Utilisateur:Hucbald.SaintAmand/Sémiologie de la musique

La Sémiologie de la musique (ou Sémiotique musicale) est l'étude du rôle des signes en musique, ainsi que celle des discours musicaux en tant qu'ensembles signifiants. C'est aussi l'étude de la « signification » de la musique.

Musique et langage

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La réflexion sur les rapports entre musique et langage est l'une des constantes de la réflexion sur la sémiologie de la musique :

Eduard Hanslick (1854) : « En musique, il y a du sens et de la logique, mais ils sont musicaux ; la musique est un langage que nous parlons et que nous comprenons, mais que nous ne pouvons pas traduire »[1].
Henrich Schenker (1935) : « La musique n'est jamais comparable aux mathématiques ou à l'architecture, plutôt et plus probablement seulement au langage, particulièrement à un langage musical [Ton-Sprache] »[2].
Theodor W. Adorno (1956) : « La musique est semblable au langage. [...] Mais la musique n'est pas le langage. [...] La musique est semblable au langage en tant que succession temporelle de sons articulés qui sont plus que seulement des sons. Ils disent quelque chose, souvent quelque chose d'humain. [Etc.] »[3].
Roland Barthes (1964) : « La sémiologie a [...] pour objet tout système de signes, quelle qu'en soit la substance, quelles qu'en soient les limites : les images, les gestes, les sons mélodiques, les objets et les complexes de ces substances [...] constituent, sinon des « langages », du moins des systèmes de signification »[4].
Émile Benveniste (1974) : « Si la musique est considérée comme une « langue », [...] c’est une langue qui a une syntaxe, mais pas de sémiotique »[5].

Une caractéristique du langage, c'est qu'il est « articulé ». Selon la description d'André Martinet,

« La première articulation du langage est celle selon laquelle tout fait d'expérience à transmettre, tout besoin qu'on désire faire connaître à autrui s'analysent en une suite d'unités douées chacune d'une forme vocale et d'un sens. [...] La première articulation est la façon dont s'ordonne l'expérience commune à tous les membres d'une communauté linguistique déterminée. [...] Chacune de ces unités de première articulation présente [...] un sens et une forme vocale (ou phonique). Elle ne saurait être analysée en unités successives plus petites douées de sens. [...] Mais la forme vocale est, elle, analysable en une succession d'unités [...]. C'est ce qu'on désignera commme la deuxième articulation du langage. [...] On aperçoit ce que représente d'économie cette seconde articulation : si nous devions faire correspondre à chaque unité significative minima une production vocale spécifique et inanalysable, il nous faudrait en distinguer des milliers, ce qui serait incompatible avec les latitudes articulatoires et la sensibilité auditive de l'être humain. Grâce à la seconde articulation, les langues peuvent se contenter de quelques dizaines de productions phoniques distinctes que l'on combine pour obtenir la forme vocale des unités de première articulation. » [6]

Jean-Jacques Nattiez considère que la musique n'est pas articulée de la même manière. Pour lui, les notes, unités de seconde articulation, ne s'associent pas pour former des unité significatives : « la musique ne relie pas les significations dénotées ou connotées selon la logique propre au langage verbal ou à la littérature »[7]. Pour Nicolas Meeùs, cependant, en musique «  la question de la double articulation ne doit pas nécessairement se poser en termes de signification »[8]. Il explique que la notion linguistique de « signification » pourrait être remplacée en musique par celle de « pertinence analytique » et que l'un des critères qui font qu'un groupe de notes a cette pertinence, c'est qu'il est répété, ce qui peut en faire un « motif »[9].

Sémiotique générale

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Sémiotique musicale

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Sur les origines de la sémiotique musicale, voir Umberto Eco, A Theory of Semiotics, p. 10-11.

Comme Nicolas Ruwet l'écrivait dès 1959, « La musique est langage. C'est-à-dire qu'elle est, parmi d'autres, un des systèmes de communication au moyen desquels les hommes échangent significations et valeurs »[10]. La sémiotique musicale a fait l'objet d'une théorisation importante dans le domaine musicologique francophone, à commencer par l'article fondateur de Jean Molino, « Fait musical et sémiologie de la musique », en 1975[11], rapidement suivi par les Fondements d'une sémiologie de la musique (1976) de Jean-Jacques Nattiez[12]. Le Projet International sur la Signification Musicale (IMSP) a été fondé à Paris en 1984 par Eero Tarasti[13].

Semiosis extroversive, semiosis introversive

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Tripartition

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Jean-Jacques Nattiez décrit la sémiologie musicale comme

« Deux sphères d'activités dont la deuxième se présente comme un dépassement et un débordement de la première:
« 1) l'utilisation, dans l'analyse musicale, des modèles élaborés par la linguistique structurale pour l'analyse des langues naturelles, et notamment la technique paradigmatique;
« 2) l'élaboration d'un cadre général d'analyse musicale reposant sur la reconnaissance de trois instances distinctes dans le fait musical: l'étude des stratégies compositionnelles, ou poïétique, l'étude des structures immanentes de l'œuvre, ou analyse du niveau neutre; l'étude des stratégies perceptives déclenchées par l'écoute de l'œuvre, ou esthésique. »[14]

Il lie donc la sémiologie musicale à l'analyse musicale, en particulier à l'analyse selon le principe de la tripartition.

