L'eau, facteur de puissance pour la Turquie

Introduction

Données géographiques de la région modifier

Données hydrographiques du Tigre, de l'Euphrate et de l'Oronte modifier

Climat de la région modifier

Le Tigre modifier

Le Tigre est un fleuve de Mésopotamie long de 1 850 km. Il prend sa source dans le Taurus (Turquie orientale) puis parcourt la Syrie puis l'Irak du nord au sud en passant par Mossoul et Bagdad. Ensuite, il rejoint l'Euphrate pour former un estuaire commun, le Chott-el-Arab, long de 200 km, qui débouche dans le golfe Persique.

Comme l'Euphrate, (et comme le Nil en Égypte), le Tigre traverse en Irak essentiellement une région désertique et son alimentation en eau dépend de contrées montagneuses étrangères. Son régime, fortement influencé par la fonte des neiges, était très irrégulier, mais il a été partiellement régulé par des barrages. Le barrage de Samara oriente les eaux excédentaires lors des crues vers la dépression du Tharthar dans la basse Djézireh. De là, un canal rejoignant l'Euphrate permet de réutiliser ces eaux et de renforcer le débit de l'Euphrate. Moins long que l'Euphrate, le Tigre fournit un volume nettement plus important d'eau à l'Irak (de 47 à 50 km3 suivant les sources).

Ses principaux affluents, descendant de la montagne du Zagros et des montagnes d'Iran, confluent sur sa rive gauche.

Sur sa rive droite, il se rapproche fortement de l'Euphrate à partir de la région de Bagdad.

Dans la partie basse de son cours, son profil en longueur très plat a entraîné la formation de marécages importants qui s'étendaient sur 12 000 km² entre le Tigre et l'Euphrate. Ces marais étaient en forte régression sous le double effet de la construction de nombreux barrages sur les deux fleuves et d'une politique de drainage inconsidérée, mais suite à la guerre d'Irak en 2003, les chiites du Sud ont partiellement détruit les digues, reconstituant ainsi 40% des marais.

Le Tigre est un sujet de friction entre l'Irak et la Turquie, cette dernière voulant encore réduire son débit par la construction de nouveaux barrages.

Le Tigre s'écoule sur 1850 km dont 400 en Turquie dont 32 sur la frontière syrienne et 1.418 en Irak.

Bassin versant du Tigre
Pays longueur Surface Proportion Contribution au débit
Turquie 400 km 45.000 km² 12 % 51 %
Syrie 32 km 1.000 km² 0,2 % 0 %
Irak 1.418 km 292.000 km² 54 % 39 %
Iran affluents 37.000 km² 34 % 10 %
Débit moyen annuel
Affluent Surface du bassin
en milliers de km²
Débit moyen
en milliards de m3
Tigre
(à la frontière turque)
155 21
Grand Zab 26 entre 10 et 13,5
Petit Zab entre 21,5 et 31 7,2
Adhaim 13 0,8
Diyala 32,9 entre 5,4 et 5,7
Total 258 entre 44,4 et 48,2

Affluents :

Plan des ouvrages du bassin Tigre-Euphrate

La Turquie a disposé plusieurs barrages sur les affluents du Tigre dont le principal, encore en construction, est le barrage Ilisu. (Voir « Projet d'Anatolie du Sud-Est », le projet Turc d'aménagement du Sud-est anatolien).

L'Irak a également aménagé le fleuve pour irriguer et assecher les marais du Sud-est.

Ouvrages situés en Turquie

Voir « Liste des ouvrages hydrauliques du GAP » pour accéder à la liste complète des ouvrages turcs construits ou prévus sur le bassin du Tigre et de l'Euphrate


Ouvrages situés en Irak

D'amont en aval :

L'Euphrate modifier

L'Euphrate (nom traditionnel grec du fleuve, Ufrat en Persan, Prâth/Frot en Araméen, Al-Furat الفرات en Arabe, Fırat en Turc et Pu-rat-tu en Assyrien) est un fleuve d'Asie de 2 780 km de long. Il forme avec le Tigre dans sa partie basse la Mésopotamie (du grec μεσο [mesos] « milieu » et ποταμός [potamos] « fleuve »), l'un des berceaux de la civilisation.

De type pluvio-nival, son débit est particulièrement irrégulier puisque plus de la moitié de son flux s'écoule de mars à mai et que le débit peut tomber à 300 m3/s contre un débit moyen de 830 m3/s (à l'entrée en Syrie). En période de crue, il peut atteindre 5.200 m3/s pouvant provoquer de graves inondations. D'une année à l'autre, le volume d'eau varie fortement passant de 15 km3 lors de la secheresse de 1958-1962 à 58 km3 en 1969.

