« Chatouillement (torture) » : différence entre les versions
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Le '''chatouillement''' en tant que supplice ou torture a émergé dans la culture populaire occidentale contemporaine sous l'influence de diverses publications du dix-neuvième siècle, qu'il s'agisse d'ouvrages historiques ou scientifiques, de chroniques judiciaires, d'articles de presse, ou encore de fictions.
Différents auteurs de l'époque, médecins, historiens, écrivains, entretiennent l'idée qu'un '''chatouillement''' prolongé, et poussé jusqu'à un stade extrême peut constituer une réelle torture, voire provoquer la mort. Ils appuient leurs affirmations sur des exemples tirés de l'histoire ou des anecdotes : certains puisent dans les anciens traités de criminalistes qui mentionnent l'emblématique torture de la chèvre, rendue populaire au cinéma dans le fameux film ''[[François Ier (film)|François {{Ier}}]]'' ; d'autres rappellent une célèbre affaire criminelle impliquant une sorte de Barbe-Bleue faisant périr ses épouses successives en les chatouillant ; l'histoire fournit d'autres exemples d'emploi de ce genre de supplice, comme la [[
== Affaires criminelles ==
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== Dans la littérature médicale jusqu'au dix-neuvième siècle ==
Au cours de l’histoire, la médecine a étudié les effets du rire, bénéfiques ou néfastes, sur la santé. Le rire excessif était réputé entraîner, dans des cas rarissimes, de spectaculaires conséquences telles qu'une prompte guérison, ou à l'extrémité inverse, la mort. Quant à ce mode de production mécanique du rire qu’est le chatouillement, il est si incommodant qu’il pouvait, supposait-on, représenter une sorte de torture, dans les situations les plus extrêmes, capable également d'amener la mort. Malgré un examen poussé de la physiologie et du système nerveux, le phénomène du rire demeure, dans son mécanisme, enveloppé de mystère, et encore plus celui du chatouillement. Les différents auteurs, entre le {{s-|XVI}} et le {{s-|XIX}}, en sont donc réduits à convoquer un certain nombre d’anecdotes, ou de faits historiques, pour illustrer les différents cas de figure. Mais il semble que, concernant la torture par le chatouillement, le sujet prenne de l’ampleur essentiellement au {{s-|XIX}}, où l’on se plaît à rappeler avec insistance certains épisodes marquants de l’histoire tels que la
=== « Vrai rire » et « faux rire » ===
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=== Torture et supplice par le chatouillement ===
Il semble que le médecin suisse [[Albrecht von Haller]] soit l'un des premiers à évoquer un cas de torture, au sens strict du terme, par le chatouillement. Selon le médecin [[Eugène Bouchut]] : « On peut provoquer [le rire] par le chatouillement des côtes ou de la plante des pieds, et ce peut être un moyen de torture, car Haller<ref group="Note">Peut-être dans son traité ''De partibus corporis humani sensilibus et irritabilibus'', 1752, qui étudie l'irritabilité et la sensibilité des nerfs ? La source reste encore à vérifier.</ref> raconte que les émissaires de Louis XIV usaient de ce procédé pour convertir les hérétiques des Cévennes. C’est le ''rire réflexe''<ref>{{Ouvrage|auteur1=Eugène Bouchut|titre=Traité de diagnostic et de sémiologie|passage=p. 447, chapitre IV, « Signes fournis au diagnostic par le rire et les pleurs »|lieu=Paris|éditeur=J.-B. Baillières et fils|date=1883|isbn=|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6156116w/f462}}</ref>. » Son emploi durant la
