« E (nombre) » : différence entre les versions
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[[Fichier:Hyperbola E.svg|thumb|right|200px|L’aire sous l’hyperbole est égale à 1 sur l’intervalle {{math|[1;e]}}.]]
Le nombre '''{{math|e}}''' est une [[Table de constantes mathématiques|constante mathématique]]<ref>La typographie des constantes mathématiques requiert l’utilisation de la [[police romaine]], pour réserver l’[[italique (typographie)|italique]] aux variables.</ref> valant environ 2,71828 et parfois appelée '''nombre d'Euler''' ou '''constante de Néper''' en référence aux mathématiciens [[Leonhard Euler]] et [[John Napier]] (par une variante orthographique de son nom). Il ne doit pas être confondu avec la [[constante d'Euler-Mascheroni]]
Ce nombre est
:<math>\mathrm e = 1+\frac{1}{1} + \frac{1}{1\times 2} + \frac{1}{1\times 2\times 3} + \frac{1}{1\times 2\times 3 \times 4} + \cdots</math>
Ce nombre apparait aussi comme [[limite (mathématiques)|limite]] de la [[suite (mathématiques)|suite numérique]] de terme général {{math|(1 + 1/''n'')<sup>''n''</sup>}} et dans de nombreuses formules en analyse telles l'[[identité d'Euler]] (<math>\mathrm e^{\mathrm i\pi}+1 = 0</math>) ou la [[formule de Stirling]] qui donne un [[équivalent]] de la [[factorielle]]
▲Ce nombre apparait dans de nombreuses formules en analyse telles l'[[identité d'Euler]] (<math>\mathrm e^{\mathrm i\pi}+1 = 0</math>) ou la [[formule de Stirling]] qui donne un [[équivalent]] de la [[factorielle]], mais il intervient aussi en théorie des probabilités ou en combinatoire.
Euler démontre que {{math|e}} est [[nombre irrationnel|irrationnel]], donc que son [[développement décimal]] n'est pas [[suite périodique|périodique]], et en donne une première approximation avec 23 décimales. Il explicite aussi son développement en [[fraction continue]]. En 1873, soit plus d'un siècle plus tard, [[Charles Hermite]] montre même que le nombre {{math|e}} est [[nombre transcendant|transcendant]], c'est-à-dire qu'il n'est racine d'aucun [[polynôme]] non nul à coefficients entiers.
== Définition par les logarithmes ==
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[[Image:John Napier.jpg|thumb|right|[[John Napier]]]]
Au début du {{s|XVII}}, le mathématicien écossais [[John Napier]] construit les premières [[table de logarithmes|tables de logarithmes]], qui permettent de simplifier des calculs de [[produit (mathématiques)|produits]] et [[division|quotients]] mais aussi [[racine carrée|racines carrées]], [[racine cubique|cubiques]] et autres. Elles consistent à associer à chaque nombre d'une liste un autre nombre (appelé ''logarithme''), de façon à ce qu'une relation de [[proportionnalité]] entre quatre termes de la première liste se traduise par des différences égales entre les termes correspondants de la seconde liste<ref>Simone Trompleur, [http://www.librecours.org/documents/4/478.pdf ''L'histoire des logarithmes''], p. 5.</ref> : si {{math|''a''}}, {{math|''b''}}, {{math|''c''}} et {{math|''d''}} ont pour logarithmes respectifs {{math|''A''}}, {{math|''B''}}, {{math|''C''}} et {{math|''D''}}, alors la relation {{math|{{frac|''a''|''b''}} {{=}} {{frac|''c''|''d''}}}} est équivalente à la relation {{math|''A''−''B'' {{=}} ''C''−''D''}}.
