Utilisateur:Padouppadoup/I'm not there

Sorti en 2007, le film I'm not there (littéralement « Je ne suis pas là ») a été présenté par son réalisateur, Todd Haynes, de la manière suivante : « I'm not there est un voyage à-travers les âges de la vie de Bob Dylan ». Rien d'étonnant à première vue, il ne s'agit que de la définition de n'importe quelle biographie. Cependant, il ajoute : « Plus je lisais, plus je réalisais à quel point ses changements humains et artistiques caractérisaient sa vie. Le seul moyen d'en rendre compte était de distiller sa vie et son travail en une mosaïque de Dylan et d'histoires différentes ». Ainsi, Bob Dylan se retrouve éclaté en six personnages différents, d'âges et d'époques différentes. On retrouve donc des personnages très variés tels qu'Arthur Rimbaud, ou encore le jeune Woody Guthrie. On constate que malgré le sous-titre du film « Supposition on a film concernig Dylan » (littéralement « Suppositions sur un film concernant Dylan »), la figure de Bob Dylan est absente du film, à un point tel que la seule fois où le nom de Dylan apparaît ou est prononcé est justement ce sous-titre. Comme l'évoque Todd Haynes, Bob Dylan est un personnage aux multiples facettes. Comment transparaît la multiplicité de Bob Dylan à-travers un film où on ne prononce pas son nom ? Pour cela, nous verrons tout d'abord comment est montrée l'extrême diversité du personnage de Bob Dylan, avant de nous interroger sur l'absence totale du personnage en question. Pour finir, nous discuterons de la pertinence des termes « Biographie de Bob Dylan ».


Analyse du film I'm not there modifier

Un récit multiple modifier

Comme l'affirme Todd Haynes, Bob Dylan a connu plusieurs vies dans sa vie. Comment montrer cette extrême diversité au-travers d'une narration linéaire et centrée sur un personnage ? C'est assurément complexe et peu éloquent. C'est pourquoi dans I'm not there, la personne de Bob Dylan est incarnée non par par un, mais par six personnages d'horizons sociaux et temporels tout à fait différents. Ceci a pour but de marquer l'éclatement et la diversité du personnage de Bob Dylan. Ainsi, On retrouve Woody Guthrie, Arthur Rimbaud, Jack Rollins, Robbie Clark, Jude Quinn et enfin Billy the Kid. Pour comprendre l'extrême diversité des personnages présentés dans I'm not there, commençons par établir l'étendue de cette diversité. Une impression d'hétéroclisme se détache tout particulièrement des personnages. En effet, quelles ressemblances physiques peut-on tirer entre Jude Quinn et Billy the Kid ?