Un cas de supplice, cette fois, est attribué aux [[Frères_moraves|Frères Moraves]] qui, paraît-il, pour des raisons religieuses ne voulaient pas faire couler le sang et avaient imaginé de faire périr les condamnés à mort par le moyen du chatouillement. Tissot<ref group="Note">''op. cit.'', à propos des convulsions mortelles provoquées par le rire : « Ces exemples rappellent un genre de mort imaginé par les frères de Moravie, secte d’Anabapstistes, qui pour ne pas répandre le sang, chatouilloient le coupable jusques à la mort (en note, il renvoie vers St. Foix, ''essays sur Paris'', t. 5 p. 54). »</ref>, Denis-Prudent Roy<ref group="Note">''op. cit.'', après avoir évoqué la Guerre des Cévennes, il enchaîne : « Ce singulier supplice était en usage chez certains peuples qui avaient horreur du sang. C’était, dit-on, celui qu’employaient autrefois les frères Moraves. »</ref>, et Bouchut<ref group="Note">''op. cit.'', p. 318 : « Au moyen âge les frères Moraves, secte d’anabaptistes qui avaient horreur de l’effusion du sang, avaient imaginé de faire périr les condamnés au dernier supplice par le chatouillement des pieds. Une fois le spasme commencé, la respiration s’embarrassait et il survenait une asphyxie promptement mortelle », et il ajoute en note : Sainte-Foix, ''Essais historiques'', t. V, p. 54.</ref> rappellent successivement cet exemple, renvoyant tous à une source unique : les ''Essays historiques sur Paris'' de [[Germain François Poullain de Saint-Foix|Saint-Foix]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Monsieur de Saintfoix|titre=Essais historiques de Paris, tome cinquième|passage=p. 54|lieu=Paris|éditeur=Veuve Duchesne|date=1767|isbn=|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=tVdKAAAAYAAJ&dq=Essais%20historiques%20sur%20Paris%20saintfoix&hl=fr&pg=PA3#v=onepage&q=Essais%20historiques%20sur%20Paris%20saintfoix&f=false}}</ref>, tome V, paru en 1767.
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En 1905, le médecin [[Charles Féré]] fait le point sur la question dans sa ''Note sur le chatouillement.'' Il balaie laconiquement le cas de mise à mort rapporté par [[Amédée Dechambre|Dechambre]], trente ans plus tôt : « On a admis depuis que ce danger n’est qu’une légende. » Il rapporte différents cas de pathologies suscitées par des chatouillements comme l'épilepsie, des troubles neurasthéniques ou cardiaques, la fatigue ou l'angoisse, mais signale l'opinion d'{{Lien|trad=Arthur_Mitchell_(physician)|fr=Arthur Mitchell (médecin)|texte=Arthur Mitchell}} qui exclut toute « irritation mécanique » causée par le rire, n'acceptant qu'une « irritation psychique »<ref>{{Article |auteur1=Charles Ferré |titre=Note sur le chatouillement |périodique=Comptes-rendus hebdomadaires des séances et mémoires de la Société de biologie, |date=1905, tome 1er |lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6490646q/f604.item |pages=p. 596-599 }}</ref>.
== La
Comme il en est question ci-dessus, les médecins du dix-neuvième siècle rapportent inlassablement des cas de torture par le chatouillement survenus au cours de deux épisodes historiques marquants : la
=== Les Frères Moraves ===
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{{Citation bloc|S’il arrivoit un homicide parmi les frères, on punissoit de mort le meurtrier ; mais le genre de son supplice étoit très-singulier, & imaginé bizarement, pour ne pas répandre le sang humain ; car on chatoüilloit le criminel jusqu’à ce qu’il en mourût<ref group="Note">L'auteur du présent article n'a pas encore consulté l'ouvrage du père Catrou, mais l'on peut s'attendre à ce que le passage concerné soit rédigé à peu près dans les mêmes termes que cette recension du ''Journal des Savants.''</ref>.}}
