Utilisateur:Gerard-emile/Brouillon Heidegger et la question du Temps II


Le temps a été abordé au cours des siècles de deux manières :

  • la manière théologique qui utilise le temps pour distinguer deux domaines de l'étant : d'un côté Dieu et l'éternité de l'autre, la création et l'homme dans son être temporel face à l'éternité, auquel s'ajoute, notamment dans la foi chrétienne, un événement fondateur, le christ qui met en rapport éternité et la temporalité à l'occasion d'un événement unique qui s'est passé dans le temps
  • la manière philosophique dont les fondements, intangibles jusqu'ici, ont été posés par Aristote

On ajoutera de nos jours la manière, en évolution rapide, des mathématiques et de la physique mais qui ne semblent pas remettre fondamentalement en cause les intuitions aristotéliciennes « quant au temps qui n'est rien en soi et qui n'existe que relativement aux événements qui s'y déroulent »[1]
La manière d'aborder la question du temps, comme liée d'une façon ou une autre au mouvement, est restée philosophiquement inchangée depuis Aristote


Les toutes premières interrogations

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Dans ses cours et conférences Heidegger s'est penché à plusieurs reprises d'une manière explicite sur la question du Temps. Mais toute son œuvre et notamment son livre majeur Être et Temps peut être considéré comme une contribution à l'élucidation de cette question. C'est dès 1915 dans sa leçon d'habilitation consacrée au Concept de temps dans la science historique que commence la série de ses travaux sur ce sujet[2], suivis de le concept de temps 1924, les prolégomènes 1925 , Être et Temps 1927


L'état de la question

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Les précurseurs Kant, Bergson, Husserl, Kierkegaard

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Søren Kierkegaard

Søren Kierkegaard conceptualise et met en relation les tonalités-affectives[N 1] (« angoisse », « désespoir »), construisant ainsi une psychologie philosophique. Cette nouvelle attention aux "tonalités affectives" aura une grande influence dans l'œuvre de Martin Heidegger. Il expose en outre, une théorie du temps[3] (de l'« instant » et de la « répétition »), de l'instant comme "carrefour du temps et de l'éternité", et des « stades » de l'existence[4] (esthétique : rapport de l'homme à la sensibilité ; éthique : rapport de l'homme au devoir ; religieux : rapport de l'homme à Dieu) qu'il ne faut pas comprendre de manière chronologique ni de manière logique mais plutôt de manière existentielle.

Henri Bergson

Henri Bergson

Le renouvellement de la question par Heidegger

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Pour Heidegger toutes les explications fournies jusqu'à lui, quant à la nature du Temps, lui apparaissent sinon fausses du moins trés superficielles car elles n'en atteignent pas le vrai fondement que la question de l'être va permettre de dévoiler. Le temps public, le temps des horloges serait un temps dérivé qui tirerait son sens et sa valeur d'un temps plus originaire. Heidegger a littéralement révolutionné dans son enseignement les termes suivant lesquels la question du Temps, quasiment inchangés depuis l'origine de la pensée philosophique, si l'on excepte la petite percée alors très récente à son époque du philosophe français Henri Bergson, dans son Essai sur les données immédiates de la conscience , se posaient.

Avant Heidegger seuls Bergson et Husserl tentèrent d'échapper au temps linéaire des horloges pour trouver un temps plus originaire[5]. Il a cherché à comprendre le Temps à partir de lui-même et non plus à partir d'autre chose comme c'était le cas jusqu'à lui que ce soit le Mouvement avec Aristote, l’Éternité avec les Scolastiques, la conscience avec Saint Augustin, l'Esprit avec Hegel ou Kant, le vécu pour Bergson.

Heidegger est guidé par l'intuition fondamentale que le Temps et l'Être désignent « le Même », que l'Être a quelque chose de temporal[N 2], et que donc le recours à l'idée d’Éternité ou d'Intemporalité, toujours présente et en retrait dans toutes les explications du Temps ne nous étaient d'aucun secours et que tout au contraire ces temps dits nobles n'étaient que des dérivés d'un temps plus originaire qu'eux, que Heidegger se donne pour tâche d'expliciter. Conformément à son intuition Heidegger , à rebours de la tradition cherche à donner une « interprétation du temps comme horizon possible de toute compréhension de l'être en général »[6],[N 3], il en trouvera confirmation dans l'étymologie du terme Ousia venant de Parousia qui voulant dire « être » parle de « Présence »

Pour ce faire il s'agira dans une première étape d'interroger le seul être qui ne se comprend lui-même que par la temporalité et dont le caractère fondamental est d'être temporal, c'est-à-dire le Dasein.

