« Chatouillement (torture) » : différence entre les versions

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Le '''chatouillement''' en tant que supplice ou torture a émergé dans la culture populaire occidentale contemporaine sous l'influence de diverses publications du dix-neuvième siècle, qu'il s'agisse d'ouvrages historiques ou scientifiques, de chroniques judiciaires, d'articles de presse, ou encore de fictions.
 
Différents auteurs de l'époque, médecins, historiens, écrivains, entretiennent l'idée qu'un '''chatouillement''' prolongé, et poussé jusqu'à un stade extrême peut constituer une réelle torture, voire provoquer la mort. Ils appuient leurs affirmations sur des exemples tirés de l'histoire ou des anecdotes : certains puisent dans les anciens traités de criminalistes qui mentionnent l'emblématique torture de la chèvre, rendue populaire au cinéma dans le fameux film ''[[François Ier (film)|François {{Ier}}]]'' ; d'autres rappellent une célèbre affaire criminelle impliquant une sorte de Barbe-Bleue faisant périr ses épouses successives en les chatouillant ; l'histoire fournit d'autres exemples d'emploi de ce genre de supplice, comme la [[Guerreguerre des Cévennes]] ou la [[Guerreguerre de Trente Ans]], le système judiciaire des [[Huttérisme|Frères Moraves]], les cruautés commises par le prince [[Vlad III l'Empaleur|Dracula]], les tortures pratiquées dans la [[Rome antique]], dans la [[Chine impériale]] ou encore au [[Féodalité au Japon|Japon]]. Cependant, certains de ces récits colportés au cours du temps s'avèrent invérifiables, et la médecine finit par écarter au début du vingtième siècle le « danger mortel » que ferait courir un chatouillement ininterrompu, ce qui n'empêche pas quelques auteurs du {{s mini-|XX}} et du {{s mini-|XXI}} siècles de continuer de reprendre ces éléments. Quant à la « torture par les chèvres », quoique plusieurs fois mentionnée dans les traités de procédure criminelle des {{s2-|XVI|XVII}}, et dans plusieurs autres écrits de la même époque, elle ne paraît pas vraiment constituer une « torture par le chatouillement ».
 
== Affaires criminelles ==
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== Dans la littérature médicale jusqu'au dix-neuvième siècle ==
Au cours de l’histoire, la médecine a étudié les effets du rire, bénéfiques ou néfastes, sur la santé. Le rire excessif était réputé entraîner, dans des cas rarissimes, de spectaculaires conséquences telles qu'une prompte guérison, ou à l'extrémité inverse, la mort. Quant à ce mode de production mécanique du rire qu’est le chatouillement, il est si incommodant qu’il pouvait, supposait-on, représenter une sorte de torture, dans les situations les plus extrêmes, capable également d'amener la mort. Malgré un examen poussé de la physiologie et du système nerveux, le phénomène du rire demeure, dans son mécanisme, enveloppé de mystère, et encore plus celui du chatouillement. Les différents auteurs, entre le {{s-|XVI}} et le {{s-|XIX}}, en sont donc réduits à convoquer un certain nombre d’anecdotes, ou de faits historiques, pour illustrer les différents cas de figure. Mais il semble que, concernant la torture par le chatouillement, le sujet prenne de l’ampleur essentiellement au {{s-|XIX}}, où l’on se plaît à rappeler avec insistance certains épisodes marquants de l’histoire tels que la Guerreguerre des Cévennes, ou l’épopée des Frères Moraves. L'idée est cependant abandonnée par le corps médical à la fin du {{s-|XIX}}.
 
