Utilisateur:Olivierchamby/Médiation transformative

La médiation transformative est une approche théorique et pratique de l'intervention dans les conflits interpersonnels, décrite pour la première fois par Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger en 1994[1]. Elle se différencie de l'approche de médiation dominante à l'époque, basée sur la négociation raisonnée, telle que théorisée par William Ury et Richard Fisher, en prônant la non directivité du médiateur non seulement sur le contenu des débats, mais aussi sur le processus de discussion.

Sa particularité est de se focaliser sur la qualité de la relation entre les protagonistes plutôt que sur le règlement du différend; celui-ci est considéré comme la résultante possible d’un dialogue (re)devenu constructif, condition indispensable à l’établissement d’accords pleinement acceptés et durables.

Elle postule en outre l'inclination et la capacité naturelle des protagonistes à transformer leur interaction conflictuelle, en sortant progressivement, par eux-mêmes, de l'état de déstabilisation et de fermeture à l’autre dans lequel le conflit les a plongés.

En pratique, considérant que le médiateur ne peut que favoriser et accompagner cette évolution, et non la diriger, elle privilégie absolument l’autodétermination des participants, tant sur le déroulement que sur le contenu de leurs échanges, dans le cadre de conversations "qui leur appartiennent".

Il s’agit donc pour le médiateur d'adopter une posture résolument humble/basse, en se centrant sur sa présence à l’autre, sa qualité d’écoute, et en soutenant, par des interventions non directives[2][3], les efforts librement consentis par chaque participant pour clarifier son point de vue et s'ouvrir à celui de l'autre.

Historique et Diffusion du modèle, en particulier en langue française

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Les principes théoriques et pratiques du modèle transformatif émergent au début des années 1990 dans le cadre de travaux conjoints de Baruch Bush et Joe Folger au sein de l'Université Hofstra de New-York et sont publiés pour la première fois en 1994 dans The Promise of Mediation[1].

En 1998, le modèle transformatif est adopté par le programme REDRESS pour conduire plus de 10000 médiations par an au sein de l'USPS (US Postal Service - Administration des postes des USA - 800 000 employés); ce programme, qui a donné lieu à la formation de plusieurs milliers de médiateurs, est encore actif aujourd'hui[4]. L'année suivante, Bush et Folger créent l'ISCT - Institute for the Study of Conflict Transformation[5], think tank dédié à la recherche et développement autour du modèle.

En 2005 est publiée une édition révisée de The Promise of Mediation[1], qui présente des évolutions significatives, basées sur les enseignements accumulés pendant les 10 premières années de pratique. La décennie suivante est marquée par la consolidation du modèle aux États-Unis d'Amérique et par sa diffusion progressive dans divers pays d'Europe (Pays-Bas, Allemagne, Italie, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovénie, Belgique, France...), portée par des initiatives individuelles de médiateurs et chercheurs ayant découvert l'approche.

La diffusion de l'approche transformative au sein de la communauté des praticiens de langue française s'opère à partir de 2010, avec sa présentation comme exemple de modèle non directif par Jacques Faget, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de la médiation, dans la première édition de Médiations : les ateliers silencieux de la démocratie[6], et son évocation la même année par Damien d'Ursel, avocat et médiateur belge, dans son ouvrage La médiation entre tradition et modernité familiales[7].

Elle se poursuit en 2011 par les premières formations d'avocats et médiateurs en langue française au Québec (formation continue du Barreau du Québec[8], IMAQ[9][10]), suivies de la création du Réseau Francophone pour une Approche Transformative du Conflit[11].

2012 marque le début des formations en langue française en Europe, principalement en France et en Belgique, et adoption du modèle par diverses associations, organismes de médiation et de formation à la médiation, avec un ancrage fort en médiation familiale, illustré par le chapitre consacré par Marianne Souquet à la pratique du modèle en médiation familiale dans l'ouvrage collectif Courants de la médiation familiale[12]. Depuis, divers organismes de formation continue, en France et en Belgique (APME[13][14], Médiavo[15], Marianne Souquet Médiation et Formation[16], Ligue Française pour la Santé Mentale[17], Formédiation[18], Amorife International[19], Oméo[20], Sensei[21], Cemaphores[22]) proposent régulièrement des formations et la pratique se développe, principalement en médiation familiale, mais aussi plus largement dans le champ social, ainsi qu'en entreprises.