La recherche d'un autre fondement

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« Si l'être humain était inséré dans le temps de telle sorte que ce qu'« est » le temps peut être déchiffré à partir de lui » questionne, on ne peut plus clairement, Heidegger, dans ce texte de 1924»[7]
Or c'est bien le cas puisque

  1. l'être-là n'étant véritablement existant que dans l'anticipation résolue de la mort
  2. et cette anticipation qui revient sur son passé et son présent est de l'ordre de la « possibilité »
  3. et donc un véritable déploiement du temps dans l'être-pour-l'avenir

il faudrait que l'être de cet être-là soit défini selon les caractères fondamentaux de l'être du temps. Il faudrait que l'être temporel soit l'énoncé fondamental de l'être-là vis-à-vis de son être. Heidegger démontre que c'est bien par la temporalité à travers l'anticipation de sa mort que le Dasein se comprend et comprend sa vie
D'autre part, il s'agit de préserver la co-originarité des trois dimensions du temps soutenue par Augustin et aussi Husserl en en modifiant la perspective il ne s'agit plus de conserver le privilège du présent éternel de Dieu (Augustin) ou d'une conscience transcendantale capable de surmonter sa propre dispersion (Husserl).


Les modes de temporalité du Dasein

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Du temporel au Temporal

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La temporalité extatique ou ek-statique

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Dans l'article Dasein sont exposés les concepts de base : le « Souci » Sorge, la « Conscience » Gewissen, l'« Être-vers-la-mort » Sein zum Tode, l' « être-jeté » Geworfenheit, la « résolution anticipante », qui permettront d'articuler « l'être-temps » du Dasein, autrement dit son essence temporelle[8]. C'est dans l'analytique du Dasein menée dans son ouvrage Être et Temps que Heidegger expose le caractère temporal du Dasein et donc de l'être humain, à travers la mise à jour de divers moteurs de sa mobilité comme l'anticipation de la mort, son « avoir-à-être » à partir de son « être-jeté » , son exposition au monde et sa résistance décidée à la dispersion du Soi[9], qui interviennent conjointement dans ce que Heidegger appelle sa triple extase temporelle ou temporalité « ek-statique » ou originaire, originaire au sens où le temps physique ne serait qu'un dérivé. Cette triple extase ouvre l' « être-Là » , le Dasein, aux trois dimensions du Temps, l'à-venir, l'avoir été, le présent .C'est Françoise Dastur qui présente le commentaire le plus approfondi sur ce phénomène de la temporalité dans son livre[10]

L'articulation dynamique de tous ces éléments fait l'objet d'un exposé complexe, difficile à résumer, dans tous les comptes rendus des interprètes de la pensée de Heidegger, tels Françoise Dastur[11], Marlène Zarader[12], Jean Greisch[13], Michel Haar[14]. Leur mise en perspective et leur combinaison difficile exige à tout le moins une bonne de connaissance des principes généraux de la Dynamique du Dasein

  1. Il est de l'essence du Dasein d'être perpétuellement en recherche de « soi-même ». Le Dasein se comprend à partir de son pouvoir être le plus propre, celui que lui découvre l'« Être-vers-la-mort » , qu'il est et qu'il connaît déjà en sa possibilité la plus certaine ( l'être-révolu)[15]et ceci depuis toujours. Dans l'attente de son pouvoir être le plus propre que Heidegger interprète comme « résolution anticipante »[16], le Dasein existe toujours, projeté dans cette possibilité et donc en avant de lui-même , « libéré de toutes les familiarités et les affairements du quotidien, il entraîne tout avec lui dans le néant »[17]. Ce qui est à souligner c'est que cette « Possibilité » qui n'est en aucun cas assimilable à une potentialité est par elle-même, d'ores et déjà pour le Dasein déploiement du temps dans « l'être-pour-l'avenir »[18]. Cet « ad-venir à soi » de l'être le plus propre, dans l'horizon de « l'être-révolu », va constituer le concept existential d'« Avenir »
  2. Comme « Être jeté » ou Die Geworfenheit le Dasein a toujours déjà été : cet « avoir-été » est partie intégrante de l'existence du Dasein venant à soi, au sens où cet « être-été » est toujours aussi, comme l'« ad-venir », une possibilité ouverte de soi-même. Paradoxalement, cet « être-été » repris dans la résolution anticipante, comme possibilité, fait existentialement partie de l'avenir. Le Dasein est toujours déjà à pied d’œuvre, dès à sa naissance il ne choisit ni le lieu ni le comment de sa venue. Tout au long de son existence il doit assumer une « capacité projective » qui est toujours déjà liée (bornée par ?) à un horizon de possibilités « en deçà duquel le Dasein ne peut jamais remonter »[19],[N 4].
  3. En attente d'une possibilité, c'est-à-dire en existant comme « ad-venir » à soi et rappel de son « avoir-été », le Dasein anticipant présentifie l'étant (rend présent ou dévoile) et se présentifie lui-même, devant l'étant subsistant auprès de lui. Autrement dit, le Dasein préoccupé s'ouvre à chaque fois à la présence des choses et à son soi, il les reçoit et les comprends.

Ces articulations, sont originairement unies, dans ce qu'Heidegger appelle « l'extase temporelle ». Ce n'est que d'une manière dérivée et seconde qu'elles apparaissent et divergent dans les trois moments connus du temps linéaire comme Présent, Avenir et Passé. La temporalité du Dasein est qualifiée d'originaire par rapport au temps physique, objectif et linéaire.

