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Bullshit dans la philosophie française
modifierSelon le philosophe anglais Gerald Cohen[1], repris par le neuroscientifique suisse Sebastian Dieguez[2], la France, et plus spécifiquement Paris, constituerait un terreau particulièrement propice à l'épanouissement du bullshit académique. On peut en trouver des exemples dans les écrits des penseurs postmodernes comme Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Jacques Lacan ou Julia Kristeva. Une de ses spécificités serait de se parer d'une fausse profondeur par le biais d'énoncés peu clairs, accompagné d'une certaine indifférence à l'égard du vrai ou de sa recherche (voir également sous: L'Effet Gourou). Cohen explique ce phénomène par trois facteurs principaux qui se combinent entre eux.
Le premier de ces facteurs se trouve dans l'autorité prédominante qu’exerce Paris sur le monde intellectuel, politique (et Dieguez ajoute médiatique[3]), ainsi que l'interpénétration de ces sphères entre elles. Cette centralisation, cette confusion entre domaines distincts, de même que l'uniformité du système académique français, empêcheraient la survenue de courants de pensées critiques, voire divergents, et favoriseraient ainsi l'émergence d'impostures intellectuelles comme le bullshit[4].
Le deuxième facteur est à chercher dans le goût et l'aptitude des Français pour le style, qui bien souvent prédomine sur le fond, et permet de dissimuler plus aisément le bullshit le cas échéant, tout en favorisant sa diffusion par son aspect saisissant[5]. Comme le note Dieguez: "Le discours devient pour ainsi dire une affaire esthétique plutôt qu'épistémique[6]". La France possède en outre une solide tradition d'écrivains-philosophes, tels que Diderot, Rousseau, Sartre ou Camus, ce qui favoriserait également un mélange des genres et empêcherait, dans une certaine mesure, une application rigoureuse de l'appareil critique à l'égard des thèses philosophiques avancées[7].
Enfin, le troisième et dernier facteur prépondérant se situe, toujours selon Cohen, dans l'intérêt soutenu du grand public français pour la production intellectuelle dans des domaines dont il n'est pas spécialiste (comme la philosophie), ce qui favoriserait une certaine tendance à s'intéresser à ce qui est décrété intéressant par l'intelligentsia parisienne, au détriment de ce qui est vrai, mais pourrait s'avérer potentiellement plus ennuyeux[8]. On préférera ainsi un discours passionné qui sonne radical mais comporte potentiellement plus d'inexactitudes à un discours plus rigoureux mais de facture plus conformiste[9]. "La vérité peut être ennuyeuse, et elle peut sembler désuète et trop banale, et la vérité peut être rejetée en France pour ces mauvaises raisons[10]."
- (en) Cohen, G. A., Finding Oneself in the Other: Chapter V (Complete Bullshit), II. "Why one kind of bullshit flourishes in France", Princeton University Press, , pp. 108-114.
- Dieguez, Sebastian, Total bullshit!: au coeur de la post-vérité, "Bullshit et culture: les méfaits du parisianisme", PUF, , pp. 96-101.
- Dieguez, 2018, p. 97.
- Cohen, 2012, pp. 109-110.
- Ibid., p. 110.
- Dieguez, 2018, p. 98.
- Cohen, 2012, pp. 111-112.
- Ibid., pp. 110-111.
- Ibid., p. 112.
- "The truth might be boring, and it might be old and all too familiar, and the truth can be shunned in France for these bad reasons." Ibid., p. 113, (c'est nous qui traduisons).