Utilisateur:Felipeh/Chili2
Des archives confirment le rôle de la CIA dans le renversement de Salvador Allende Article paru dans l'édition du 16.11.00
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ill Clinton est finalement parvenu à briser le mur du silence de la CIA (Central Intelligence Agency) - les services de renseignement américains - sur les relations entre les Etats-Unis et le régime chilien du général Pinochet. Ainsi, la quatrième et dernière tranche de documents officiels rendus publics, lundi 13 novembre, comprend plus de 16 000 pièces, dont 1 550 provenant de la CIA ; parmi ces dernières, il y en a 700 que l'Agence avait refusé de communiquer malgré les instructions de la Maison Blanche et du département d'Etat. Son chef, George Tenet, avait affirmé que cela risquait de mettre en danger certains de ses agents, informateurs ou méthodes de travail. Il a finalement dû céder, même si certains de ces documents sont sérieusement censurés.
Ces textes mettent pour la première fois en lumière l'intervention directe d'Augusto Pinochet dans l'assassinat d'Orlando Letelier, ancien ambassadeur chilien à Washington, et de sa collaboratrice américaine Ronni Moffitt, tués dans l'explosion de leur voiture piégée le 11 septembre 1976. Il s'agit du plus sérieux attentat terroriste étranger jamais commis dans la capitale fédérale américaine, dont le général-président a toujours nié être responsable.
Ils rappellent également le rôle joué par l'administration Nixon pour tenter de renverser le gouvernement Allende. Un télégramme de l'ambassadeur américain à Asuncion, en date du 6 août 1976 , explique que le dictateur chilien avait réclamé à son homologue paraguayen, le général Alfredo Stroessner, une faveur personnelle que ce dernier ne se sentait pas capable de refuser. Il s'agissait de déposer une demande de visa pour deux agents des services de sécurité chiliens - la DINA - en les présentant comme des citoyens du Paraguay. L'un d'eux était un ressortissant américain, Michael Townley. Suspicieux, l'ambassadeur prévint Washington, qui fit annuler les visas et tenta d'obtenir que les deux agents ne se rendent pas aux Etats-Unis. Ils firent quand même le voyage quelques jours plus tard pour perpétrer l'attentat contre Orlando Letelier, alors l'un des opposants les plus déterminés de la junte.
STRATÉGIE DE SUBVERSION
Washington avait été averti que des attentats se tramaient - en particulier dans le cadre du plan Condor destiné à assassiner certains opposants politiques -, et le sous-secrétaire d'Etat aux affaires politiques, Philip Habib, avait demandé aux ambassadeurs américains en Amérique latine d'exprimer à l'avance leur réprobation. Le représentant américain à Santiago, David Popper, refusa de transmettre cette mise en garde au général Pinochet, exprimant « un doute sérieux qu'une telle approche à son égard soit la meilleure méthode. A mon avis, étant donnée sa sensibilité envers les pressions américaines, il pourrait considérer comme une insulte d'être lié à de telles tentatives d'assassinat », répondit-il à ses supérieurs. C'était un mois avant la mort d'Orlando Letelier.
Ce télégramme confirme l'ambiguïté de la position américaine à l'égard de Santiago, écartelée entre le soutien à un régime anticommuniste et un malaise de plus en plus grand concernant les multiples violations des droits de l'homme. C'est ce dernier point de vue qui prendra graduellement le dessus. Mais, dès 1970 et l'élection de Salvador Allende, Richard Nixon et son conseiller Henry Kissinger complotaient pour le renverser.
Le 17 septembre 1970 , ce dernier s'inquiétait déjà, dans un mémorandum au président, des risques que le zèle brouillon de l'ambassadeur et celui du chef de la CIA à Santiago faisaient courir à leur « programme d'action en sous-main » coordonné par un Comité des 40 contre le régime démocratiquement élu, ce qui risquait « de placer [les Etats-Unis] dans une situation dangereuse en rendant publique » cette politique.
Lors d'une réunion du Conseil national de sécurité le 6 novembre, Richard Nixon confirmait cette stratégie de subversion : « Je n'accepterai jamais d'affaiblir les militaires en Amérique latine. Ce sont des centres de pouvoir soumis à notre influence. Les autres, les intellectuels, ne le sont pas. (...) Notre principale inquiétude est que [Allende] réussisse, qu'il se consolide et projette une image de succès dans le monde. Nous devons adopter une approche publique correcte tout en envoyant des messages indiquant que nous nous opposons à lui. (...) Nous devons l'étouffer économiquement. (...) Nous ne devons pas laisser l'impression que l'on peut s'en tirer ainsi en Amérique latine. Trop de gens dans le monde pensent que c'est à la mode de nous marcher sur les pieds. »
Commentant la publication de ces documents, la Maison Blanche a indiqué que « les actes approuvés par le gouvernement américain pendant cette période ont aggravé la polarisation politique au Chili et affecté sa longue tradition d'élections démocratiques et de respect de la Constitution ». Le porte-parole de la CIA a expliqué qu'il fallait replacer les actions de l'Agence dans leur contexte historique (la guerre froide) et ajouté que « les activités de la CIA ont été menées dans le cadre de la politique étrangère de l'époque et les actions clandestines entreprises sous la direction de la Maison Blanche ».
PATRICE DE BEER