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Le bouddhisme est-il seulement une religion ? (version retravaillée)

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Pèlerins en route vers Lhassa.

Le bouddhisme est-il une religion, une philosophie, les deux, ou encore autre chose ? Le Petit Robert le qualifie de « doctrine religieuse », et le Petit Larousse de religion et philosophie. Autant dire qu'il est difficile de classer ce terme, inventé par les Occidentaux au début du XIXe siècle[1] et que la question divise[2]. En Occident en particulier, beaucoup préfèrent voir dans le bouddhisme une philosophie, se fondant sur l'absence d'un Dieu éternel, créateur et personnel, tel qu'on le trouve dans les monothéismes. Par ailleurs, le mot « religion » est un terme apparu en Occident, que l'on appliquerait abusivement à des pratiques et doctrines de l'Inde comme l'hindouisme ou le bouddhisme. Et la définition de ce mot délicate est en général considérée comme impossible — du moins n'y a-t-il pas toujours consensus entre spécialistes sur ce qu'on qualifie de « religieux »[3]. Par ailleurs, certains spécialistes ont relevé que, contrairement à d'autres systèmes religieux, le bouddhisme ne s'appuie pas sur une révélation divine[4],[5].

J. N. Robert considère que le terme « philosophie » est encore plus européocentrique que « religion », la philosophie étant un mode de pensée né en Grèce[2]. Mais André Bareau, lui, souligne que l'amour de la discussion, de la spéculation intellectuelle pure que l'on dit propres à la Grèce sont tout aussi développés en Inde[6]. Et il est indéniable, renchérit Faure, qu'il existe un « bouddhisme philosophique », et que plusieurs auteurs ont produit des textes philosophiques de très haut niveau[n 1]. Néanmoins, nuance-t-il, ces œuvres ne s'inscrivent pas tant dans le cadre de la raison universelle que de la délivrance bouddhique, et « il n'est plus possible d'ignorer que le bouddhisme est, ce qu'il a toujours été pour la plupart de ses adeptes: un système métaphysique, mythologique et rituel »[7].

Pour plusieurs chercheurs, en fait le bouddhisme est à la fois une religion et une philosophie[8],[9],[10]. Selon M. Siderits dire que le bouddhisme est une philosophie ne signifie pour autant qu'il n'est pas une religion : sinon, cela reviendrait à séparer strictement foi et raison, une supposition que la majorité des bouddhistes rejetterait[11].

Fidèle recueilli devant le temple de la Mahabodhi, à Bodhgaya.

Selon Lionel Obadia, « bien qu'il paraisse échapper à toute tentative de classification conceptuelle [Robert, 1993], le bouddhisme est généralement présenté dans le vocabulaire de l'histoire des religions comme une religion universelle, de celles dont le message s'adresse à l'humanité dans son ensemble[12]. »

Après d'autres auteurs[n 2], Faure relève que le bouddhisme, « qui est sans conteste l'une des plus anciennes religions de salut[13] », a été très souvent considéré par l'orientalisme occidental (né au début du XIXe siècle) avant tout comme une philosophie, les savants européens et américains rejetant dans les ténèbres tout ce qui relevait clairement du religieux — éléments de rituel[n 3], de mythologie ou de métaphysique[14]. Ils n'étaient d'ailleurs pas seuls : les élites autochtones reprenaient ce discours, cherchant à mettre de côté les éléments de la tradition, tout en insistant nettement sur les seuls aspects rationnels philosophiques, psychologiques ou éthiques du bouddhisme[15].

Mais une telle approche correspondait à « [une recréation ayant] peu à voir avec la réalité[13]. » Et reprenant la question « bouddhisme, philosophie ou religion ? », Faure affirme que le bouddhisme ne peut être défini simplement ni comme l'une ni comme l'autre, sauf à adopter une vision occidentale étroite qui sépare de façon étanche religion et philosophie[16]. Dénier les aspects rituels revient à créer un bouddhisme idéalisé qui masque des réalités sociologiques évidentes: offrandes, tant par les fidèles que les moines, lampes à huile allumées devant les autels, pèlerinages vers des lieux saints comme Bodhgaya, rites funéraires, etc.[17] Autant de pratiques et de croyances qui sont des instruments menant au salut, et qui sont la marque de la foi[18]. Au vu de ces éléments, le bouddhisme est bien selon Faure une religion, dans la mesure où peut lui appliquer cette définition donnée par Émile Durkheim[19] : « système de croyances et de pratiques relatives au sacré qui produit des conduites sociales et qui unit dans une même communauté l'ensemble des individus qui y adhèrent. »

Pour Damien Keown (en), se demander si le bouddhisme est une religion, une philosophie, une manière de vivre ou un code d’éthique oblige à repenser ces catégories, et aussi la signification de « religion ». À faire de la croyance en Dieu l’essence de la religion, on exclut le bouddhisme de cette catégorie. En revanche, avec une définition plus large et complexe — que Keown emprunte à Ninian Smart — intégrant plusieurs « dimensions » (pratique et rituelle, expérimentale et émotionnelle, narrative et mythique, doctrinale et philosophique, éthique et légale, sociale et institutionnelle, matérielle), le bouddhisme est bien, selon lui, une religion[20].

