« Guerre de Canudos » : différence entre les versions

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La transition de la monarchie à la république amena une série de changements sociaux et politiques qui, conjointement avec le marasme économique, ajoutèrent au désarroi psychologique de la population des ''sertões'' et peuvent par là aider à comprendre pourquoi tant de campagnards eurent le désir rationnel de se mettre sous la protection d’un chef religieux charismatique dans l’environnement sécurisé et régulé de la [[Hacienda|fazenda]] de Canudos. Outre la [[Laïcité|séparation de l’église et de l’État]], qui bouleversa une situation et des habitudes séculaires, la chute de la monarchie déboucha sur une [[Fédéralisme|fédéralisation]] très poussée de l’État brésilien. Chacune des anciennes provinces pouvait désormais taxer ses exportations, lever ses propres forces armées, et dans la limite de ses ressources fiscales, aménager ses propres infrastructures. En conséquence, les entités fédérées les plus dynamiques de la fédération (Rio Grande do Sul, [[Minas Gerais]], São Paulo) firent un bond en avant du point de vue tant de la prospérité matérielle que de l’ascendant politique au sein du nouvel État, alors que le reste du pays, ne bénéficiant plus de la redistribution automatique des ressources naguère garantie par un État centralisateur, tendaient à s’alanguir. L’État fédéré qui, dans ce contexte, perdit le plus en influence nationale était Bahia{{sfn|Levine|1995|p=13}}, mais de façon générale, la majeure partie du pays continua à s’empêtrer dans la stagnation économique et connut une longue période d’appauvrissement. Des flux de migrants se mirent en mouvement en quête d’emploi et de moyen de subsistance, mais peu trouvèrent l’un ou l’autre. Les propriétaires terriens, considérant les campagnards de race mixte comme étant peu aptes à travailler durement contre salaire, tentèrent, par une politique de colonisation subventionnée, de recruter des travailleurs agricoles d’Europe du Nord{{sfn|Levine|1995|p=11}}. La recette que l’on s’employa à appliquer pour imposer le progrès national fut de combiner le [[libéralisme économique]] avec des mesures tendant à étouffer l’expression populaire et à bloquer toute mobilisation sociale. Les élites politiques du littoral et du sud, dédaignant les difficultés des campagnes de l’intérieur, s’accordèrent à laisser le pouvoir aux mains de l’oligarchie foncière locale traditionnelle et à se reposer sur le système des ''coroneis'' (cf. ci-dessous){{sfn|Levine|1995|p=12}}.
 
Le nord-est du Brésil connut en 1877 l’une des [[sécheresse]]s périodiques les plus calamiteuses de son histoire. Cette sécheresse, qui dura deux ans, eut un effet dévastateur sur l’économie principalement agraire de cette région semi-aride et provoqua la mort par [[déshydratation (médecine)|déshydratation]] et [[inanition]] de plus de {{unité|300000|paysans}}. De nombreux villages furent complètement abandonnés et l’on assista même à des cas de [[cannibalisme]]. Des groupes de [[flagellant]]s affamés parcouraient les routes en quête de secours de l’État ou d’aide divine ; des bandes armées voulurent instaurer la justice sociale « par leurs propres mains » en attaquant les fermes et les petites localités, car dans l’éthique des désespérés « voler pour tuer la faim n’est pas un crime ». Dans le ''sertão'' [[bahia]]nais plus spécifiquement, la sécheresse la plus cruelle eut lieu entre 1888 et 1892, c'est-à-dire en pleine période de transition de la monarchie à la république, donc à une époque où personne ne savait dans quelle mesure les États autonomes nouvellement créés, frustrés désormais de la solidarité fédérale automatique, seraient capables de se porter financièrement au secours des régions affligées{{sfn|Levine|1995|p=40}}.
 
=== Milieu naturel ===
À double titre au moins, l’environnement naturel de Canudos mérite qu’on s’y attarde : d’abord, le milieu naturel a pu, directement ou indirectement, contribuer à moduler la structure mentale de la population locale, comme il sera décrit dans la section suivante, et ensuite, les caractères physiques de la région (et surtout leur méconnaissance de la part des troupes républicaines) ont pu avoir des conséquences militaires parfois déterminantes. Da Cunha en donne une description saisissante et spectaculaire, mais en général adéquate, quoiqu'une certaine tendance à la boursouflure [[Gongorisme|gongorienne]] l’amène à voir en tout la démesure et l’extrême : les montagnes ne sont pas si hautes en réalité, et les ravins pas si encaissés<ref>August Willemsen, postface à ''De binnenlanden'', {{p.|531}}.</ref>.
 
[[Fichier:Nordestepernambucocaatingasecasergiosertao.jpg|vignette|Paysage de ''[[caatinga]]''.]]
Canudos se situe dans le ''[[sertão]]'' du nord de l’[[Bahia|État de la Bahia]], dans une zone comprise entre le fleuve Itapicuru au sud et le cours inférieur du [[Rio São Francisco]] au nord, ou, plus précisément, dans une étendue particulièrement aride sise au nord de la petite ville de [[Monte Santo (Bahia)|Monte Santo]], ville à partir de laquelle en effet, si l’on va du sud vers le nord, se succède au ''sertão'' habituel une zone de tertres dénudés, aux pentes glissantes, à la terre parcimonieuse, dont le couvert végétal est caractéristique de la ''[[caatinga]]'', c'est-à-dire une zone où la plupart des plantes voient leurs feuilles tomber et leurs tiges blanchir et s’entortiller durant la période sèche. La végétation est ainsi composée d’arbuscules presque sans prise sur le sol, aux branches entrelacées, au milieu desquels surgissent, solitaires, quelques cactus rigides.
 
Bien que la caatinga ne possède pas les espèces rabougries des déserts et qu’elle se montre riche de végétaux divers, ses arbres, vus dans leur ensemble, semblent ne former qu’une seule famille, quasiment réduite à une espèce invariable, et ne diffèrent que par la taille, ayant tous la même conformation, la même apparence de végétaux mourants, presque sans troncs, avec des branches qui surgissent à même la terre, donnant à l’ensemble l’apparence d’une zone de transition vers le désert{{sfn|Da Cunha|1993|p=48, 69}}. Lors des périodes de sécheresse, cette végétation pourtant offre les dernières ressources à qui en connaît les secrètes possibilités ; ainsi les gardiens de bétail du ''sertão'' (les ''vaqueiros'') savent-ils que découper en morceaux le ''[[Cereus jamacaru|mandacaru]]'' permet de s’hydrater même en période d’extrême sécheresse, et connaissent-ils le ''quixabeira'', dont les feuilles peuvent servir de fourrage au bétail{{sfn|Da Cunha|1993|p=160, 204}}. Si le mot ''sertão'' vient de ''desertão'', 'grand désert', l’on voit néanmoins qu’il ne s’agit aucunement d’un désert de sable, et Canudos plus particulièrement, ainsi que la zone environnante, se trouvait en fait bien arrosée de cours d’eau saisonniers, et par conséquent était la plupart des années nettement plus habitable que les étendues du sertão situées plus au nord et plus à l’ouest dans les États de [[Ceará]], de [[Rio Grande do Norte]] et de [[Pernambouc (État)|Pernambouc]]{{sfn|Levine|1995|p=79}}.
 
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Enfin, il y a lieu de relever cette caractéristique de la ''caatinga'', qui la distingue de la [[steppe]] ou de la [[pampa]] du sud brésilien et de l’[[Argentine]], et qui n’est pas sans portée militaire : le voyageur, et le soldat, ne jouit pas d’un large horizon et de la perspective des franches plaines ; la ''caatinga'', au contraire, restreint le regard et entrave sa marche par sa trame végétale, hérissée d’épines et de feuilles urticantes, et le torture psychologiquement en déroulant devant lui, sur d’infinies distances, comme le note Da Cunha, « un aspect invariablement désolé d’arbres sans feuilles, aux branches tordues et desséchées, crochues et entrecroisées, se dressant avec rigidité vers l’espace ou s’étirant souplement sur le sol (…) ».
 
Le nord-est du Brésil connut en 1877 l’une des [[sécheresse]]s périodiques les plus calamiteuses de son histoire. Cette sécheresse, qui dura deux ans, eut un effet dévastateur sur l’économie principalement agraire de cette région semi-aride et provoqua la mort par [[déshydratation (médecine)|déshydratation]] et [[inanition]] de plus de {{unité|300000|paysans}}. De nombreux villages furent complètement abandonnés et l’on assista même à des cas de [[cannibalisme]]. Des groupes de [[flagellant]]s affamés parcouraient les routes en quête de secours de l’État ou d’aide divine ; des bandes armées voulurent instaurer la justice sociale « par leurs propres mains » en attaquant les fermes et les petites localités, car dans l’éthique des désespérés « voler pour tuer la faim n’est pas un crime ». Dans le ''sertão'' [[bahia]]nais plus spécifiquement, la sécheresse la plus cruelle eut lieu entre 1888 et 1892, c'est-à-dire en pleine période de transition de la monarchie à la république, donc à une époque où personne ne savait dans quelle mesure les États autonomes nouvellement créés, frustrés désormais de la solidarité fédérale automatique, seraient capables de se porter financièrement au secours des régions affligées{{sfn|Levine|1995|p=40}}.
 
=== Aspects anthropologiques ===
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La portion de territoire circonvoisinant la ''fazenda'' de Canudos apparaît, même selon les normes du ''sertão'', comme très faiblement peuplée, avec une [[densité de population]] de seulement {{nombre|0.6|habitant par km|2}} (selon le [[Recensement de la population|recensement]] de 1890), et confinait vers le nord-ouest au ''Raso da Catarina'', étendue très aride et quasi inhabitable. La partie du sertão et de l’''[[Agreste (géographie)|agreste]]'' qu’Antônio Maciel parcourut pendant ses vingt années de pérégrinations, appelée pour cette raison ''sertão du Conselheiro'', et dans laquelle se situe aussi Canudos, s’étendait dans les États contigus de la Bahia et du [[Sergipe]], englobait une dizaine de communes (les ''municípios'' de [[Pombal (Paraíba)|Pombal]], [[Nova Soure|Soure]], [[Conde (Bahia)|Conde]], [[Inhambupe]], [[Entre Rios (Bahia)|Entre Rios]], [[Alagoinhas]], [[Itapicuru]], [[Tucano (Bahia)|Tucano]], [[Monte Santo (Bahia)|Monte Santo]] et [[Jeremoabo]]), et comptait près de {{nombre|220000|habitants}} (pour 1,9 million d’habitants dans l’ensemble de l’État de la Bahia). En 1872, soit 16 ans avant l’[[Loi d'or|abolition de l’esclavage]], le pourcentage d’esclaves dans cette même région s’établissait à 10,75 % en moyenne ; à Jeremoabo, ce chiffre était faible (moins de 4 %), mais fort élevé à Monte Santo (12,7 %) et à Entre Rios (23,7 %)<ref>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=76-77}}. À noter que ces données [[Démographie|démographiques]] varient fortement d’une source contemporaine à l’autre.</ref>.
 