Woody Guthrie est le personnage que nous suivons au commencement du film, et ce juste après avoir vu, de manière incertaine -de dos, en noir et blanc, quasi-irréel-, un personnage blanc, adulte, montant sur scène puis à moto. Or, le personnage qui apparaît juste après est celui de Woody Guthrie, un jeune garçon noir. Uniquement à partir de cet exemple, nous pouvons affirmer que le montage particulier ainsi que la structure imbriquée du film contribuent à renforcer l'impression de diversité qui se dégage du film. Ainsi, Woody Guthrie est un jeune garçon noir vivant dans les années 1950 ou 1960. Il porte le nom de son idole, et a inscrit, comme celui-ci « Cette guitare tue les fascistes » sur sa guitare. Ainsi, Woody se présente comme une sorte de troubadour parcourant les États-unis dans le but de devenir chanteur. Woody est un personnage engagé -à l'instar de la maxime sur sa guitare- venant de classes populaires, voire pauvres -la minorité noire des années 1950/1960- qui cherche à percer. Sa force est autant son engagement politique que son penchant affabulateur. Par exemple, à chaque fois qu'on le questionne sur son passé, il raconte une histoire différente : il dit avoir parcouru les États-Unis de long en large, composé des chansons pour les plus grands, joué dans des cabarets, que cela soit comme une star ou comme une bête de foire. Woody Guthrie est un personnage encore jeune : il n'a que onze ans et cela se ressent dans sa mentalité, qui apparaît cependant comme très mature. Ainsi, il est fasciné par le vrai Woody Guthrie, son idole, à tel point qu'il en reprend l'engagement, alors qu'il est en de nombreux points dépassé. À l'opposé, on trouve Billy the Kid, vivant dans les années 1880, un personnage très mature, âgé, qui cherche à s'effacer. Il apparaît statique dans le temps et dans l'espace, serein et apaisé. Ainsi, c 'est très calmement qu'il apprend que pour construire une autoroute, le maire de son village a éliminé plusieurs opposants. Barbu et mal rasé, il apparaît comme en fin de vie. Ne serait-ce qu'en citant ces deux personnages, nous pouvons prendre conscience de la multiplicité du film de Todd Haynes. Ainsi, l'éclatement du personnage est tout à fait manifeste et montre à quel point il est possible de décomposer une personnalité en différentes composantes. Nous trouvons donc de nombreuses oppositions entre tous les personnages, que cela soit au niveau de leur apparence physique -tiré à quatre épingles, négligé, misérable...-, de leur époque de vie -qui va de la fin du XIXième à la fin du XXième – de leur rapport à l'autre -méprisant, indifférent, reconnaissant...- Il apparaît donc difficile, en l'état actuel de notre réflexion, de trouver des points communs évidents entre ces personnages. Et ce d'autant plus que même ces personnages ne sont pas forcément monolithiques. A cette multiplicité apparente de « premier niveau », nous pouvons rajouter que la multiplicité s'exprime à l'intérieur même des personnages, par exemple par leurs sautes d'humeur et leurs nombreux regrets. De manière plus évidente, nous voyons que la multiplicité de Woody Guthrie est d'une certaine manière mise en abyme : en effet, celui-ci, en tant que troubadour, voire de bonimenteur, raconte son histoire en l'adaptant à ce que veut entendre son interlocuteur. Ainsi, parmi les histoires qu'il raconte, il est probable que toutes soient fausses, comme en témoigne le coup de téléphone que reçoit la famille qui l'héberge après son saut dans le fleuve (Mississipi ?), affirmant qu'il s'est échappé d'un camp de détention pour mineurs. Ainsi, nous voyons que même la véracité des personnages peut être remise en cause. En effet, malgré l'éloquence certaine de Woody et le fait qu'il l'ait raconté plusieurs fois, nous en savons au final très peu sur le passé de Woody. À l'inverse, ce pseudo-passé révèle ses désirs d'être chanteur engagé, ce qui se révèle être un indicateur beaucoup plus précis de sa personnalité. Nous pouvons aussi évoquer la multiplicité du chanteur Jack Rollins, qui est lui aussi incarné par divers personnages, tout d'abord par lui-même -Jack Rollins, interprété par l'acteur Christian Bale- , puis par un acteur – qui se nomme Robbie Clark dans le film, mais qui est interprété par l'acteur en chair et en os Heath Ledger- dans le documentaire le concernant, et enfin, d'une certaine manière, par ses fans et ses proches qui le décrivent avec une grande précision. Ainsi, la facette de Bob Dylan incarnée par Jack Rollins est aussi éclatée en plusieurs personnages. De ce fait, on ne peut affirmer laquelle de ces interprétations donne une vision la plus véritable de Bob Dylan. Sans doute contiennent-elles une part de vérité. En tout cas, l'effet de déconstruction -Bob Dylan interprété par plusieurs personnages, eux-même multiples... - de la personnalité de l'artiste, interprète, chanteur Bob Dylan, ou pour reprendre la voix-off de la séquence d'ouverture, la personnalité du « Poète... Prophète... Hors-la-loi... Imposteur... Star de l'électricité » (« poet, prophet, outlaw, fake... star of electricity ») semble infini. À la lumière de cette description, nous voyons que ces personnages n'ont après tout que peu de points communs apparents, et même qu'ils s'opposent en de nombreux points. On note ainsi un changement radical dans l'apparence de Bob Dylan -montré par les différents personnages-, mais aussi dans sa manière de penser. Par exemple, la misogynie de Robbie Clark est en totale opposition avec l'androgynie de Jude Quinn -joué par l'actrice Cate Blanchett-. Ainsi, Todd Haynes brosse un portrait éclaté de Bob Dylan, ou plusieurs personnages radicalement différents s'opposent souvent, et rarement se complètent.