{{article détaillé|Table de logarithmes}}
Plus précisément, Napier fixe un ''rayon'' initial de dix millions<ref>Ce rayon correspond au rayon d'un cercle dans lequel sont calculés les valeurs trigonométriques, variant donc entre 0 et 10{{exp|7}} et non entre 0 et 1 comme actuellement.</ref> et construit une liste dans laquelle chaque nombre permet de calculer le suivant en lui soustrayant un dix-millionnième de sa valeur. Ces opérations successives sont donc des multiplications itérées par {{math|1−10{{exp|−7}}}} et la liste constitue une [[suite géométrique]] de premier terme 10{{exp|7}}. Le logarithme de chaque nombre de la liste étant son rang d'apparition, la formule du logarithme népérien s'écrit alors :
:<math>\operatorname{NapLog}(x) = \log_{1-10^{-7}}(x.10^{-7}) = \frac{\ln(x.10^{-7})}{\ln(1-10^{-7})}</math>
Napier interprète cette construction à l'aide d'un problème [[cinématique]] dans lequel un mobile se déplace à vitesse constante et un autre se déplace sur une longueur finie avec une vitesse proportionnelle à la distance qui lui reste à parcourir. En termes modernes, le problème se traduit donc par deux [[équation différentielle|équations différentielles]] dont les solutions sont linéaire pour le premier mobile et exponentielle pour le second. En égalant les vitesses initiales des deux mobiles et en fixant à 10{{exp|7}} la longueur à parcourir pour le second mobile, la position {{math|''L''}} du premier mobile s'obtient à partir de la distance restante {{math|''x''}} du premier mobile par la formule :
La condition d'annulation du logarithme en 1 est cruciale pour la simplification des calculs car la table transforme alors les produits en sommes. Cette propriété s'écrit en formulation moderne : {{formule|log(''a'' ''b'') {{=}} log(''a'') + log(''b'')}}. En 1647, [[Grégoire de Saint-Vincent]] met en évidence une relation analogue entre les aires de domaines délimités par une branche d'[[hyperbole (mathématiques)|hyperbole]] et son [[asymptote]]. En 1661, [[Christian Huygens]] fait le lien entre les logarithmes et la [[quadrature (mathématiques)|quadrature]] de l'hyperbole, et en particulier celle d'équation {{formule|''x'' ''y'' {{=}} 1}}. Le [[logarithme naturel]] est donc mis en évidence, mais sa base ({{math|e}}) n'est pas identifiée.▼
:<math>L = -10^7\ln(x.10^{-7})</math>
Or l'[[approximation affine]] du logarithme naturel en 1 permet d'approcher {{math|ln(1−10{{exp|−7}})}} par {{math|−10{{exp|−7}}}} avec une précision de l'ordre de {{math|10{{exp|−14}}}}, soit 7 chiffres significatifs. Les tables de valeurs obtenues par Napier offrent donc à la lecture les mêmes premières décimales que celles du logarithme naturel et en particulier, son logarithme vaut 10{{exp|7}} entre les sinus de 21°35' et de 21°36, où l'on retrouve<ref>Voir la [http://www.17centurymaths.com/contents/napier/spreadsheettables.pdf table de valeurs du logarithme népérien] pour un angle de 21°, p. 44.</ref> les premières décimales de {{math|{{frac|1|e}}}} (à savoir {{math|3678}}). Mais ce nombre n'est pas mis en évidence par Napier.
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En 1624, [[Henry Briggs]], correspondant avec Napier, modifie les paramètres de construction des tables de logarithmes. D'abord il fixe à 0 le logarithme de 1, ce qui revient à choisir un rayon unitaire. Ses tables transforment alors les produits en sommes, ce qui s'écrit en formulation moderne : {{formule|log(''a'' ''b'') {{=}} log(''a'') + log(''b'')}}. Ensuite, il fixe à 1 le logarithme de 10, ce qui fait qu'une multiplication par 10 d'un nombre se traduit par un ajout d'une unité à son logarithme.
Briggs obtient ainsi une table de valeurs du [[logarithme décimal]]<ref>Briggs, Wallis, Ialley, Sharp, [http://books.google.fr/books?id=8-42AAAAMAAJ&printsec=frontcover&dq=Henry+Briggs&hl=fr&sa=X&ei=-eCFT5PwGqL80QXcstWvBw&sqi=2&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false ''Mathematical tables'', p. 27].</ref>, fondé sur le système de numération en base 10, mais la notion de [[fonction (mathématiques)|fonction]] n'a pas encore émergé à l'époque. En particulier, il n'y a pas de trace d'une évaluation d'un [[taux d'accroissement]] en 1, qui aurait pu faire apparaitre une approximation de {{math|log(e)}}.
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C’est dans une lettre de [[Gottfried Wilhelm Leibniz|Leibniz]] à Huygens que ce nombre est enfin identifié comme la base du logarithme naturel, mais Leibniz lui donne le nom de <math>b</math>.▼
▲C’est dans une lettre de [[Gottfried Wilhelm Leibniz|Leibniz]] à Huygens que ce nombre est enfin identifié comme la base du logarithme naturel
== Redéfinition par l'exponentielle ==
=== Nouvelle notation ===
[[File:Leonhard Euler 2.jpg|thumb|right|[[Leonhard Euler]].]]▼
En 1728, Euler note<ref name="funcwolfram">[http://functions.wolfram.com/Constants/E/35/ Histoire de {{math|e}}] sur functions.Wolfram.com.</ref> {{math|e}} la limite de {{math|(1+''x''){{exp|{{frac|1|''x''}}}}}} lorsque {{math|''x''}} tend vers 0.