Que la prédication de Conselheiro ait eu un tel retentissement dans les ''sertões'' de la Bahia peut sans doute s’expliquer en partie par certaines particularités historiques, culturelles et [[Psychologie|psychologiques]] de la population locale. Celle-ci, isolée, vivant en un cercle étroit jusqu’à la fin du {{s-|XIX}}, avait évolué et s’était multipliée largement à l’abri de tout élément étranger trois siècles durant ; plongée dans un abandon quasi complet, la population demeura tout à fait étrangère aux destinées du Brésil central et conserva intactes les traditions du passé. Selon Da Cunha (auquel l’on ne peut se dispenser de faire référence en ces matières, attendu que sa vision des choses, exprimée dans son célèbre ouvrage, conditionnera pendant des décennies la version dominante de cette guerre) se serait établi dès l’aube de l’histoire du Brésil, au {{s-|XVI}}, un riche peuplement mixte, où cependant l’[[Amérindiens|Indien]] prédominait, s’amalgamant certes au Blanc (incarné par des individus échappés à la justice ou par des aventuriers entreprenants) et au Noir (représenté par quelques [[Marronnage (esclavage)|nègres marrons]]), mais sans que ces derniers fassent nombre au point d’annuler l’indéniable influence indigène ; en effet, à l’instar des populations ''sertanejas'' qui s’étaient constituées auparavant plus au sud-ouest, sur le cours moyen du fleuve São Francisco, une population se serait formée également, toujours selon Da Cunha, dans le ''sertão'' de Canudos avec une dose prépondérante de sang ''tapuia''. L’isolement, et une longue période de vie en vase clos faisant suite au mélange originel, auraient, toujours selon Da Cunha, produit une remarquable uniformité chez ces habitants, lesquels offrent des visages et des statures qui varient légèrement autour d’un modèle unique, au point de donner l’impression d’un type [[Anthropologie|anthropologique]] invariable, donc inconfondable de prime abord avec le [[métis]] du littoral [[Océan Atlantique|atlantique]], qui présentait un aspect beaucoup plus varié ; partout, affirme Da Cunha, les mêmes caractères physiques — même teint bronzé, cheveux lisses et durs, ou doucement ondulés, carrure athlétique — s’alliaient aux mêmes caractères moraux, se traduisant par les mêmes superstitions, les mêmes vices et les mêmes vertus{{sfn|Da Cunha|1993|p=131, 135}}. En réalité, il semble que la population du sertão ait été très variée racialement et ethniquement, et non homogène comme le laissait supposer Da Cunha et, avec lui, d’autres auteurs. Les ''[[caboclo]]s '' (métis de Blanc et d’Indien) composaient certes la majorité de la population, mais n’étaient assurément pas les seuls habitants de la région{{sfn|Levine|1995|p=91}}. Les auteurs qui écrivaient sur Canudos notèrent non seulement la pigmentation sombre de la plupart des adeptes de Conselheiro, mais soulignèrent aussi que nombre de sertanejos des classes supérieures étaient de teint olivâtre ou sombre{{sfn|Levine|1995|p=155}}. À Jeremoabo p.ex., les registres de paroisse font état en 1754 de ce qu'un cinquième seulement des résidents permanents de la paroisse étaient des Blancs, le reste étant catalogués comme ''pardos'' (mulâtres sombres), métis, Indiens et Noirs{{sfn|Levine|1995|p=73}}. La présence de ces derniers était plus importante que supposée initialement, spécialement dans les lieux isolés, naguère recherchés par des Noirs fugitifs, et de petits établissements d’anciens esclaves, y compris de [[Marronnage (esclavage)|nègres marrons]], parsemaient encore le paysage{{sfn|Levine|1995|p=82}}. Les élites du littoral, de la vision desquelles Da Cunha était imprégné, tendaient à déprécier la vie campagnarde comme étant rustique et primitive, attitude qui n’était pas sans refléter un certain embarras devant le fait que le Brésil était alors peuplé en majorité écrasante de gens de couleur{{sfn|Levine|1995|p=47, 155}}.
 
Sur le plan culturel et psychologique, on trouvait alors dans la société rustique des ''sertões'', par un cas remarquable d’[[atavisme]], nous affirme Da Cunha, un riche héritage constitué d’un mélange d’[[anthropomorphisme]] indien, d’[[animisme]] africain, mais aussi de certaines croyances et superstitions [[Portugal|portugaises]] qui avaient gardé (le temps s’étant ici en quelque sorte immobilisé) la forme qu’elles avaient à l’époque de la découverte et de la colonisation. Le Portugal à l’époque de l’[[Inquisition]] connut en effet plusieurs superstitions extravagantes, avait l’obsession des miracles, recherchait, dans le pressentiment d’une ruine prochaine, son salut dans les espérances messianiques, et de fait vit entrer en scène plusieurs prophètes et illuminés. De surcroît, le [[mysticisme]] politique du [[sébastianisme]], disparu au Portugal, survivait alors encore intégralement, de façon particulièrement impressionnante, dans les ''sertões'' du nord brésilien{{sfn|Da Cunha|1993|p=163-164}}{{,}}{{sfn|Levine|1995|p=199}}. Quant au spiritisme africain, il fleurissait surtout sur la côte et n’avait pénétré l’intérieur des terres que faiblement, dans des poches habitées par d’anciens esclaves et leurs descendants. En revanche, les pratiques religieuses populaires empruntaient largement aux croyances indiennes anthropomorphiques et animistes, notamment sous la forme de personnages surnaturels ambulants etc{{sfn|Levine|1995|p=107}}.
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[[Fichier:Antonio Conselheiro (Pátria Brazileira).jpg|thumb|Antônio Conselheiro.]]
 
Antônio Conselheiro, fondateur et chef spirituel jusqu’à sa mort de la communauté de Belo Monte, naquit en 1830, sous le nom d’Antônio Maciel, dans une bourgade de la ''caatinga'' de l’État de Ceará, dans le nord du Brésil. Il avait le teint olivâtre, attribué plus tard à une ascendance en partie indienne{{sfn|Levine|1995|p=121}}. Ses parents, éleveurs et négociants, appartenant à la classe conservatrice, soumettaient leurs enfants à une stricte discipline religieuse et destinaient Antônio à l’état de prêtre. La mort prématurée de sa mère en décida autrement, mais Antônio Conselheiro reçut néanmoins quelque instruction de son grand-père instituteur. Après avoir abandonné, pour insuccès, le commerce qu’il avait hérité de ses parents, il gagna sa vie comme instituteur, puis comme [[avocat (métier)|avocat]] sans titre, au service des démunis. Il contracta un mariage malheureux avec une sienne cousine, âgée de 15 ans ; à la suite de l’adultère de celle-ci avec un milicien, et placé, selon le code d’honneur ''sertanejo'', devant le choix soit de se venger (c'est-à-dire d’assassiner femme et amant), soit d’une humiliation interminable, il choisit la {{3e}} option, la fuite{{sfn|Levine|1995|p=124}}. Il quitta donc la contrée natale et s’en alla séjourner dans les ''sertões'' du [[Microrégion du Cariri|Cariri]] pour y travailler comme enseignant rural, mais manifesta bientôt un penchant pour le mysticisme chrétien.
 
Il entama alors, à partir duau milieu des années 1860, une période de pérégrinations à travers les ''sertões'' du nord-este brésilien, exerçant divers métiers et accompagnant les missionnaires itinérants qui prêchaient dans les foires hebdomadaires. Avare de paroles, s’infligeant pénitences et mortifications, d’une grande maigreur et d’un bizarre accoutrement, avec son invariable tunique bleue, il faisait forte impression auprès des ''sertanejos'', et des fidèles se mirent à le suivre, sans qu’il les y eût incités. Peu à peu, il se mua en ermite ambulant et en prédicateur, prêchant ce qui pouvait paraître un obscur méli-mélo de morale chrétienne et de visions [[Apocalypse|apocalyptiques]], chantant des litanies et récitant des chapelets et, à l’issue de ses [[homélie]]s, ordonnait des [[pénitence]]s. Son passage profitait bien souvent aux bourgs visités, Antônio Conselheiro prenant soin de laisser une trace palpable de chacun de ses passages : des cimetières à l’abandon étaient réparés — l’enterrement était un rite extrêmement important dans la société du ''sertão''{{sfn|Levine|1995|p=126}} —, des citernes d’eau construites, des églises restaurées, des temples ruinés remis en état, ou de nouvelles églises et chapelles érigées ; tandis que les nantis livraient sans compensation les matériaux nécessaires, les [[maçon]]s et [[charpentier]]s fournissaient bénévolement leur force de travail et leur savoir-faire, et le peuple se chargeait d’acheminer les pierres. Des légendes se tissaient autour de sa personne et on lui attribuait des miracles, que lui-même se gardait de revendiquer, tenant en effet pour devise que seul Dieu est grand (''só Deus é grande'') et ne signant ses écrits que par Antônio Vicente Mendes Maciel, jamais par ''Santo'' ou ''Bom Jesus'', ou même par ''Conselheiro''. Il est peu de localités, dans toute la région de Curaçá, où on ne l’ait pas aperçu, accompagné de son cortège d’adeptes, faisant son entrée solennelle dans le bourg à la tête d’une foule recueillie et silencieuse, arborant des images, des croix et des bannières religieuses ; les activités normales s’interrompaient, et la population convergeait vers le village, où Antônio Conselheiro éclipsait alors les autorités locales durant quelques jours. Une tonnelle de feuillage était dressée sur la place pour donner place aux dévots qui venaient y faire leurs prières, de même que l’on montait une estrade pour permettre à Conselheiro de prononcer ses prêches, dont l’assistance se montait parfois jusqu’à trois mille personnes{{sfn|Levine|1995|p=131}}. Avant de parler, il gardait le regard fixe pendant quelques minutes, comme en trance, dans le but sans doute d’''accrocher'' le public et de renforcer l’impact de ses sermons — comportement qui sera volontiers outré par les chroniqueurs contemporains, et aussi par Da Cunha, pour accréditer l’idée de démence. Parmi les témoins oculaires à qui il fut donné d’entendre Conselheiro parler, quelques-uns seulement ont décrit leurs réactions ; la plupart cependant étaient prédisposés à ne voir en lui que ce qu’ils voulaient y voir : des signes de déséquilibre mental et de fanatisme{{sfn|Levine|1995|p=6}}. En réalité, il n’y a rien dans ses écrits qui indique quelque type de manie ou de comportement déséquilibré que ce soit. Des témoins plus objectifs s’émerveillaient au contraire de son affabilité et de sa sollicitude envers les victimes des vexations politiques et de l’arbitraire policier{{sfn|Levine|1995|p=131}}.
 
Si ses sermons développaient souvent des thèmes apocalyptiques, ils les empruntait à des sources [[liturgie|liturgiques]] reconnues, en particulier à ''[[Missão Abreviada]]'' du [[Prêtre catholique|prêtre]] et prédicateur itinérant [[Portugal|portugais]] [[Manuel José Gonçalves Couto|Manoel Couto]] ; le texte de ses homélies et de ses prêches, nonobstant leur insistance sur le péché individuel, la pénitence et l’imminence du jugement dernier, reflétaient une vision théologique en accord avec les enseignements de l’église au {{s-|XIX}}, lors même qu’ils étaient susceptibles de choquer ceux qui avaient coutume de prendre moins littéralement les mises en garde apocalyptiques de la bible. La base de sa prédication étaient des homélies familières, insistant sur l’éthique, la moralité, les vertus du dur travail, et la piété{{sfn|Levine|1995|p=195}}, flétrissant tout autant les employeurs qui trompaient leur personnel que les employés qui commettaient des vols{{sfn|Levine|1995|p=131}}. Il fulminait contre le protestantisme, la franc-maçonnerie, la laïcité, les [[juifs]] etc. mais le plus souvent prônait la pénitence, la moralité, la droiture et la dévotion, sans s’interdire de donner des contenus pratiques à sa prédication.
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Cependant, la décision de partir à Canudos avec la famille entière ne se prenait pas toujours après rupture de tous les ponts, comme le voulait le ''[[Topos (littérature)|topos]]'' contemporain en vigueur dans le littoral. La guerre terminée, il apparaîtra qu’en réalité beaucoup de prisonnières ''canudenses'' « avaient gardé par devers elles des biens, dont elles se proposaient de vivre après les combats ; d’autres, ayant toujours l’avenir en vue, avaient laissé leurs biens sous la tutelle de membres de leur famille ou d’amis (…). Ainsi que cela nous fut confirmé par beaucoup d’officiers, la majorité des papiers découverts à Canudos consistaient en contrats d’achat de maisons et de terres »<ref name=Bartelt90/>.
 