Cette multiplicité du personnage de Bob Dylan est renforcée par de nombreux autres procédés, parmi lesquels on peut notamment citer la tonalité de l'éclairage, voire l'usage du noir et blanc pour certaines séquences, ceci ayant encore une fois pour effet de montrer la multiplicité du caractère de l'artiste. En effet, l'imprégnation des ambiances est forte, et varie très nettement suivant les personnages. Par exemple, le jeune troubadour Woody Guthrie est quasi-systématiquement filmé dans un décor aux dominantes jaune et vert, plus rarement du brun : jaune des champs de maïs qui remplissent toutes les grandes plaine, vert du train qui marque le début du voyage du spectateur, mais qui n'est qu'un passage pour l'incarnation de Bob Dylan qu'il représente. Woody est filmé d'une manière toujours très dynamique, ou les travelling et panoramiques sont nombreux -par exemple le travelling au moment où il joue de la guitare avec deux autres afro-américains bien plus âgés de lui. Ce dynamisme renforce la jeunesse et la vivacité du jeune Woody plein de projets. A l'inverse, le poète Arthur Rimbaud est filmé en noir et blanc, avec un fort contraste, presque noir ou blanc. Ainsi, Arthur appartient déjà au passé. De même, l'extrême statisme des plans où il apparaît réfèrent probablement aux premiers films de l'histoire du cinéma, à l'époque où la technique ne permettait pas les travelling, voire les plans panoramiques. De plus, le décor blanc dans lequel se trouve Arthur fait penser à une vision onirique, ou du moins suggère une relative sagesse -à moins qu'il ne s'agisse de folie, le blanc représentant le blanc des murs d'hôpital, des salles d'internement. Nous voyons donc que le décor même inscrit Arthur Rimbaud dans une ambiguïté : existe-t-il vraiment ? Représente-t-il une forme de sagesse, contestataire certes, ou au contraire une forme de folie, ou voire même les deux, puisque ceux-ci font partie de l'esprit humain, comme l'affirme le proverbe « Tout sage a au moins une fois été fou. » ?

A ceci s'ajoute la spécificité de la bande son. En effet, celle-ci a pour particularité de ne pas avoir un interprète, mais plus d'une dizaine. Il n'y a pas non plus d'unité au niveau du style, puisqu'on y trouve aussi bien du blues ou de la folk que du rock, voire du hard rock. Ainsi, il apparaît très difficile de trouver des points communs entre le blues interprété par Woody Guthrie dans le film (Just Like Tom Thumb's Blues, Ramblinn' Jack Eliott) et le hard rock joué par Jude Quinn lors de son come back sous une forme bien moins engagée.

On notera que les paroles des chansons confortent les points de vue des personnages, ainsi que leurs ambitions. Par exemple, les chansons de Woody sont engagées, mais dépassées depuis de nombreuses années, tout comme l'engagement et d'une certaine manière la vie du jeune garçon : « Le petit ne sait donc pas que l'on est syndiqué depuis plus de trente ans ? » « Vis avec ton temps, petit. »

