Utilisateur:Pèire Cardenal/Rappatriement 1

N'hésitez pas !

Spécial dédicace à tous les contributeurs valeureux qui,
pour avoir cru sincèrement à un slogan qu'ils croyaient loyal,
ont été plus ou moins élégamment poussés vers la sortie
et nous ont quittés dans le découragement ou la colère,
souvent dans l'indifférence ou le soulagement de l'Appareil.



J'ignore s'il est encore possible de réfléchir sans tabou à ce slogan sans paraître hérétique ni sacrilège, tant il semble avoir statut de dogme et de credo sur Wikipédia. Je suppose que dans l'esprit des ses promoteurs, il est censé encourager les néophytes à se lancer dans l'aventure, mais on peut être sérieusement tenté d'y voir une forte composante démagogique. Admettons cependant que cette dernière appréciation soit jugée partiale, que ce soit un jugement de valeur, et tenons-nous en aux faits et seulement aux faits :

  • c'est un slogan trompeur. Il n'y a pas besoin d'être un grand Patrouilleur pour constater combien nombreux sont les néo-contributeurs de bonne foi qui, ayant pris cette injonction au mot, ont créé une page au prix de longs et pénibles efforts, et qui se voient éradiqués instantanément par un Administrateur zélé. On envoie les néophytes au casse-pipe, et je ne vois pas comment cela pourrait se faire inconsciemment. Notons au passage cette singulière innovation juridique : la Loi prévoit dans le Wikimonde le concept d'« exécution préventive ». C'est déjà particulièrement violent ; mais certains Gardiens de l'Ordre (légitimes ou auto-proclamés, cela ne change rien) se rendent-ils compte qu'ils en remettent une couche non plus seulement violente, mais cette fois insupportable et inique, lorsqu'ils rajoutent benoîtement : « si vous jugez que votre suppression est injuste, vous pouvez exposer vos arguments, mais faites-le poliment ». Bref : détruire sèchement est poli ; mais souffrir de ce traitement brutal est grossier, et s'en plaindre est une attaque personnelle. CQFD ! « Les mots et les maux » : les actes les plus durs et parfois les plus injustes ou les plus ineptes sont admis, mais les mots qui les désignent doivent être lisses, pondérés (quitte à ne plus êtes adéquats),iréniques ; le violent a le droit d'être violent, mais sa victime n'a pas le droit de parler de violence. Du moment que la forme est sauve, le fond est de peu d'importance. Voici comment on créé, cultive et pérennise le sentiment d'injustice, voilà comment on incite au départ les participants honnêtes et comment on invite les autres à la chicane et/ou au vandalisme. Reportons-nous aux PdD, PàS, et autres lieux d'affrontements : c'est édifiant, et ce processus est à l'œuvre dans les moindres détails. Il serait lassant d'en analyser quelques exemples, et ce serait de surcroît considéré comme une attaque personnelle : banale, la mécanique d'auto-protection du système est bien rodée. Dont acte !
  • c'est un slogan qui pousse à des comportements grossiers et agressifs. Je pense ici surtout au mode de correction des articles. Je ne parle pas des vandales, qui certes sont exaspérants et mériteraient qu'on leur paye une consultation chez un psy, mais des contributeurs qui obéissent au dogme, parfois avec d'excellentes intentions. Accepteriez-vous qu'un quidam rentre chez vous pour réarranger votre mobilier ou réparer votre installation électrique sans vous en aviser au préalable ? Même si ce quidam est compétent et animé des meilleurs intentions, même si son travail est salutaire voire indispensable, son comportement n'est-il pas de la plus grande incorrection, et même en poussant un peu ne s'apparente-t-il pas à une forme de viol ? Alors, je sais que la réponse toute faite, automatique mais passablement incongrue, est que personne sur Wikipédia n'est propriétaire d'un texte : parfaitement exact, et c'est essentiel. Et alors ? Il n'y a pas que l'objet (lequel, effectivement, appartient à tous) : il y a aussi tout le travail et tout le temps qu'a pu coûter sa rédaction et ça, cela appartient en propre à des contributeurs que l'on peut parfaitement identifier. Franchement, faire ainsi fi de cet aspect de la contribution et exécuter sans avertissement des modifications (éventuellement bénéfiques, ce n'est absolument pas la question), c'est très exactement cela le vrai vandalisme. Vandalisme légal malheureusement, et encouragé. Ne nous étonnons surtout pas de ses conséquences !
  • c'est un slogan anti-pédagogique. Quel bénéfice y aura-t-il à corriger une faute, soit formelle, soit fondamentale, si son auteur ne s'en charge pas, pire : s'il n'en est pas informé. Qu'est-ce qui l'empêchera, dans une situation future semblable, de réitérer son erreur s'il n'en a pas pris connaissance ? Et s'il s'agit de quelque chose de complexe, quelle leçon pourra-t-il tirer d'être mis devant le fait accompli, c'est-à-dire devant la rédaction correcte, si celle-ci n'est pas accompagnée d'explication ? Lorsqu'il s'agit de fautes répétitives (donc, en général, au niveau de la grammaire ou de l'orthographe), lorsqu'il s'agit de ces insupportables fautes de style qui semblent la marque de fabrique de Wikipédia, ce serait de toute façon sans espoir de compter sur le visiteur de bonne volonté pour exécuter les corrections au hasard de sa navigation : tâche insurmontable, et de surcroît complètement aléatoire ; tout au plus y gagnerait-on, localement et matériellement, d'avoir fait disparaître deux ou trois erreurs, mais personne n'y aurait rien appris. Le gain matériel serait limité, le gain intellectuel limité, le gain pédagogique nul ; ce qui est un comble pour une « Encyclopédie » !
  • c'est un slogan qui incite à l'irresponsabilité. Un grand argument sans cesse ressassé, et particulièrement spécieux, c'est que rien n'est irréversible. C'est peut-être vrai, au niveau informatique, pour l'objet résultant ; c'est grossièrement faux pour tout le reste : le temps passé, les efforts consentis, sans compter les atteintes au respect et à la dignité. Autrement dit, on nous vante Wikipédia en nous disant à juste titre que la mort n'y est pas irrémédiable, mais en oubliant de préciser qu'au contraire, toutes les blessures demeurent ad vitam, au vu et au su de tous, dans toute leur cruauté et parfois toute leur injustice. Ce qu'il y a ensuite de vicié, et de vicieux, c'est qu'il ne manque pas de bons samaritains, lorsque vous vous sentez (à tort ou à raison, ce n'est pas le problème) victime d'un agissement quelconque, pour vous rappeler que vous avez tout loisir de vous faire justice vous-même : « N'hésitez pas ! N'hésitez pas !», nous rabâche-t-on. Ce qui a contrario constitue une absolution implicite ou en tout cas une minimisation des agissements coupables, et il est clair que certains y voient comme une autorisation camouflée : je peux faire n'importe quoi, puisque les autres ont le droit et le pouvoir de corriger mes méfaits. Soyons sérieux ! accepteriez-vous cette « morale », cette « philosophie » dans notre espace public ? Par comparaison, le Far-West était un état de droit sourcilleux, et la loi de Lynch un exemple de justice sereine !
  • en résumé et pour toutes ces raisons, c'est un slogan dévastateur. Je conviens qu'un tel énoncé résonne comme une opinion personnelle, du moins tant que je ne l'aurai pas explicité. Mais en réalité, rien n'est plus évident : j'invite tout lecteur que mes réflexions auront contrarié à s'en assurer par un petit (mais déprimant) travail d'enquête : tous les conflits, toutes les polémiques, toutes les manœuvres délictueuses, ont leur origine dans l'application de ce précepte. La seule possibilité d'échapper à la contagion serait de passer outre — et encore ! à supposer que ce soit possible —, d'adopter le point de vue de Sirius, de rester prudemment dans sa bulle en évitant de regarder en face ce qui dérange, et de continuer à voir en Wikipédia une utopie flottant sur de petits nuages roses et peuplée d'anges purs et radieux ; ce qui ne serait sans doute pas très glorieux moralement, mais surtout qui serait assurément intellectuellement vil.

