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[ARTICLE SUR VENISE SAUVÉE DE SIMONE WEIL]
BROUILLONS
« Une cité parfaite en passe d'être entraînée dans le terrible rêve de la force : un homme attentif qui, soudainement, la voit et la sauve. »
« Venise sauvée, l'une des très rares œuvres littéraires de Simone Weil, montre la vie humaine prise dans un combat effrayant entre la force et l'attention pure qui peut la sauver. »
« Basée sur le récit historique de la Conjuration des Espagnols contre la République de Venise en l'année 1618 de l'abbé de Saint-Réal, qui avait déjà inspiré le dramaturge anglais Thomas Otway, ainsi que Goethe et Hoffmannsthal, cette pièce inachevée est toute imprégnée de la philosophie de l'auteure. » (Quatrième Rivages)
« L'intérêt de cette œuvre est multiple. On peut d'abord souligner le caractère singulier de la nature même de ce texte : il s'agit de l'une des seules œuvres d'ampleur de type « littéraire » dont nous disposons de la main de Simone Weil. Une lecture informée de la pièce met par ailleurs en évidence la façon dont le texte dramaturgique est imprégné de part en part par la philosophie weilienne, dont il constitue un mode d'exposition original. Les notes de rédaction de l'auteure confirment abondamment cette imprégnation philosophique du projet littéraire. Il n'est pas superflu de souligner, à ce propos, que sa rédaction fut contemporaine de celle de son traité politico-philosophique bien connu sous le nom de L'Enracinement. On constate aussi que de nombreux thèmes se recoupent entre ces deux textes, et l'on pourrait dire que, s'ils sont tous deux composés dans des genres absolument différents, ils sont néanmoins élaborés autour d'un seul et même nouage problématique. Celui-ci, qui obséda tant Simone Weil dans son œuvre, se situe au point de la tension déchirante, en l'homme, entre le règne de la nécessité — qui est la loi du monde des hommes et de la nature, comme la gravité est celle de l'ordre physique – et une inextinguible aspiration à son dépassement vers une transcendance — qu'elle nomme aussi le surnaturel, ou l'Amour, ou simplement le Bien. » (Léo Texier)
« Simone Weil, dans cette ébauche assez poussée de tragédie, n'a pas, semble-t-il, désiré donner une adaptation de la célèbre pièce d'Otway, Venise sauvée. Elle-même résume son ouvrage en quelques mots. «C'est, dit-elle, la conjuration des Espagnols contre Venise en 1618, racontée par l'abbé de Saint Réal.» On y retrouve toutefois les deux personnages centraux d'Otway : Pierre et Jaffier, qu'unissent une amitié si profonde que Pierre n'hésite pas à affirmer : «Jaffier est plus que moi-même.» C'est en 1940 que Simone Weil commença d'écrire cette Venise sauvée. Ce projet lui tenait à cœur ; ses confidences et plusieurs cahiers de brouillons en témoignent. (On a pu réunir, par exemple, une cinquantaine de versions du grand monologue de Jaffier.) Pour éclairer ses intentions et compléter dans la mesure du possible le texte de cette tragédie restée inachevée, nous publions en préface les notes éparses dans les cahiers de Simone Weil et qui se réfèrent à Venise sauvée. C'est du reste sur sa demande que ces notes furent réunies et lui furent envoyées à Londres en même temps qu'une copie du texte de la tragédie. L'intention de Simone Weil était à ce moment d'achever Venise sauvée. La mort seule l'en empêcha. » (Quatrième de la première édition de 1955, 156 p., tirages restreints)
« Ce recueil, préfacé par une lettre de Paul Valéry, comprend une dizaine de poèmes inédits de Simone Weil. D'inspiration philosophique, classiques dans leur forme, ils révèlent le talent précoce de l'auteur. On y trouve un poème de circonstance, composé au lycée pour la Saint-Charlemagne, et un conte écrit à l'âge de onze ans. Venise sauvée est une tragédie que Simone Weil commence à écrire en 1940. La mort l'empêche de l'achever. Elle avait ainsi résumé cette pièce : «C'est la conjuration des Espagnols contre Venise en 1618, racontée par l'abbé de Saint-Réal.» Pour éclairer ses intentions et compléter ce texte resté inachevé, nous publions en préface les notes éparses dans les cahiers de Simone Weil. Ce texte avait déjà été publié en 1955 dans La Nouvelle Revue française. » (Quatrième l'édition de 1968)
La seule pièce de la philosophe française Simone Weil, Venise sauvée, a été écrite et réécrite à différents moments d'un exil qui a commencé avec l'occupation nazie de Paris, en juin 1940, et s'est achevé, avec la pièce inachevée, à la mort de Weil, à Londres, en août 1943. Avec ses parents, Weil, juive, avait fui Paris, sa ville natale, pour le sud. Lorsqu'elle a commencé Venise sauvée, elle était "tordue de rage "1, étendue sur un sac de couchage dans la cuisine d'un petit appartement loué à Vichy, avec une jambe blessée qui ne voulait pas guérir.