De plus, la multiplicité est évoquée par la présence de divers modes de narration ; ainsi se succèdent photos, images d'archives, documentaires, clips musicaux... Cette succession de structures narratives si différentes montre bien l'éclatement de la personnalité de Bob Dylan ; comme s'il ne laissait aucun média indifférent. Par exemple, l'usage de plans fixes extrêmement sobres, en noir et blanc pour filmer Arthur Rimbaud donne une prestance toute particulière à celui-ci, et le ramène au même niveau que les autres personnages. De ce fait, nous pouvons constater qu'à chaque personnage, chaque facette de la personnalité de Bob Dylan correspond un mode de narration. Comme nous l'avons évoqué, Arthur Rimbaud es filmé en plan fixe, où il occupe l'espace de manière centrale. Sa prestance et le fait qu'on ne le voie pas hors de cet univers uniformément blanc le posent presque en narrateur, il s'agit du prophète évoqué durant les premières minutes du film. De même, Jack Rollins n'apparait que par la vision que les médias ont de lui, à un tel point qu'on ne le voit jamais dans sa vie quotidienne, ou même parler. Par le biais d'interview, de photos, d'images d'archive et d'une voix off, les médias tentent de recréer une sorte de jack Rollins, mais qui apparaît indubitablement dépassé, comme si les médias ne pouvaient saisir le message délivré par Jack Rollins. Tant le choix des personnages témoignant -petite amie, producteur- que l'usage du passé montre la distanciation qu'il y a entre Jack Rollins et les médias. Ainsi, le Jack Rollins présenté n'est pas le vrai Jack Rollins, mais le Jack Rollins des médias ; celui qui fait les têtes d'affiches, la une des journaux, l'objet d'un film documentaire Grain of Sand. On notera à ce propos la mise en abyme multiple réalisée par ce film. En effet, Grain of Sand est un film dans le film. De plus, l'acteur incarnant Jack Rollins n'est pas Jack Rollins, mais Robbie Clark, un autre personnage du film. Ainsi, nous saisissons que l'usage de la structure documentaire/reportage permet de démultiplier encore a figure de Bob Dylan à-travers celle de Jack Rollins, lui-même perçu de différentes manières. Nous devons cependant noter que ceci est une vision qui écrase totalement la personnalité de Jack Rollins, à un point tel qu'on ne le voit qu'une fois s'exprimer en personne, mais cela reste lors d'une conférence de presse. La personnalité de Jude Quinn est caractérisée par la présence de manière récurrente de séquences sous forme de clips musicaux, les mouvements apparaissent comme chorégraphiés, l'espace scénique s'adapte en devenant parfois absurde -par exemple lors de la projection murale de l'araignée- et l'univers sonore se réduisant à une simple musique. Ceci a pour effet de montrer à quel point Jude Quinn a besoin de vivre sous les projecteurs. En effet, contrairement aux séquences montrant Jack Rollins, Jude Quinn est montré d'un point de vue moins distant qu'un reportage, ainsi, cela donne une vocation presque interne à la chorégraphie, comme si la musique et les mouvements étaient imaginés par Jude Quinn. Ceci laisse apparaître une opposition forte entre Jack Rollins et Jude Quinn. En effet, Jack Rollins est surmédiatisé, alors que le film tend à montrer qu'il l'est presque malgré lui. À l'inverse, Jude Quinn apparaît certes médiatisé, mais il n'est pas représenté à-travers un média dans le média - un documentaire dans le film- Le fait que les clips qui le montrent aient vocation à lui être internes, démontrent qu'il est obsédé par le regard de l'autre, par la scène, que tout chez lui est représentation, même lorsqu'il est dans les toilettes ou en conférence de presse. Ainsi, on peut affirmer que l'artiste le personnage le plus proche des médias est toutefois Jude Quinn, bien que les apparences soient trompeuses. Cette thèse est notamment étayée par le fait qu'on voie Jude Quinn en rapport presque constant avec les journalistes : en conférence de presse, en interview, il les croise même lors de ses déplacements. Ainsi, la simple structure du film, et l'usage de très divers mode de narration : clip, documentaire, photos, témoignages... démontrent qu'il existe bel et bien plusieurs facettes de la personnalité de Bob Dylan. De plus, l'attribution à un personnage d'un mode de narration met en valeur les contradictions et les oppositions qui peuvent exister entre les différents personnages. Au fil du film, nous nous rendons compte que Todd Haynes nous présente une vision extrêmement multiple et protéiforme du personnage de Bob Dylan. Ainsi, son identité traverse toutes les frontières : temporelles et spatiales, genres musicaux, âge des personnages... À un tel point que l'on peut s'interroger si l'artiste Bob Dylan n'est pas plus qu'un homme, mais un mythe sans cesse repris et adapté. À-travers ce film, Bob Dylan apparaît comme une influence majeure de presque trois générations, qui ne laisse personne indifférent, quelle que soit la période qu'il traverse. Todd Haynes brosse donc un portrait universel, presque mythifié de la personnalité de Bob Dylan.

