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Joie est une pièce de théâtre créée par Pol Pelletier en 1992. Il s'agit d'un spectacle solo dont le texte, la chorégraphie et l'interprétation sont réalisés par Pol Pelletier elle-même. Joie a été créée à partir de réflexions sur la carrière de Pol Pelletier, sur le théâtre des femmes au Québec des années 1970 et 1980 ainsi que sur la place du théâtre et de l'art dans la société.

Le texte de Joie est publié aux Éditions du remue-ménage en 1995[1].

Création

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Joie est un projet de plusieurs années de travail et compte quatre versions avant d'arriver au résultat final. La première version de Joie s'intitulait Les femmes, l'art et la joie selon un thème qui avait été proposé à Pol Pelletier par Brio Mackay[2] dans le cadre d'une co-production de la galerie Dare-Dare et de la Maison de la culture de Côtes-des-neiges. Cette première version a été représentée le 30 mai 1990[3]. Une deuxième version de la pièce intitulée Joie, elle chantera, elle dansera et elle rira beaucoup et présentée au Théâtre d'Aujourd'hui du 9 au 31 octobre 1992 à la salle Jean-Claude Germain[4]. Quatre représentations supplémentaires ont eu lieu en novembre la même année. Gisèle Sallin joue le rôle de metteur en scène et de conseillère dramaturgique[4]. Une troisième version[5] de Joie est une production de la Compagnie Pol Pelletier en collaboration[2] avec le Festival de théâtre des Amériques à Montréal en juin 1993[6]. La Compagnie Pol Pelletier a produit les représentations de la quatrième version[2] de Joie en français et en anglais entre 1994 et 1997[5].

Représentations en Europe

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Pol Pelletier joue Joie au Festival des Francophonies de Limoges en septembre 1993[7]. Par la suite, l'artiste est invitée par Ariane Mnouchkine du Théâtre du Soleil à présenter la pièce Joie à Paris[6]. La pièce est représentée du 1er au 19 décembre 1993 à La Cartoucherie de Vincennes à Paris. Pol Pelletier n'est pas connue à Paris, « ce passage a conféré une certaine notoriété à Pelletier et à sa création[8] ». Marie-Hélène Falcon organise la tournée européenne de Joie à l'automne 1994[6]. Pelletier produira sa pièce notamment en France, en Suisse et en Belgique.

Prix et traduction

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En 1993, l'Association québécoise des critiques de théâtre distingue Pol Pelletier dans la catégorie « Interprétation féminine » pour sa performance dans Joie[9]. Elle a également été nommée artiste de l’année par L’Association de recherche théâtrale du Canada. Pol Pelletier a reçu le Prix-théâtre Le Droit et le Prix du public-étudiant de la Nouvelle Compagnie Théâtre en 1995 ainsi que d'autres prix[5].

La pièce est traduite en anglais par Linda Gaboriau et en espagnol par Alberto Kurapel pour être jouée en Australie et à Sao Paulo au Brésil[7]. La pièce est également présentée au Canada anglophone, en Tunisie et au Danemark[5].

Argument

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L'autobiographie et l'esthétique du corps

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La pièce Joie retrace les moments marquants de la carrière de Pol Pelletier sur dix ans ainsi que les réalisations du théâtre québécois des femmes des décennies 1970 et 1980. Il s'agit d'un spectacle solo dans un décor dépouillé dont la performance physique de l'artiste occupe une place aussi importance que celle de la parole dans le spectacle. Pol Pelletier fait un collage de textes réflexifs sur le théâtre et son rapport à la société ainsi que sur son expérience de créatrice et de comédienne[10]. En plus d'énoncer des faits historiques, de poser des questions sur le métier d'acteur et la place de l'art dans la société, l'actrice réserve beaucoup d'espace aux mouvements du corps. Le spectacle sera composé de chants, de danses et de musique de différentes cultures, principalement indienne et sud-américaine, qu'a rencontré Pol Pelletier durant ses voyages. L'actrice porte un gant noir qui représente la mémoire. « Pol Pelletier brosse un portrait de la pratique théâtrale féministe à Montréal[6] » en même temps que sa propre trajectoire. Elle évoque sa participation avec d'autres auteurs et actrices à la pièce de création collective La nef des sorcières en 1976. Elle parle du Théâtre expérimental de Montréal dont elle a été la co-fondatrice et la co-directrice avec Jean-Pierre Ronfard et Robert Gravel, puis de la séparation de cette compagnie en deux entités distinctes quand elle a fondé le Théâtre expérimental des femmes avec Louise Laprade et Nicole Lecavalier. Elle citera de nombreuses productions auxquelles elle a participé durant sa carrière au Théâtre expérimental des femmes, notamment les pièces La peur surtout, Les vaches de nuit et La lumière blanche[3].