On n'est guère mieux informé quant au mode d'administration de ce « supplice » que chez Saint-Foix, lequel reprend quasiment mot pour mot le propos de Catrou. Ce dernier situe le théâtre de son action un siècle auparavant, en 1630. Selon lui, c'est à cette époque que les Frères de Moravie<ref group="Note">On ne doit pas les confondre avec ceux que l'on nomme aujourd'hui les [[Frères moraves|Frères Moraves]] ou Frères Tchèques, qui sont les héritiers du hussisme.</ref>, réunissant [[huttérisme|Huttéristes]] et Gabriélistes, trouvent la prospérité en [[Moravie]], où ils se sont établis, avant d'en être chassés par l'empereur [[Ferdinand II (empereur du Saint-Empire)|Ferdinand II]]<ref group="Note">Voici un large extrait de cet article : « L’établissement des Anabaptistes en Moravie fait un des plus beaux morceaux, & des plus travaillez de tout cet ouvrage. Hutter & Gabriel eurent le soin de conduire cette colonie, laquelle arrivée dans le pays se partagea en plusieurs habitations ou colonies particulières. Ces deux hommes célèbres dans leur parti, ont eû des disciples qui portoient leur nom. Hutter forma les Hutteristes, & Gabriel ceux qu’on a appellez Gabrielistes. En 1630, les Frères de Moravie eurent avec un établissement fixe, une forme de vie réglée, soit pour le gouvernement extérieur, soit pour les sentimens qu’ils empruntèrent de Hutter (…) » (il décrit ensuite le mode de vie des Frères de Moravie, et leurs lois). « S’il arrivoit un homicide parmi les frères, on punissoit de mort le meurtrier ; mais le genre de son supplice étoit très-singulier, & imaginé bizarement, pour ne pas répandre le sang humain ; car on chatoüilloit le criminel jusqu’à ce qu’il en mourût. Ces Colonies subsistèrent assez long tems ; mais le déreglement s’y glissa peu à peu ; & lorsque l’Empereur Ferdinand les chassa de Moravie, leurs divisions propres & leur mauvaise conduite étoient sur le point de les dissiper. »</ref>. D'après les connaissances actuelles, leur établissement en Moravie remonte plutôt à 1528, où ils connaissent une période heureuse dans les années 1560-1590, jusqu'à ce que les remous de la [[
=== Les Trembleurs des Cévennes ===
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Or, il existe une relation directe entre le mesmérisme et Haller : Mesmer, qui compterait d'ailleurs parmi ses élèves, a précisément fondé sa « magnétophysiologie à partir de la théorie défendue par Haller sur l'irritabilité des nerfs<ref>{{Ouvrage|auteur1=Didier Michaux|directeur1=Didier Michaux|auteur2=Hugues Lecoursennois|titre=Douleur et hypnose|passage=Non paginé. Sous-partie 3. Douleur et magnétophysiologie mesmérienne|lieu=Paris|éditeur=Imago|date=2005|isbn=|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=pEbdDQAAQBAJ&lpg=PT72&dq=mesmer%20haller&hl=fr&pg=PT72#v=onepage&q=mesmer%20haller&f=false|titre chapitre=Douleur et magnétisme animal, le « feu invisible » de F.-A. Mesmer}}</ref>, dont il est question justement dans l'ouvrage supposé citer en exemple la torture du chatouillement appliquée aux Trembleurs des Cévennes<ref group="Note">Et d'ailleurs, cette même année 1784 paraît une ''Lettre sur le magnétisme animal'' par l'avocat Galart de Montjoie, adressée à Bailly, l'un des commissaires du roi, où il prend la défense de Mesmer. Au titre figure en bonne place une longue épigraphe de Haller.</ref>. De telles coïncidences nécessiteraient d'être élucidées<ref group="Note">On pourrait se demander, par exemple, si au fil du temps, à quelques décennies de distance, les convulsions, bien réelles, observées chez les "trembleurs" dans leurs moments de transe prophétique, ne seraient pas devenues des convulsions provoquées par une énigmatique - et peut-être imaginaire - torture du chatouillement (hypothèse de l'auteur de cette notice).</ref>.
Il faut noter qu'[[Antoine Court]], auteur d'une ''Histoire des troubles des Cévennes ou de la
=== Les aventures du Simplicissime pendant la
[[Fichier:Der Abentheurliche Simplicissimus Teutsch.jpg|vignette|redresse|Frontispice des ''[[Les Aventures de Simplicius Simplicissimus|Aventures de Simplicius Simplicissimus]]'' (1669) où l'auteur est représenté en phénix.]]