=== « Vrai rire » et « faux rire » ===
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=== Torture et supplice par le chatouillement ===
Il semble que le médecin suisse [[Albrecht von Haller]] soit l'un des premiers à évoquer un cas de torture, au sens strict du terme, par le chatouillement. Selon le médecin [[Eugène Bouchut]] : « On peut provoquer [le rire] par le chatouillement des côtes ou de la plante des pieds, et ce peut être un moyen de torture, car Haller<ref group="Note">Peut-être dans son traité ''De partibus corporis humani sensilibus et irritabilibus'', 1752, qui étudie l'irritabilité et la sensibilité des nerfs ? La source reste encore à vérifier.</ref> raconte que les émissaires de Louis XIV usaient de ce procédé pour convertir les hérétiques des Cévennes. C’est le ''rire réflexe''<ref>{{Ouvrage|auteur1=Eugène Bouchut|titre=Traité de diagnostic et de sémiologie|passage=p. 447, chapitre IV, « Signes fournis au diagnostic par le rire et les pleurs »|lieu=Paris|éditeur=J.-B. Baillières et fils|date=1883|isbn=|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6156116w/f462}}</ref>. » Son emploi durant la Guerreguerre des Cévennes est régulièrement évoqué par les auteurs du dix-neuvième siècle. S'en font ainsi l'écho tour à tour [[Anthelme Richerand|Balthasar-Anthelme Richerand]] en 1802<ref>{{Ouvrage|auteur1=Balthasar-Anthelme Richerand|titre=Nouveaux éléments de physiologie|passage=Pagination dans la 13e éd., Bruxelles, 1837 : p. 243|lieu=Paris|éditeur=Crapart, Caille et Ravier|date=an X (2e éd.)|isbn=|lire en ligne=}}</ref>, Denis-Prudent Roy<ref group="Note">''op. cit.'' « Ne sait-on pas en effet que, sous Louis XIV, on tourmentait les réformés des Cévennes en les liant sur un banc et en leur chatouillant la plante des pieds, jusqu’à ce que, subjugués par cette insupportable épreuve, ils changeassent d’opinion ? Plusieurs d’entre ces malheureux périrent victimes de leur incrédulité, au milieu de convulsions épouvantables et de ris immodérés.(...) ». Ajoutant plus loin : « Or, M. [[Anthelme Richerand|Richerand]] qui, en parlant des effets des passions sur l’homme, rapporte l’exemple des réformés des Cévennes, n’a sûrement pas fait cette remarque. Et en effet, que l’impression du chatouillement procure, ainsi que je l’ai remarqué d’après Lecat et autres auteurs, une espèce de sensation mixte dans laquelle le plaisir et la douleur paraissent se confondre, ce n’en est pas moins une sensation toute physique ; et dans la torture qu’elle nous fait éprouver, l’une des plus cruelles peut-être, on ne peut pas dire, je crois, que l’âme ait la conscience de quelque sentiment affectif agréable (…) ». Il renvoie à l'''op. cit.'' de Richerand, {{4e}} éd., t. II, p. 184.</ref>{{,}}<ref name=":0" /> en 1814, Richond des Brus en 1828<ref group="Note">''op. cit. :'' « (...) nous savons que c’est en déterminant par le châtouillement un rire inextinguible qu’on faisait périr les Calvinistes des Cévennes. »</ref>, [https://data.bnf.fr/fr/12980726/adolphe_benestor_lunel/ Benestor Lunel] en 1854<ref>{{Ouvrage|auteur1=|titre=Chatouillement, dans : Dictionnaire critique et raisonné des erreurs et préjugés en médecine|passage=p. 54|lieu=Paris|éditeur=Gruner|date=1854|isbn=|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1269811n/f49}}</ref>{{,}}<ref group="Note">Extrait de la notice ''Chatouillement'' : « Mode d’excitation de la sensibilité qui peut devenir funeste lorsqu’il est porté à l’excès. L’histoire nous a conservé le terrible souvenir du genre de supplice qu’endurèrent un grand nombre d’habitants des Cévennes qui ne voulurent point abjurer leur foi religieuse. On les attachait, puis on leur chatouillait la plante des pieds, le nombril, les aisselles, etc. et la mort survenait précédée d’affreuses convulsions. Le chatouillement porté à l’excès est donc fort dangereux, et peut déterminer chez les personnes nerveuses des affections épileptiques, hystériques et convulsives. '''»''' </ref>, [[Amédée Dechambre]] en 1874 (évoquant les Trembleurs des Cévennes, qui eurent à subir ce supplice)<ref>{{Ouvrage|auteur1=A. Dechambre, dir.|titre=Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales|passage=Première série. Tome 15e. CHA-CHE, p. 524|lieu=Paris|éditeur=G. Masson, P. Asselin|date=1874|isbn=|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31221b/f528}}</ref>{{,}}<ref group="Note">Dans la notice « Chatouillement » : « Le chatouillement continu et prolongé peut occasionner des mouvements convulsifs et même la mort. Il a été employé comme supplice, notamment sur les Trembleurs des Cévennes. » </ref>, le naturaliste [[Adolphe Focillon]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Adolphe Focillon|titre=Chatouillement, dans : Dictionnaire général des sciences théoriques et appliquées..., 1re partie, 2e éd.|passage=p. 450-451|lieu=Paris|éditeur=C. Delagrave ; Garnier frères|date=1877|isbn=|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29873z/f458.image}}</ref>{{,}}<ref group="Note">Extrait de la notice ''Chatouillement'' : « Si le chatouillement est continué plus longtemps, il détermine des cris, des mouvements convulsifs ; enfin on l’a vu suivi quelquefois de convulsions violentes et prolongées, et même de la mort. Pendant les guerres religieuses des Cévennes, un des supplices les plus usités était le chatouillement sous la plante des pieds. Le chatouillement est quelquefois employé en médecine en cas de syncopes, d’asphyxie, etc. »</ref> fermant la marche en 1877.
 
