d'une rivalité politique, sur laquelle Racine n'insiste guère.
 
Dans ce cadre aristocratique qui, à partir de ''[[Bajazet]]'', devient un lieu commun prétexte à la naissance d'une crise, les personnages apprennent que le roi est mort ou vaincu : ils se sentent alors libres de déchaîner leurs passions. Or, l'information est rapidement démentie. Le retour du roi met les personnages devant leurs fautes et les pousse, selon leur nature intérieure, à se repentir ou à aller jusqu'au bout de leur rébellion.
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=== Éditions de référence ===
* {{Ouvrage|langue = fr|prénom1 = Paul| nom1 = Mesnard (éd.) | titre = Œuvres de Jean Racine | lieu = Paris | éditeur = [[Hachette Livre|Hachette]]| année = 1865-1873 (Les Grands Écrivains de la France, 9 volumes)|isbn=}} [<small>[[s:Livre:Racine - Œuvres, t1, éd. Mesnard, 1865.djvu|consulter cette édition sur Wikisource]]</small>]
* {{Ouvrage|auteur1=Georges Forestier|responsabilité1=éd.|titre=Racine : |sous-titre=Œuvres complètes|tome=I|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|Gallimard]]|collection=Bibliothèque de la Pléiade|dateannée=1999|isbn=}}
*Jean Rohou (éd.), ''Racine, Théâtre complet'', Paris, Hachette, La Pochothèque, 1998
* {{Ouvrage | langue =fr fr| prénom1 =Raymond Raymond| nom1 = Picard (éd.) | titrelien auteur1=Raymond Picard | titre=Racine | sous-titre = Œuvres complètes | lieutome=I =& II | lieu=Paris | éditeur =[[Bibliothèque de la Pléiade|Gallimard]] | lien éditeur collection= Bibliothèque de la Pléiade | année = 1931 & 1952| lien auteur = Raymond Picard|tome=I & II|collection=Bibliothèque de la Pléiade}}
* {{Ouvrage|auteur1=Sylvaine Guyot|auteur2=[[Alain Viala|Alain Viala (éd.)|lien auteur2=Alain Viala]]|titre=Jean Racine. Théâtre complet|lieu=Paris|éditeur=Classiques Garnier|année=2017|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=Jean Lesaulnier|responsabilité1=éd.|titre=Jean Racine. Correspondance|lieu=Paris|éditeur=Honoré Champion|dateannée=2017|isbn=}}
 
=== Généralités ===
* {{Ouvrage|auteur1=[[Paul Bénichou]]|titre=Morales du Grand siècle|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|dateGallimard]]|année=1948}}
* {{Ouvrage|auteur1=Paul Bénichou|titre=Le sacre de l'écrivain|lieu=Paris|éditeur=Corti|dateannée=1973|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=[[Michel Meyer (philosophe)|Michel Meyer]]|titre=Le comique et le tragique. Penser le théâtre et son histoire|lieu=Paris|éditeur=Presses Universitairesuniversitaires de France|dateannée=2005|isbn=}}
*Jean Rohou, ''La Tragédie classique'', Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009
* {{Ouvrage|auteur1=[[Alain Viala]]|titre=Naissance de l'écrivain. Sociologie de la littérature à l'âge classique|lieu=Paris|éditeur=Éditions de minuit|dateannée=1985|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=Alain Viala|responsabilité1=dir.|titre=Le théâtre en France|lieu=Paris|éditeur=Presses Universitairesuniversitaires de France|dateannée=2009|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=Alain Viala|titre=Histoire du théâtre|lieu=Paris|éditeur=Presses Universitairesuniversitaires de France|collection=Que sais-je?|dateannée=2017|isbn=}}
 