En 1669 paraît anonymement en Allemagne le roman ''[[Les Aventures de Simplicius Simplicissimus|Der Abenteuerliche Simplicissimus Teutsch]]'', aujourd'hui attribué à [[Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen]] (1622-1676). Sous une forme pseudo-autobiographique, le héros retrace ses aventures pendant la [[Guerre de Trente Ans|
Aucune version française du récit ne voit le jour avant 1951<ref group="Note">Consulter les renseignements bibliographiques sur la page ''[[Les Aventures de Simplicius Simplicissimus]]''.</ref>, mais dans la thèse en Lettres de Ferdinand Antoine en 1882, on peut lire la traduction de ce passage<ref>{{Ouvrage|auteur1=Ferdinand Antoine|titre=Étude sur le Simplicissimus de Grimmelshausen|lieu=Paris|éditeur=C. Klincksieck|date=1882|pages totales=p. 122|isbn=|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65565590/f128.image}}</ref> :
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Die Beschreibung deß Lebens eines seltzamen Vaganten genant Melchior Sternfels von Fuchshaim...|passage=p. 30|lieu=Monpelgart [i. e. Nürnberg]|éditeur=Gedruckt bei Johann Fillion|date=1669|isbn=|lire en ligne=http://www.deutschestextarchiv.de/book/view/grimmelshausen_simplicissimus_1669?p=36}}</ref>.}}
Abstraction faite de l'horreur absolue du contexte où le petit garçon ne semble pas réaliser que ses parents, sa famille, et tous les habitants de son village sont en train de périr sous ses yeux dans les plus atroces tourments, le récit atteste l'existence d'un chatouillement par les chèvres pratiqué par la soldatesque au cours de la
== Dans l'histoire de la torture pénale ==
Il est assez difficile de séparer histoire et littérature lorsqu'on aborde ce sujet tant les deux disciplines sont entremêlées, et auxquelles il faut ajouter une nouvelle fois la médecine. Tout l'imaginaire moderne associant le chatouillement à la torture, et que l'on voit à l’œuvre de façon emblématique dans le célèbre film [[François Ier (film)|''François {{Ier}}'']], paraît s'être décanté tout au long du dix-neuvième siècle dans des écrits où l'historien, le médecin et l'homme de lettre se confondent. Dans la section consacrée à la littérature médicale, il n'était question principalement que du rire, comme phénomène physiologique, où la torture par le chatouillement figurait à titre d'illustration des cas les plus extrêmes, se limitant essentiellement à deux périodes de l'histoire concernant la
=== Selon Fodéré ===
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=== Dans une brasserie de Berlin ===
On lit dans ''La Petite presse'', en 1873, que dans une brasserie de [[Berlin]], un Polonais se vante de supporter vaillamment le supplice de la chèvre inventé par les Suédois pendant la guerre de Trente
=== Le patient de l'Hôpital de Hudson River ===
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{{Citation bloc|Le premier jeu imposé par le sergent SS et ses hommes consistait à chatouiller leur victime, avec des plumes d'oie, sous la plante des pieds, entre les jambes, sous les aisselles. Au début, le prisonnier se força à rester silencieux, tandis que ses yeux frémissaient de peur et que les SS le tourmentaient à tour de rôle. Enfin, ne pouvant plus résister, il finit par rire à gorge déployée, d'un rire qui s'est rapidement transformé en un cri de douleur.}}
Ce témoignage est commenté par l'historien des médias Kylo-Patrick Hart dans son article sur l'histoire du traumatisme causé par la persécution nazie et l'internement d'environ dix à quinze mille homosexuels dans des camps de concentration durant la Seconde
== La torture du chatouillement : fable ou réalité ? ==
Si l'on fait la synthèse des différents éléments tangibles réunis dans le présent article, une torture ou un supplice du chatouillement ne semble pas être réellement attestée dans les sources. Son emploi hypothétique pendant la
== Dans les arts et la littérature ==
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