Un cas de supplice, cette fois, est attribué aux [[Frères_moraves|Frères Moraves]] qui, paraît-il, pour des raisons religieuses ne voulaient pas faire couler le sang et avaient imaginé de faire périr les condamnés à mort par le moyen du chatouillement. Tissot<ref group="Note">''op. cit.'', à propos des convulsions mortelles provoquées par le rire : « Ces exemples rappellent un genre de mort imaginé par les frères de Moravie, secte d’Anabapstistes, qui pour ne pas répandre le sang, chatouilloient le coupable jusques à la mort (en note, il renvoie vers St. Foix, ''essays sur Paris'', t. 5 p. 54). »</ref>, Denis-Prudent Roy<ref group="Note">''op. cit.'', après avoir évoqué la Guerre des Cévennes, il enchaîne : « Ce singulier supplice était en usage chez certains peuples qui avaient horreur du sang. C’était, dit-on, celui qu’employaient autrefois les frères Moraves. »</ref>, et Bouchut<ref group="Note">''op. cit.'', p. 318 : « Au moyen âge les frères Moraves, secte d’anabaptistes qui avaient horreur de l’effusion du sang, avaient imaginé de faire périr les condamnés au dernier supplice par le chatouillement des pieds. Une fois le spasme commencé, la respiration s’embarrassait et il survenait une asphyxie promptement mortelle », et il ajoute en note : Sainte-Foix, ''Essais historiques'', t. V, p. 54.</ref> rappellent successivement cet exemple, renvoyant tous à une source unique : les ''Essays historiques sur Paris'' de [[Germain François Poullain de Saint-Foix|Saint-Foix]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Monsieur de Saintfoix|titre=Essais historiques de Paris, tome cinquième|passage=p. 54|lieu=Paris|éditeur=Veuve Duchesne|date=1767|isbn=|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=tVdKAAAAYAAJ&dq=Essais%20historiques%20sur%20Paris%20saintfoix&hl=fr&pg=PA3#v=onepage&q=Essais%20historiques%20sur%20Paris%20saintfoix&f=false}}</ref>, tome V, paru en 1767.
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En 1905, le médecin [[Charles Féré]] fait le point sur la question dans sa ''Note sur le chatouillement.'' Il balaie laconiquement le cas de mise à mort rapporté par [[Amédée Dechambre|Dechambre]], trente ans plus tôt : « On a admis depuis que ce danger n’est qu’une légende. » Il rapporte différents cas de pathologies suscitées par des chatouillements comme l'épilepsie, des troubles neurasthéniques ou cardiaques, la fatigue ou l'angoisse, mais signale l'opinion d'{{Lien|trad=Arthur_Mitchell_(physician)|fr=Arthur Mitchell (médecin)|texte=Arthur Mitchell}} qui exclut toute « irritation mécanique » causée par le rire, n'acceptant qu'une « irritation psychique »<ref>{{Article |auteur1=Charles Ferré |titre=Note sur le chatouillement |périodique=Comptes-rendus hebdomadaires des séances et mémoires de la Société de biologie, |date=1905, tome 1er |lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6490646q/f604.item |pages=p. 596-599 }}</ref>.
 
== La Guerreguerre des Cévennes et la Guerreguerre de Trente ansAns ==
Comme il en est question ci-dessus, les médecins du dix-neuvième siècle rapportent inlassablement des cas de torture par le chatouillement survenus au cours de deux épisodes historiques marquants : la Guerreguerre des Cévennes, et l'établissement des [[Anabaptisme|anabaptistes]] en Moravie.
 
