Utilisateur:Siroperablepur/Le Collectif féministe international
Le Collectif féministe international (CFI) est un réseau de groupes féministes installés dans certains pays de l’hémisphère nord qui s’identifient à l’analyse politique du salaire au travail ménager1 et qui ensemble, luttent pour faire valoir cette stratégie.
Contexte et émergence du mouvement
Le Collectif féministe international a été fondé en 1972 dans l’Italie du Nord, par un groupe de féministes issues de différents pays comme l’Angleterre, les États-Unis ou encore la France.2 Certaines de ces militantes adhéraient à la mouvance marxiste hétérodoxe d’Angleterre, des États-Unis et de France.
Possédant une perspective politique et critique sur le travail ménager et son impact sur les femmes, ces groupes réunissent des femmes blanches hétérosexuelles, mais aussi des lesbiennes, des femmes racisées, des assistées sociales, des serveuses, des infirmières et des mères.3 Ce collectif a, dès son apparition, permis d’obtenir une définition plus élargie du travail ménager, en combinant les services physiques, émotionnels et sexuels; c’est-à-dire un travail productif de reproduction sociale.4,5
Plusieurs conférences internationales (à New York, Montréal, Londres, Toronto et Chicago) sont tenues pendant 5 ans, de 1972 à 1977, et des documents traduits en plusieurs langues sont échangés. Ces derniers ont servi d’outil de formation politique et d’information. Le but des conférences était de sensibiliser la société et les institutions à la valeur productive du travail domestique6.
Histoire et faits marquants — Chronologie
Juillet 1972 — Padoue, Italie : réunion d’une vingtaine de militantes d’Italie, d’Angleterre, des États-Unis et de France, pendant deux jours. Ce mouvement se voulant transnational, il se propose comme objectif principal d’engager un processus de mobilisation féministe sur la scène internationale à partir d’une perspective commune7. À l’origine de ce projet se trouvent Mariarosa Dalla Costa, sociologue et écrivaine et Silvia Federici. Ces deux féministes ont pour objectif de promouvoir le débat et l’action politique qui s’articulent autour du travail domestique.
Elles publient, en italien sous la forme de tract et en anglais dans le journal Power of Women du groupe éponyme londonien œuvrant également pour la question du salaire au travail ménager, l’International Feminist Collective, un manifeste jetant les bases du futur réseau international du salaire au travail ménager8 : ce texte constituera la naissance du Collectif féministe international.
Les signataires de ce manifeste étaient, pour l’Italie, Mariarosa Dalla Costa, du collectif Lotta Femminile; pour l’Angleterre, Selma James du Notting Hill Group of the London Women’s Liberation Workshop et militante anticoloniale; pour les États-Unis, Silvia Federici, Italienne récemment immigré aux États-Unis et appartenant au Women’s Bail Fund de New York; et pour la France, Brigitte Galtier9, militante parisienne se réclamant de l’autonomie ouvrière, du groupe mixte Matériaux pour l’intervention10.
En se réunissant, elles affirment la nécessité de l’autonomie des femmes et rejettent tout assujettissement du féminisme à la lutte des classes11. Les militantes s’identifiant comme féministes marxistes redéfinissent la notion de classe, en se basant sur la coexistence et la subordination de personnes salariées et non-salariées. Cette redéfinition permet d’ouvrir aux femmes une nouvelle aire de lutte dans l’univers du travail, mais aussi dans celui du foyer.
1973 — Montréal, Québec : Mariarosa Dalla Costa et Selma James, en visite en Amérique du Nord pour mettre en place la stratégie du travail ménager rémunéré12, 13, déclarent que la revendication d’un salaire au travail ménager n’est pas seulement une demande partielle et réformiste : celle-ci remet en cause toute l’organisation capitaliste du travail et toute la structure familiale traditionnelle.
1975 — Silvia Federici, théoricienne et militante autonomiste et féministe, insiste dans sa brochure intitulée Wages against Housework sur le fait que l’oppression des femmes par le travail ménager est en fait une exploitation économique et sociale, imposée en raison du genre uniquement. Elle fait valoir que la socialisation des femmes en tant que mères bienveillantes et partenaires dévoués est une fraude au nom de l’amour et du mariage.14 Elle soutient que d’exiger un salaire au travail ménager est la première étape de ce processus — niant que le travail ménager est une forme d’affection15 et exposant le lien entre le travail ménager et l’exploitation.
1977 — Une cinquième conférence du Collectif féministe international se tient à Chicago au milieu d’avril 1977. L’existence de ce réseau tire toutefois à sa fin, comme en témoigne la disparition de son nom dans les documents à partir de 197816. D’autres noms apparaissent, se rassemblant autour de l’étiquette International Wages for Housework Campaign, sous le nom duquel le CFI semble poursuivre sa lutte, constitué d’autres groupes provenant des États-Unis, d’Angleterre, du Canada, etc.17
Actions et réalisations du CFI
Le Collectif féministe international a joué un rôle dans la consolidation du mouvement féministe mondial en mettant en lumière les problèmes auxquels les femmes étaient confrontées à l’échelle internationale et jetant les bases de la coopération internationale pour les droits des femmes.