Sans conteste, Antônio Conselheiro était ouvertement [[Monarchisme|monarchiste]] et prêchait contre la [[República Velha|République]]., Sasa pensée politique reposait sur le principe que tout pouvoir légitime est l’émanation de la toute-puissance éternelle de Dieu et reste soumis à une règle divine, tant dans l’ordre temporel que spirituel, de sorte que, en obéissant au pontife, au prince, au père, à celui qui est réellement ministre de Dieu en vue de l’accomplissement du Bien, c’est à Dieu seul que nous obéissons. Il reconnaissait la légitimité de la monarchie en tant que mandataire du pouvoir divin, à l’opposé de l’illégitimité de la République : le digne prince, [[Pierre d'Orléans-Bragance|dom Pedro III]], affirmait-il, détient le pouvoir légitimement constitué par Dieu pour gouverner le Brésil ; c’est le droit de son digne grand-père, [[Pierre II du Brésil|dom Pedro II]], qui doit prévaloir, nonobstant qu’il ait été trahi, et par conséquent sa famille royale seule est habilitée à gouverner le Brésil<ref>Mônaco Janotti, Maria de Lourdes. ''Os Subversivos da República''. São Paulo: Brasiliense, 1986, {{p.|154}}.</ref>. Au frère [[Frères mineurs capucins|capucin]] Marciano, qui visita Canudos en 1895, Antônio Conselheiro déclara : « du temps de la monarchie, je me suis laissé emprisonner parce que je reconnaissais le gouvernement ; aujourd’hui, je ne le ferai pas, car je ne reconnais pas la République. »{{sfn|Da Cunha|1993|p=227}} Cependant, comme le souligne Da Cunha, « il n’y a pas là la moindre intention politique ; le ''jagunço'' est aussi inapte à comprendre la forme républicaine que celle de la [[monarchie constitutionnelle]]. Toutes deux sont à ses yeux des abstractions inaccessibles. Il est spontanément l’adversaire de l’une et de l’autre. Il se trouve dans la phase de l’évolution où seule peut se concevoir la domination d’un chef sacerdotal ou guerrier. » Antônio Conselheiro prêchait le salut pour l’âme prise individuellement, non pour la société rurale, ou à fortiori, brésilienne tout entière. Il ne cherchait pas à imposer ses visions à d’autres et sa doctrine ne représentait donc pas une menace du point de vue du comportement social général. La violence fut portée contre Canudos ; elle n’avait pas été exportée depuis Canudos vers la région circonvoisine{{sfn|Levine|1995|p=226}}.
 
C’est donc à tort que les autorités de [[Rio de Janeiro]] voulurent faire de Canudos un élément d’un vaste complot monarchiste contre le nouveau régime, bénéficiant de complicités dans la capitale, voire de soutiens à l’étranger, en particulier d’[[Grande-Bretagne|Angleterre]]. Ce qui en effet ressort des lettres, des écrits de toutes sortes, des vers qui furent découverts à Canudos après sa liquidation par l’armée, est une religiosité diffuse et incongrue, dont les tendances [[Messianisme|messianiques]] n’avaient pas de portée politique bien affirmée. Les ''Canudenses'' ne s’opposaient à l’ordre républicain nouvellement établi que dans la mesure où, croyant à l’imminence du règne promis de Dieu, ils percevaient dans la République le triomphe temporaire de l’[[Antéchrist]]. Da Cunha, par un parti-pris propre aux élites républicaines du littoral, voudra voir dans Canudos, en substance, la révolte d’une société [[Anachronisme|anachronique]], restée, par son isolement géographique et culturel séculaire, à l’abri des évolutions et des mouvements de civilisation extérieurs, et refusant violemment l’irruption brutale de la modernité incarnée par la République. Ce qu’exprime Da Cunha en ces termes :
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=== Structures de pouvoir et centres de décision ===
 
Le mouvement de Canudos était porté par un noyau fonctionnellement différencié d’individus haut placés et fonctionne hiérarchiquement. Dans le domaine strictement religieux, Maciel avait sous ses ordres un groupe restreint de ''beatos'' et ''beatas'' (dévots), qui formaient une manière de confrérie laïque nommée ''Companhia do Bom Jesus'', qui était chargée de prendre soin du ''sanctuaire'', où vivait Maciel et où étaient conservées les images de saints, de protéger Maciel contre l’extérieur, de l’assister dans la [[Liturgie catholique|liturgie]], de sonner les cloches et d’organiser des collectes d’aumônes dans les environs. La plus considérée parmi les ''beatas'' se voyait confier l’alimentation du Conselheiro et, en qualité de [[sage-femme]] diplômée, aidait aussi à mettre au monde les enfants de Canudos<ref>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=84}}.</ref>.
Les recherches récentes ont mis au jour la présence à Canudos de stratifications sociales et fonctionnelles, et d’un système hiérarchique de répartition des pouvoirs, notamment au sein du groupe dirigeant, lequel n’était pas exempt de tendances divergentes et de frictions.
 
Le mouvement de Canudos était porté par un noyau fonctionnellement différencié d’individus haut placés. Dans le domaine strictement religieux, Maciel avait sous ses ordres un groupe restreint de ''beatos'' et ''beatas'' (dévots), qui formaient une manière de confrérie laïque nommée ''Companhia do Bom Jesus'', qui était chargée de prendre soin du ''sanctuaire'', où vivait Maciel et où étaient conservées les images de saints, de protéger Maciel contre l’extérieur, de l’assister dans la [[Liturgie catholique|liturgie]], de sonner les cloches et d’organiser des collectes d’aumônes dans les environs. La plus considérée parmi les ''beatas'' se voyait confier l’alimentation du Conselheiro et, en qualité de [[sage-femme]] diplômée, aidait aussi à mettre au monde les enfants de Canudos<ref>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=84}}.</ref>.
 
Religion et économie formaient à Canudos les deux piliers du pouvoir, auxquels s’ajoutait, surtout après le déclenchement de la guerre, le pilier militaire. Les négociants appartenaient, tant dans l’ancienne que dans la nouvelle Canudos, à la strate dirigeante. Cela valait en premier lieu pour les deux ''vieux de la vieille'' Antônio da Mota et Joaquim Macambira. Tous deux pouvaient s’appuyer sur des rapports de clientèle et de parentèle avec les ''[[Coronélisme|coronels]]'' de la région. Le nouveau venu Antônio Vilanova, qui avait fui sa province natale du [[Ceará]] pour la Bahia à la suite de la sécheresse de 1877 et s’était fixé à Canudos non pour des motifs religieux, mais par esprit de lucre, ayant en effet perçu dans la nouvelle colonie un potentiel marché en expansion, sut se hisser au rang de figure économique dominante de Canudos, notamment en éliminant, avec l’appui de l’autorité militaire ''conselheiriste'', toute concurrence indésirable. Pendant la guerre, il réussit à se rendre indispensable comme pourvoyeur de [[munition]] et même à faire partie du commandement militaire de Canudos<ref>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=86}}. Bartelt cite {{harvsp|Calasans|1986|p=53-69}}.</ref>.
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José Venâncio, dit Zê Venâncio, ''jagunço'' connu et redouté, qui passait pour être l’auteur de huit meurtres<ref>Selon Da Cunha ; de dix-huit meurtres selon Levine (« wanted for eighteen murders in Volta Grande », cf. ''Vale of Tears'', {{p.|165}}), qui se base sans doute sur le chiffre donné par le capucin João Evangelista, ''Relatório'', {{p.|5}}.</ref>, était, avec João Abade, l’un des deux seuls chefs militaires dont le nom fut cité par João Evangelista. Pendant la guerre, quelques journaux de Salvador affirmèrent que le ''jagunço'' avait fait partie, dans la décennie 1890, du groupe ''cangaceiro'' de [[Volta Grande]], qui opérait dans les [[Lavras Diamantinas]]. Jouissant de la confiance du Conselheiro, il était un de ceux chargés de collecter les dons pour la construction de la nouvelle église. Il se vit aussi confier, dans le sillage du combat de Uauá, la tâche de détruire les petites ''fazendas'' et habitations afin que l’ennemi ne pût s’y abriter durant sa marche sur Canudos, et détruisit ainsi une quarantaine de maisons{{sfn|Calasans|1986|p=11-12}}. José Aras, confirmant que Venâncio était originaire de Volta Grande, ajouta à ses états de service le fait d’avoir emmené à Canudos, alors qu’était annoncée la venue de la {{3e}} expédition, quelques-uns de ses anciens compagnons de brigandage, munis de carabines et de fusils Comblain pris sur les forces policières bahiannaises<ref>J. Aras, ''Sangue de irmãos'', {{p.|82}}.</ref>. Il combattit jusqu’à la fin, et ne périra qu’après que furent tombés Pajeú, João Abade et Macambira<ref>E. da Cunha, ''Os sertões'', {{p.|549}}.</ref>.
 
Pedrão, surnom de Pedro Nolasco de Oliveira, appelédit Pedrão mais aussi Pedro José de Oliveira, était, selon la conviction de l’historien Calasans, qui eût une conversation avec lui peu avant ses 70 ans, « la plus forte personnalité de l’éphémère empire de Belo Monte ». en {{date-|août 1869}} à [[Várzea da Ema]], il connut le Conselheiro dans sa ville d’origine en 1885, et devint bientôt son adepte. Cependant, il ne s’incorpora dans le proche entourage du Conselheiro qu’après son arrivée à Canudos. De son mariage, célébré dans l’église de Canudos, naquirent 17 enfants. Le chef politique Honório Vilanova affirma à Calasans que son frère Antônio remit à Pedrão l’autorité sur « trente hommes et trente caissons de cartouches », soit un ''piquet'' nettement plus important que les autres, habituellement constitué de 20 combattants{{sfn|Calasans|1986|p=11-12}}. Attendu qu’il était membre de la ''Garde catholique'', il lui échut nombre de fois de monter la garde devant la porte du sanctuaire, demeure du Conselheiro ; cette garde était relevée de quatre heures en quatre heures. Il se vit confier d’autres missions, notamment celle de recueillir des fonds pour les travaux aux églises, mission pour laquelle Conselheiro le rétribuait à raison de mille [[Réal brésilien|réaux]] par voyage. C’est lors d’une de ces missions que survint l’attaque d’Uauá ; de retour au village, il se plaignit de ce que beaucoup des ''jagunços'' tués n’avaient pas été inhumés, et en blâma João Abade (les deux hommes d’ailleurs ne s’aimaient guère) ; le Conselheiro eut vent de l’affaire et chargea Pedrão d’y remédier ; aidé de 22 hommes de confiance, il s’employa donc à enterrer 74 personnes, y compris des ennemis. Plusieurs mois après, ce sera lui aussi qui donnera sépulture au colonel [[Antônio Moreira César]], démentant plus tard, devant Calasans, le fait alors largement admis que le cadavre du colonel eût été brûlé. « Mamelouc froid et discret », selon le mot de José Aras, Pedrão fut selon ses propres dires à la tête de 40 hommes dans le combat de Cocorobó, et non dans celui de Canabrava, comme il est indiqué dans le livre de Da Cunha. Sa femme et l’une de ses filles furent blessées dans l’ultime phase de la guerre, mais sans gravité ; Pedrão du reste ne perdit aucun de ses enfants. Il réussit à quitter Canudos avec sa famille quand déjà le Conselheiro se trouvait mourant. Il se réfugia dans l’État de [[Piauí]], puis erra quelque temps dans le ''Nordeste'' avant de revenir à Várzea da Ema, puis de se fixer dans le campement de Cocorobó, où un abri lui fut construit et où il mourut, à près de 90 ans, en {{date-|juin 1958}} ; selon ce qu’affirme José Aras, il fut enterré en grande pompe à Nova Canudos{{sfn|Calasans|1986|p=12-13}}. Avant cela, dans les années 1930, il se laissa recruter par le capitaine Juraci Magalhães pour aller combattre le bandit de grand chemin [[Lampião]], mais sa brigade volante de quinze hommes n’eut jamais l’occasion de l’affronter directement{{sfn|Calasans|1986|p=11-12}}.
 