  • La conclusion s'impose d'elle-même. Précisément parce que je souhaite que mon travail soit véritablement collaboratif, je m'interdis tout passage en force. Je n'interviendrai que sur les opérations dont la solution est unique et inévitable (fautes d'orthographe ou de syntaxe évidentes, homonymies, rectification de faits objectivement faux), et seulement si je suis sûr de la solution : en somme, un travail qu'un « bot » pourrait faire. Dans tous les autres cas, et en particulier dès qu'il sera plausible que la faute ne procède pas d'une malencontreuse inadvertance, je passerai par la PdD, exposerai mon point de vue, suggérerai le cas échéant une ou plusieurs réponses, et m'éclipserai sur la pointe des pieds sans toucher à rien. L'effraction, ce n'est pas mon truc. L'intimidation encore moins. Et le fait que cette attitude m'ait déjà été reprochée, parfois en des termes aux limites (franchies) de la correction, n'est que la preuve ironique que le dogme actuellement en vigueur a un effet néfaste sur les comportements et les manières de penser. J'espère de tout cœur, au vu de la bassesse (souvent légale) de certains wiki-comportements, que ces règles du jeu ne débordent pas sur la vraie vie de leurs auteurs. Mais on peut faire preuve d'un relatif optimisme (un peu forcé, toutefois) : il n'est pas inimaginable que les plus intransigeants des wiki-acteurs soient, IRL, gens de bonne compagnie, tolérants, imaginatifs, et réellement altruistes ; après tout, pourquoi pas ?

    Il est finalement bien désagréable d'avoir à dire de telles choses désagréables sur une entreprise qui aurait dû être si stimulante ! Mais il fallait. Question d'honnêteté et de loyauté. Et pour ce qui est de créer des articles relatifs à mes domaines de compétence — ce qui constituait naïvement la raison de mon inscription sur Wikipédia —, j'attendrai qu'une réflexion de fond ait porté ses fruits et qu'une certaine pax romana règne sur l'empire. Dommage.