Un personnage absent modifier

Le thème du film est la description de la vie de Bob Dylan, ambition affichée dès le sous-titre du film « Suppositions on a film concerning Dylan ». Ainsi, ce film est censé raconter un tant soit peu la vie, ou tout du moins l'œuvre de l'artiste en question. Or, on constate qu'à de nombreux titres, on constate que le personnage de Bob Dylan est absent du film.

Parmi tous les personnages censés représenter Bob Dylan -Woody Guthrie, Jack Rollins, Jude Quinn, Arthur Rimbaud, Billy the Kid et Robbie Clark- on constate tout d'abord que le nom de Bob Dylan n'en fait pas partie. De plus, on ne peut attribuer à aucun le nom de Bob Dylan sous l'argument d'une ressemblance physique ou morale particulièrement flagrante. Ainsi, aucun des personnages mis en scène par Todd Haynes ne représente explicitement Bob Dylan. C'est comme si le personnage de Bob Dylan, son nom, son identité s'étaient effacés derrière divers traits de sa personnalité, comme si la célébrité de Bob Dylan s'était effacée derrière son « être vrai », comme si sa consistance exceptionnelle et son parcours multiple était éclaté en de nombreux personnages plus « normaux ». Cet éclatement renforce ainsi l'insaisissabilité du personnage : sans cesse fugace, jamais fixé. Le montage renforce cet éclatement. Ainsi, lorsqu'on change de personnage -et donc de lieu et d'époque- c'est souvent lors d'un moment intense de l'existence de ce personnage, comme si tous les efforts pour déceler le « vrai » Bob Dylan était à chaque fois vains. On constate donc que la structure narrative imbriquée du film montre à quel point un Bob Dylan se dérobe à notre vue, sans cesse fuyant. On constate aussi une mise en abyme de cette fuite d'un vrai personnage, ou de son absence, puisqu'on ne peut qu'extrapoler sa présence : le jeune Woody Guthrie est sans cesse en fuite, en train, voiture ou à pied. De même, Billy the Kid apparaît comme déraciné, au passé incertain et au futur presque absent, comme s'il n'existait presque plus. Pour les personnages qui préfèrent la scène, ils sont souvent masqués par la lumière, ou derrière une musique, qui d'une certaine manière, ne représente que peu un quelconque Bob Dylan. Ainsi, on constate que le personnage de Bob Dylan est absent de l'image : il n'apparaît pas et on ne peut assimiler objectivement un personnage à lui. Cependant, il apparaît nécessaire d'analyser cette absence, ou tout du moins cette fuite. En effet, peut-on caractériser objectivement une personne ? Et dans le cas où cela s'avérerait possible, est-ce que le moyen le plus efficace d'envisager cette description est un « clone virtuel » du personnage ? On peut effectivement considérer qu'une description de la sorte serait trop manichéenne, trop tranchée, et ne laissant pas la place au « mythe Bob Dylan ». En effet, il est impossible de connaître totalement un personnage, fusse-t-il incommensurablement célèbre : il reste forcément une part d'indécis, d'imprévisible dans le personnage à représenter. C'est pour cela qu'une description sous la forme de portait chinois s'avère plus que pertinent : elle montre des aspects précis d'une personnalité, tout en laissant la part belle au doute. Ainsi, la multiplicité de Bob Dylan peut aussi se concevoir sous la forme de l'absence : il n'est jamais là où on l'attend. En effet, lorsqu'on va voir un film sur l'artiste Bob Dylan, ne s'attend-on pas à ce que le film l'évoque ? Là est la signification du titre du film : « I'm not there / Je ne suis pas là ».