Il fait part de cette notation à [[Christian Goldbach|Goldbach]] dans un courrier en 1731. Le choix de la lettre est parfois interprété comme un hommage au nom d'Euler lui même<ref>{{Lien web|url=http://mathworld.wolfram.com/e.html|titre=e|auteur=Jonathan Sondow|éditeur=Wolfram Mathworld|consulté le=10 mai 2011}}</ref> ou l'initiale de « exponentielle ».
=== Relation avec la base du logarithme naturel ===
Euler relie le nombre {{math|e}} et la base du logarithme népérien en la valeur en 1 de la [[fonction exponentielle]]<ref>Leonhard Euler, [http://eulerarchive.maa.org/docs/originals/E101capitel7.8.pdf ''Introductio in analysin infinitorum'', volume 1 chapitre 7]</ref>, qui est la seule fonction égale à sa [[dérivée]] valant 1 en 0. Cette fonction admettant une décomposition en [[série entière]], Euler obtient le développement de {{math|e}} en série sous la forme
: <math> \mathrm e = 1 + \dfrac{1}{1!} + \dfrac{1}{2!} + \cdots + \dfrac{1}{k!}+ \cdots</math>
dont une valeur approchée avait déjà été calculée par [[Isaac Newton]] en 1669<ref name="funcwolfram" />.
: <math>\mathrm e=2+\frac{1}{1+\frac{1}{2+\frac{1}{1+\frac{1}{1+\frac{1}{4+\frac{1}{1+\frac{1}{1+\frac{1}{6+\ldots}}}}}}}}</math>▼
[[Fichier:Exp derivative at 0.svg|right|frame|Différentes courbes exponentielles. Seule celle de base {{math|e}} (en bleu) a une tangente de pente 1 à l'origine.]]
▲De façon équivalente, le nombre {{math|e}} est caractérisé par le fait que la [[fonction (mathématiques)|fonction]] qui à tout [[nombre réel]] {{math|''x''}} associe {{math|e<sup>''x''</sup>}} est égale à sa propre [[dérivée]]<ref>{{Ouvrage|langue=en|nom1=Jerrold E. Marsden, Alan Weinstein|titre=Calculus|éditeur=Springer|année=1985|isbn=0387909745|lire en ligne=http://books.google.com/?id=KVnbZ0osbAkC&printsec=frontcover}}</ref>.
== Propriétés ==
=== Irrationnalité ===
La décomposition de {{math|e}} par la série exponentielle permet de démontrer [[raisonnement par l'absurde|par l'absurde]] qu'il est [[nombre irrationnel|irrationnel]].
▲[[File:Leonhard Euler 2.jpg|thumb|[[Leonhard Euler]].]]
La preuve de la [[nombre transcendant|transcendance]] de <math>\mathrm e</math> fut établie par [[Charles Hermite]] en 1873. On en déduit que, pour tout rationnel <math>r</math> non nul (ce qui inclut les entiers naturels), <math>\mathrm e^r</math> est aussi transcendant ; le [[théorème de Gelfond-Schneider]] permet de démontrer également que, par exemple, <math>\mathrm e^\pi</math> est transcendant, mais on ne sait pas encore (2011) si <math>\mathrm e^{\mathrm e}</math> et <math>\pi^{\mathrm e}</math> sont transcendants ou non.▼
Les propriétés de ce nombre sont à la base du [[Théorème d'Hermite-Lindemann|théorème d’Hermite-Lindemann]].▼
Il a été [[conjecture|conjecturé]] que <math>\mathrm e</math> était un [[nombre normal]].▼
Il s’agit de prouver que pour tout entier <math>b\,>0</math>, le nombre <math>b\,\mathrm e</math> n’est pas entier.
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Puisque <math>b\,!\ \mathrm e</math> est somme d’un entier et d’un non-entier, il n’est pas entier ; {{lang|la|''a fortiori''}}, <math>b\,\mathrm e</math> n’est pas entier, et cela pour n’importe quel entier <math>b\,>0</math>. Ainsi <math>\mathrm e\,</math> doit être irrationnel. [[CQFD (abréviation)|CQFD]].