Dans Musicologie générale et sémiologie (1987), Jean-Jacques Nattiez utilise la tripartition sémiologique de Jean Molino[15] pour « démontrer l'existence symbolique de la musique »[16] :

« À ces trois objets (que Molino dénomme respectivement niveau poïetique, niveau esthésique et niveau neutre) correspondent trois familles d'analyses qui tentent de cerner la spécificité du symbolique [...] ».

Dans ses Fondements d’une sémiologie de la musique [???], Jean-Jacques Nattiez avait ancré son étude dans l’analyse des correspondances symboliques que la musique établit du niveau de sa création à celui de sa réception. Il explique que le langage musical s'établit à la fois au niveau créatif que le compositeur cherche à exprimer (niveau poïétique), et à ce que le récepteur fait de la perception formelle, du sens, de la structure (niveau esthésique). La musique art du temps, est aussi l'art du temps perçu, (que chacun sait parfaitement subjectif).

Roman Jakobson, dans un schéma célèbre [???], a posé la nécessité d’un code commun au récepteur et au locuteur, et à l’objet dont on parle. Cette restriction n’opère que dans une procédure discursive de la communication. Un processus d’intégration de la continuité du temps musical n’offre au contraire pas de restrictions de cet ordre. La reconnaissance d’une œuvre musicale s’effectue par corrélation de l’information transmise avec le contenu d’une mémoire à long terme permanente.

Nattiez situe un troisième niveau qui est l'intermédiaire entre ces deux là : celui de la partition, ou « niveau neutre ». Pour l’interprétation musicale la notation possède à la fois cet atout considérable de transmettre la création de l’auteur lui-même. Malgré tout, l’acuité des différences de transcription à travers l’édition prouve s’il était nécessaire que cette transmission est toujours relative et le penchant fixiste qui défend à l’œuvre d’évoluer sous peine de trahir la pensée de son auteur rendent ce niveau très important.

L’écriture musicale, à l’instar des mathématiques représente une forme d’abstraction ; mais elle fait subir aux formes d’expression de semblables penchants à l’uniformisation vers un standard. Enfin, et surtout, l'écriture parvient à réintégrer le symbole personnel en procurant une certaine autonomie à l'interprète qui peut donner de multiples facettes à la composition. La puissance du symbole confiée à l’interprète procure à la musique une dimension importante, que ni le compositeur ni le récepteur ne peuvent vraiment contrôler. [???]
  1. Eduard Hanslick, Vom musikalisch Schönen, Leipzig, Weigel, 1854, p. 35.
  2. Heinrich Schenker, Der freie Satz, Vienne, Universal, 1935, p. 19
  3. Theodor W. Adorno, « Musik, Sprache und ihr Verhältnis im gegenwärtigen Komponieren », Gesammelte Schriften 16, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1978, p. 649. Ce texte avait été publié deux fois en 1956, dans une publication de l'Archivo di Filosofia, Rome, et dans Jahresring 56-57.
  4. Roland Barthes, « Présentation », Communications 4 (1964), p. 1.
  5. Émile Benveniste, « Sémiologie de la langue », Problèmes de linguistique générale II, Paris, Gallimard, 1974, p. 56. La « sémiotique » était pour lui la relation signifiant–signifié décrite par Ferdinand de Saussure
  6. André Martinet, Éléments de linguistique générale, 2e éd., Paris, Colin, 1980, p. 13-15.
  7. Jean-Jacques Nattiez, « La Signification comme paramètre musical », Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. 2, Les Savoirs musicaux, Actes Sud, 2004, p. 258.
  8. Nicolas Meeùs, « Musical Articulation », Music Analysis 21/2 (2002), p. 163. Traduction française en ligne, « Articulation musicale », http://nicolas.meeus.free.fr/NMSemio/Articulation.pdf, p. 3-4.
  9. Id, en particulier p. 166-168; traduction, p. 7-8.
  10. Nicolas Ruwet, « Contradictions du langage sériel », Revue belge de Musicologie 13/1-4, p. 85.
  11. Jean Molino, « Fait musical et sémiologie de la musique », Musique en jeu 17 (1975), p. 37-62. Ce volume contient aussi d'autres articles importants, en particulier Jean-Jacques Nattiez, « De la sémiologie à la sémantique musicales », p. 3-9.
  12. Jean-Jacques Nattiez, Fondements d'une sémiologie de la musique, Paris, UGE, 1976.
  13. Voir notamment Eero Tarasti e.a., « Basic Concepts of Studies in Musical Signification: A Report on a New International Research Project in Semiotics of Music », The Semiotic Web 1986, Th. A. Sebeok et J. Umiker-Sebeok éd., Berlin, Boston De Gruyter Mouton, 1987, p. 405-581.
  14. Jean-Jacques Nattiez, « Le Mécanisme de l'invention dans l'élaboration de la sémiologie musicale », Études françaises 26/3 (1990), p. 24.
  15. Jean Molino, « Fait musical et sémiologie de la musique », Musique en jeu 17 (1975), p. 46-49.
  16. Jean-Jacques Nattiez, Musicologie générale et sémiologieChristian Bourgois, 1987, p. 37-38.