=== Biographies ===
* {{Ouvrage|auteur1=Georges Forestier|titre=Jean Racine|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|dateGallimard]]|année=2006|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=André Le Gall|titre=Racine|lieu=Paris|éditeur=[[Groupe Flammarion|dateFlammarion]]|année=2004|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=René Jasinski|titre=Vers le vrai Racine|lieu=Paris|éditeur=[[Armand Colin]]|dateannée=1958}}
* {{Ouvrage|auteur1=Thierry Maulnier|titre=Racine|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|dateGallimard]]|année=1934}}
* {{Ouvrage|auteur1=François Mauriac|titre=La vie de Jean Racine|lieu=Paris|éditeur=[[Plon]]|dateannée=1928}}
* {{Ouvrage|auteur1=Raymond Picard|titre=La Carrière de Jean Racine|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|dateGallimard]]|année=1961}}
* {{Ouvrage|auteur1=Louis Racine|titre=Mémoires contenant quelques particularités sur la vie et les ouvrages de Jean Racine|lieu=Lausanne et Genève|éditeur=Marc-Michel Bousquet & Compagnie|dateannée=1747}}
* {{Ouvrage|auteur1=Jean Rohou|titre=Jean Racine : entre sa carrière, son œuvre et son Dieu|lieu=Paris|éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|dateFayard]]|année=1992|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=John Sayer|titre=Jean Racine, Life and Legend|lieu=Berne|éditeur=[[Peter Lang (maison d'édition)|Peter Lang]]|dateannée=2006|isbn=}}
* {{Ouvrage|auteur1=Alain Viala|titre=Racine, la stratégie du caméléon|lieu=Paris|éditeur=Seghers|dateannée=1990|isbn=}}
* {{ouvrageOuvrage|langue=fr|auteur1=Rose Vincent|titre=L'Enfant de Port-Royal|auteursous-titre=Rosele Vincentroman de Jean Racine|annéelieu=1992Paris|éditeur=[[Éditions du Seuil|Le Seuil]]|année=1992|pages totales=366|isbn=2-02-013545-0}}. Un roman sur les débuts de Jean Racine et ses relations avec [[Port-Royal des Champs|Port-Royal]]
 
=== Études ===
* {{Ouvrage|auteur1=Tristan Alonge|titre=Racine et Euripide. La révolution trahie|lieu=Genève|éditeur=[[Librairie Droz|dateDroz]]|année=2017|isbn=}}
* [[Roland Barthes]], ''Sur Racine'', Paris, Seuil, 1963 (ce livre, emblème de la « nouvelle critique », a été sévèrement critiqué par [[Raymond Picard]] dans ''Nouvelle critique ou nouvelle imposture'' et par [[René Pommier]] dans ''Le « Sur Racine » de Roland Barthes'').
* Charles Bernet, ''Le Vocabulaire des tragédies de Jean Racine. Étude statistique'', Genève-Paris, Slatkine-Champion, 1983
* Christian Biet, ''Racine'', in collection ''Portraits Littéraires'', Paris, Hachette Éducation, 1996
* Marie-Florine Bruneau, ''Racine. Le jansénisme et La [[modernité]]'', Paris, José Corti, 1986
* {{Ouvrage|auteur1=Marie-Claude Canova, Alain Viala|responsabilité1=éds.|auteur2=Alain Viala|titre=Racine et l'Histoire|lieu=Tübingen|éditeur=Gunter Narr Verlag|dateannée=2004|isbn=}}
* [[Arnaud Chaffanjon]], ''Jean Racine et sa descendance'', préface de Thierry Maulnier, Paris, Les Seize Éditions du Palais Royal, 1964
* {{Chapitre|auteur1=Gilles Declercq|titre ouvrage=Jean Racine 1699-1999. Actes du colloque du tricentenaire|lieu=Paris|éditeur=PUF|année=2003|isbn=|titre chapitre=La formation rhétorique de Racine|passage=257-290}}
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* [[Lucien Goldmann]], ''Le Dieu caché. Étude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine'', Paris, Gallimard, 1955
* [[Lucien Goldmann]], ''Situation de la critique racinienne'', Paris, L'Arche, 1971 (réed. 1997)
* {{Ouvrage|auteur1=Michael Hawcroft|titre=Word As Action : Racine, Rhetoric, and Theatrical Language|lieu=Oxford|éditeur=[[Oxford University Press|Clarendon Press]]|dateannée=1992|isbn=|lire en ligne=}}
* Roy Clement Knight, ''Racine et la Grèce'', Paris, Boivin, 1950
* [[Gustave Larroumet]], ''Racine'', Paris, Hachette, coll. ''Les grands écrivains français'', 1887
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* [[Jacques de Lacretelle]] et Pierre de Lacretelle, ''Introduction au théâtre de Racine'' suivie de ''La vie privée de Racine'', Paris, Librairie académique Perrin, 1949
* Jacques de Lacretelle et Pierre de Lacretelle, ''Racine'', Paris, Librairie académique Perrin, 1970
* {{Ouvrage|auteur1=Alain Niderst|titre=Racine et la tragédie classique|lieu=Paris|éditeur=[[Presses universitaires de France]]|dateannée=1978|isbn=|lire en ligne=}}
* Anne Piéjus, ''Le Théâtre des Demoiselles. Tragédie et musique à Saint-Cyr à la fin du Grand Siècle'', Paris Société française de musicologie, 2000.
* Gérard Pélissier, ''Étude sur la Tragédie racinienne '', Paris, Ellipses, 1995, coll. "Résonances"
* [[Jean Pommier (essayiste)|Jean Pommier]], ''Aspects de Racine. L'histoire littéraire d'un couple tragique'', Paris, Nizet, 1954
* {{Ouvrage|auteur1=Catherine Ramond|titre=La Voix racinienne dans les romans du dix-huitième siècle|lieu=Paris|éditeur=Honoré Champion|dateannée=2014|isbn=|lire en ligne=}}
* [[Jean Rohou]], ''Jean Racine : bilan critique'', Paris, Armand Colin, {{2e|édition}}, 1998
* Jean Rohou, ''Avez-vous "lu" Racine ? Mise au point polémique'', Paris, L'Harmattan, 2000
Ligne 427 ⟶ 434 :
* Jean Rohou, ''Racine en 12 questions'', Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2020
* Jean-Jacques Roubine, ''Lectures de Racine'', Paris, Armand Colin, 1971
* {{Ouvrage|auteur1=Charles-Augustin Sainte-Beuve|titre=Port-Royal|lieu=Paris|éditeur=Renduel|date=1840-1859|isbn=|lire en ligne=}}
* [[Leo Spitzer]], ''L'effet de sourdine dans le style classique : Racine'' (traduction d'Alain Coulon) in ''Études de style'', précédé de ''Leo Spitzer et la lecture stylistique'' par [[Jean Starobinski]], traduit de l'anglais et de l'allemand par Éliane Kaufholz, Alain Coulon et [[Michel Foucault]], Paris, [[Gallimard]], [[1970]] {{p.|208-335}}
* [[Eugène Vinaver]], ''Racine et la poésie tragique'', Paris, Nizet, 1951
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=== Recueils ===
* {{Ouvrage|auteur1=Raymond Picard|titre=Corpus Racinianum|lieu=Paris|éditeur=[[Les Belles Lettres]]|dateannée=1956}}
* {{Ouvrage|auteur1=Raymond Picard|titre=Nouveau Corpus Racinianum|lieu=Paris|éditeur=Éditions du C.N.R.S.|dateannée=1976|isbn=}} (édition augmentée du précédent)
* {{Ouvrage|auteur1=Louis Vaunois|titre=L'Enfance et la jeunesse de Racine. Documents sur la vie de Racine|lieu=Paris|éditeur=Del Duca|dateannée=1964}}
 