Le théâtre des femmes

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Dans un texte de réflexion paru dans la revue Jeu en 1992, Pol Pelletier exprime son « désir de raconter un pan de l'histoire du mouvement des femmes et du théâtre de femmes[11] ». Elle a choisi d'intituler sa pièce Joie parce qu'elle considère que la joie doit être au coeur de sa pratique théâtre et l'élément fondamental de sa pratique quotidienne[11]. Joie est le premier volet de La trilogie des histoires[12] dont les deux pièces suivantes, Océan et Or, racontent les expériences vécues par Pol Pelletier après 1985 et rendent compte de l'influence de ses voyages en Inde, au Nicaragua et au Brésil sur son art théâtral[11].

Joie rend compte des années éprouvantes qu'a vécu Pol Pelletier en se retirant de la scène et du constat de la « mort du rêve »[11]. La décennie 1975-1985 est marquée par la création collective et le théâtre féministe[8], mais ces tendances disparaissent dans la décennie suivante. Elle s'aperçoit que l'idéal de justice que promettait la création collective n'était qu'illusoire. Elle constate une absence de désir collectif et une absence de communauté[11]. Elle compose à partir de moments marquants, de joies et de peines dont elle tire ses réflexions après s'être retirée plusieurs années de la scène théâtrale pour se consacrer à la formation d'artistes. Pol Pelletier se confie en entrevue : « Cela m'a pris sept ans pour nommer les blessures accumulées dans les années 80, et en tirer des conclusions. J'ai procédé à un montage d'extraits de textes dramatiques qui ont parsemé ma trajectoire entre 1976 et 1984[10]». La dimension de l'amour a une place très importante pour la créatrice et cette dernière la place au centre de son art. Pol Pelletier dit faire « du théâtre parce qu'elle est "une infirme de l'amour" et que la relation quotidienne avec le public et les acteurs lui permet de "travailler tous les jours à abolir [son] infirmité"[13] ».

Dans Joie, Pol Pelletier remet en question les rôles féminins au théâtre et s'interroge sur la présence des femmes sur la scène. « Pol Pelletier réclamait un corps d'action où le corps est occupé non à se laisser regarder, mais à faire quelque chose[14]. » La pièce Joie rend compte de cette volonté de Pol Pelletier de rendre le corps actif et porteur de signification dans ses gestes et ses mouvements, en lien avec la parole ou d'un sens nouveau.

Réception critique

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La pièce Joie a été reçue de manière généralement positive à la fois au Québec et en France. Certains critiques lui ont toutefois reproché d'être trop nostalgique ou trop « nombriliste » d'être de l'ordre du témoignage ou du règlement de compte[15].

Le féminisme

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Un article publié dans Le Devoir prétend que Pol Pelletier « laissera un public pantois, partagé, les uns saluant un retour de courage dans le discours de lutte, les autres un recul de la nuance dans l'idéologie de combat[15] ». Le journaliste trouve le propos de la pièce « largement nombriliste, sans complexe, joyeux, parfois mesquin[15] », il la qualifiera également de « démagogie féministe dépassée[15] ». Un autre article du même journal souligne aussi le « féminisme radical » de Pol Pelletier et croit que les hommes qui vont voir le spectacle se sentent exclus[10]. La journaliste Ariane Émond, déplorant la manière dont les médias dépeignent la pièce Joie, trouve « dommage que les critiques aient refroidi l'envie des hommes de venir au Théâtre d'Aujourd'hui, eux qui sont déjà souvent si mal à l'aise de se pointer à des shows de femmes[16] ». Elle soutient que « personne n'en parle de cette manière dans les médias, mais le public lui, soir après soir depuis un mois remplit inlassablement la salle, rit, pleure et crie bravo ![16] ». Émond pense que Pol Pelletier est « injustement perçue comme une féministe sectaire[16] » et qu'il est préférable pour le spectateur de ne pas avoir entendu parler de l'artiste avant d'aller assister à la pièce[8].

Les critiques retiendront trois principaux éléments de la pièce Joie : son féminisme, l'autobiographie et la mémoire collective et la performance physique de l'actrice[8].

Au Québec, la question féministe est reçue de manière assez peu chaleureuse. « On reproche à Pol Pelletier de ne pas tourner en dérision ce qu'on considère comme un stéréotype dépassé, et qui ne devrait plus être convoqué culturellement. Aussi est-elle classée "nostalgique". Or c'est justement le fait qu'elle ne tourne pas en dérision le féminisme et qu'elle pose un regard rétroactif sur ces années en les remettant en question qui a retenu l'attention de Mnouchkine.[8] » En France, le féminisme de Pol Pelletier a été reçu de manière plutôt positive.