=== Les Frères Moraves ===
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{{Citation bloc|S’il arrivoit un homicide parmi les frères, on punissoit de mort le meurtrier ; mais le genre de son supplice étoit très-singulier, & imaginé bizarement, pour ne pas répandre le sang humain ; car on chatoüilloit le criminel jusqu’à ce qu’il en mourût<ref group="Note">L'auteur du présent article n'a pas encore consulté l'ouvrage du père Catrou, mais l'on peut s'attendre à ce que le passage concerné soit rédigé à peu près dans les mêmes termes que cette recension du ''Journal des Savants.''</ref>.}}
 
On n'est guère mieux informé quant au mode d'administration de ce « supplice » que chez Saint-Foix, lequel reprend quasiment mot pour mot le propos de Catrou. Ce dernier situe le théâtre de son action un siècle auparavant, en 1630. Selon lui, c'est à cette époque que les Frères de Moravie<ref group="Note">On ne doit pas les confondre avec ceux que l'on nomme aujourd'hui les [[Frères moraves|Frères Moraves]] ou Frères Tchèques, qui sont les héritiers du hussisme.</ref>, réunissant [[huttérisme|Huttéristes]] et Gabriélistes, trouvent la prospérité en [[Moravie]], où ils se sont établis, avant d'en être chassés par l'empereur [[Ferdinand II (empereur du Saint-Empire)|Ferdinand II]]<ref group="Note">Voici un large extrait de cet article : « L’établissement des Anabaptistes en Moravie fait un des plus beaux morceaux, & des plus travaillez de tout cet ouvrage. Hutter & Gabriel eurent le soin de conduire cette colonie, laquelle arrivée dans le pays se partagea en plusieurs habitations ou colonies particulières. Ces deux hommes célèbres dans leur parti, ont eû des disciples qui portoient leur nom. Hutter forma les Hutteristes, & Gabriel ceux qu’on a appellez Gabrielistes. En 1630, les Frères de Moravie eurent avec un établissement fixe, une forme de vie réglée, soit pour le gouvernement extérieur, soit pour les sentimens qu’ils empruntèrent de Hutter (…) » (il décrit ensuite le mode de vie des Frères de Moravie, et leurs lois). « S’il arrivoit un homicide parmi les frères, on punissoit de mort le meurtrier ; mais le genre de son supplice étoit très-singulier, & imaginé bizarement, pour ne pas répandre le sang humain ; car on chatoüilloit le criminel jusqu’à ce qu’il en mourût. Ces Colonies subsistèrent assez long tems ; mais le déreglement s’y glissa peu à peu ; & lorsque l’Empereur Ferdinand les chassa de Moravie, leurs divisions propres & leur mauvaise conduite étoient sur le point de les dissiper. »</ref>. D'après les connaissances actuelles, leur établissement en Moravie remonte plutôt à 1528, où ils connaissent une période heureuse dans les années 1560-1590, jusqu'à ce que les remous de la [[Guerreguerre de Trente Ans|Guerre de Trente ans]] s'abattent sur eux en 1619, et que Ferdinand II les chasse du pays en 1622. Les approximations du père Catrou semblent manifestes s'agissant d'une période un peu reculée dans le temps.
 
=== Les Trembleurs des Cévennes ===
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Or, il existe une relation directe entre le mesmérisme et Haller : Mesmer, qui compterait d'ailleurs parmi ses élèves, a précisément fondé sa « magnétophysiologie à partir de la théorie défendue par Haller sur l'irritabilité des nerfs<ref>{{Ouvrage|auteur1=Didier Michaux|directeur1=Didier Michaux|auteur2=Hugues Lecoursennois|titre=Douleur et hypnose|passage=Non paginé. Sous-partie 3. Douleur et magnétophysiologie mesmérienne|lieu=Paris|éditeur=Imago|date=2005|isbn=|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=pEbdDQAAQBAJ&lpg=PT72&dq=mesmer%20haller&hl=fr&pg=PT72#v=onepage&q=mesmer%20haller&f=false|titre chapitre=Douleur et magnétisme animal, le « feu invisible » de F.-A. Mesmer}}</ref>, dont il est question justement dans l'ouvrage supposé citer en exemple la torture du chatouillement appliquée aux Trembleurs des Cévennes<ref group="Note">Et d'ailleurs, cette même année 1784 paraît une ''Lettre sur le magnétisme animal'' par l'avocat Galart de Montjoie, adressée à Bailly, l'un des commissaires du roi, où il prend la défense de Mesmer. Au titre figure en bonne place une longue épigraphe de Haller.</ref>. De telles coïncidences nécessiteraient d'être élucidées<ref group="Note">On pourrait se demander, par exemple, si au fil du temps, à quelques décennies de distance, les convulsions, bien réelles, observées chez les "trembleurs" dans leurs moments de transe prophétique, ne seraient pas devenues des convulsions provoquées par une énigmatique - et peut-être imaginaire - torture du chatouillement (hypothèse de l'auteur de cette notice).</ref>.
 