Bernabé José de Carvalho joua un rôle dramatique dans la phase finale de la guerre. Ce ''jagunço'' célibataire, accusé d’avoir commis un homicide à Salvador à la suite de quelque incident dans une maison de jeu, avait des antécédents mystiques, ayant en effet été ''beato'' du père José Vieira Sampaio de [[Casa Nova|Riacho de Casa Nova]]<ref>E. da Cunha, ''Caderneta de campo'', Introd., notes et commentaires de Olímpio de Souza Andrade, éd. Cultrix, São Paulo & INL, Brasília, 1975.</ref>. Il refusa de prendre le commandement d’un piquet, ainsi que l’en prièrent quelques-uns de ses camarades de combat. Le {{date-|2 octobre 1897}}, il se présenta devant le général Artur Oscar, s’offrant d’aller, en compagnie du timide Antônio Beato (dit ''Beatinho''), parlementer avec les ''jagunços'' qui s’obstinaient à poursuivre la lutte et de les convaincre de se rendre<ref>E. da Cunha, ''Os sertões'', {{p.|605}}.</ref>. Tous deux revinrent au campement militaire en traînant derrière eux des centaines de leurs compagnons de combat, une masse famélique, dépenaillée, blessée, mourant de soif. Les versions divergent quant au dénouement de cet épisode ; selon le journaliste [[Fávila Nunes]], Bernabé put retourner dans sa région d’origine<ref>W. Nogueira Galvão, ''No calor da hora'', {{p.|202}}.</ref>, selon Euclides da Cunha, il ne le put<ref>Euclides da Cunha, Os sertões, {{p.|606}}, cité dans {{harvsp|Calasans|1986|p=14-15}}.</ref> ; Alvim Martins Horcades pour sa part, sans mentionner le nom de Bernabé, parle d’Antonio Beatinho et de ses deux compagnons, chargés de la mission d’amener à se rendre les ''jagunços'' récalcitrants, sur la foi de ce que le général Artur Oscar garantissait la vie sauve à tous. Les trois émissaires toutefois furent égorgés à 8 heures du soir le {{date-|3 octobre 1897}}, et avec eux quinze combattants ''conselheiristes''<ref>Alvim Martins Horcades, ''Descripção de uma viagem a Canudos'', Litho-Typ. Tourinho, Salvador 1899, {{p.|110}}.</ref>{{,}}{{sfn|Calasans|1986|p=15}}.
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=== Prélude et élément déclencheur ===
 
En réalité, lesLes opérations armées contre Conselheiro et ses suiveurs commencèrent dès les premières années de la République, c'est-à-dire dès avant son installation à Canudos. Quand le bruit courut qu’il excitait la population contre le nouveau régime, une force de police d’une trentaine d’hommes bien armés partit de Bahia à l’effet de disperser les quelque deux cents insurgés, mais furent mis en fuite par les ''jagunços'' près de Masseté. Une deuxième incursion eut lieu qui fit cependant long feu dans les environs de [[Serrinha (Bahia)|Serrinha]], les ''conselheiristes'' possédant l’art de se rendre invisibles dans la caatinga, où nul ne s’aventurait à les suivre. Ces descentes de police furent l’une des raisons pour lesquelles Conselheiro résolut de se sédentariser dans un endroit qu’il connaissait de longue date, la ferme abandonnée de Canudos.
 
Outre le soupçon (injustifié) de participation à une sédition monarchiste de grande envergure qui pesait sur les ''Conselheiristes'', un autre élément rendait impératif pour les autorités centrales de pacifier le ''sertão'' de Canudos. L’État de la Bahia en effet se trouvait alors confronté à une série d’autres insurrections : la petite ville de [[Lençóis]], à quelque {{unité|400|km}} au sud-ouest de Canudos, avait été attaquée par une troupe armée, dont les incursions du reste portaient jusque dans l’État de [[Minas Gerais]] voisin ; d’autres bandes s’étaient emparées du hameau de Brito Mendes ; plus au sud encore, à [[Jequié]], des groupes armés commettaient toutes sortes d’attentats. L’action de ces bandes n’était pas sans lien avec la présence de grandes richesses minières, qui faisaient de ces ''sertões'' depuis deux siècles des destinations privilégiées pour de nombreux aventuriers{{sfn|Da Cunha|1993|p=235}}. S’y ajoutaient les désordres et déprédations, d’ampleur croissante, à l’origine desquels se trouvaient des tyranneaux et potentats locaux, auxquels des ''jagunços'', y compris ceux de Canudos, avaient pris l’habitude, comme indiqué ci-dessus, de vendre leurs services. Ce ''désordre du banditisme discipliné'', selon le mot d’[[Euclides da Cunha]], s’inscrivant ou non dans le cadre de campagnes électorales, prenait la forme de combats aventureux et de petites batailles rangées, menés par des jagunços fiers de leur bravoure et non exempts d’une certaine noblesse d’âme, et ne manquait jamais de déboucher sur l’incendie et la mise à sac de villes et villages tout au long du cours moyen du fleuve [[Rio São Francisco|São Francisco]]{{sfn|Da Cunha|1993|p=238-240}}. Enfin, la force numérique des ''Canudenses'' et le puissant empire moral de Conselheiro devaient achever d’inquiéter les autorités. L’extraordinaire pèlerinage d’un quart de siècle qui avait mené Antônio Conselheiro à travers tous les recoins du ''sertão'' et lui avait fait accumuler les bienfaits lui valait à présent un grand ascendant sur les populations ''sertanejas'', et il n’y avait pas un seul bourg où il n’eût pas de fervents partisans. En 1895, il fit capoter la mission apostolique dépêchée à Canudos par l’archevêque de Bahia ; dans le rapport rédigé à ce sujet par Frère João Evangelista, le missionnaire affirmait que sans compter les femmes, les enfants, les vieillards et les malades, la communauté de Canudos comprenait un millier d’hommes robustes et téméraires, armés jusqu’aux dents{{sfn|Da Cunha|1993|p=243}}. Non seulement l’accès à la citadelle où il s’était retranché était des plus ardues, notamment en raison du dévouement inconditionnel de ses sectateurs, mais encore Antônio Conselheiro régnait sur une étendue fort vaste alentour, où il pouvait compter partout sur la complicité volontaire ou forcée de ceux qui le vénéraient ou le craignaient.
 
En {{date-|octobre 1896}} se produit l’incident qui devait déclencher la guerre de Canudos proprement dite., Antônio Conselheiro avait commandé un lot de [[bois d’œuvre]] en provenance de la ville de [[Juazeiro (Bahia)|Juazeiro]] voisine, en vue de la construction d’une nouvelle église ; le bois cependant ne fut pas livré, nonobstant qu’il fût déjà payé. La rumeur se mit alors à circuler que les ''conselheiristes'' viendraient chercher le bois par la force, ce qui porta les autorités de Juazeiro à requérir l’assistance du gouvernement de l’État de Bahia, la guerre est officiellement déclenchée.
 
Le détachement que les autorités envoyèrent alors à Canudos sera la première d’une série de quatre expéditions, lesquelles eurent ceci de remarquable, que dans chaque nouvelle expédition furent répétées les erreurs de la précédente. Ces erreurs étaient essentiellement de trois ordres : premièrement, la sous-estimation des difficultés [[Géographie|géographiques]] et [[Climatologie|climatologiques]], les hauts gradés de l’armée régulière, formés dans les grandes villes aux théories militaires européennes, n’ayant aucune idée de la configuration du terrain dans le ''[[sertão]]'' ; deuxièmement, la méconnaissance de l’adversaire, les militaires s’obstinant à pratiquer une tactique s’appuyant sur des corps de bataille fermés, à l’européenne, alors qu’ils avaient à affronter une guerre d’escarmouches, menée par des [[guérilla]] insaisissables, familiers avec le terrain, en mesure de monter embuscade sur embuscade, sans grand risque pour eux ; troisièmement, la mésestime de Conselheiro, qui s’était, au cours d’un quart de siècle d’errance dans le ''sertão'', acquis auprès des populations un ascendant et une vénération considérables, y compris d’ailleurs auprès des guides mis à contribution par l’armée, ce qui permit aux ''conselheiristes'' d’être au fait du moindre mouvement des troupes gouvernementales. Mais de façon générale, les provinces du nord-est ([[Goiás]], Bahia et [[Pernambouc (État)|Pernambouc]]), et moins encore leurs arrière-pays, ne figuraient guère sur la carte mentale des élites de la jeune république brésilienne. Ces élites, établies dans la capitale Rio de Janeiro et à [[São Paulo]], férues de [[positivisme]], acquises à l’idée de progrès, totalement alignées sur les conceptions et usages occidentaux, ignoraient tout du mode de vie des populations très mélangées habitant le ''sertão'' ou tout au plus les considéraient comme des ''arriérés atavistes'', selon le mot d’[[Euclides da Cunha]]. Le pouvoir central ne pouvait donc voir dans une rébellion telle que celle de Canudos qu’une sédition anti-républicaine qu’il convenait de réprimer.
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==== Retraite et débandade ====
 
[[Fichier:O combate em Canudos entre as tropas legaes e os fanaticos de Antonio Conselheiro. Morte gloriosa do bravo capitão Salomão defendendo uma peça de artilharia.jpg|thumb|350px|Combat de Canudos: Mort dedu [[José Agostinho Salomão da Rocha|Capitaine Salomão da Rocha]] défendant une pièce d'artillerie.]]
 
La retraite dégénéra rapidement en une fuite éperdue. Le corps expéditionnaire se retira sans ordre ni formation, en se dispersant d’abord sur les pentes de la ''Favela'', puis sur les versants opposés, pour rejoindre la route, où la troupe, tant elle était pressée de prendre la large, négligea, à l’instar de la deuxième expédition, de s’organiser en échelons, se précipitant, au lieu de cela, au hasard à travers les sentiers. La colonne, ainsi éparpillée, étirée sur les chemins, devenait une proie facile pour les ''jagunços'', qui la flanquaient d’un bout à l’autre. Seule une division de deux canons Krupp, sous les ordres d’un sous-officier, avec le renfort d’un contingent d’infanterie, fit montre de la fermeté suffisante pour rester quelque temps sur le sommet du ''Mario'', de riposter pendant un temps aux attaques des rebelles, puis de s’ébranler à son tour, sans hâte ni désordre, à titre d’arrière-garde. En dépit des sonneries répétées de « demi-tour, halte ! » ordonnées par Tamarindo, le reste de la colonne accéléra la fuite et s’éloigna de plus en plus, abandonnant équipements et vêtements inutiles, mais aussi les blessés et le corps de Moreira César, si bien qu’au bout d’un certain temps l’arrière-garde se retrouva esseulée, encerclée par des poursuivants de plus en plus nombreux, qu’il ne fut plus possible de maintenir à distance et qui finirent par attaquer et massacrer les deux bataillons{{sfn|Da Cunha|1993|p=356}}, pendant que Tamarindo, alors qu'il franchissait le ruisseau Angico, fut précipité à bas de son cheval par une balle{{sfn|Da Cunha|1993|p=358}}. Entre-temps, la plupart des fuyards, comme ils s’efforçaient d’éviter la route, s’égarèrent dans le désert, pour certains à jamais. Le reste parvint le lendemain à Monte Santo.
 
