Utilisateur:Leonard Fibonacci/Tertullien

Apologétique

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CHAPITRE V

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1. Pour remonter à l'origine des lois de ce genre, il existait un vieux décret qui défendait qu'un dieu fût consacré par un imperator, s'il n'avait été agréé par le sénat. M. Aemilius l'a appris à propos de son dieu Alburnus. C'est encore un point qui est utile à notre cause : chez vous, c'est le bon plaisir de l'homme qui décide de la divinité. Si un dieu n'a pas plu à l'homme, il ne sera pas dieu; voilà donc que l'homme devra être propice au dieu. - 2. Donc Tibère, sous le règne de qui le nom chrétien a fait son entrée dans le siècle, fit rapport au sénat sur les faits qu'on lui avait annoncés de Syrie-Palestine, faits qui avaient révélé là-bas la vérité sur la divinité du Christ, et il les appuya le premier par son suffrage. Le sénat, ne les ayant pas agréés lui-même, les rejeta. César persista dans son sentiment et menaça de mort les accusateurs des chrétiens. - 3. Consultez vos annales (référence à Tacite) et vous y trouverez que Néron le premier sévit avec le glaive impérial contre notre secte, qui naissait alors précisément à Rome. Qu'un tel prince ait pris l'initiative de nous condamner, c'est pour nous un titre de gloire. Car qui connaît Néron peut comprendre que ce qu'un Néron a condamné ne peut être qu'un grand bien. - 4. Un essai fut tenté aussi par Domitien, ce demi-Néron par la cruauté, mais comme il lui restait quelque chose de l'homme, il renonça vite à son projet et rappela même ceux qu'il avait exilés. Tels furent toujours nos persécuteurs, hommes injustes, impies, infâmes : |p29 vous-mêmes avez coutume de les condamner et vous rappelez toujours ceux qu'ils ont condamnés.

5. Mais parmi tant de princes qui suivirent jusqu'à nos jours, de tous ceux qui ont le respect des lois divines et humaines, citez-en un seul qui ait fait la guerre aux chrétiens! - 6. Nous, au contraire, nous pouvons citer parmi eux un protecteur des chrétiens, si l'on veut bien rechercher la lettre de Marc-Aurèle, ce très sage empereur, dans laquelle il atteste que la soif cruelle qui désolait l'armée de Germanie fut apaisée par une pluie accordée par hasard aux prières de soldats chrétiens. S'il n'a pas expressément révoqué l'édit de persécution, il en a publiquement neutralisé les effets d'une autre manière, en menaçant même les accusateurs d'une peine, et d'une peine plus rigoureuse encore. - 7. Que penser donc de ces lois que seuls exécutent contre nous des princes impies, injustes, infâmes, cruels, extravagants, insensés, que Trajan éluda en partie en défendant de rechercher les chrétiens, que ne fit jamais appliquer un Vespasien, bien qu'il fût le destructeur des Juifs, jamais un Hadrien, curieux scrutateur de toutes choses, jamais un Antonin le Pieux, jamais un Vérus. - 8. Et pourtant, des scélérats devraient, à coup sûr, être exterminés par les meilleurs princes, leurs ennemis naturels, plutôt que par leurs pareils.

CHAPITRE XXI

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1-2. Mais comme nous venons de déclarer que notre religion est fondée sur les monuments écrits des Juifs qui sont si anciens, alors qu'on sait généralement (et nous en convenons nous-mêmes.) qu'elle est elle-même assez récente, puisqu'elle date de l'époque de Tibère, peut-être voudra-t-on discuter, pour ce motif, sa situation et dira-t-on que, sous le couvert d'une religion très fameuse et autorisée par la loi, notre religion cache des idées nouvelles, qui lui sont propres, surtout qu'indépendamment de l'âge, nous ne sommes pas d'accord avec les Juifs pour l'abstinence de certains aliments, ni pour les jours de fête, ni pour le signe physique qui les distingue, ni pour la communauté du nom, - ce qui devrait être, à coup sûr, si nous étions serviteurs du même Dieu. - 3. Mais il n'est pas jusqu'au peuple qui ne reconnaisse déjà dans le Christ un homme ordinaire, tel que les Juifs l'ont jugé, de sorte qu'on nous prendra plus facilement pour les adorateurs d'un homme. En vérité, nous ne rougissons pas du Christ, puisque nous sommes fiers de porter son nom et d'être condamnés pour son nom; et pourtant nous n'avons pas de Dieu une autre conception que les Juifs. Il est donc nécessaire que je m'explique en quelques mots sur la divinité du Christ.

[...]