Il faut noter qu'[[Antoine Court]], auteur d'une ''Histoire des troubles des Cévennes ou de la Guerreguerre des Camisards'' en 1760, ouvrage riche en détails, ne dit pas un mot de ce genre de supplice, alors qu'il signale les nombreux autres supplices qu'ont eu à subir les révoltés, tels que la roue et la pendaison<ref group="Note">Dans un article paru en 1961 dans le magazine grand public ''Popular science'', le journaliste George J. Barmann fait encore mention de la Guerre des Cévennes : « Dr. Feldman [Dr. Sandor S. Feldman of the University of Rochester Medical Center, New York] speaks of people being tortured by tickling during religious persecutions in Cevennes, in Southern France, in 1760.  Some of these may have been tickled to death - by being thrown into fatal convulsions or suffering a heart attack from the strain of the ordeal. Another authority notes that many Roman gladiators died laughing - a reflex action from wounds in the abdomen, a touchy part of the body. » En dehors de l'imprécision historique de ce commentaire (situant la Guerre des Cévennes en 1760, alors qu'elle s'est terminée en 1704), l'auteur rappelle, sans recul ni source, cette ancienne croyance sur le "rire diaphragmatique" ou "sardonique", c'est-à-dire provoqué par la "blessure du diaphragme" (remontant à Pline l'Ancien), écartée depuis le dix-neuvième siècle par Denis-Prudent Roy (voir la note 5). Dans son ensemble, l'article ne cite aucune source précise.</ref>{{,}}<ref name=":3">{{Article |langue=Anglais |auteur1=George J. Barmann |titre=Ticklishness is no laughing matter : Scientific « tickle tests » show that this supposedly playful response is closely bound up with our instinct for survival |périodique=Popular science |date=April 1961 |lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=WSYDAAAAMBAJ&lpg=PA242&ots=GmZdM0iE6L&dq=Ticklishness%20is%20No%20Laughing%20Matter%20popular%20science&hl=fr&pg=PA242#v=onepage&q=Ticklishness%20is%20No%20Laughing%20Matter%20popular%20science&f=false |pages=p. 97-99 & 242 }}</ref>.
 
=== Les aventures du Simplicissime pendant la Guerreguerre de Trente ansAns ===
[[Fichier:Der Abentheurliche Simplicissimus Teutsch.jpg|vignette|redresse|Frontispice des ''[[Les Aventures de Simplicius Simplicissimus|Aventures de Simplicius Simplicissimus]]'' (1669) où l'auteur est représenté en phénix.]]
En 1669 paraît anonymement en Allemagne le roman ''[[Les Aventures de Simplicius Simplicissimus|Der Abenteuerliche Simplicissimus Teutsch]]'', aujourd'hui attribué à [[Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen]] (1622-1676). Sous une forme pseudo-autobiographique, le héros retrace ses aventures pendant la [[Guerre de Trente Ans|Guerreguerre de Trente ans]], l'effroyable conflit qui ravagea de part en part l'Empire germanique entre 1618 et 1648, décimant la population - dont on estime qu'un quart, soit environ quatre millions de personnes, fut massacrée lors des exactions commises par les bandes errantes de soudards - brûlant les villages et les fermes, jetant des milliers de vagabonds sur les routes. Les célèbres [[Les Grandes Misères de la guerre|gravures de Callot]] publiées en 1633 donnent une idée de ces atrocités. Le roman de Grimmelshausen connaît un grand succès en Allemagne, où il est largement diffusé dès sa parution, et compte parmi les Monuments de la littérature allemande publiés dans les années 1860 par [[Gustav Freytag|Gustave Freytag]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Gustave Freytag|titre=Bilder aus der deutschen Vergangenheit, Band 3. Aus dem Jahrhundert des großen Krieges (1600-1700)|lieu=Leipzig|éditeur=List|date=1866|isbn=|lire en ligne=}}</ref>. Les aventures du jeune héros débutent aux alentours de 1634 dans un bourg de la [[Hesse (Land)|Hesse]], lorsqu'il assiste, enfant, au massacre de sa famille et de son village par une troupe de soldats suédois. Parvenu à s'échapper, il trouve refuge auprès d'un ermite, et par la suite devient tour à tour mendiant, prisonnier, page d'un seigneur, bouffon, brigand, et finalement soldat.
 