Absent de l'image, Bob Dylan l'est aussi de la bande son, puisqu'on constate que sur le CD de la bande originale, quasiment aucune chanson n'est interprétée par Bob Dylan, et aucune n'évoque Bob Dylan. Peut-on pour autant prétendre que cette musique ne sert que d'accompagnement ? On peut facilement réfuter cette thèse par les quelques arguments qui suivent : tout d'abord, on constate que la musique a un rôle bien plus important que le simple rôle d'illustration, et quoi de plus normal pour un film concernant un chanteur prolifique ? Le volume de cette bande originale, la présence de paroles, ainsi que l'adéquation entre l'action et la musique permettent d'écarter définitivement cette hypothèse. En effet, lorsque Woody Guthrie ou Jude Quinn chantent les chansons en question, il apparaît impossible qu'il s'agisse d'une musique d'illustration. Ainsi, l'absence de Bob Dylan se traduit aussi par son absence dans la bande originale. D'aucuns pourraient répliquer la présence d'une chanson de Bob Dylan dans la bande originale -Il s'agit de la chanson I'm not there-, mais sa présence semble marginale au vu de la diversité des autres titres présents. De plus, le fait que cette chanson soit quasiment inédite renforce son caractère anodin.

Fort de ce constat, ne peut-on pas se demander où se situe la preuve effective de la présence de Bob Dylan, si ce n'est ni dans l'image, ni dans le son. En effet, au fur et à mesure de cette analyse, les preuves de la présence d'un quelconque Bob Dylan s'amenuisent, à un tel point qu'on peut raisonnablement se demander si ce film concerne réellement Bob Dylan.

