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Éthique du care et féminisme

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Définition du care selon Carol Gilligan

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Gilligan est connue pour son travail sur les relations éthiques et l'éthique de la sollicitude. Son ouvrage le plus célèbre est Une voix différente[1], qui propose une critique de l'échelle du développement moral de Kohlberg selon laquelle les filles atteindraient un niveau de développement moral moindre que les garçons[2]. Contrairement à l'éthique habituelle basée sur la justice, originellement établie par la société patriarcale, Carol Gilligan propose un changement de vision de cette morale par l'établissement de l'éthique du care qui prône davantage les relations entre les individus.[3]

L'émergence du care à partir de la pensée de Kohlberg

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Carol Gilligan, étant l'assistante de Lawrence Kohlberg, connaissait bien son travail. Pour Kohlberg, un développement de la morale élevée se traduit par une abstraction des circonstances, ce qui permet un jugement juste sur le geste posé. Cela assure le respect des droits individuels. Pour lui, l’apogée du développement moral est l’atteinte d’une autonomie permettant la prise de décisions morales qui permettront d’acquérir davantage de liberté et d’autonomie. Carol Gilligan développe l’éthique du care lorsqu’elle remarque que certaines personnes étaient exclues des études sur le développement moral, entre autres, les femmes. Elle affirme que les distinctions entre les hommes et les femmes sont dues à l’éducation, aux préjugés aux rôles sociaux. De ce fait, la société insiste pour que les femmes soient dotées d’empathie, d’écoute, de douceur ainsi que de l'ensemble des qualités requises pour le maternage. De plus, leur rôle étant de prendre soin d’autrui, elles valorisent l’attachement et les relations avec les autres qui leur permettent de grandir et de mieux se connaître[4]. Selon la philosophe, ces enseignements mènent les femmes à acquérir une éthique relationnelle, aussi nommée éthique de la sollicitude et éthique du care. Cette dernière étant une éthique prenant en compte les circonstances, les besoins et les personnes dans une situation.

Critique de la théorie de Kohlberg
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L'un des aspects de la théorie de Lawrence Kohlberg que critique Gilligan concerne le dilemme de Heinz[5] qui est essentiellement fondé sur un problème posé à un garçon et à une fille : « un homme se demande s'il doit ou s'il ne doit pas voler un médicament qu'il n'a pas les moyens d'acheter pour sauver la vie de sa femme ». Le garçon résout le dilemme en considérant que l'homme doit voler le médicament et donc transgresser la loi s'il veut sauver sa femme. La fille quant à elle considère que l'homme devrait aller à la rencontre du pharmacien, lui exposer sa situation et lui expliquer qu'offrir ce médicament permettrait de sauver une vie. En reconfigurant le problème de la sorte, l'homme ne transgresse pas la loi, il sauve sa femme et le pharmacien accomplit un acte altruiste. Selon Kohlberg, la petite fille fait preuve d'une certaine naïveté et n'a pas conscience des principes de la justice universelle. Cependant, contrairement à Lawrence Kohlberg, l'énonciateur du dilemme de Heinz, qui présente une certaine hiérarchie entre les morales féminine et masculine, Carol Gilligan ne présente pas une supériorité de la morale des hommes. Elle défend plutôt que l’éthique morale des femmes est différente de celles des hommes[6]. Cette dernière étant selon Gilligan davantage axé sur les relations humaines et l'entraide[7].

 Ainsi, selon Gilligan, les femmes ne peuvent pas être élevées sur l’échelle de classement de moralité de Kohlberg puisqu’elles ne répondent pas aux critères patriarcaux qu’il a développés[8]. En effet, les valeurs qu’elles se font inculquer comme l’importance des relations et de l’entraide vont complètement à l’encontre de sa définition de la maturité, qui met plutôt de l'avant l'indépendance et l'individualiste. Carol Gilligan critique cette échelle de développement moral puisqu’elle fait paraître les femmes, ainsi que tous ceux pensant aux autres, comme déviants moralement. Avec l’éthique du care, la psychologue veut donc démontrer qu’il doit y avoir des modifications faites dans l’évaluation de la moralité. D’après elle, il faut prendre en compte la subjectivité, le rapport avec les autres et l’éducation qui sont des éléments différents chez chaque individu[9].

Selon Gilligan, la résolution différentielle du dilemme du pharmacien met en lumière deux rapports à la morale :

  • le premier (plutôt associé à la morale masculine) est fondé sur un rapport au monde logique et juridique ;
  • le second (plutôt associé à la morale féminine) est fondé sur le dialogue, le sens de la responsabilité et l'attention à autrui qui sont les fondements de l'éthique de la sollicitude.