=== Sources manuscrites ===
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* [[Plutarque]], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9905377 ''Varia scripta, quae Moralia vulgo dicuntur''…, Basileae, per E. Episcopium et Nicolai fr. haeredes, 1574]. Exemplaire conservé à la [[Bibliothèque nationale de France|BnF]] ([http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb311248697 RES-J-105]), annoté par Racine en 1656, pendant ses études à Port-Royal. La page de titre est signée : "Joannes Racine, cœptum {{date-|29 mai 1656}}".
* [[Sénèque]], ''L. Annaei Senecae philosophi opera omnia'' [''Œuvres complètes''], [éd.inconnu]. Exemplaire conservé à la [[Bibliothèque nationale de France|BnF]] ([http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32197923h RES-R-2003]), annoté par Racine pendant ses études à Port-Royal.
 
== Notes et références ==
{{Références nombreuses|taille=30}}
 
== Voir aussi ==
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{{catégorie principale}}
* [http://adlitteram.free.fr/cms_litterature/index.php?option=com_content&task=view&id=163&Itemid=31/ Biographie détaillée de Jean Racine]
* [http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/racine2.htm Biographie - site Ministère de la Culture] - biographie écrite par [[Marc Fumaroli|Marc Fumaroli - Académie Françaisefrançaise]]
* [https://www.poesies.net/racine.html Théâtre Complet De Jean Racine à télécharger. (Poesies.net)]
* [http://www.theatre-classique.fr Théâtre complet de Jean Racine avec notes et variantes à consulter ou à télécharger au format PDF.]
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* [[Littérature française du XVIIe siècle]]
* [[Racine passera comme le café]]
 
== Notes et références ==
{{Références nombreuses|taille=30}}
 
{{Palette
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|Jansénisme
}}
{{Portail|littérature française|théâtre|classicisme|Royaume de France|Aisne|France du Grand Siècle|Académie française|Picardie}}
 
{{DEFAULTSORT:Racine, Jean}}
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[[Catégorie:Personnalité inhumée dans une église]]
[[Catégorie:Éponyme d'un objet céleste]]
[[Catégorie:Écrivain picard]]
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