Philippe Cornu[21], tout en soulignant qu'« il serait excessif de refuser catégoriquement de voir dans le bouddhisme un phénomène de nature religieuse, comme le font trop de bouddhistes occidentaux », appelle cependant à « revisiter ce que l'on entend ici [càd. avec le bouddhisme] par religion ». Car, dit-il : « il ne faut pas perdre de vue que le bouddhisme est d'abord et avant tout le Dharma, c'est-à-dire la connaissance intime de la nature fondamentale de la réalité, et que les formes religieuses qui l'habillent ne constituent que des conditions secondaires favorisant cette connaissance et la libération qui en résulte. »

Le bouddhisme a aussi pu être présenté comme « la vaste gamme de phénomènes sociaux et culturels qui se sont regroupés autour des enseignements d'une figure appelée Bouddha, l'Éveillé »[22], ou « une religion monastique, dans laquelle une élite de renonçants (moines ; moniales aussi dans certaines parties du monde bouddhique) travaille à son salut, instruit et fournit des services religieux divers aux populations »[23] ; ou encore, selon Claude B. Levenson, « philosophie pour les uns, religion pour d’autres – pour ceux qui le pratiquent au quotidien –, le bouddhisme est d’abord une manière d’appréhender le monde, une façon d’être ou de devenir[24]. »

Vincent Goossaert, en s’intéressant non pas à ce qu’il faut répondre à ces questionnements, mais aux raisons pour lesquelles les personnes se posent la question et choisissent une dénomination plutôt qu’une autre, considère que : « souvent idéalisé comme rationnel, non ritualiste, voire athéiste, le bouddhisme, dans sa version « originelle », a beaucoup servi comme paradigme des catégories nouvelles de sagesse, ou de spiritualité, par opposition à la religion (ici identifiable au christianisme, ou plus spécifiquement au catholicisme) » ; selon lui, ces jugements renvoient, « en fait, à des enjeux tout à fait spécifiques au lieu et à l’époque où ils sont formulés, tant en Occident qu’en Asie[25]. »

  1. Faure 2020, p. 7.
  2. a et b Jean-Noël Robert, Petite histoire du bouddhisme, Paris, Librio, 2008 (ISBN 978-2-290-00225-4) p. 11-15
  3. Régine Azria, « Avant-propos », dans Régine Azria et Daniel Hervieu-Léger (dir.), Dictionnaire des faits religieux, Paris, Presses Universitaires de Frane, , p. VII.
  4. Jean-Luc Toula-Breysse, Le zen: « Que sais-je ? » n° 3786, Que sais-je, (ISBN 978-2-13-079868-2, lire en ligne), p. 11
  5. Nathalie Chassériau, Bouddhisme au quotidien, Hachette Pratique, 2020 (nouvelle édition) (ISBN 978-2-019-45571-2, lire en ligne), p. 18
  6. André Bareau, En suivant Bouddha, Paris, Philippe Lebaud, 2000, (ISBN 978-2-866-45364-0) p. 11. Voir aussi (en) Mark Siderits Siderits, Buddhism as Philosophy, Indianapolis, Hackett Publishing Company, 2007, p. 5.
  7. Faure 2020, p. 49; 79-80.
  8. (en) « Buddhism | Definition, Beliefs, Origin, Systems, & Practice | Britannica », sur www.britannica.com (consulté le )
  9. Encyclopædia Universalis‎, « BOUDDHISME - Vue d'ensemble », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
  10. (en) Rupert Gethin, The Foundations of Buddhism, Oxford, OUP, 1998 (ISBN 978-0-191-60671-7) p. 1
  11. (en) Mark Siderits, Buddhism as Philosophy, Indianapolis, Hackett Publishing Company, , p. 6 n. 2 (et plus largement p. 5-11).
  12. Lionel Obadia, Le bouddhisme en Occident, La Découverte, coll. « Repères », , p. 7.
  13. a et b Faure 2015, p. 8.
  14. Faure 2015, p. 12.
  15. Faure 2015, p. 77-78.
  16. Faure 2015, p. 12-13.
  17. Robert 2008, p. 12-13.
  18. Faure 2015, p. 81.
  19. Faure 2020, p. 55.
  20. Keown 2013, p. 3-14.
  21. Cornu 2018, p. 83.
  22. « the vast array of social and cultural phenomena that have clustered around the teachings of a figure called the Buddha, the Awakened One » : Robinson, Johnson et Bhikkhu 2004, p. xix
  23. Goossaert 2010, p. 92.
  24. Levenson 2018, p. 5.
  25. Goossaert 2010, p. 96.


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