La nostalgie

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Des critiques québécois ont considéré que la nostalgie dont fait preuve l'interprète « sonne comme un reproche[8] ». Au même type que la réflexion d'ordre féministe de la pièce, le caractère autobiographique a été critiqué. La valeur artistique du spectacle n'était pas reconnue puisque « la critique québécoise avait reproché à la création de Pelletier de se confiner dans un espace trop particulier, qui ne concernait qu'un individu (elle-même), et de s'adresser à un petit groupe "d'initiés", ceux qui ont vécu de l'intérieur le féminisme et la création collective[8] ». Il faut rappeler qu'au Québec, ces événements que nomme Pol Pelletier dans son spectacle sont encore très frais dans la mémoire collective. Marie-Christine Lesage, professeure à l'École supérieure de théâtre de l'Université du Québec à Montréal, pense que « l'absence de recul face à cette histoire sociale et culturelle récente a joué le rôle d'un véritable filtre socioculturel qui a empêché de percevoir l'humour, l'ironie et le regard autocritique que pose l'interprète sur cette période[8] ». La critique française, au contraire, admet l'autobiographie de la pièce comme une forme artistique à part entière. Plutôt que d'être considéré comme un témoignage, le spectacle Joie est perçu comme un « récit intime[8] ». Les faits historiques de la mémoire collective québécoise très présents dans la création de Pol Pelletier ne sont pas perçus de manière négative. Au contraire, « tous ces commentaires de la presse française mettent en relief une valeur plus générale, soit celle de la petite histoire qui devient, vue d'ailleurs, un prétexte pour parler de l'Histoire : l'histoire du théâtre, l'histoire d'une époque, marquée par la lutte des femmes, et, enfin, l'histoire d'une fin de siècle[8]

À l'unanimité, les critiques tant québécois que français vont souligner la performance d'actrice de Pol Pelletier. On adressera beaucoup d'éloges à son énergie et sa présence corporelle maîtrisée sur scène[8]. D'autres critiques ont aimé le caractère réflexif du spectacle et les questionnements, par exemple sur l'art, qu'il offrait à méditer.

À la reprise de Joie en 1995, le discours critique québécois devient beaucoup plus enthousiaste aux enjeux de la pièce et son esthétique artistique est davantage reconnu[8].

Références

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  1. « Joie » (consulté le )
  2. a b et c Pelletier, Pol, 1947-, Joie, Editions du Remue-Ménage, [1995] (ISBN 2890911373 et 9782890911376, OCLC 35586726, lire en ligne)
  3. a et b Pol Pelletier, Joie, elle chantera, elle dansera et elle rira beaucoup [programme de spectacle], Montréal, Théâtre d'Aujourd'hui, , 4 p. (lire en ligne)
  4. a et b « tda », sur ctda.ca (consulté le )
  5. a b c et d « Pol Pelletier » (consulté le )
  6. a b c et d Robert Lévesque, « Pol Pelletier invitée par Mnouchkine », Le Devoir,‎ , p. 8 (lire en ligne)
  7. a et b Gilles G. Lamontagne, « Une Québécoise lancée en France par Ariane Mnouchkine », Le Devoir,‎ , p. 8 (lire en ligne)
  8. a b c d e f g h i j k et l Marie-Christine Lesage, « Du particulier à l'universel : la réception critique de "Joie", de Pol Pelletier, au Théâtre du Soleil, à Paris », L'Annuaire théâtral (27),‎ , p. 178-190 (lire en ligne)
  9. Jean Saint-Hilaire, « "Robert Zucco" primé spectacle de l'année », Le soleil,‎ , p. 13 (lire en ligne)
  10. a b et c David Gilbert, « L'intense parcours anarchiste d'une Amazone », Le Devoir,‎ , p. 7 (lire en ligne)
  11. a b c d et e Pol Pelletier, « Réflexions autour de Joie », Jeu (65),‎ , p. 30-34 (lire en ligne)
  12. Hervé Guay, « Les maux d'une âme », Le Devoir,‎ , p. 8 (lire en ligne)
  13. Pierre Lavoie, « L'espoir est une poire », Jeu (65),‎ , p. 23-29 (lire en ligne)
  14. Josette Féral, « La place des femmes dans les théories actuelles du jeu théâtral : l'exemple de Pol Pelletier », Dalhousie French Studies, vol. 41,‎ , p. 105-116
  15. a b c et d Robert Lévesque, « Règlements de comptes pour initiés », Le Devoir,‎ , p. 3 (lire en ligne)
  16. a b et c Ariane Émond, « Pol la magnifique », Le Devoir,‎ , p. 10 (lire en ligne)