Les ''sertanejos'' eurent tout loisir de puiser dans les dépouilles laissées par l’armée entre Rosário et Canudos : matériel, armement moderne et munitions abondantes constituaient un véritable arsenal à l’air libre. Les ''jagunços'' emportèrent au village les quatre canons Krupp, et à leurs vieux tromblons à chargement lent ils purent substituer des fusils de guerre [[Arme automatique|automatiques]] ''[[Fusil Mannlicher M1895|Mannlicher]]'' et ''Comblain''{{sfn|Da Cunha|1993|p=359}}.
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Ensuite, les ''jagunços'' rassemblèrent les cadavres des soldats tombés qui gisaient épars et les décapitèrent. Les têtes furent fichées sur des pieux et disposées face à face des deux côtés de la route, et les [[Uniforme militaire|uniformes]], [[képi]]s, [[dolman]]s, gourdes, ceinturons etc., suspendus dans les arbustes, composant ensemble le décor qu’allait par la suite avoir à traverser la future quatrième expédition{{sfn|Da Cunha|1993|p=360}}. Parmi les chefs ''sertanejos'' s’étaient distingués dans la bataille Pajeú, Pedrão, qui ultérieurement commandera les ''conselheiristes'' lors de la traversée de ''Cocorobó'', Joaquim Macambira et João Abade, bras droit d’Antônio Conselheiro, qui avait déjà dirigé les ''jagunços'' lors de la bataille d'Uauá.
 
=== Quatrième expédition et liquidation du réduit (juin - octobre 1897) ===
 
==== Résumé ====
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Un émissaire fut alors envoyé dans la ''caatinga'' à la recherche de la deuxième colonne, qui avait fait halte à moins d’un km au nord.
 
==== Péripéties et déboiresDéboires de la deuxième colonne ====
 
La deuxième colonne, placée sous les ordres du général Cláudio do Amaral Savaget, partit d’Aracaju, capitale du Sergipe, sur le littoral. S’avançant d’abord en trois brigades séparées jusqu’à Jeremoabo (à {{unité|150|km}} à l’ouest de Canudos), la colonne poursuivit à partir du {{date-|16 juin}} sa route vers le but des opérations en formation groupée. Elle était forte de {{nombre|2350|hommes}}, y compris les garnisons de 2 canons Krupp légers.
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Le campement avait perdu son aspect chaotique des premières semaines. En dehors des épisodes, de plus en plus espacés, d’assaut des ''jagunços'', le campement connaissait dorénavant la quiétude d’un petit hameau paisible. À l’inverse, dans le camp rebelle, les provisions se mirent à manquer et le déséquilibre s’aggravait entre le nombre de combattants valides, en diminution constante, et celui des femmes, enfants, vieillards, mutilés et malades, qui ne cessait d’augmenter, réduisant les ressources, gênant les mouvements des combattants, mais se refusant pourtant à fuir. Les ''jagunços'' les plus en vue avaient disparu : Pajeú, en juillet ; le sinistre João Abade, en août ; le rusé Macambira, plus récemment ; José Venâncio, et bien d’autres encore. Les figures principales désormais étaient Pedrão, le défenseur de Cocorobó, et Joaquim Norberto, que, faute de mieux, l’on avait hissé au statut de commandant{{sfn|Da Cunha|1993|p=535-537}}.
 
==== Mort dude Conselheiro et encerclement ====
 
[[Fichier:Ruins church in canudos 1897.jpg|vignette|Ruines de l'église du ''Bom Jesus'' détruite par les bombardements de l'armée. Photo de [[Flávio de Barros]].]]
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Néanmoins, pour les rebelles, la situation s’était détériorée : ayant été délogés de l'église nouvelle, ils avaient perdu tout accès aux ''cacimbas'', et les vastes brasiers qui les encerclaient les acculaient dans leur dernier réduit{{sfn|Da Cunha|1993|p=581-584}}.
 
Le {{date-|2 octobre}}, deuxième jour de la dernière offensive, deux ''sertanejos'' vinrent se rendre ; l’un d’eux, Beatinho, fut renvoyé par le commandement, avec mission de convaincre ses camarades ''jagunços'' de capituler. Mais au bout d’une heure, l’émissaire revint suivi de quelque 300 femmes et enfants, et d’une demi-douzaine de vieillards impotents. Les ''jagunços'' se débarrassaient ainsi de cette foule inutile, ce qui leur permettait d’économiser leurs ressources et de prolonger le combat{{sfn|Da Cunha|1993|p=587}}. Les jours suivants, les rebelles résistèrent jusqu’à l’épuisement complet sans consentir à se rendre. Canudos enfin tomba le {{date-|5 octobre}}, lorsque, en fin d’après-midi, moururent ses quatre derniers défenseurs, un vieillard, deux adultes et un enfant, le lendemain, le village est détruit{{sfn|Da Cunha|1993|p=592}}.
 
Le {{date-|6 octobre}}, on acheva de détruire le village en jetant bas toutes ses masures, dont on établit le nombre à 5200{{sfn|Da Cunha|1993|p=592}}.
 
==== Atrocités ====
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La dernière campagne militaire contre Canudos est entachée de [[Crime de guerre|crimes de guerre]] massifs et systématiques perpétrés tant contre les combattants faits prisonniers que contre la population civile non combattante. L’armée républicaine ne se borna pas à procéder à une destruction intégrale de la ville de Canudos, à en démolir méthodiquement les rues et les maisons à la dynamite et à les incendier au kérosène, mais s’employa en outre à exterminer la quasi-totalité des habitants.
 
En particulier, leLe ministre [[Carlos Machado Bittencourt|Bittencourt]] fut tenu responsable de la mort intentionnelle de centaines de [[Prisonnier de guerre|prisonniers de guerre]], parmi lesquels des hommes, des femmes et des enfants, y compris de combattants qui s’étaient rendus en brandissant un [[drapeau blanc]] et avaient reçu, au nom de la République, la promesse de protection et de vie sauve. Le maréchal Bittencourt — qui se trouvait dans le quartier-général à Monte Santo, à quelques dizaines de km du lieu des combats —, avisant qu’on retirait du front et conduisait vers l’arrière des ''Canudenses'' prisonniers, envoya dire au général Artur Oscar « qu’il devait bien savoir que lui, ministre, n’avait pas où garder des prisonniers ! », ainsi que le relata le député et écrivain [[César Zama]], celui-ci soulignant par ailleurs que « le général Artur Oscar comprit bien toute la portée de la réponse de son supérieur hiérarchique ». Tous les hommes faits prisonniers à partir de cet instant furent égorgés, selon la pratique dite ''cravate rouge'' (en [[Portugais|port]]. ''gravata vermelha'')<ref>[[César Zama|Zama, César]]. ''Libello Republicano Acompanhado de Comentários sobre a Campanha de Canudos''. Salvador, 1899</ref>. Alvim Martins Horcades, médecin de l’armée et témoin oculaire, en fit le récit suivant : « Il arrivait que (…) alors qu’ils dormaient, l’on s’était mis d’accord pour leur donner la mort. Après que l’appel eut été fait, l’on organisa ce bataillon de martyrs, les bras attachés, ligotés les uns aux autres, chaque paire ayant deux gardes, et ils suivaient… De ce service étaient chargés deux gradés et un soldat, sous les ordres du [[sous-lieutenant]] Maranhão, lesquels, experts dans l’art, sortaient déjà leurs sabres dûment affûtés, de manière que, dès qu’ils touchaient la [[Artère carotide externe|carotide]], le sang commençait à jaillir »<ref name="Horcades1899">Alvim Martins Horcades, ''Descrição de uma Viagem a Canudos'', Salvador, 1899. Réédité en 1996.</ref>.
Notons d’abord qu’Euclides da Cunha n’ira guère au-delà que de signaler assez laconiquement l’existence de ces massacres. S’il avait bien été témoin oculaire des derniers moments de la guerre, — ayant assisté à environ trois semaines de combats, du {{date-|16 septembre}} au {{date-|3 octobre 1897}}, quand il est reparti malade de Canudos, avec des accès de fièvre, deux jours avant la fin du conflit<ref>José Calasans, ''Euclides da Cunha nos jornais da Bahia'', dans Cartografia de Canudos, Secretaria de Cultura e Turismo, Salvador 1997, {{p.|130-131}}.</ref> —, il n’avait pu en revanche assister au massacre des prisonniers, à la chute et à l’incendie de la ville, ni à la découverte du cadavre du Conselheiro et de ses manuscrits, tous faits survenus entre le 3 et le {{date-|6 octobre}}. Il ne mentionnera donc pas ces faits dans ses reportages et ne les relatera qu’ensuite, de manière succincte seulement, dans son ouvrage<ref>''Le Brésil face à son passé'', intervention de [[Roberto Ventura]], {{p.|57}}.</ref>. Ainsi, la [[Décapitation|décollation]] de centaines de prisonniers à la fin de la guerre, occultée dans ses reportages de presse, est-elle bien évoquée dans ''Hautes Terres'', mais sans en dévoiler toute l’ampleur<ref>Nous ne nous expliquons pas l’expression « de manière assez voilée » utilisée ici par Roberto Ventura (''le Brésil face à son passé'', {{p.|57}}), si ce n’est que Da Cunha a laissé le voile sur la véritable ampleur du phénomène.</ref>, la dénonciation semblant se limiter à quelques cas isolés de décapitation, d’éventration ou de coups de couteau sur des ''sertanejos'', certes relatés tout à fait explicitement. P.ex., Da Cunha raconte le cas d’un jeune prisonnier, qui avait répondu hautainement et nonchalammant à toutes les questions par un « sais pas ! », et demandé à mourir fusillé, mais à qui un soldat enfonce ensuite un couteau dans la gorge, ne laissant au prisonnier que le temps de pousser cet ultime cri, qui sortit en gargouillant de sa bouche ensanglantée : « vive le Bon Jésus ! ». Un autre prisonnier, amené à la tente du général João da Silva Barbosa, commandant de la première colonne, balbutia quelques phrases qu’on comprit à demi et retira son chapeau de cuir pour s’asseoir ; mais, après l’avoir renversé à coups de poing pour son insolence, on le traîna avec une corde attachée au cou vers le « sein mystérieux de la caatinga », où, comme tant d’autres prisonniers, il fut tué avec des raffinements de cruauté<ref>''Le Brésil face à son passé'', intervention de Roberto Ventura, {{p.|56}}.</ref>. Cependant, Da Cunha va plus loin et s’enhardit à accuser des atrocités commises à Canudos non seulement les soldats, mais aussi les hauts gradés, qui les approuvaient tacitement ou expressément, voire la plus haute instance militaire, savoir le ministre de la Guerre, le maréchal Bittencourt, que l’auteur d’Os Sertões déclare complice du plus grand crime de toute l’histoire brésilienne<ref>August Willemsen, ''De binnenlanden'', postface, {{p.|522}}.</ref>. Il n’est dès lors pas surprenant que Da Cunha eut quelque peine à trouver un éditeur et qu’il redoutait des représailles pour avoir exprimé des critiques sans ambages envers les forces armées nationales — à cette époque-là une institution au prestige inaltérable — et de héros nationaux tels que Moreira César, Bittencourt et d’autres chefs de l’armée, et accessoirement envers la presse. Ce nonobstant, un premier [[Tirage (imprimerie)|tirage]] de son livre, de mille exemplaires, fut écoulé en un seul mois<ref>August Willemsen, ''De binnenlanden'', postface, {{p.|525}}.</ref>.
 