Un soupçon d'apparition ? modifier

Les techniques utilisées dans I'm not there ainsi que la diversité des procédés rencontrés ne peut que nous interroger sur le point de convergence de celles-ci. Ainsi, dans un cas extrême, ne pourrait-on pas supposer que le sous-titre ainsi que toute la communication médiatique faite autour du film, affirmant qu'il s'agit d'un film sur l'artiste Bob Dylan, ne soit qu'un leurre. En effet, au vu de ce que nous avons déjà établi, le terme de biographie peut paraître impropre, voire complètement déplacé. Cependant, il apparaît qu'au delà de l'apparence déconstruite et multiple du film, on peut trouver de nombreux points de convergence aux personnages. Convergence qui mène, bien évidemment, à l'insaisissable Bob Dylan. Tout d'abord, nous constatons que les divers personnages décrits dans I'm not there présentent de fortes ressemblances, comme si au final, leurs différences apparentes n'étaient qu'accessoires. En effet, on se rend compte que de nombreux thèmes sont communs aux personnages : par exemple, on constate une forte récurrence du thème du voyage : les personnages sont sans cesse en mouvement, on les voit dans divers moyens de transport -train, voiture, cheval...- On peut voir cette volonté de ne pas fixer géographiquement les personnages comme une manière de montrer que leur mentalité n'est pas figée, loin de là. Ainsi, nous pouvons voir dans la première séquence Jude Quinn démarrer une moto, et traverser tout l'écran sur celle-ci, de gauche à droite, dans le sens de la lecture, comme si le voyage spatial était aussi un voyage dans les pensées du personnage. Ainsi, les personnages ne sont pas figés, la présence assez fréquemment de plans les montrant dans un moyen de transport montre que la mentalité des personnages évolue sans cesse. Un autre point commun est sans doute le décalage entre le personnage et son époque : Woody Guthrie chante pour l'indépendance des travailleurs, il se voit répliquer « Le petit ne sait donc pas qu'on est en 1959, et qu'on est syndiqués depuis plus de 20 ans ». De même, le chanteur Jude Quinn revendique son déphasage par rapport à la société par exemple en répondant à côté aux questions des journalistes : « Journaliste :Voulez-vous changer les gens ? Le monde ? - Jude Quinn : On a pas tous la même conception de gens et de monde » ou encore « Un mot pour nos auditeurs. - Jude Quinn : Astronaute. » Globalement, on constate que les personnages ont acquis un certain détachement par rapport à leur besoins immédiats, et ont une conception plus philosophique de la vie, ceci étant aidé par leur riche passé. Cette convergence des personnages est accentuée par le montage, ainsi, à plusieurs reprises, l'image et le son des plans montrant les différents protagonistes s'entremêlent, par le jeu des regards, du son... Par exemple, il est fréquent d'entendre une musique en réel contraste avec l'image, avant de se rendre compte dans la séquence suivante qu'elle ne faisait qu'annoncer un événement. Parallèlement, la musique fait le lien entre les époques, les personnages. Ainsi, on peut affirmer que la musique sert de liant à tous les protagonistes. On notera aussi l'importance du jeu des regards, quand par exemple Billy the Kid regarde vers le fond d'une vallée : après un zoom caméra démontrant l'importance du lieu qu'il regarde, une série de flash très rapides accompagnés de sons de guerre semblent nous dire qu'une bataille s'est déroulée à cet endroit précis. Cependant, alors que la puissance et la fréquence des flash augmente, on retrouve Claire, la petite amie de Robbie Clark, regardant les images de la guerre du Vietnam à la télévision. Ainsi, en plus de faire sens dans une séquence, ces flash prennent un tout autre sens dans le contexte global du film : les émotions ressenties par Claire, son dégout est si intense qu'il déborde littéralement dans les séquences adjacentes, comme impossible à contenir. Cela préfigure aussi une unité du personnage : si Billy the Kid voit ces flash, c'est parce que cette anticipation -il vit à l'époque de la conquête de l'Ouest- le concerne aussi. Après avoir montré qu'une convergence forte existait entre des personnages qui semblaient à première vue indépendants, il convient de définir ce point de convergence, pour enfin montrer qu'il s'agit effectivement de la personne de Bob Dylan. On constate en effet que de nombreux éléments nous permettent de faire le lien avec le personnage de Bob Dylan, à commencer par le lien évident avec la musique : Woody Guthrie veut être chanteur, Jack Rollins est chanteur, Robbie Clark interprète le personnage de Jack Rollins... Plus largement, un rapport fort à l'art est présent tout au long du film : Inutile de citer le personnage d'Arthur Rimbaud, artistique simplement par son nom, affirmant « Je est un autre. », de même Jude Quinn, est entouré par de nombreuses