Plus récemment, en 2018, paraît le 1er ouvrage de référence en langue française consacré entièrement à cette approche, La médiation transformative : une approche non directive du conflit[2], traduction d'une sélection de chapitres de publications antérieures en langue anglaise par Bush et Folger ; pour accompagner cette publication, le Réseau Francophone pour une Approche Transformative du Conflit organise une conférence au CNAM de Paris, devant un large public de professionnels de la médiation[23]. Depuis, on constate l'intégration progressive de cours sur l'approche transformative dans diverses formations diplomantes de médiateurs (DU et DEMF)  : IFOMENE, CNAM de Paris, DEMF de l'IRTS de Franche Comté, DEMF Nanterre, DU MARD Université Mont-Blanc Savoie...

Principes théoriques

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Approche du conflit

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Le modèle de médiation dit "transformatif" correspond à une vision du monde relationnelle, selon laquelle les êtres humains sont fondamentalement sociaux, essentiellement connectés aux autres, mus à la fois par un désir d'autonomie personnelle et d'interactions sociales constructives, et se développent individuellement au travers de leurs relations avec d'autres êtres humains[24]. En cohérence avec cette vision, ce modèle transformatif développe une approche essentiellement sociale / relationnelle du conflit humain[25][26].

Selon ce modèle, le conflit est avant tout une crise de l'interaction humaine - une crise interactionnelle avec des caractéristiques communes et prévisibles. Plus précisément, l'apparition du conflit tend à modifier la perception que les protagonistes ont d'eux-mêmes et des autres, de sorte qu'ils deviennent à la fois plus vulnérables et plus autocentrés/ fermés qu'avant le conflit. De plus, ces dynamiques négatives s'alimentent l'une l'autre au fur et à mesure que les personnes interagissent, dans un cercle vicieux qui intensifie le sentiment de déstabilisation (confusion, indécision, désorganisation, craintes, vulnérabilité..) et de fermeture (méfiance, hostilité, déconsidération, mépris…) de chacune d'entre-elles. En conséquence, l'interaction dégénère rapidement et prend un caractère mutuellement destructeur, aliénant et déshumanisant[27].

La théorie transformative postule que, pour la plupart des gens, c'est le fait de se sentir "piégés" dans ce type d'interaction délétère qui constitue l'impact négatif le plus important du conflit[28]. Cependant, elle postule aussi que, malgré ces impacts potentiellement destructeurs sur leur relation, les protagonistes ont la capacité d'inverser cette dynamique et de changer la qualité de leurs interactions, en retrouvant progressivement leur force intérieure/ confiance en eux (mouvements dits d'Empowerment) ainsi qu'un plus grande ouverture/ réceptivité à l'autre (mouvements dits de Reconnaissance). En outre, comme ces dynamiques positives s'alimentent l'une l'autre en un cercle vertueux, l'interaction peut se régénérer et retrouver un caractère constructif, créateur de lien et humanisant. Le modèle part du principe que cette transformation de l'interaction elle-même est ce qui importe le plus aux personnes en conflit - plus encore qu'un règlement satisfaisant de leurs différends factuels[29].

Objectifs de la médiation et posture du médiateur

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La théorie transformative définit l'objectif du médiateur comme étant de soutenir chaque participant dans ses efforts pour opérer des mouvements vers un sentiment accru de force intérieure (empowerment) et une plus grande ouverture au point de vue de l’autre (reconnaissance), lorsque les occasions se présentent dans leur conversation, et de les aider ainsi à transformer la qualité de leur interaction de destructrice à constructive[30], pendant qu’ils explorent et discutent les différents aspects de la situation, et les solutions possibles. Le médiateur va donc s'attacher à :

  • soutenir les mouvements d’empowerment en privilégiant – sans jamais la supplanter – la prise de décision de chaque participant, à chaque moment où un choix peut se présenter, que ce soit à propos du processus ou de son issue
  • appuyer les mouvements de reconnaissance, en encourageant et soutenant – sans jamais les forcer – les efforts librement consentis par chaque participant pour se former une nouvelle compréhension du point de vue de l’autre

Pour cela il adopte une posture très basse, où il s’interdit de diriger les échanges, de fixer des règles, de « donner des leçons », de proposer des solutions, de formuler des suggestions, et même de poser des questions exploratoires… donnant l’absolue priorité à l’autodétermination des participants[31].