L'origine des différentes morales selon Gilligan

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Gilligan présente les différentes morales entre les sexes comme étant notamment originaires des stéréotypes inculqués dès l'enfance par la société. Au cours du développement, ces derniers se seraient développés en véritable identité associée au sexe. Selon la philosophe, la morale masculine tire son origine d'un développement plutôt individualiste et d'une certaine indépendance sur le plan des relations avec autrui. Au contraire, la morale féminine axée sur le care est plutôt le résultat de l'attachement plus important avec autrui au cours du développement et particulièrement en ce qui concerne la relation mère-fille.[10].

Ainsi, Gilligan présente les différences dans le développement des individus comme étant notamment une cause de l'émergence des différences entre la morale logique et individualiste de l'homme ainsi que la morale relationnelle de la femme[11].

L'éthique du care dans différents enjeux sociaux

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Joan Tronto reprend cette éthique, mais lui donne un sens plus politique et moins essentialiste[12].

Les travaux de Gilligan sur l'éthique du care ont été mobilisés par plusieurs universitaires pour penser les crises et notamment la crise démocratique[13], mais aussi le Covid-19[14].

Fabienne Brugère présente notamment l'analyse de Gilligan en ce qui concerne l'avortement. Selon Gilligan, l'interruption volontaire d'une grossesse présente parfaitement le dilemme entre le bien-être de soi et celui d'autrui qui est omniprésent dans l'éthique du care[15].

L'éthique du care a plusieurs impacts dans différents enjeux sociaux, car il met de l'avant l'importance de la pluralité des morales qui ne se limitent pas à l'éthique logique originellement établie et présente plutôt l'égalité des voix de ceux qui sont plus vulnérables et moins reconnus[16].

  1. Carol Gilligan, In a Different Voice, Harvard University Press 1982, trad. française chez Flammarion en 2008 par Annick Kwiatek.
  2. (en) Lawrence Kohlberg, « The Development of Modes of Thinking and Choices in Years 10 to 16 », Ph. D. dissertation, University of Chicago,‎ .
  3. Vanessa Nurock, Carol Gilligan et l'éthique du care, Paris, Presses universitaires de France, , 176 p. (ISBN 978-2-13-057344-9 et 2-13-057344-4, OCLC 652491909, lire en ligne), p.11-13
  4. Nadine Jammal, Égales et différentes?, Canada, Athéna éditions, , 229 p. (ISBN 978-2-924142-27-1), p. 89-92
  5. Vanessa Nurock, Carol Gilligan et l'éthique du care, Paris, Presses universitaires de France, , 176 p. (ISBN 978-2-13-057344-9 et 2-13-057344-4, OCLC 652491909, lire en ligne), p.45
  6. Vanessa Nurock, Carol Gilligan et l'éthique du care, Paris, Presses universitaires de France, , 176 p. (ISBN 978-2-13-057344-9 et 2-13-057344-4, OCLC 652491909, lire en ligne), p.47
  7. Fabienne Brugère, L'éthique du " care ", (ISBN 978-2-7154-0588-2 et 2-7154-0588-X, OCLC 1240770890, lire en ligne), p.21
  8. Patricia Paperman, « Éthique du care , un changement de regard sur la vulnérabilité », article scientifique,‎ (lire en ligne Accès libre [doc])
  9. Marie Garrau, Alice Le Goff, « Care, justice et dépendance, Introduction aux théories du care », revue scientifique,‎ , p. 6,7 (lire en ligne [doc])
  10. Fabienne Brugère, L'éthique du care, Paris, Presses universitaires de France, impr. 2011, 128 p. (ISBN 978-2-13-058633-3 et 2-13-058633-3, OCLC 758355201, lire en ligne), p.29-30
  11. Fabienne Brugère, L'éthique du "care", Paris, Presses universitaires de France, impr. 2011, 128 p. (ISBN 978-2-13-058633-3 et 2-13-058633-3, OCLC 758355201, lire en ligne), p.29
  12. Wolfram Eilenberger, « Joan Tronto. « Yes, we care ! » », sur Philosophie Magazine, (consulté le ).
  13. Alexandre Gefen (dir.) et Sandra Laugier (dir.), Le Pouvoir des liens faibles, Paris, CNRS Éditions (lire en ligne).
  14. Claire Legros, « Le souci de l’autre, un retour de l’éthique du « care » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  15. Fabienne Brugère, L'éthique du " care ", Paris, Les Presses universitaires de France, , 128 p. (ISBN 978-2-7154-0588-2 et 2-7154-0588-X, OCLC 1240770890, lire en ligne), p.24
  16. Fabienne Brugère, L'éthique du " care ", Paris, Les Presses universitaires de France, , 128 p. (ISBN 978-2-7154-0588-2 et 2-7154-0588-X, OCLC 1240770890, lire en ligne), p.44-45