Autre caractéristique, le débit diminue en traversant les zones sèches en raison de la forte évaporation, en particulier dans les lacs artificiels, et du pompage pour l'irrigation. Ainsi, alors que le volume moyen d'eau entrant en Syrie est de 28 km3 (1), il tombe à 26(1) à la frontière irakienne malgré l'apport des 3 affluents (1,75 km3) et n'est plus que de 14 à Nasiriya au Sud de l'Irak (VAUMAS E. 1955).

L'Euphrate est un sujet de friction entre l'Irak, la Syrie et la Turquie, cette dernière voulant réduire son débit par la construction de nouveaux barrages.
(1) ces chiffres varient suivant les sources: le débit à la frontière syro-irakienne est généralement compris entre 26 et 32 km3


L'Euphrate prend sa source dans une montagne de la chaîne des Monts Taurus (Toros Daglari) en Turquie et parcours cette zone montagneuse avec une forte pente. Il traverse ensuite la zone de Piedmont, zone aride partagée entre la Syrie et l'Irak. Arrivé aux environs de Ramadi en Irak, il entre dans la plaine fertile de Mésopotamie, passant par Fallujah à proximité de Bagdad, et puis environ 10 km à l'ouest des ruines de Babylone. Il rejoint le Tigre dans le sud-est du pays environ 100 km au nord-ouest de Bassorah pour former le Chatt-el-Arab et se jeter dans le golfe Persique.


Bassin versant de l'Euphrate
Pays longueur Surface Proportion Contribution au débit
Turquie 455 km 124.320 km² 28 % 88 ou 98,6 % (*)
Syrie 675 km 75.480 km² 17 % 12 ou 1,4 % (*)
Irak 1.200 km 177.600 km² 40 % 0 %
Arabie Saoudite affluents 66.600 km² 15 % 0 %

Ces estimations varient en fonction des sources et critères d'appréciation
(*): la différence entre les deux chiffres dépend si on inclut les affluents Sajour, Balikh et Khabur dans le quota turc: en effet ils prennent leur source en Turquie.
Sources : Habib Ayeb, « L'eau au Proche-Orient » p29
Marwa Daoudy, « Le partage des eaux entre la Syrie, l'Irak et la Turquie » p63

Affluents

Affluents turcs L'Euphrate est composé par la jonction de 2 rivières principales :

Affluents syriens Trois rivières rejoignent l'Euphrate en Syrie :

  • le Sajour (ou Al-Sajour) : rivière prenant sa source en Turquie et apportant de 90 à 125 millions de m3
  • le Balikh (ou Al-Balikh) : rivière prenant sa source en Turquie et apportant environ 150 millions de m3
  • le Khabur (ou Al-Khabur) : rivière prenant sa source en Turquie et apportant de 1,35 à 1,5 milliards de m3 (ou km3)

Source : Marwa Daoudy, « Le partage des eaux entre la Syrie, l'Irak et la Turquie » p65

Affluents irakiens Il n'y a pas d'affluent naturel en Irak, mais le canal Thartar-Euphrate permet de déverser les excédents des crues du Tigre dans l'Euphrate en passant par le lac-réservoir du Thartar. Plus au Sud, le Tigre et l'Euphrate se rejoignent à Qurma et forment le Chatt-el-Arab dans lequel ils sont rejoints par le Karoun

Affluent iranien (sur le Chatt-el-Arab) Le Karoun se jette dans le Chatt-el-Arab après un parcours de 850km en Iran. Il déverse un volume moyen estimé à 15 milliards de m3 (ou km3).

Plan des ouvrages hydauliques du bassin Tigre-Euphrate

Ouvrages hydrauliques

Ouvrages situés en Turquie La Turquie a disposé de nombreux barrages sur l'Euphrate et ses affluents dont le principal achevé aujourd'hui est le barrage Atatürk. (Voir « Projet d'Anatolie du Sud-Est », le projet Turc d'aménagement du Sud-est anatolien).

Ouvrages principaux d'amont en aval (voir « Liste des ouvrages hydrauliques du GAP » pour la liste complète des ouvrages turcs sur l'Euphrate) :

Ouvrages situés en Syrie D'amont en aval :

Ouvrages situés en Irak D'amont en aval :

L'Oronte modifier

Le Nahr al-'Asi, anciennement dénommé Oronte (« le fleuve rebelle »), est un fleuve du Proche-Orient.