En médiation transformative, le succès ne se mesure pas à l'obtention du règlement en soi, mais plutôt par l'évolution des participants vers plus de force intérieure, de réceptivité interpersonnelle et d'interaction constructive. En exprimant ce qui est important pour eux et en entendant ce qui est important pour l'autre, les participants acquièrent une nouvelle compréhension d'eux-mêmes et de leur situation, examinent les possibilités de manière critique et prennent leurs propres décisions. Ces décisions peuvent inclure des accords, mais personne n'est contraint d'élaborer des solutions ou de conclure un accord. Les résultats sont entièrement entre les mains des participants et soumis à leurs propres choix. Le médiateur se concentre donc sur l'interaction, et favorise la délibération et la prise de décision des participants, de diverses manières. Il identifie les opportunités d'empowerment et de reconnaissance au fur et à mesure qu'elles apparaissent dans les conversations des participants, et réagit de manière à leur permettre de choisir ce qu'ils veulent en faire[32].

Principes clés de la pratique

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10 signes distinctifs de la pratiques transformative[33][6]

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1 - "Tout est dans les remarques d'ouverture" : la posture et les propos introductifs du médiateur doivent donner le ton et orienter dès le début les participants vers l'empowerment et la reconnaissance.

2 - "C'est toujours le choix des participants qui l'emporte" : l'autodétermination des participants prévaut; seuls les participants doivent avoir le pouvoir de décider ce qui se passe pendant la médiation; ils ont seuls la responsabilité de son issue.

3 - "Ce sont les participants qui savent" : ils sont les seuls à savoir tout ce qui s'est passé avant, et à pouvoir imaginer ce qui devrait se passer après. Le médiateur doit se garder de porter un jugement sur leurs dires et leurs décisions.

4 - "Les participants ont tout ce qu'il faut" : les participants ont la capacité de prendre des décisions et de mettre les choses en perspective. Ils sont mieux placés que le médiateur pour décider ce qu'ils veulent faire.

5 - "Les émotions sont de bons sujets" : les participants peuvent vouloir parler de leurs émotions ; il ne faut pas les en dissuader. L'expression des émotions peut favoriser l'empowerment et la reconnaissance.

6 - "La clarté émerge de la confusion" : c'est à force d'explorer par eux-mêmes leurs doutes et incertitudes que les participants s'affirment et gagnent progressivement en clarté et en ouverture.

7 - "C'est ici et maintenant que ça se passe" : ce qui est important dans la conversation, c'est ce que les participants montrent dans l'instant; le médiateur doit rester focalisé sur l'ici et maintenant pour repérer au mieux les opportunités d'empowerment et de reconnaissance.

8 - "Evoquer le passé est utile au présent" : le médiateur doit soutenir l'évocation du passé par les participants, car elle éclaire les positions/ perspectives présentes et favorise ainsi la reconnaissance.

9 - "Le conflit peut être une affaire de longue haleine" : le médiateur doit voir son intervention avec humilité, comme un bref moment au coeur d'une séquence d'événements bien plus longue, avec un avant et un après. Cela doit favoriser sa non directivité et sa focalisation sur la relation à l'instant t.

10 - "Les petits pas sont importants" : l'empowerment et la reconnaissance émergent généralement par micro-mouvements; il faut reconnaître la valeur de chacun et compter sur leur accumulation.

Les capacités que le médiateur transformatif doit chercher à développer[34]

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1 - Être à l'aise face au conflit, notamment avec l'expression intense des émotions et les façons de communiquer négatives.

2 - Respecter les choix des participants, y compris leur choix de participer ou non à la médiation, et même quand on n'est pas personnellement d'accord avec les décisions qu'ils prennent.

3 - S'accommoder d'une compréhension limitée de la situation conflictuelle des participants.

4 - Respecter les participants, même si leurs actes, leur apparence, leur langage et leurs attitudes se révèlent complètement différents de ceux du médiateur.

5 - Être patient avec les participants et le processus de leur interaction.

6 - Rester focalisé sur ce qui se passe à chaque instant de l'interaction des participants.

7 - Etre attentif aux occasions d'empowerment et de reconnaissance des participants.

8 - Choisir les interventions non directives (et les non-interventions) en fonction de ces occasions, pour soutenir l'empowerment et/ou la reconnaissance des participants.

9 - Renoncer absolument à la recherche des solutions et au contrôle du processus.