10. Nous avons déjà dit que Dieu a créé cet univers que nous voyons, par sa parole, par sa raison et par sa puissance. Vos philosophes sont aussi d'accord pour dire que c'est le logos, c'est-à-dire « la parole et la raison », qui est l'auteur de l'univers. Zénon le désigne comme l'artisan qui a tout formé et tout disposé; il dit qu'on l'appelle aussi « destin, dieu, âme de Jupiter, nécessité de toutes choses », Cléanthe réunit tout cela pour l'attribuer à l'« esprit », qui circule, dit-il, à travers tout l'univers. - 11. Or, nous aussi, nous regardons la parole et la raison et la puissance, par lesquelles Dieu a tout créé, ainsi que nous l'avons dit, comme une substance propre que nous appelons « esprit » : la parole est dans cet esprit quand il commande, la raison l'assiste quand il dispose, la puissance y préside quand il réalise. [...]

14. Donc ce rayon de Dieu, comme il avait été toujours prédit auparavant, descend dans une Vierge et s'étant incarné dans son sein, il naît homme uni à Dieu. La chair unie à l'esprit se nourrit, croît, parle, enseigne, opère, et voilà le Christ. Acceptez pour le moment cette doctrine, ne fût-elle qu'une « fable », semblable aux vôtres, en attendant que je vous montre (§ 17 et ch. XXIII, 12) comment le Christ est prouvé et quels sont ceux qui ont fait circuler parmi vous des fables comparables à celle-là, pour détruire la vérité. - 15. Les Juifs savaient aussi que le Christ devait venir, car c'est à eux que parlaient les prophètes. Et, en effet, aujourd'hui encore ils attendent sa venue, et entre eux et nous il n'y a pas d'autre sujet de contestation plus grand que leur refus de croire qu'il est déjà venu.

POV de Tertullien sur la vie de Jésus

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- 18. En entendant prêcher sa doctrine, qui confondait les docteurs et les notables des Juifs, ceux-ci étaient exaspérés, surtout qu'ils voyaient une multitude immense se détourner vers lui : c'est au point que, finalement, ils le livrèrent à Ponce Pilate, qui gouvernait alors la Syrie au nom des Romains, et par la violence de leurs suffrages ils forcèrent le procurateur à le leur abandonner pour l'attacher à la croix. Lui-même avait prédit qu'ils agiraient ainsi; ce n'est pas assez, les prophètes l'avaient aussi prédit auparavant. - 19. Et d'ailleurs, attaché à la croix, il a fait, en subissant cette mort, beaucoup de prodiges qui lui sont propres. En effet, il rendit l'âme de lui-même, en prononçant ses dernières paroles, et prévint l'office du bourreau. Au même instant, le jour fut privé de soleil, |p68 qui n'était arrivé qu'au milieu de sa course. Ce prodige fut certainement pris pour une éclipse par ceux qui ne savaient pas qu'il avait aussi été prédit pour la mort du Christ. Et pourtant vous le trouvez consigné dans vos archives comme un accident mondial. - 20. Alors, les Juifs, après avoir détaché le corps et après l'avoir déposé dans un sépulcre, le firent surveiller avec grand soin par une garde militaire : comme il avait prédit qu'il ressusciterait d'entre les morts au troisième jour, ils avaient peur que ses disciples, emportant furtivement le cadavre, ne trompassent leurs soupçons. - 21. Mais voici qu'au troisième jour, la terre tremble tout à coup, la pierre énorme placée sur le sépulcre s'écarte, la garde se disperse frappée de frayeur, les disciples ne se montrent pas, et dans le sépulcre on ne trouve rien d'autre que la dépouille d'un tombeau. - 22. Néanmoins les notables, qui avaient intérêt à faire croire à un crime et à faire revenir de sa foi un peuple tributaire et placé sous leur dépendance, répandirent le bruit qu'il avait été dérobé par ses disciples. En effet, lui, de son côté, ne parut pas devant la multitude, pour ne pas arracher les impies à l'erreur et aussi pour que la foi, destinée à une si précieuse récompense, coûtât quelque peine aux hommes. - 23. Mais il passa jusque quarante jours avec quelques disciples en Galilée, province de Judée, leur enseignant ce qu'ils devaient enseigner eux-mêmes. Et puis, leur ayant confié la mission de prêcher par toute la terre, enveloppé d'un nuage, il monta au ciel : ascension beaucoup plus vraie que celle que chez vous des Proculus ont coutume d'attribuer aux Romulus.

24. Pilate, qui était lui-même déjà chrétien dans le cœur, annonça tous ces faits relatifs au Christ, à Tibère, alors César. Les Césars eux-mêmes auraient cru au Christ, si les Césars n'étaient pas nécessaires |p69 au siècle, ou si les Césars avaient pu être chrétiens en même temps que Césars. - 25. Quant aux disciples, se répandant par le monde, ils obéirent au précepte de leur Maître divin; après avoir, eux aussi, beaucoup souffert des Juifs persécuteurs, confiants dans la vérité, ils finirent par semer avec joie le sang chrétien à Rome, pendant la cruelle persécution de Néron.