En particulier, le ministre [[Carlos Machado Bittencourt|Bittencourt]] fut tenu responsable de la mort intentionnelle de centaines de [[Prisonnier de guerre|prisonniers de guerre]], parmi lesquels des hommes, des femmes et des enfants, y compris de combattants qui s’étaient rendus en brandissant un [[drapeau blanc]] et avaient reçu, au nom de la République, la promesse de protection et de vie sauve. Le maréchal Bittencourt — qui se trouvait dans le quartier-général à Monte Santo, à quelques dizaines de km du lieu des combats —, avisant qu’on retirait du front et conduisait vers l’arrière des ''Canudenses'' prisonniers, envoya dire au général Artur Oscar « qu’il devait bien savoir que lui, ministre, n’avait pas où garder des prisonniers ! », ainsi que le relata le député et écrivain [[César Zama]], celui-ci soulignant par ailleurs que « le général Artur Oscar comprit bien toute la portée de la réponse de son supérieur hiérarchique ». Tous les hommes faits prisonniers à partir de cet instant furent égorgés, selon la pratique dite ''cravate rouge'' (en [[Portugais|port]]. ''gravata vermelha'')<ref>[[César Zama|Zama, César]]. ''Libello Republicano Acompanhado de Comentários sobre a Campanha de Canudos''. Salvador, 1899</ref>. Alvim Martins Horcades, médecin de l’armée et témoin oculaire, en fit le récit suivant : « Il arrivait que (…) alors qu’ils dormaient, l’on s’était mis d’accord pour leur donner la mort. Après que l’appel eut été fait, l’on organisa ce bataillon de martyrs, les bras attachés, ligotés les uns aux autres, chaque paire ayant deux gardes, et ils suivaient… De ce service étaient chargés deux gradés et un soldat, sous les ordres du [[sous-lieutenant]] Maranhão, lesquels, experts dans l’art, sortaient déjà leurs sabres dûment affûtés, de manière que, dès qu’ils touchaient la [[Artère carotide externe|carotide]], le sang commençait à jaillir »<ref name=Horcades1899>Alvim Martins Horcades, ''Descrição de uma Viagem a Canudos'', Salvador, 1899. Réédité en 1996.</ref>.
 
Nombre de défenseurs capturés, y compris des femmes, furent ainsi exécutés malgré une promesse, exprimée publiquement par Artur Oscar vers la fin de la guerre, que les rebelles qui se rendraient serait épargnés. Marciano de Sergipe, l’un des derniers défenseurs, fut, après sa capture, transpercé de coups de baïonnette à différents endroits du corps et [[Décapitation|énucléé]]{{sfn|Levine|1995|p=187}}. Une femme enceinte, dont les douleurs avaient débuté, fut étendue dans une remise vide le long de la route et abandonnée. Les soldats tuaient les enfants en fracassant leur crâne contre des troncs d’arbre. Des ''jagunços'' blessés étaient écartelés ou découpés en pièces. Plusieurs des filles amenées à Salvador avaient été [[viol]]ées et battues par les soldats{{sfn|Levine|1995|p=191}}. Cette mort au couteau, ou ''à froid'', était la terreur suprême des ''sertanejos'', qui croyaient que dans ce cas, leur âme ne serait pas sauvée. Les soldats exploitaient cette superstition et promettaient assez souvent la charité d’un coup de fusil en échange de révélations ou exigeaient qu’ils fassent un vivat à la République. Beaucoup de ''sertanejos'', instruits du sort qui leur serait réservé s’ils étaient pris, préférèrent donc combattre jusqu’à la mort<ref>''Le Brésil face à son passé'', intervention de Roberto Ventura, {{p.|57}}. Allusion à {{harvsp|da Cunha|1993|p=552}}.</ref>.
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== Éclairages particuliers ==
 
=== Liens entre Canudos et la politique ===
 
==== Intrication avec la politique bahianaise ====
 
Si c’est à juste titre que Da Cunha réfuta que Canudos fût un maillon, voire le noyau, d’un vaste complot monarchiste, il eut tort lorsqu’il affirma que la communauté, nonobstant que son chef spirituel fût un anti-républicain déclaré, ne représentait qu’une insane régression sociale et morale, totalement coupée du contexte politique de son époque. En effet, ilIl semble qu’il y eût des connexions démontrables entre ''conselheiristes'' et certains milieux politiques [[bahia]]nais, et que les adeptes d’Antônio Conselheiro aient occupé, pour un temps au moins, une position précise dans les rapports de force politiques de l’État de Bahia. Ces rapports de force peuvent être esquissés comme suit.
 
À Bahia, fin 1889, la plupart des hommes politiques étaient opposés à l’instauration de la [[República Velha|république]], redoutant qu’un changement institutionnel de cette ampleur ne vînt aggraver la crise économique. Négociants et gens d’affaires craignaient que la rhétorique républicaine sur la [[justice sociale]] et sur un accès élargi à la prise de décision politique ne débouchât sur l’[[anarchie]]. Dans un premier temps, la municipalité de [[Salvador]] vota contre la dictature militaire nationale et tint à réaffirmer sa fidélité à la [[Empire du Brésil|monarchie]] ; elle n’accepta la république qu’après que la famille impériale eut définitivement pris la route de l’exil vers l’Europe{{sfn|Levine|1995|p=35}}. La nouvelle constitution de 1891, qui instituait un [[fédéralisme]] très poussé, eut pour effet d’alimenter davantage encore la tension politique existante en donnant un pouvoir inédit aux régions socialement et économiquement les plus puissantes. Le nouveau système fédéraliste récompensait les États fédérés les plus dynamiques, au détriment des autres, relégués au statut de quasi-parias{{sfn|Levine|1995|p=37, 59}}. L’État de Bahia, sur le retour depuis déjà de longues décennies, n’avait plus désormais que peu d’influence au niveau fédéral{{sfn|Levine|1995|p=58}}. De plus, cet État, et sa capitale en particulier, était soupçonné d’être resté secrètement monarchiste, et pendant l’affaire de Canudos, les représentants bahianais auront à cœur de prouver que ces allégations étaient dénuées de fondement{{sfn|Levine|1995|p=35}}.
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| style="text-align: left;" | '''Euclides da Cunha''', ''Hautes Terres'', {{p.|510}}.
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Si Da Cunha réfuta, à juste titre, l’idée que Canudos était un maillon d’un grand complot monarchiste, il accrédita, aux yeux des générations à venir, la thèse que les ''Canudenses'' refusaient et combattaient la république parce qu’ils craignaient le progrès<ref group="note">[[Rui Barbosa]] aussi, mais dès mai 1897, réfutera péremptoirement la thèse de l’anti-républicanisme comme mobile principal de Canudos. Barbosa, celui-là même qui réclamera, après le massacre, un ''[[habeas corpus]]'' à titre posthume pour les Canudenses, insista, comme Da Cunha mais en des termes beaucoup plus rudes, sur l’incompatibilité civilisationnelle et s’évertua à élever Canudos en un parangon de l’anti-civilisation et à le présenter comme un concentré de maladies sociales, requérant par conséquent assainissement et [[désinfection]] : « Canudos n’est que l’accumulation monstrueuse de la tourbe morale du ''sertão''. Canudos, c’est la cruauté des luttes primitives, la rudesse des instincts campagnards, la crédulité de l’inculture analphabète ; Canudos, c’est le banditisme pillard et la délinquance, l’inflexible mentalité batailleuse de la haine locale, la râclure des campagnes et de la ville, le rebut du désœuvrement, de la misère, de la caserne et du pénitencier. Tous ces sédiments organiques de l’anarchie, charriés de tous les recoins du Brésil et échoués dans l’estuaire des baies écartées de notre arrière-pays, ont pu y fermenter et couver en toute quiétude pendant 20 ans sous l’effet de la fascination pour un illuminé, du délire d’une hallucination superstitieuse. L’indulgence typiquement brésilienne a laissé ce processus anormal et ménaçant se dérouler sans entrave pendant 20 ans et traverser deux régimes politiques. L’homme en effet ne paraissait être qu’un inoffensif monomane religieux. Cependant, cela devait entraîner ces conséquences inédites et fatales. » (cité par {{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=204}}). En contrepoint, mentionnons la réaction de l’écrivain ''[[Rio de Janeiro|carioca]]'' [[Joaquim Maria Machado de Assis|Machado de Assis]], intellectuel du sud, alors âgé de 45 ans, qui dans une chronique du 22 juillet 1894, parue dans ''A Semana'' - ''[[Gazeta de Notícias]]'' et intitulée ''Canção de Piratas'' (‘Chanson de pirates’), s’enhardit à faire un singulier éloge d’Antonio Conselheiro, lui sachant gré d’avoir su, lui et ses ''jagunços'', couper tous les liens d’avec la réalité percluse et ennuyeuse de son époque, et écrivit : « Journaux et télégrammes disent des escopettiers et des adeptes de Conselheiro que ce sont des malfaiteurs ; aucun autre mot ne peut sortir de cerveaux alignés, immatriculés, qualifiés, cerveaux électeurs et contribuables. Pour nous, artistes, c’est la renaissance, c’est un rayon de soleil qui, au travers de la pluie mesquine et morne, vient nous dorer la fenêtre et l’âme. C’est une poésie qui nous hisse hors de la prose tiède et dure de cette fin de siècle. » (en port. ''Jornais e telegramas dizem dos clavinoteiros e dos sequazes do Conselheiro que são criminosos; nem outra palavra pode sair de cérebros alinhados, registrados, qualificados, cérebros eleitores e contribuintes. Para nós, artistas, é a renascença, é um raio de sol que, através da chuva miúda e aborrecida, vem dourar-nos a janela e a alma. É a poesia que nos levanta do meio da prosa chilra e dura deste fim de século''. Cf. [http://pt.wikisource.org/wiki/Can%C3%A7%C3%A3o_de_Piratas Wikisource]).</ref>. Il est vrai que cette thèse trouva un terreau favorable dans la jeune république, qui recherchait ardemment une explication [[Manichéisme (attitude)|manichéenne]] du conflit afin de façonner l’unité nationale et de détourner l’attention de l’impéritie flagrante, à tous niveaux, des forces armées brésiliennes{{sfn|Levine|1995|p=7}}. L’impact le plus durable d’''Os Sertões'' aura été que le petit peuple délaissé du ''sertão'' s’installa dans la conscience nationale comme des fanatiques insanes, entraînés dans une régression irrationnelle par un [[Hérésie|hérétique]]. Son récit choqua les lecteurs, les forçant à prendre conscience que l’état réel de la population posait une menace à la course du pays vers la modernité. Da Cunha fut comparé à [[Euripide]], et son interprétation des événements avait acquis le statut de vérité quasi intouchable{{sfn|Levine|1995|p=18}}. Pendant au moins un siècle après sa parution, l’[[historiographie]] brésilienne officielle se rangera à la conception de Da Cunha voulant que Canudos fût la résultante du climat, de la géographie et de la race. Da Cunha décrit le ''sertanejo'' comme un type humain déséquilibré, dégénéré, instable, inconstant etc., victime de la fatalité des lois [[Biologie|biologiques]], en tant qu’appartenant à une race arriérée séparée du littoral par trois siècles de barbarie ; mais il le décrit aussi comme une figure contradictoire, tantôt indolent, tantôt animé, en ajoutant une connotation politique : il est de toute manière aussi inapte à comprendre la forme républicaine de gouvernement que la monarchie constitutionnelle ; tous deux lui sont des abstractions, hors de portée de son intelligence{{sfn|Levine|1995|p=115}}. Cependant, sa description du ''jagunço'', le dépeignant comme un « titan de bronze », obstacle entêté opposé aux villes du littoral si désireuses d’imiter les raffinements de l’Europe, laisse aussi poindre, avec cette ambivalence typique de l’auteur, une certaine admiration{{sfn|Levine|1995|p=59}} — de la même manière que [[Domingo Faustino Sarmiento|Sarmiento]] sut admirer le ''[[gaucho]]'', son savoir-faire, sa grandeur d’âme, son sens de l’honneur, son autonomie —, ce qui le portera à s’exclamer vers la fin de son ouvrage :
 
{{Citation bloc|Décidément, il était indispensable que la campagne de Canudos se donnât un objectif supérieur à la mission stupide et peu glorieuse de détruire un village des sertões. Il y avait là un ennemi plus sérieux à combattre, dans une guerre plus lente et plus digne. Toute cette campagne serait un crime inutile et barbare, si l’on ne profitait pas des chemins ouverts par l’artillerie pour effectuer une propagande tenace, continue et persistante, afin d’amener vers notre temps et d’intégrer à notre existence ces rudes compatriotes retardataires{{sfn|Da Cunha|1993|p=514}}.}}
 
Pour les observateurs venus du littoral, Antônio Conselheiro était l’incarnation du fanatisme et de la dissidence anti-républicaine et s’était montré habile à manipuler les petites gens des campagnes, à l’égard desquels ces mêmes observateurs ressentaient une pitié mêlée de dégoût{{sfn|Levine|1995|p=9}}. L’attitude négative des résidents du littoral s’exacerbait par la [[croissance démographique]] dans le ''sertão'', laquelle poussait vers la côte des contingents grandissants de ''sertanejos'' misérables et apportait aux zones côtières le risque de [[Épidémie|maladies épidémiques]], du chômage et de la pauvreté ; en réaction, les autorités municipales dressaient des barrages routiers à l’entrée de leurs villes et internaient dans des camps les réfugiés de la sécheresse{{sfn|Levine|1995|p=49}}.
 
