Utilisateur:Saint-Edgar/compte rendu

Compte rendu

modifier

Animal raté

modifier

Dans le Mythe de l'homme derrière la technique, conférence prononcée en 1951, José Ortega Y Gasset parle de l'humain comme technicien, la technique étant l'un de ses traits essentiels. En fait, OYG pose le constat suivant : que l'humain ne fait pas partie de ce monde spontané et originel, non, il n'y appartient pas. En fait, il est une anomalie : « L'homme nous apparaît comme un animal raté, dans la mesure où il est homme. Par conséquent, il n'est pas adapté au monde, par conséquent il n'appartient pas au monde, par conséquent il a besoin d'un monde nouveau.[1] » Pour l'humain, la technique est « un gigantesque appareil orthopédique »[1].

La technique se retrouve dès lors constitutive de toute ontologie : l'humain est technique. Au-delà d'être fragilement à la balance des considérations post-humaines et transhumaines qui ont lieu en ce moment, cette idée ramène la nécessité de penser intrinsèquement le devenir humain en tant que technique, non pas comme aliénation entamant notre « pure » présence au monde, mais comme processus rhizomique et incessant qui nous déplace : le discours téléologique ne supporte pas cette idée. Nous pourrions même ajouter que mettre sur le même plan d'immanence technique et humain renvoie à la nécessité de repenser nos relations avec celle-ci, avec notre espace, avec le non-humain ㅡ en d'autres termes, de dés-anthropomorphiser et de décentraliser notre rapport au monde et au savoir car, entre autres choses, le sujet est médiation. Marc Boucher l'exprime éloquemment, cité par Peppe Cavallari dans son article Le Phonopostale et les sonorines : un échec riche d’idées : « Dans la mesure où le sujet est construit, donc lui-même fruit de médiations, il n’y aurait pas une forme originelle de la présence et on ne pourrait pas en avoir une connaissance en termes d’absolu et d’universel.[2]»

Hyperanimal

modifier

Pourquoi discuter de ces quelques considérations? Mon expérience en tant que contributeur sur Wikipédia, dirais-je, est intimement liée à cette idée : plutôt que de subir le texte, je conçois plutôt une mutation étrange et évolutive où le texte est hôte et l'animal-humain virus, et vice-versa : l'animal-humain est hôte et le texte virus ㅡ il y a un dialogue qui s'amorce où la production du sens n'est plus strictement humaine. Cette nature dialogique est inhérente au geste wikipédien : l'échange fonde l'accord implicite d'une telle entreprise et, à bien des égards, son succès. La décentralisation du savoir promulguée par Wikipédia, qui accélère son processus et sa mise en valeur, permet, non pas de jeter des millénaires de savoir, d'encadrement dudit savoir aux ordures, mais plutôt de le délester d'un poids institutionnel qui l'engonce malheureusement trop souvent. Dans un contexte où l'apport au savoir est validé par les pairs, à travers la discussion, l'échange se multiplie, se fructifie, engendrant ainsi une constante évolution de l'encadrement du dialogue et des balises que nous désirons suivre, nous, contributrices et contributeurs, ce qui permet, en boucle, de générer et de mieux gérer le flux wikipédien. L'hyperanimal que je suis laisse des traces, et des traces; elles se muent; d'autres repassent... au final, des passages se forment dans la matière. L'origine s'efface, mais un résultat pour toujours en changement s'y trouve, se lit et s'écrit.

Je est tous

modifier

Se trouver quelque part parmi ces changements, y participer, vorace et allègre, est enthousiasmant à tout le moins ㅡ prendre à bras-le-corps le processus de réception du savoir, de devenir intercesseur pour toute sorte de sujet sont des considérations enivrantes. Il y a un déplacement de la subjectivité qui amène à persévérer là où la matière le veut bien, là où un dialogue peut advenir. Les utilisateurs ㅡ leur unité ㅡ s'effacent pour ouvrir la possibilité de se concentrer collectivement à penser : le mouvement de la pensée est avant tout collectif et nous traverse.

Wikipédia nous le démontre bien.

  1. a et b José Ortega Y Gasset, Le Mythe de l'homme derrière la technique, Allia, , 69 p. (ISBN 9791030400687), p. 24-25
  2. Peppe Cavallari, « Le Phonopostale et les sonorines : un échec riche d’idées », Cahier Louis-Lumière ; no 10,‎ (lire en ligne, consulté le )