Aucune version française du récit ne voit le jour avant 1951<ref group="Note">Consulter les renseignements bibliographiques sur la page ''[[Les Aventures de Simplicius Simplicissimus]]''.</ref>, mais dans la thèse en Lettres de Ferdinand Antoine en 1882, on peut lire la traduction de ce passage<ref>{{Ouvrage|auteur1=Ferdinand Antoine|titre=Étude sur le Simplicissimus de Grimmelshausen|lieu=Paris|éditeur=C. Klincksieck|date=1882|pages totales=p. 122|isbn=|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65565590/f128.image}}</ref> :
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Die Beschreibung deß Lebens eines seltzamen Vaganten genant Melchior Sternfels von Fuchshaim...|passage=p. 30|lieu=Monpelgart [i. e. Nürnberg]|éditeur=Gedruckt bei Johann Fillion|date=1669|isbn=|lire en ligne=http://www.deutschestextarchiv.de/book/view/grimmelshausen_simplicissimus_1669?p=36}}</ref>.}}
 
Abstraction faite de l'horreur absolue du contexte où le petit garçon ne semble pas réaliser que ses parents, sa famille, et tous les habitants de son village sont en train de périr sous ses yeux dans les plus atroces tourments, le récit atteste l'existence d'un chatouillement par les chèvres pratiqué par la soldatesque au cours de la Guerreguerre de Trente ansAns, à la réserve que le roman de Grimmelshausen - dont les aventures du ''[[Candide]]'' de [[Voltaire]] reprennent plus ou moins le modèle - en dehors de son caractère partiellement fictif, comporte une bonne part de fantaisie. On notera également une proximité historique avec le sort des [[Huttérisme|Huttéristes]] (ou « Frères de Moravie ») - auxquels Catrou attribue également un supplice par le chatouillement - persécutés au cours de cette même Guerreguerre de Trente ansAns<ref group="Note">Catrou publie son ouvrage moins de trente ans après la diffusion massive du roman du Simplicissime, et l'on serait tenté de songer à une interférence entre les deux récits (hypothèse de l'auteur de la présente notice).</ref>.
 
== Dans l'histoire de la torture pénale ==
Il est assez difficile de séparer histoire et littérature lorsqu'on aborde ce sujet tant les deux disciplines sont entremêlées, et auxquelles il faut ajouter une nouvelle fois la médecine. Tout l'imaginaire moderne associant le chatouillement à la torture, et que l'on voit à l’œuvre de façon emblématique dans le célèbre film [[François Ier (film)|''François {{Ier}}'']], paraît s'être décanté tout au long du dix-neuvième siècle dans des écrits où l'historien, le médecin et l'homme de lettre se confondent. Dans la section consacrée à la littérature médicale, il n'était question principalement que du rire, comme phénomène physiologique, où la torture par le chatouillement figurait à titre d'illustration des cas les plus extrêmes, se limitant essentiellement à deux périodes de l'histoire concernant la Guerreguerre des Cévennes et les Frères Moraves. Mais en parallèle, les auteurs s'intéressent à des exemples empruntés aux anciennes procédures judiciaires.
 
=== Selon Fodéré ===
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=== Dans une brasserie de Berlin ===
On lit dans ''La Petite presse'', en 1873, que dans une brasserie de [[Berlin]], un Polonais se vante de supporter vaillamment le supplice de la chèvre inventé par les Suédois pendant la guerre de Trente ansAns (d'après sans doute la scène qui est racontée dans les aventures du [[Les Aventures de Simplicius Simplicissimus|Simplicissime]]). Quelqu'un relève le défi, et le Polonais doit se soumettre à cette épreuve. Mais au bout d'une demi-minute de cette séance, il se déclare vaincu<ref>{{Article |auteur1= |titre=Faits divers, « Le supplice du chatouillement » |périodique=La Petite presse |date=18 janvier 1873 |lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4713506w/f4.item |pages=p. 4 }}</ref>.
 
