Utilisateur:Jbpoq/Brouillon

Au 17e siècle, est auteur de la pièce, celui qui en a rédigé la trame, le canevas disait-on à l'époque, et non celui qui versifiait : Richelieu, par exemple, qui n'a pas le temps d'écrire pour le théâtre, rêve d'un groupe d'auteurs qui écriraient des pièces à partir de ses idées de sujet. C'est ainsi qu'en 1635, Richelieu réunit une société dite « des Cinq Auteurs » et constituée de Pierre Corneille, François Le Métel de Boisrobert, Claude de L'Estoile, Jean Rotrou et Guillaume Colletet.

C'est ainsi que nombre de "comédiens poètes" au 17ème siècle, véritables entrepreneurs de théâtre, devenus riches et influents, achetèrent les pièces a des auteurs , en même temps que les costumes, les décors, et présentèrent les pièces à l'époque comme s'ils en étaient les auteurs: on estime que 9 comédies sur 10 étaient dans ce cas. Il n'existait en fait aucune législation sur le droit d'auteur en France au XVIIe siècle[1],[2].

La paternité des œuvres de Molière en tant que directeur d'une entreprise théâtrale n’a jamais été mise en doute par ses contemporains ; en tant qu'auteur au sens moderne du mot il en va autrement.

L'abbé d'Aubignac (dans sa Quatrième Dissertation concernant le poème dramatique en 1663[3]) présente Corneille comme l'auteur de la cabale contre L'École des femmes[4], qui contiendrait selon lui une allusion à ses prétentions nobiliaires (acte I, scène 1)[5]. S'en suit un long passage où D'Aubignac explique à Corneille qu'il ne doit s'en prendre qu'à lui même de la dépendance envers les histrions où il s'est placé.

« Vous êtes poète et poète de théâtre. Vous vous êtes abandonné à une vile dépendance envers les histrions" (...) »

— d'Aubignac, Quatrième dissertation concernant le Poème dramatique, p118

« Non, non, M. de Corneille, faites autant de comédies qu'il vous plaira, je n'en serai point jaloux et m'en divertirai toujours, mais je m' en reserverai le droit d'en juger selon que vous me plairez ou me déplairez.

Il y a bien de la différence entre un honnête homme qui fait des vers, et un poète à titre d'office; le premier s'occupe pour le divertissement de son esprit, et l 'autre travaille pour l' établissement de sa fortune; (...)

Il y a longtemps qu' Aristophane l'a dit, il se ronge de chagrin quand un seul poème occupe Paris durant plusieurs mois, et l'Ecole des maris et celle des femmes, sont les trophées de Miltiades qui empechent Themistocle de dormir.

Nous en avons su quelque chose, et les vers que M. des Préaux a fait sur la dernière pièce de M. Molière, nous en ont assez appris.

Corrigez vous donc, M. de Corneille de cet ennui, et ne l'imputez pas à ceux qui n'ont jamais pensé par raison, ni par intérêt, de s'opposer à votre qualité ni à vos prétentions; la gloire que vous aurez d'être un bon poète ne m'ôte rien, le mépris qu'on pourrait faire de vos œuvres, ne me donne rien, vos richesses ne m'appauvrirons pas et votre pauvreté ne m'enrichirait pas.

Il faudrait avoir perdu le sens aussi bien que vous pour être en mauvaise humeur du gain que vous pouvez tirer de vos veilles et de vos empressements auprès des Histrions et des Libraires." »

— d'Aubignac, Quatrième dissertation concernant le Poème dramatique, p119-120

Les vers de M. des Préaux ( Boileau) dont il est question plus haut paraissent dans Les Délices de la Poésie galante et sont les suivants:

« (...) Que tu ris agréablement ! Que tu badines savamment ! Celui qui sut vaincre Numance, Qui mit Carthage sous sa loi, Jadis sous le nom de Térence, Sut-il mieux badiner que toi ? »

— Boileau, Stances sur l École des Femmes 1663

Pour les lettrés du XVIIe siècle, Térence n’était pas l’auteur des pièces jouées sous son nom. Georges Couton est catégorique : « On estimait au XVIIe siècle qu’il [Térence] n’était que le prête-nom, ou du moins le collaborateur, de Scipion Emilien et de Laelius. » [6].

Le même Boileau, en 1665, dans les premiers vers de sa seconde Satire, loue avec ironie en employant les mêmes mots que pour Scudéry (dont on sait aujourd'hui que l'auteur était sa sœur Madeleine de Scudéry), la fertilité et la facilité de Molière, et l'aisance avec laquelle il trouve la rime juste.

« A M. de Molière

Rare et fameux esprit, dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail et la peine ; Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts, Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers : Dans les combats d’esprit savant maître d’escrime, Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime. On dirait quand tu veux, qu’elle te vient chercher  : Jamais au bout du vers on ne te voit broncher ; Et, sans qu’un long détour t’arrête ou t’embarrasse, A peine as-tu parlé, qu’elle-même s’y place(...)

Bienheureux Scudéri, dont la fertile plume Peut tous les mois sans peine enfanter un volume ? »

— Nicolas Boileau, Satires

Dans son commentaire manuscrit des Satires de Boileau, Pierre Le Verrier, sous le contrôle de Boileau, écrit à propos de cette « fertile veine », que « l'auteur donne ici à son ami une facilité de tourner un vers et de rimer, que son ami n'avait pas, mais il est question de le louer et de lui faire plaisir[7] », de « lui remonter le moral après les déboires que lui avait valus le trop grand succès de L'École des femmes »[8].

  1. Voir la liste des comédiens poètes: base de données en ligne CESAR (Calendrier Electronique des Spectacles sous l’Ancien Régime et la révolution); Mongrédien 1961; Mongrédien, Jean 1981.
  2. Les "comédiens-poètes" en France au XVIIe siècle / Shikiko Nishida; sous la direction de Georges Forestier Mémoire de thèse
  3. François Hédelin d'Aubignac, Troisième dissertation concernant le poème dramatique, en forme de remarques sur la tragédie de M. Corneille intitulée l'Œedipe ; Quatrième dissertation... servant de réponse aux calomnies de M. Corneille, Paris, Jacques Du Brueil, 1663, 185 pages, p. 115-116.
  4. Maurice Descotes, Histoire de la critique dramatique en France, p. 71.
  5. Gustave Reynier, Thomas Corneille, sa vie et son théâtre: thèse, Hachette, 1892, 386 pages (rééd. Slatkine, p. 36.
  6. Georges Couton, Molière, Œuvres complètes, 1971, T. I, p. 1555)
  7. Pierre Le Verrier, Les Satires de Boileau commentées par lui-même, publiées avec des notes de Frédéric Lachèvre, 1906, p. 26.
  8. Louis van Delft, Jules Brody, L'Esprit et la lettre, Gunter Narr Verlag, 1991, 234 pages, pp. 120-121 (ISBN 3823346008).