personnalités du milieu artistique, comme par exemple les Beatles. Plus subtilement, Robbie Clark est fiancé à une artiste-peintre : Claire. On constate aussi que de nombreux artistes, contemporains ou non de Bob Dylan, sont cités, comme si on décrivait Bob Dylan par ses connaissances, ses références. Par exemple, le nom de Woodie Guthrie fait référence au chanteur folk, précurseur de Bob Dylan par son engagement. Jack Rollins a été le producteur de l'excentrique Woody Allen, Billy the Kid est un célèbre hors-la-loi des années 1880... Ainsi, on se rend compte que le choix des noms des personnages n'est certainement pas anodin : ils ont pour vocation de cerner quelqu'un. De plus, on notera l'évocation de diverses personnalités telles que Ronald Reagan ou encore le scénariste et réalisateur Norman Mailer ou encore William Shakespeare. Ces personnages, tout en étant très différents sont des personnages qui ont à la fois profondément marqué leur époque et su rester célèbres après leur décès. Ainsi, tous ces personnages convergent vers une personne, probablement artiste, qui a su marquer son époque. À ce stade de l'analyse, la convergence des personnages est évidente, mais la personnalité de Bob Dylan n'est véritablement établie que par la bande son. En effet, bien que nous ayons affirmé qu'elle n'était pas directement en lien avec Bob Dylan, on se rend compte que de très nombreuses pistes sont des reprises de chansons de Bob Dylan. Ainsi, le rapprochement avec l'artiste Bob Dylan est plus évident. Ainsi, on constate que malgré une apparente absence tout au long du film, le personnage de Bob Dylan est présent dans tout le film en trame de fond, que ce soit par la musique que par les références culturelles ou encore l'actualité, qui correspond aux engagement de Bob Dylan. Au final, on constate que la représentation qui est faite de Bob Dylan est ambiguë, difficile à cerner. C'est pourquoi nous sommes en droit de nous demander si Bob Dylan est réellement présent par la présence physique de divers personnages, ou si le Bob Dylan représenté n'est pas idéalisé. Ainsi, on peut se demander si l'apparition de Bob Dylan la plus claire n'est pas celle de son engagement. Ainsi, c'est tout le contexte des personnages qui définirait une ambiance, un esprit, une évocation de Bob Dylan. Bob Dylan apparaitrait alors à-travers son engagement, universel et éternel, et non pas à-travers son corps mortel. En effet, comment expliquer que le film soit si fortement contextualisé, si ce n'est pour définir un personnage. En effet, de nombreux éléments dans le décor permettent de caractériser l'artiste. On notera particulièrement l'engagement politique de Dylan avec la mention sur la guitare de Woody « This guitarre kills fascists », ou encore par l'apparition récurrente de Ronald Reagan. L'engagement littéraire de Dylan est symbolisé par la personne d'Arthur Rimbaud, ou encore l'évocation de Shakespeare. Bob Dylan apparaît aussi dans sa période « born-again » en fervent catholique, chantant dans des églises des chansons à la gloire de Dieu et de Jésus... Pour finir, nous devons noter que Bob Dylan fait une courte apparition à la fin du film, jouant paisiblement de l'harmonica. De même, la seule chanson de la bande originale interprétée par Bob Dylan s'intitule I'm not there, comme si cela voulait nous signifier que tout ce film n'était que mascarade et exagération, et que tous ceux qui pensaient avoir enfin retrouvé Bob Dylan dans ce film avaient tort. En effet, Bob Dylan apparaît au final comme un homme paisible, passionné par sa musique...

« Poète, prophète, hors-la-loi, imposteur, star de l'électricité » Ainsi est défini Dylan lors des premières secondes du film, un peu avant que ne commence l'autopsie d'un Dylan, et ce retour vers le vrai Dylan. Dans I'm not there, Bob Dylan apparaît éclaté en six personnages, très différents, mais chacun représentant une facette de sa personnalité : il semble impossible de raconter l'existence de Dylan à-travers un seul personnage, une seule époque, un seul type de narration. Véritable portrait chinois, le film tente de nous faire découvrir l'incroyable multiplicité du personnage de Bob Dylan. Cette multiplicité du personnage de Bob Dylan est entre autre marquée par l'absence quasi-totale de l'artiste du film : son nom n'est jamais prononcé et ce n'est pas sa musique qu'on joue Une telle diversité est cependant rapidement balayée par les nombreux liens et points de convergence présents tout au long du film, nous assurant avec force que c'est bien Bob Dylan que nous découvrons. Ainsi, de nombreux éléments nous montrent que Bob Dylan existe avant tout par son engagement et par ses textes avant d'être un corps charnel. Ceci contribue à l'érection d'un Bob Dylan tellement protéiforme qu'il transcende sa condition de mortel pour devenir, incontestablement, « un Mythe repris ».