Il prend sa source au centre du Liban, traverse la Syrie occidentale et se jette dans la Méditerranée près du port de Samandağ, dans la région de Hatay, au sud-ouest de la Turquie (région revendiquée par la Syrie). Il est long de 571km et son débit naturel (au nord de la vallée de la Bekaa) est de 420 millions de m³.

Comme pour les fleuves voisins, le Tigre et l'Euphrate, aucun des pays qu'il traverse n'a réussi à donner un statut juridique aux eaux du Nahr al-'Asi, engendrant ainsi tensions et affrontement dans une région marquée par le manque d'eau. Le fleuve alimente stations de pompage et canaux d'irrigation surtout en Syrie, à qui il fournit 90% de son débit moyen : le débit moyen passe de 370 millions de m³ à la frontière syro-libanaise, à 170 millions à la frontière syro-turque.

L'Oronte au temps des Croisades est décrit dans un roman de Maurice Barrès, Un jardin sur l'Oronte.

L’Oronte est la principale rivière de la Syrie antique. Son nom arabe est Nahr-el-’Assi, ce qui en arabe signifie le « fleuve récalcitrant », ce nom lui viendrait du fait que contrairement à tous les autres, il coulerait du sud vers le nord. Suivant la même explication, il aurait aussi porté le nom arabe d’El Maqloub, c’est-à-dire le « renversé » ou celui qui coule à l’envers.

Dans l’antiquité l’Oronte était aussi connu sous les noms de Typhon, Dracon et Ophite et Axios. Selon Malalas, sous Tibère (de 14 à 37 après J.-C.) le nom de l’actuel Oronte est passé de Dracon à Orente (avec e). Selon Strabon, le nom définitif d’Oronte lui aurait été attribué en souvenir d’un constructeur de pont.

L’Oronte jaillit entre les massifs du Liban et de l’Anti-Liban, à la hauteur d’Héliopolis (l’actuelle Baalbek). Il arrose sur une longueur de 600 km (comparable à la Garonne) les villes de Laodecia, Emese, Arethuse, Epiphaneia, Larissa et Antioche pour se jeter dans la méditerranée à la hauteur de Séleucie de Piérie.

Selon Strabon, l’Oronte, sur une distance de 8 km, coulerait sous terre entre Apamée et Antioche ; en fait, il ne fait que passer par une gorge fortement encastrée quasiment inaccessible juste après Epiphaneia (l’actuelle Hama).

L’Oronte aurait été, contrairement à aujourd’hui, navigable entre son embouchure (Séleucie de Piérie) et Antioche durant l’Antiquité, comme l’attestent les écrits de Strabon et de Pausanias.

Données humaines modifier

Histoire des relations entre les riverains du Tigre et de l'Euphrate modifier

Au début du XXe siècle, la Mésopotamie, un des berceaux de la civilisation, fait partie de l'Empire ottoman. En 1916 durant la Première Guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne se partagent la partie arabe de l'empire créant ainsi les actuelles frontières du Moyen-Orient (Accord Sykes-Picot). Depuis cette époque, la démographie et la création de grands réservoirs d'eau aux fins d'irrigation et d'énergie hydroélectrique ont abouti à la raréfaction d'une eau pourtant abondante. Dès 1923, la nécessité d'accords de partage des eaux du Tigre et de l'Euphrate entre les riverains s'est révélée. La négociation est toutefois difficile car la Turquie est à la fois le pays amont des deux fleuves, le riverain le plus puissant militairement et le seul dont les ressources hydrauliques sont abondantes. Elle souhaite toutefois utiliser les eaux des deux fleuves pour irriguer la région du Sud-est de l'Anatolie pour y développer une activité agricole et produire 22% de son électricité (voir le projet d'Anatolie du Sud-est).

Période du mandat franco-britannique modifier

  • L'accord secret Sykes-Picot de 1916 comporte une clause de « garantie d'une quantité définie d'eau du Tigre et de l'Euphrate » (Marwa Daoudy p143).
  • La convention du 23 décembre 1920 signée entre la France et la Grande-Bretagne créée une protection des riverains situés en aval.
  • En 1923, le traité de Lausanne mentionne déjà dans son article 109 l'obligation de créer une commission mixte entre les trois riverains (Turquie, Syrie et Irak) pour traiter les problèmes rencontrés dans le partage des eaux. La Turquie a également l'obligation d'informer l'Irak avant d'entreprendre des travaux sur les fleuves.
  • En 1926, la convention d'Angora signée entre la Turquie et la France (représentant la Syrie) réaffirme l'équité nécessaire dans le partage des eaux.
  • En 1930, le traité d'Alep mentionne les droits de la Syrie sur les eaux de l'Euphrate.