Venise sauvée, que Weil qualifie de "grand oratorio tragique sur la perte de la réalité", s'inspire d'un événement survenu en 1618, lorsqu'une poignée de mercenaires a conspiré pour renverser la ville de Venise et la placer sous la domination espagnole. C'est un lieu commun critique que de reconnaître dans l'intrigue de Weil une allégorie de la France et de l'Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.Pour parler de la consommation de l'Europe par Hitler, Weil a utilisé une histoire du XVIIe siècle ; de la même manière, la production de Venise sauvée par Ronconi était une façon de parler du présent - du monde d'aujourd'hui en général, et aussi de Turin, qui était alors sa ville natale, une ville de construction automobile qui connaît aujourd'hui le même genre de problèmes que Détroit dans les années soixante-dix. "Le plus grand malheur qui puisse arriver aux hommes", écrit Weil dans son "L'Iliade poema della forza" en évoquant le siège de Troie, "c'est la destruction d'une ville".
Dans Venise sauvée s'affrontent d'une part Venise, le passé, la beauté, la civilisation, et d'autre part les conspirateurs, "les hommes d'action et d'aventure, les rêveurs [qui] préfèrent le rêve à la réalité. Mais par les armes, ils forcent les autres à rêver leurs rêves. Le vainqueur vit son rêve. Le vaincu vit le rêve des autres". Les termes dichotomiques de ce conflit sont rompus lorsque le chef des intrigants, Jaffier, éprouve de la pitié pour Venise "qui ne sait rien" : "Quelques heures encore et la ville sera morte:/Pierres, désert, corps sans vie éparpillés,/et les survivants, eux aussi des cadavres./Muets et stupéfaits, ils ne sauront qu'obéir./Toutes les créatures aimées souillées et tuées,/chacun se hâtera de se conformer à ce qu'il déteste." Pour sauver la ville, Jaffier trahit le complot, ses camarades et lui-même. La pièce est une réflexion angoissée sur le pouvoir et la mort de la conscience individuelle. Weil établit également une corrélation entre la "beauté" - en l'occurrence, Venise, ce précieux distillat de temps et de génie humain - et le moi humain.
Pourtant, Venise, la sérénissime, locus mirabilis de la nature et de l'art, est régie par les lois impitoyables et rigides de la politique. Bien que le Conseil des Dix, l'organe directeur de la ville, ait promis à Jaffier de l'épargner, lui et ses co-conspirateurs, en échange d'informations, il les emprisonne et les exécute. Du point de vue politique, l'ingénu Jaffier, héros très humain, amoureux de la vie quotidienne au point de faire passer le salut de la ville avant sa loyauté envers ses camarades, ne peut être considéré que comme un lâche (incapable d'accomplir l'action à laquelle il s'est engagé) ou un traître (trahissant ses amis). En fait, comme le soulignent Weil et Ronconi, la logique de la guerre ne permet tout simplement pas les demi-mesures, les remises en question ou les incertitudes. Et pourtant, nous savons que c'est la condition moderne de douter, d'admettre la faillibilité, d'arbitrer plutôt que d'affronter, de ne pas croire à l'innocence.
Venise sauvée est une œuvre densément argumentée. En partie en vers, en partie en prose, elle est aussi inachevée - dans le manuscrit, les marges sont encombrées de notes et de commentaires que Weil n'a pas eu le temps de transformer en texte, mais qui renvoient à une complétude embryonnaire. La mise en scène de la pièce était complexe : "J'étais intéressé", a déclaré Ronconi, "par le fait de voir si Venise était sauvée de la mort". La mise en scène de la pièce était complexe : "J'étais intéressé", a déclaré Ronconi, "par le fait de voir si Venise sauvée est aussi dramaturgiquement incomplète qu'elle le semble graphiquement". Sa solution pratique a consisté à mettre en scène tout ce que Weil a écrit, jusqu'à ses notes manuscrites, ses mémos et ses remarques squelettiques. Dans la version de Ronconi, certaines de ces notes sont devenues cruciales simplement en tant que notes : le public était confronté à la fois au texte et au "paratexte", et devait utiliser ces informations supplémentaires - parfois obscures, parfois rudimentaires - pour traverser les parties de la pièce où le langage de Weil est approximatif ou incomplet.