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=== Aspects religieux du conflit ===
 
Les adeptes d'Antônio Conselheiro obéissaient, pour le suivre, à un large événtail de mobiles ; mais avant tout sans doute, ils voyaient en lui un puissant chef religieux laïc, dont l’action s’inscrivait dans la tradition catholique populaire particulière à la région{{sfn|Levine|1995|p=9}}. En tout état de cause, ce qui peut être reconstitué à partir des documents historiques sur la vie et la carrière d’Antônio Conselheiro, contredit fortement l’image du zélote fanatique, irrévérencieux, malveillant, hérétique et antisocial tel que véhiculée par Da Cunha et les élites du littoral. L’élément de déviance religieuse n’était pas absente de l’image cathartique dont le nouveau Brésil républicain avait besoin comme justificatif pour réprimer la dissidence rurale, et Antônio Conselheiro par son entêtement et son charisme se prêtait fort bien à cette image, se livrant ainsi tout cru aux ''jacobins'' pressés de lancer le Brésil sur la voie du progrès civilisateur{{sfn|Levine|1995|p=29}}.
 
==== Situation de l’Église dans l’État de Bahia ====
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Au début, et pendant de nombreuses décennies, la plupart des historiens et des intellectuels brésiliens ont ajouté foi à la vision de Da Cunha, qui voyait Canudos symboliquement comme le résultat d’impulsions primitives de paysans arriérés manipulés par un faux messie. Ultérieurement, les auteurs de [[Gauche (politique)|gauche]] se sont approprié les événements de Canudos pour illustrer leur analyse particulière des phénomènes sociaux et voulu réinterpréter Canudos comme un noyau de résistance politique contre l’oppression, magnifiant le conflit en une rébellion héroïque sans précédent contre le [[féodalisme]] — c’était, selon les termes d’[[Abguar Bastos]], « l’une des manifestations les plus stupéfiantes de courage humain au Brésil »<ref>[[Abguar Bastos|Bastos, Abguar]], ''A visão histórico-sociológica de Euclides da Cunha'', São Paulo, Editora National, 1986, {{p.|7-8}}.</ref>. Les [[Théologie de la libération|théologiens de la libération]] p.ex. se sont ingéniés à refaçonner cet épisode historique en coulant Canudos dans le moule d’une communauté de charité, pratiquant une solidarité fraternelle, et détruite par des ''fazendeiros''-exportateurs ploutocrates et leurs clients bourgeois. Les idéologues du [[parti communiste brésilien]] ont présenté Canudos comme l’aboutissement de la conscientisation et de la mobilisation paysannes, et promu le conflit en parangon de la [[lutte de classes]]{{sfn|Levine|1995|p=209}}. D’autres, mettant en relief la structure féodale de la société du ''sertão'' et postulant l’antagonisme de classe comme le principal ressort derrière le phénomène Canudos, ont exalté les ''jagunços'' comme des soldats luttant contre le système latifundiaire ; selon les termes de [[Rui Facó]], Antônio Conselheiro souleva une « rébellion inconsciente mais spontanée contre la monstrueuse et séculaire oppression par la grande propriété semi-féodale »<ref>[[Rui Facó|Facó, Rui]], ''Cangaceiros e fanáticos'', {{p.|833}}.</ref>. Pourtant, il n’y a pas d’éléments de preuve indiquant qu'Antônio Conselheiro eût jamais prôné l’insurrection sociale{{sfn|Levine|1995|p=210}}. Toutes ces interprétations ne contribuent guère à une meilleure compréhension du parcours de vie et des motivations de ceux qui suivirent Antônio Conselheiro vers le lieu saint. Aucune n’aide à mieux appréhender Canudos comme un phénomène dynamique de nature à la fois religieuse et politique{{sfn|Levine|1995|p=8}}.
 
Il est intéressant néanmoins de s’attarder à la grille de lecture du journaliste et L'intellectuel [[Communisme|communiste]] [[Ceará|céarien]] Rui Facó, exposéemet en évidence dans son ouvrage ''Cangaceiros e fanáticos'', paru [[Œuvre posthume en droit de la propriété intellectuelle|posthumément]] en 1963. L’auteur, après avoir passé en revue de façon détaillée les combats entre ''Canudenses'' et troupes de l’armée, met en évidence le degré (selon lui) élevé d’organisation dont faisaient montre les ''jagunços'' dans leurs offensives et dans leur formation de bataille, caractérisées par une profonde conscience tactique et hiérarchique. Selon Rui Facó, l’on est donc fondé à voir dans les combattants de Canudos d’authentiques [[Guérilla|guérilléros]] organisés ; Pajeú, l’un des principaux meneurs du mouvement, fait ainsi l’objet, pour avoir concentré en sa personne toutes ces caractéristiques, d’un portrait très élogieux. Conselheiro en revanche, considéré pourtant par l’historiographie comme le grand dirigeant et la figure majeure de la communauté, ne se voit assigner, dans l’analyse de Facó, qu’un rôle secondaire, celui d’''agglutineur'' des masses pauvres, mais placé lui-même sous l’autorité de Pajeú. Quant au messianisme, il ne représente dans le mouvement qu’une sorte de camouflage destiné à dissimuler la véritable signification de Canudos, savoir : une lutte contre le système ''[[Latifundium (agriculture)|latifondiste]]'' et contre la misère qui en découle. Facó attribue donc une dimension proprement politique à l'expérience de Canudos et une conscience de classe au travailleur agricole, et par contrecoup ne reconnaît à l’aspect religieux qu’une importance accessoire. La faiblesse de la démonstration cependant gît en ce que le caractère politique de Canudos ne se manifeste qu’au travers de son organisation et engagement dans le domaine militaire ; en effet, quand on considère que l’affrontement avec l’armée, pour important qu’il ait été, n’occupa qu’un laps de temps relativement réduit dans toute l’histoire de Canudos, et que la matière historique de Canudos réside en grande partie dans son processus de constitution et dans son type d’organisation, où la question et la motivation religieuses sont des clefs de compréhension essentielles du processus dans son ensemble, l’on s’avise que l’accent lourdement mis sur la question militaire a dû amener Facó à escamoter certains facteurs essentiels du mouvement. On peut noter du reste que cette insistance sur l’action par les armes s’inscrit dans la pensée de la gauche brésilienne de l’époque, où la lutte révolutionnaire était vue comme une entreprise d’abord militaire visant à la conquête armée de l’État par les classes laborieuses, surtout rurales, à l’exemple de la [[Guerre civile chinoise|révolution chinoise]], où les populations rurales jouèrent un rôle crucial et que l’on tentait de transposer en [[Amérique latine]] ; la subséquente relégation au second plan de l’aspect religieux, aspect incompatible avec la rationalité politique et avec les ''a priori'' de la gauche, doit être comprise dans ce même perspective. Ce faisant, Facó fait l’impasse sur des éléments fondamentaux nécessaires à l’appréhension des événements, et aboutit à l’idée que Canudos doit être considéré comme un mouvement purement politique et ses acteurs également comme des agents politiques<ref>Cláudio Maia et alii, ''Canudos - Um Povo Entre a Utopia e a Resistência'', {{p.|51-53}}.</ref>.
 
On retrouve un écho de la vision de Rui Facó — mais rapportée aussi à la situation brésilienne présente — dans un texte tardif d’[[Otto Maria Carpeaux]] intitulé ''A lição de Canudos'' (litt. ''la Leçon de Canudos'') :
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==== Les ''sertanejos'' vus comme « race forte » ====
 
Canudos cessa du coup d’être l’exposant de la position d’infériorité du Brésil dans le concert des nations. De la vaillance militaire des ''Canudenses'', vaillance à l’aune de laquelle s’évalue la qualité d’une nation, peut naître une force plus grande si la nation sait se l’amalgamer : « cette force nouvelle doit être incorporée dans notre nationalité, c’est-à-dire comme confirmation permanente de cette nationalité même ». Si ce pour quoi le ''jagunço'' luttait était totalement incompatible avec les représentations modernes d’une nation, sa foi inébranlable, sa nature forte et sa bravoure martiale constituent ensemble un élément dont la nation peut faire son profit. [[Antônio Conselheiro|Maciel]] apparaît à présent comme ''sertanejo'' paradigmatique, qui dans sa lutte défensive agit (selon [[Aristides Augusto Milton|Milton]]) « avec vigueur, ténacité et calme ». Cela rejoint notamment la thèse d’''Os Sertões'' de [[Euclides da Cunha|Da Cunha]], selon laquelle s’est formée dans le ''sertão'' une « race forte » spécifique, autour de laquelle aurait à se construire la future nation brésilienne. Rappelons que selon Da Cunha, le ''sertanejo'' est un type historique qui, à la faveur d’un isolement relatif, s’est développé à partir du croisement originel de l’indigène et du Portugais de manière racialement homogène ; s’il est certes ''attardé'', il a en contrepartie pu se préserver de cette dégénérescence typique propre au métissage du littoral<ref>À ce sujet, voir les premières pages du chapitre III de ''Hautes Terres'', notamment la fameuse caractérisation du ''sertanejo'' comme « Hercule-Quasimodo » ({{p.|140}}), et {{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=296-297}}.</ref>. Chez Barbosa, le ''sertanejo'' se voit attribuer le statut d’une ''race'' particulière, très supérieure, sous le rapport de la vigueur, à la « population citadine hybride, sans échine, efféminée ». Si le discours dominant sur Canudos s’était jusque-là surtout concentré sur la multi-racialité, sur le mélange, c’est ici au contraire une race ou sous-race à part qui est introduite. Le ''sertanejo'' concentre en lui une force symbolique, que la nation républicaine peut s’approprier elle-même comme son soi authentique<ref>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=297-298}}.</ref>.
 