Pendant ces cinq années d’activités, le CFI a créé des groupes de salaires au travail domestique dans plusieurs villes du monde : tout d’abord en Italie, puis aux États-Unis, en Europe (Angleterre, Allemagne, France, Suisse) et s’est ouvert au Canada et au Mexique.
Plusieurs publications proviennent des efforts du CFI, entre autres, Le pouvoir des femmes et la subversion sociale, (1972), et Women in Struggle (1975).
Même si le salaire au travail ménager reste le premier combat du CFI, ce dernier agit également sur le travail extérieur avec le cas de la prostitution, considérant que la criminalisation de la prostitution est la réponse violente de l’État18.
Les exemples qui suivent permettent d’illustrer diverses mises en œuvre pouvant découler des luttes du CFI :
- En Espagne, un homme a dû payer son ex-épouse pour du travail domestique non rémunéré19
- Le travail domestique rémunéré est mis en perspective avec la question de l’immigration et les études de genre en Argentine20
- Dans certaines parties de l’Inde, des programmes de travail rémunéré, comme le programme Mahatma Gandhi National Rural Employment Guarantee Act (MGNREGA), ont permis à des femmes de travailler sur des projets de développement local, y compris des tâches domestiques communautaires, en échange d’un salaire minimum.21
- Aux Pays-Bas, un couple a mis à l’essai le salaire versé pour le travail ménager et a publié un compte-rendu de l’expérience.
- Un Portugais devra verser 60 782 euros à son ex-conjointe, en compensation du travail domestique qu’elle a effectué, seule, pendant près de trente ans de vie commune.
Mouvements antiféministes en lien avec le salaire au travail ménager
Des points de vue différents s’opposent en lien avec le CFI. Certaines réactions sont en défaveur de ce mouvement féministe et s’inscrivent dans le courant de l’antiféminisme d’État. Ce dernier souhaite ralentir, arrêter ou faire reculer les mobilisations du mouvement féministe. Ce sont principalement des hommes, voulant conserver leurs privilèges et pouvoirs et donc protéger le patriarcat, en ne désirant pas que le travail ménager soit rémunéré22.
L’antiféminisme est un contre-mouvement et une résistance qui a pour but de s’opposer aux revendications, aux actions et aux acquis, voire même à l’existence du mouvement féministe.
La courte existence du CFI n’a pas permis d’explorer à son maximum le potentiel de sa lutte pour un salaire au travail ménager23. Cependant, on peut noter, au niveau national comme international, que cette revendication de rémunération du travail domestique a donné lieu à des propositions diverses et des débats contradictoires entre les différents mouvements féministes24, sans compter les oppositions provenant de groupes ou d'individus antiféministes.
Aux côtés du CFI se développent d’autres organisations, comme Wages for housework, laquelle défend un salaire au travail ménager payé par l’État. Mais au sein même de ce collectif, les avis sont divergents : certaines féministes affirment que cette rémunération doit être versée par les hommes, tandis que d’autres s’y opposent et soutiennent que le salaire doit être payé par l’État25.
À l’exception des différents collectifs créés, des oppositions importantes sont également présentes entre les multiples courants féministes aux perspectives d’émancipations opposées : certains courants désirent développer une stratégie anticapitaliste visant à faire payer au capital le travail de reproduction qu’il s’appropriait gratuitement, tandis que d’autres préféreront se tourner vers une stratégie antipatriarcale consistant à faire payer les hommes qui ne voudraient pas faire leur part, plutôt que ce soit la société qui paie. Malgré tout, peu importe la stratégie choisie, cela reste toujours une stratégie féministe26.
Le chapitre Domestic Labor Debate provenant du livre Care, Gender, and Justice, qui reflète la position des militantes féministes dans les années 1970-1980, permet de démontrer que le sujet sur la rémunération du travail domestique a suscité de vifs débats, car il consiste en une tentative collective et controversée de proposer une analyse matérialiste du travail non rémunéré des femmes, et parce qu’il montre la difficulté de développer une analyse féministe de la condition des femmes dans un cadre théorique biaisé par les hommes prônant la non-rémunération du travail domestique.
Avant l’apparition du Collectif féministe international, la rémunération du travail domestique n’apparaît pas au centre des différentes propositions féministes défendues malgré des points de vue et stratégies différentes. Le CFI a donc permis d’évoluer dans ce combat-ci et ainsi créer un véritable héritage transgénérationnel, transsectoriel et transnational. 27,28
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