=== Fraction continue ===
Une autre démonstration consiste à établir le développement en [[fraction continue]] du nombre {{math|e}}. Si la preuve est plus complexe, elle offre aussi plus de possibilités de généralisation. Elle permet de montrer que si ''x'' est un nombre rationnel non nul, alors {{math|e}}{{exp|x}} est irrationnel. Elle permet aussi d’établir que {{math|e}} n’est pas un [[entier quadratique|irrationnel quadratique]], c’est-à-dire n’est solution d’aucune équation du second degré à coefficients rationnels ({{cf.}} [[Fraction continue et approximation diophantienne]]). En revanche, pour aller plus loin, c’est-à-dire que pour montrer que {{math|e}} n’est solution d’aucune équation du troisième degré à coefficients rationnels, puis qu’il est [[nombre transcendant|transcendant]], ce qui signifie qu’il n’est solution d’aucune équation polynomiale à coefficients rationnels, de nouvelles idées sont nécessaires.▼
Euler a obtenu le développement en [[fraction continue]] de {{math|e}} sous la forme :
▲: <math>\mathrm e=2+\frac{1}{1+\frac{1}{2+\frac{1}{1+\frac{1}{1+\frac{1}{4+\frac{1}{1+\frac{1}{1+\frac{1}{6+\ldots}}}}}}}}</math>
ce qui lui a permis de démontrer que {{math|e}} est irrationnel<ref>{{Article|lang=en |auteur=Ed Sandifer |url=http://www.maa.org/editorial/euler/How%20Euler%20Did%20It%2028%20e%20is%20irrational.pdf |titre=How Euler did it |périodique={{lang|en|[[Mathematical Association of America|M.A.A.]] on line}} |année=2006 |format=pdf }}.</ref> en 1737.
=== Transcendance ===
En 1761, [[Jean-Henri Lambert|Lambert]] démontre<ref>Alain Juhel, [http://www.bibnum.education.fr/mathématiques/théorie-des-nombres/lambert-et-l’irrationalité-de-π-1761 Lambert et l’irrationalité de Pi (1761)].</ref> l'irrationnalité des puissances entières de {{math|e}}.
▲La preuve de la [[nombre transcendant|transcendance]] de <math>\mathrm e</math> fut établie par [[Charles Hermite]] en 1873. On en déduit que, pour tout rationnel <math>r</math> non nul (ce qui inclut les entiers naturels), <math>\mathrm e^r</math> est aussi transcendant ; le [[théorème de Gelfond-Schneider]] permet de démontrer également que, par exemple, <math>\mathrm e^\pi</math> est transcendant, mais on ne sait pas encore (2011) si <math>\mathrm e^{\mathrm e}</math> et <math>\pi^{\mathrm e}</math> sont transcendants ou non.
▲Les propriétés de ce nombre sont à la base du [[Théorème d'Hermite-Lindemann|théorème d’Hermite-Lindemann]].
▲Il a été [[conjecture|conjecturé]] que <math>\mathrm e</math> était un [[nombre normal]].
== Applications ==
=== Problème des intérêts composés ===
En 1685, [[Jacques Bernoulli]] étudie le problème des [[intérêts composés]] en progression continue : si un montant {{math|''a''}} rapporte un montant {{math|''b''}} d'intérêts au bout d'un temps fini, on peut considérer que ces intérêts s'acquièrent linéairement en fonction du temps. Mais sur l'intervalle de temps considéré, ces intérêts devraient eux-mêmes produire des intérêts, et ainsi de suite. Bernoulli obtient ainsi une expression qui évoque le développement en série exponentielle<ref>Jacques Bernoulli, [http://books.google.fr/books?id=HdBJAAAAMAAJ&pg=PA429#v=onepage ''Basileensis opera'', tome 1, p. 429].</ref>.
▲Une autre démonstration consiste à établir le développement en [[fraction continue]] du nombre {{math|e}}. Si la preuve est plus complexe, elle offre aussi plus de possibilités de généralisation. Elle permet de montrer que si ''x'' est un nombre rationnel non nul, alors {{math|e}}{{exp|x}} est irrationnel. Elle permet aussi d’établir que {{math|e}} n’est pas un [[entier quadratique|irrationnel quadratique]], c’est-à-dire n’est solution d’aucune équation du second degré à coefficients rationnels ({{cf.}} [[Fraction continue et approximation diophantienne]]). En revanche, pour aller plus loin, c’est-à-dire que pour montrer que {{math|e}} n’est solution d’aucune équation du troisième degré à coefficients rationnels, puis qu’il est [[nombre transcendant|transcendant]], ce qui signifie qu’il n’est solution d’aucune équation polynomiale à coefficients rationnels, de nouvelles idées sont nécessaires.
=== Approximants de Padé ===
Puisque {{math|e}} possède un développement en [[fraction continue]] infini, il est [[nombre irrationnel|irrationnel]]. Les différents [[approximant de Padé|approximants de Padé]] permettent d’offrir de nombreuses expressions de {{math|e}} sous forme de fractions continues généralisées ({{cf.}} l’article [[Approximant de Padé de la fonction exponentielle]]). Elles permettent à [[Charles Hermite]] de démontrer la [[nombre transcendant|transcendance]] de ce nombre en 1873.
La valeur numérique de {{math|e}} tronquée à 50 [[Système décimal|décimales]] est
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|+ '''Nombre de décimales connues de la constante
! Date || Décimales connues || Performance due à
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