Références

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  1. a b et c (en) Bush, R. A. B., & Folger, J. P., The Promise of Mediation : Responding to Conflict Through Empowerment and Recognition., San Francisco, Jossey-Bass, (ISBN 9780787974831)
  2. a et b Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger, traduction Pauline et Olivier Chambert-Loir, La médiation transformative : une approche non directive du conflit, Toulouse, Eres, , 200 p. (ISBN 9782749258645), p. 58-71
  3. John Peter Weldon, « La médiation transformative au soutien de l’autodétermination des parties », Journal de Médiation et d'Arbitrage du Canada, vol 21 n°1,‎ , p. 41-42 (lire en ligne)
  4. (en) USPS - US Postal Service, « What is REDRESS ? »
  5. (en) ISCT, « ISCT »
  6. a et b Jacques Faget, Médiations : les ateliers silencieux de la démocratie, Toulouse, Eres, , 422 p. (ISBN 9782749248233), p. 159-160
  7. Damien d'Ursel, La médiation entre tradition et modernité familiales, 285 p. (ISBN 9782874632266)
  8. Barreau du Québec, « L'APPROCHE TRANSFORMATIVE EN MÉDIATION FAMILIALE ET EN MILIEU DU TRAVAIL »
  9. IMAQ - Institut de Médiation et d'Arbitrage du Québec, « Médiation transformative »,
  10. IMAQ, « L’IMAQ présente : L’approche transformative en médiation et résolution de conflit »,
  11. IMAQ, « Naissance du réseau pour une approche transformative du conflit »,
  12. Claire Denis, Liliana Perrone, Michèle Savourey, Marianne Souquet, Courants de la médiation familiale, Lyon, Chronique Sociale, (ISBN 9782850088186)
  13. « APME médiation »
  14. « L’approche transformative en médiation »
  15. « Mediavo Centre de médiation du Val d'Oise »
  16. Marianne Souquet, « Médiation transformative »
  17. LFSM, « Médiation transformative : Approfondissement »
  18. Formédiation, « Formation à la médiation transformative Module de base »
  19. Amorife international, « Médiation transformative »
  20. Oméo, « Les essentiels »
  21. Sensei, « Approche du conflit et médiation »
  22. Cemaphores, « L'approche transformative en médiation »
  23. Faget J, Weldon JP, Souquet M, d'Ursel D, Chambert-Loir O., « Conférence La médiation transformative : une approche non directive du conflit »
  24. (en) D.J Della Noce, « Seeing theory in practice: an analysis of empathy in mediation », Negotiation Journal,‎ , p. 271-301
  25. (en) Della Noce D.J., « Clarifying the theoretical underpinnings of mediation: Implications for practice and policy », Pepperdine Dispute Resolution Law Journal, 3(1),,‎ , p. 39-65
  26. Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger, traduction Pauline et Olivier Chambert-Loir, La médiation transformative : une approche non directive du conflit, Toulouse, Eres, , 200 p. (ISBN 9782749258645), p. 31-32
  27. Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger, traduction Pauline et Olivier Chambert-Loir, La médiation transformative : une approche non directive du conflit, Toulouse, Eres, , 200 p. (ISBN 9782749258645), p. 21-24
  28. Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger, traduction Pauline et Olivier Chambert-Loir, La médiation transformative : une approche non directive du conflit, Toulouse, Eres, , 200 p. (ISBN 9782749258645), p. 20
  29. Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger, traduction Pauline et Olivier Chambert-Loir, La médiation transformative : une approche non directive du conflit, Toulouse, Eres, , 200 p. (ISBN 9782749258645), p. 29-30
  30. (en) Pope, S. G., « Changing the quality of conflict interaction: The principles and practice of transformative mediation », Pepperdine Dispute Resolution Law Journal, vol 3 issue 1,‎ , p. 77-85 (lire en ligne)
  31. Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger, traduction Pauline et Olivier Chambert-Loir, La médiation transformative : une approche non directive du conflit, Toulouse, Eres, , 200 p. (ISBN 9782749258645), p. 71-76
  32. John Peter Weldon, « La médiation transformative au soutien de l’autodétermination des parties », Journal de Médiation et d'Arbitrage du Canada, vol 21 n°1,‎ , p. 40 (lire en ligne)
  33. (en) Bush, R.A.B. & Folger, J.P., « Transformative Mediation and Third Party Intervention: Ten Hallmarks of a Transformative Practitioner », Mediation Quarterly,‎ , p. 263
  34. Robert A. Baruch Bush et Joseph P. Folger, traduction Pauline et Olivier Chambert-Loir, La médiation transformative : une approche non directive du conflit, Toulouse, Eres, , 200 p. (ISBN 9782749258645), p. 52-58

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