L'après Seconde Guerre mondiale modifier

  • Le 29 mars 1946, la Turquie et l'Irak signent leur premier traité bilatéral concernant les eaux des deux fleuves. L'obligation pour la Turquie d'informer l'Irak préalablement à tout travaux est rappelée (article 5).
  • La même année, ils signent un traité d'amitié et de bon voisinage à Ankara rappelant à nouveau cette obligation.

L'amorce des conflits modifier

  • De 1962 à 1974, des négociations tentent de trouver un accord sur le partage des eaux :
  • En 1964, la Turquie propose un accord à la Syrie moyennant un accord réciproque sur les eaux de l'Oronte. Ce dernier ne représent que 10% du débit de l'Euphrate, mais se jette dans la Méditérannée en passant par le Sandjak d'Alexandrette ou province du Hatay, territoire de la province de Syrie cédée à la Turquie en 1939 par la France. La signature de cet accord constituerait une reconnaissance de la Turquie comme riverain de l'Oronte et ce faisant de sa possession du Sandjak, ce que la Syrie ne peut accepter.
  • Lors des négociations tripartites de 1965, l'Irak, la Syrie et la Turquie revendiquent respectivement 18, 13 et 14 milliards de m3 sur l'Euphrate soit une fois et demi le débit du fleuve.
  • Les relations se dégradent à partir de 1966 - scission du mouvement Baas - et 1967, date de la « grande défaite arabe » (guerre des six jours), entre la Syrie et l'Irak. L'Irak élève ses prétentions à 16 km3 alors que la Syrie ne consent à en laisser passer que 9.

Les premiers grands barrages modifier

Jusqu'en 1973, les négociations ne concernent que des débits que les riverains amont s'engagent à laisser passer, mais aucun n'a encore la capacité d'influencer le débit du fleuve.

  • Le barrage de Keban est le premier ouvrage important construit sur l'Euphrate. Il est rempli à partir de 1973 par les Turcs. Destiné uniquement à produire de l'énergie, il n'est pas censé diminuer à terme le débit du fleuve (au phénomène d'évaporation près).
  • En 1974, la Syrie met également en eau le barrage de Tabqa créant le lac Al-Assad sans qu'une concertation n'ait pu aboutir sur le remplissage simultané des 2 barrages. Le risque de guerre s'efface grace à la forte crue de mars 1974.
  • L'Irak réagit de nouveau en avril 1975, affirmant que le débit a atteint un seuil intolérable (4 fois moins que la normale). La Syrie répond qu'elle laisse passer 71% du débit mais la tension monte. Fin avril, la Ligue arabe forme un comité technique pour négocier un partage équitable, mais, le 1er mai, la Syrie refuse d'y participer. Le 3 mai, l'Arabie Saoudite propose sa médiation sans succès et l'escalade continue avec l'interdiction de survol prononcée le 13 mai par la Syrie à l'encontre des avions irakiens. En pleine négociation avec Israël sous l'égide d'Henry Kissinger, la Syrie déplace une grande partie de ses troupes massées à la frontière israelienne vers l'Irak. La crise s'efface avec la médiation saoudienne le 3 juin, probablement acquise grace à une pression de l'URSS sur les deux pays. Un accord secret aurait alors été signé prévoyant une quote part irakienne de 58% sur les eaux reçues par la Syrie à la frontière turque.
  • En 1986, la Turquie annonce le remplissage du barrage de Karakaya mais s'engage à laisser passer 500 m3/s.
  • Dès la fin du remplissage du barrage de Karakaya, elle annonce celui du gigantesque barrage Atatürk. Le quota de 500 m3/s est réaffirmé (protocole signé à Damas le 17 juillet 1987).
  • Le 17 avril 1989, le quota de 58% est réaffirmé entre la Syrie et l'Irak.
  • Début 1990, la Turquie réduit considérablement le débit de l'Euphrate pendant un mois (entre janvier et février) alors que les négociations sont difficiles.
  • En février 1991, pendant la seconde guerre du Golfe, la Turquie diminue radicalement le débit de l'Euphrate pendant trois jours, officiellement pour des raisons techniques. La Syrie continue de se servir normalement coupant ainsi l'eau à l'Irak. Cet épisode doit probablement son origine à une raison plus politique, la Turquie étant une alliée traditionnelle des États-Unis et la Syrie étant membre de la coalition contre l'Irak.

Situation actuelle face à l'eau modifier

La Syrie et la politique d'auto-suffisance alimentaire modifier

La nouvelle situation en Irak modifier

Turquie : une volonté de puissance régionale modifier