La temporalité kairologique

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Dès avant Être et Temps et à la suite de ses premières analyses sur la vie facticielle une « phénoménologie de la temporalité » commence à prendre corps[20]
D'autre part comme le note Jean Greisch on n'insistera jamais assez sur l'origine catholique chrétienne du jeune Heidegger qui explique sa sensibilité particulière sur la question de l'existence étroitement limitée dans un temps et articulée à un Kairos, la pensée de la mort et de la chûte[21] En travaillant à dégager la « vie en soi » , libre de toute détermination, on pouurait dire la vie de toute vie, c'est le phénomène du Monde spécifié en trois moments l'Umwelt ( le monde naturel et social qui nous entour), le Mitwelt (les autres les proches et les etrangers auxquels nous avons à faire), le Selbstwelt (ce à quoi j'ai affaire et le mode personnel selon lequel je le rencontre)[22], que je rencontre.

La temporalité de l' Être

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Le temps dans l'Être

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Le temps de l'Être

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Références

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  1. Le concept de temps 1924 Cahier de l'Herne Heidegger biblio essais 1983 page 35.
  2. Françoise Dastur ,Heidegger et question du temps Philosophies Pluriel PUF 1990 page 15
  3. Cf. La reprise (1843), Miettes philosophiques (1844) et son Post-scriptum (1846).
  4. Cf. Stades sur le chemin de la vie (1845).
  5. Camille Riquier La temporalité ekstatique: Heidegger Lecture de Bergson dans collectif Heidegger en dialogue 1912-1930 Problèmes et Controverses VRIN 2009 page 35
  6. Françoise Dastur ,Heidegger et question du temps Philosophies Pluriel PUF 1990 page 31
  7. Le concept de temps 1924 Cahier de l'Herne Heidegger biblio essais 1983 page 38.
  8. Heidegger 1989, p. 319-323
  9. Annie Larivée,Alexandra Leduc, Saint Paul, Augustin et Aristote comme sources..Revue Philosophie n 69 Ed de Minuit page 37
  10. Françoise Dastur, Heidegger et la question du temps, PUF, coll. « Philosophies », 1990
  11. Françoise Dastur ,Heidegger et question du temps Philosophies Pluriel PUF 1990
  12. Marlène Zarader Lire Etre et Temps de Heidegger Histoire de la philosophie VRIN 2012
  13. Jean Greisch, Ontologie et temporalité. Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, PUF, 1994
  14. Michel Haar Temporalité originaire et temps vulgaire dans La fracture de l'histoire Collection Krisis éd millon 1994
  15. Cahier de l'Herne Heidegger biblio essais Conférence le concept du temps 1924 page 44
  16. Greisch 1994, p. 306
  17. Cahier de l'Herne ibid page 43
  18. voir note Michel Haar dans Le concept de temps 1924 Cahier de l'Herne Heidegger Le concept de temps 1924 biblio essais 1983 page 53
  19. Heidegger, Être et Temps, p. 448
  20. Michel Haar Le Moment, L'Instant, et le Temps du Monde dans collectif Heidegger 1919-1929 collectif De l'herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein Problèmes et Controverses VRIN 1996
  21. Jean Greisch Jean Greisch, Ontologie et temporalité. Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, PUF, 1994 page 5
  22. Michel Haar page 67
  1. Cf. La reprise (1843), Le concept de l'angoisse (1844), et Traité du désespoir (1849).
  2. Il pense par exemple, pouvoir montrer, en opposition totale avec la tradition, que des phénomènes tels que la vérité ou la fausseté, n'en sont pas moins caractérisés par le temps, que le mouvement par exemple, en un sens bien sûr à déterminer Françoise Dastur ,Heidegger et question du temps Philosophies Pluriel PUF 1990 page 26
  3. Heidegger remarque qu'à leur insu les grecs eux-mêmes ont compris l'être à partir du temps comme les termes de Parousia et d'Ousia qui désigne l'étantité semble l'indiquer ;Françoise Dastur ,Heidegger et question du temps Philosophies Pluriel PUF 1990 page 35
  4. le moment . Heidegger rajoute même « il est jeté à lui-même » (ihm selbst geworfen), jeté comme être-projetant (pas comme un caillou)

Bibliographie

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  • Jean Greisch, Ontologie et temporalité : Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, Paris, PUF, , 1re éd., 522 p. (ISBN 2-13-046427-0)
  • Cahier de l'Herne Heidegger Le concept de temps 1924 biblio essais 1983
  • Martin Heidegger Prolégomènes à l'histoire du concept de temps trad Alain Boutot Gallimard 2006
  • Françoise Dastur Heidegger et la question du temps Philosophes PUF 1990
  • Françoise Dastur Heidegger et la pensée à venir Problèmes et controverses VRIN 2011
  • Michel Haar Le moment, l'instant, et le Temps-du-Monde dans collectif Heidegger 1919-1929 collectif De l'herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein Problèmes et Controverses VRIN 1996
  • Michel Haar dans Le concept de temps 1924 Cahier de l'Herne Heidegger Le concept de temps 1924 biblio essais 1983
  • S.Jollivet Cl.REomano(éd) Heidegger en dialogue 1912-1930 Problèmes et Controverses VRIN 2009