==== ''Os Sertões'' et la synthèse nationale désormais envisageable ====
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Il serait hâtif d’en déduire une sympathie ou empathie de Da Cunha vis-à-vis du ''sertão'', une volonté de se faire l’avocat des ''sertanejos''. Il faut se rappeler que l’ambivalence délibérément cultivée de l’auteur lui permet de changer sans cesse de perspective et d’y admettre les paradigmes (très en vogue dans les milieux intellectuels) évolutionnistes et du déterminisme racial ; les [[Topos (littérature)|topos]] de bestialisation, d’invisibilité, de folie couplée à la religion etc. ne font pas ici défaut. La mentalité du ''sertanejo'', « [[anachronisme]] palpable » reste [[Anthropologie|anthropologiquement]] incompatible avec les « hautes ambitions de la civilisation ». Du reste l’empathie, si déjà elle existe dans le chef de l’auteur, sera démentie par l’accueil fait au livre dans divers lieux, accueil auquel ne contribuèrent pas peu les mises à distance [[Racialisme|racialistes]] opérées par le texte et le fait qu’il s’évertue à démontrer qu’un gouffre infranchissable sépare le ''nous'' républicain et le ''eux'' des campagnes de l’intérieur<ref>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=322}}.</ref>.
 
La critique de Da Cunha n’est pas dirigée contre la république en soi, mais contre la pratique réelle de la république, contre une civilisation de clercs, restée inattentive à son essence propre, à son authenticité nationale. Si Da CunhaS'il constate le retour, dans cette guerre, de la barbarie dans la civilisation, cela ne signifie nullement qu’il récuse cette dernière. L’oxymore comme opérateur cognitif veut ici tendre un arc entre le projet d’une intégration dans la civilisation (c’est-à-dire dans l’''universel'') et le projet de créer une culture nationale distincte (c’est-à-dire de s’enraciner dans le ''particulier''). S’intégrer dans la nation implique de s’extraire du ''sertão'' ; en effet, une nation existe d’ores et déjà, et les ''sertanejos'' ne peuvent que se plier socialement et culturellement aux conditions que la nation fixe. En attendant, le ''sertão'' a l’insigne avantage d’être pure particularité, indemne de toute civilisation. Le bénéficiaire de cette particularité toutefois est le littoral, car la spécificité du ''sertão'' (environnement naturel et configuration ethnique) donne aux intellectuels de ce littoral la possibilité de formuler un projet politique : l’asymétrie nouvelle, où le ''sertão'' apparaît comme le lieu du ''soi national'', auquel fait pendant le développement culturel et la réalité politique des villes du littoral (assimilés à une impasse nationale), opère comme soubassement symbolique à la formation discursive de la république brésilienne<ref>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=323-325}}.</ref>.
 
Au-delà du niveau symbolique, ''Os Sertões'' contient quelques éléments pragmatiques permettant de dépasser l’oxymore et de restaurer l’unité et l’homogénéité de la nation déchirée : intégration spatiale (doter le ''sertão'' d’un réseau d’institutions, de [[barrage]]s<ref>{{harvsp|da Cunha|1993|p=87-90}}, à l’exemple de ce que les Français ont réalisé en [[Tunisie]].</ref> etc.), temporelle (réduire le ''retard de phase'' accusé par le ''sertāo'' sur l’axe temporel du développement historique), et raciale (par la mobilité, la migration intérieure, et la poursuite du métissage, où la race blanche serait appelée à jouer le premier rôle, même si Da Cunha ne prononce jamais le mot de ''branqueamento''). L’auteur souscrit au discours sur la nécessité d’une modernisation, à concrétiser par l’innovation et la formation techniques sous la direction d’experts blancs issus des métropoles nationales et ''formatés'' au paradigme universaliste. La civilisation, entendue comme la suprématie de la culture d’origine européenne, apparaît, compte tenu de la réalité raciale du métissage, comme la condition de la pérennité nationale<ref name=Bartelt326>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=326}}.</ref> :
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Afonso Arinos du reste n’était pas le seul intellectuel monarchiste à croire à l’importance d’incorporer le ''sertanejo'' dans la nationalité brésilienne. [[Eduardo Paulo da Silva Prado|Eduardo Prado]], propriétaire d’''O Comércio de São Paulo'', affirma lui aussi la nécessité de prendre en compte le ''caboclo'' comme élément caractéristique de la nation, arguant que celui-ci était « un homme que nous devons tous admirer pour sa vigueur et parce que c’est lui qui, au bout du compte, est ce qu’est le Brésil, le Brésil réel, bien différent du cosmopolitisme artificiel dans lequel nous vivons, nous habitants de cette grande ville. C’est lui qui a fait le Brésil »<ref>''[http://www.revistahistoria.ufba.br/2013_1/a11.pdf A guerra dos jagunços: o conflito de Canudos e o sertanejo nos escritos de Afonso Arinos]'', article de Flávio Raimundo Giarola, paru dans ''Revista de História'' 5, 1-2 (2013), {{p.|209}}. La citation de Prado est tirée de ''O catolicismo, a Companhia de Jesus e a colonização do Brésil'', dans ''III centenário do venerável Joseph de Anchieta'', éd. Aillaud, Paris & Lisbonne 1900, {{p.|47}}.</ref>. L’écrivain [[Afonso Celso de Assis Figueiredo Júnior|Afonso Celso]] également contestait les théories selon lesquelles le métis serait un dégénéré et un être racialement inférieur et s’attacha à souligner au contraire que le « métis brésilien ne présente aucune infériorité d’aucune sorte, ni physique ni intellectuelle »<ref>[[Afonso Celso de Assis Figueiredo Júnior|Afonso Celso]], ''Porque me ufano do meu país'', {{p.|114}}.</ref>. Les ''vaqueiros'' notamment, rappela-t-il, sont à ranger parmi les métis, ces ''vaqueiros'' dont la sobriété et le désintéressement sont notoires, qui jouissent d’une santé inaltérable, sont d’une force et d’une dextérité rares, etc.<ref>F. R. Giarola, ''A guerra dos jagunços'', {{p.|210}}.</ref>
 
L’argumentDans de ceson roman ''Os Jagunços'' parut en 1898, Afonso Arinos dans un tirage relativement faible d'une centaine d’exemplaires<ref name="Bartelt298" />{{,}}<ref>S. M. Azevedo, Préface 2003, {{p.|31}}.</ref>, quiil évoque Canudos à travers les faits et gestes du ''vaqueiro'' (gardien de bétail) Luiz Pachola, peut être résumé comme suit. Lors d’un séjour dans la ''[[fazenda]]'' Periperi en 1877 pour une ''vaquejada'' (regroupement du bétail avec [[rodéo]]), Pachola fait pour la première fois la rencontre de [[Antônio Conselheiro|Maciel]] et de sa petite suite et s’éprend de la [[mulâtre]]sse Conceição. Celle-ci cependant périt lorsqu’elle tente de protéger Pachola des coups de couteau d’un rival jaloux. Ce sacrifice incite le héros à se vouer désormais à la foi et à la [[pénitence]], et le décide à se joindre à Maciel. Plus tard, en 1897, à ''Belo Monte'', Pachola occupe un poste de confiance et appartient au commandement militaire de Canudos. Il survit à la guerre et s’échappe avec quelques autres survivants en direction de la ''caatinga''<ref name="Bartelt299">{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=299}}.</ref>{{,}}<ref>S. M. Azevedo, Préface 2003, {{p.|32}}.</ref>.
Aux yeux d’Afonso Arinos, le [[métissage]] n’apparaît donc représenter aucun problème pour les peuples d’Amérique. Au travers de la description d’Aninha, protagoniste ''cabocla'' du roman ''Os Jagunços'', Afonso Arinos sous-entend que du mélange ethnique résultera quelque chose de nouveau, le métis, « dans lequel ne pourront plus être discernées les hérédités de telle ou telle descendance, désormais unifiées »<ref>Vanderson Roberto Pedruzzi Gaburo, ''[http://portais4.ufes.br/posgrad/teses/tese_3525_Vanderson_Roberto_Pedruzzi_Gaburo.pdf O sertão vai virar gente]'', {{p.|125}}.</ref>. De fait, Afonso Arinos faisait sienne la thèse sur la formation raciale du Brésil soutenue par le [[naturaliste]] allemand [[Carl Friedrich Philipp von Martius|Carl von Martius]] et publiée dans la revue de l’[[Institut historique et géographique brésilien]] en 1845 ; cette thèse, qui tenait que le Brésil se serait constitué par la conjonction de trois races différentes — blancs, indiens et [[Afro-Brésiliens|noirs]] —, donna lieu à controverse dans la deuxième moitié du {{s-|XIX}}, prenant en effet le contre-pied des théories racialistes qui postulaient la dégénérescence du métis, e.a. des affirmations de Gobineau que les Brésiliens ne seraient qu’une « bande » de mulâtres et de métis à complexion rachitique, répugnants et désagréables à l’œil<ref>Georges Raeders, ''O inimigo cordial do Brasil: O Conde de Gobineau no Brésil'', éd. Paz e Terra, Rio de Janeiro 1988, {{p.|90}}; F. R. Giarola, ''A guerra dos jagunços'', {{p.|216}}.</ref>. Afonso Arinos pour sa part n’estimait pas que le mélange des races pût être de quelque façon préjudiciable à l’avenir du Brésil, comme le pensaient plusieurs intellectuels de l’époque<ref>F. R. Giarola, ''A guerra dos jagunços'', {{p.|216-217}}.</ref>.
 
Son roman ''Os Jagunços'' parut en 1898 dans un tirage de seulement une centaine d’exemplaires. Cependant, il convient de relativiser ce chiffre, eu égard à la circonstance que premièrement le texte avait été préalablement publié en feuilleton dans le quotidien ''O Commércio de São Paulo'', sous le pseudonyme d’Olívio Barros, et que deuxièmement il fait partie des nombreuses sources non citées d’''Os Sertões'' de Da Cunha, ainsi que plusieurs études ont pu le démontrer<ref name=Bartelt298/>{{,}}<ref>S. M. Azevedo, Préface 2003, {{p.|31}}.</ref>.
 
L’argument de ce roman, qui évoque Canudos à travers les faits et gestes du ''vaqueiro'' (gardien de bétail) Luiz Pachola, peut être résumé comme suit. Lors d’un séjour dans la ''[[fazenda]]'' Periperi en 1877 pour une ''vaquejada'' (regroupement du bétail avec [[rodéo]]), Pachola fait pour la première fois la rencontre de [[Antônio Conselheiro|Maciel]] et de sa petite suite et s’éprend de la [[mulâtre]]sse Conceição. Celle-ci cependant périt lorsqu’elle tente de protéger Pachola des coups de couteau d’un rival jaloux. Ce sacrifice incite le héros à se vouer désormais à la foi et à la [[pénitence]], et le décide à se joindre à Maciel. Plus tard, en 1897, à ''Belo Monte'', Pachola occupe un poste de confiance et appartient au commandement militaire de Canudos. Il survit à la guerre et s’échappe avec quelques autres survivants en direction de la ''caatinga''<ref name=Bartelt299>{{harvsp|D. D. Bartelt|(2003)|id=Bartelt|p=299}}.</ref>{{,}}<ref>S. M. Azevedo, Préface 2003, {{p.|32}}.</ref>.
 
Le roman se place dans la perspective des petites gens, ''vaqueiros'' et [[journalier]]s, rendant palpable la vie quotidienne de la communauté ''[[Antônio Conselheiro|conselheiriste]]''. De ce seul point de vue déjà, ''O Jagunços'' est en porte-à-faux avec le discours dominant sur Canudos. En outre, la violence procède clairement de l’armée républicaine, tandis que les ''Canudenses'' ne font que défendre leur projet. Tout acte délictueux de leur part est systématiquement nié par le narrateur, y compris le passé criminel de quelques protagonistes : la paisible et industrieuse colonie se concentre sur une économie de subsistance et sur la poursuite de quelques petits négoces et apparaît entièrement intégrée dans l’environnement socio-économique de la région<ref name=Bartelt299/>.
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