=== Le patient de l'Hôpital de Hudson River ===
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{{Citation bloc|Le premier jeu imposé par le sergent SS et ses hommes consistait à chatouiller leur victime, avec des plumes d'oie, sous la plante des pieds, entre les jambes, sous les aisselles. Au début, le prisonnier se força à rester silencieux, tandis que ses yeux frémissaient de peur et que les SS le tourmentaient à tour de rôle. Enfin, ne pouvant plus résister, il finit par rire à gorge déployée, d'un rire qui s'est rapidement transformé en un cri de douleur.}}
 
Ce témoignage est commenté par l'historien des médias Kylo-Patrick Hart dans son article sur l'histoire du traumatisme causé par la persécution nazie et l'internement d'environ dix à quinze mille homosexuels dans des camps de concentration durant la Seconde guerreGuerre mondiale<ref>{{Ouvrage|langue=Anglais|auteur1=Kylo-Patrick Hart|auteur2=Bootheina Majoul|titre=On trauma and traumatic memory|passage=p. 58|lieu=Newcastle upon Tyne|éditeur=Cambridge scholars|date=2017|isbn=|lire en ligne=https://books.google.fr/books?id=2VwpDwAAQBAJ&lpg=PA39&ots=7-wJmmzQVL&dq=On%20Trauma%20and%20Traumatic%20Memory%20majoul&hl=fr&pg=PA58#v=onepage&q&f=false|titre chapitre=On witnessing and representation : traum, caultural memory, and the men with the pink triangle}}</ref>.
 
== La torture du chatouillement : fable ou réalité ? ==
Si l'on fait la synthèse des différents éléments tangibles réunis dans le présent article, une torture ou un supplice du chatouillement ne semble pas être réellement attestée dans les sources. Son emploi hypothétique pendant la Guerreguerre des Cévennes ou par les Frères de Moravie repose sur des mentions non documentées : seul Catrou la situe chez les Frères de Moravie, seul Haller la situe chez les Trembleurs des Cévennes, à partir sans doute d'anecdotes peu fiables. Le récit du Simplicissime n'est pas à prendre comme un témoignage historique, mais s'inscrit dans un style littéraire d'allure humoristique : il s'agit plutôt, pour l'auteur, de mettre en relief la naïveté d'un personnage qui ne perçoit pas la réalité des évènements. La torture du scarabée ne produit pas le chatouillement décrit par Fodéré. Il reste celle de la chèvre, qui conserve une ambiguïté : les criminalistes décrivent un stade ultime bien éloigné d'un quelconque chatouillement et dont on a vu les effets inhumains. Quant au premier stade, certains auteurs le jugent incommodant sans fournir plus de précision. On note une certaine contradiction entre ceux - nombreux - qui la présentent comme « sans danger » pour l'intégrité du corps, tout en la qualifiant d'atroce (et même d'''atrocissimum''), et ceux qui nous parlent de lésions extrêmes où les chairs sont retirées jusqu'à mettre les os à nu, dont on ne voit comment elles ne pourraient pas laisser de séquelles. Pour Döpler, le patient ne peut d'ailleurs plus, après cela, se servir de ses pieds. Aussi Zacchias précise-t-il que cette torture ne cause aucun dégât corporel à condition qu'elle soit arrêtée à temps. Selon lui - et il est le seul à le préciser - avant même d'être arrivé à ce stade, le commencement serait en lui-même incommodant, procurant du dégoût ou de l'aversion (''taedium''). Cette incommodité initiale doit-elle être assimilée au chatouillement ? Aucun auteur ne le précise. Seul Zwingler parle d'un « rire sardonien allant jusqu'à l'évanouissement ». Seulement Zwingler n'écrit pas dans le cadre d'un traité judiciaire, ou médico-légal, et il situe même cette torture de la chèvre parmi celles de l'antiquité ou des pays lointains, renvoyant d'ailleurs aux anecdotes de Bonfini sur Dracula, ce qui laisse entendre que sa description ne lui est pas parvenue via les pratiques judiciaires de son temps, mais par des récits colportés. Enfin, la médecine, depuis le début du vingtième siècle, ne croit pas à un « danger » que représenterait le chatouillement.
 
== Dans les arts et la littérature ==