Wikipédia:Lumière sur/Mariage dans les romans de Jane Austen

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Trois mariages concluent Emma : Jane Fairfax et Frank Churchill, Emma Woodhouse et Mr Knightley, Harriet Smith et Robert Martin (Chris Hammond, 1898).
Trois mariages concluent Emma : Jane Fairfax et Frank Churchill, Emma Woodhouse et Mr Knightley, Harriet Smith et Robert Martin (Chris Hammond, 1898).

Le mariage dans les romans de Jane Austen est un thème majeur de son œuvre, notamment dans le roman, Orgueil et Préjugés. Présentant une vision critique des mariages de convenance, pourtant la norme à son époque, et même satirique des mariages d'argent, elle offre à ses personnages principaux un mariage d'amour, conclusion habituelle des contes, des romans sentimentaux du XVIIIe siècle et des comédies de mœurs. Mais chez elle l'amour est « raisonnable », estime plus que passion amoureuse, et, s'il passe toujours avant l'argent, sentiments et situation financière s'équilibrent harmonieusement.

En développant ce thème, Jane Austen reste ancrée dans la réalité de son temps et participe à sa manière aux vifs débats que suscite alors le sujet tant chez les écrivains conservateurs, comme Hannah More, Jane West, Hugh Blair ou James Fordyce, que chez les tenants de l'émancipation féminine, comme Mary Hays ou Mary Wollstonecraft. Dans la société georgienne, socialement figée, la femme a une situation précaire : non reconnue comme sujet indépendant par le droit coutumier, elle est généralement soumise à une autorité masculine (père, frère, mari), et financièrement dépendante d'elle. À moins d'avoir une position élevée et une fortune personnelle conséquente, elle est socialement dévalorisée quand elle reste fille, le statut de femme mariée étant toujours supérieur à celui de célibataire. Elle peut être légalement lésée, le patrimoine étant pratiquement toujours transmis à un héritier mâle. Pour la plupart, un « bon » mariage est donc la seule manière d'obtenir ou de garder une place honorable dans la société et d'être à l'abri de difficultés financières. Aussi les jeunes filles sont-elles incitées à « chasser le mari » en se faisant valoir sur le « marché du mariage » par leur beauté et leurs accomplishments, mais à se montrer prudentes sur le statut et l'assise financière de l'homme qui demandera leur main.

Sans aller jusqu'à critiquer ouvertement la situation injuste faite aux femmes, Jane Austen développe donc une philosophie personnelle du « bon » mariage et des conditions qui le permettent. Observatrice attentive de son époque, et elle-même dans la situation financière médiocre (penniless) de la plupart de ses héroïnes, elle offre au lecteur un miroir des comportements de sa classe sociale en mettant en scène de nombreux personnages secondaires mariés dont l'union est jugée d'un point de vue féminin, comme si elle avait voulu présenter tous les cas de figure qui s'offrent à une jeune fille en âge de se marier et les hiérarchiser : les mariages fondés uniquement sur la passion amoureuse n'y sont pas heureux, ceux de convenance, surtout lorsqu'ils ne sont fondés que sur des considérations mercantiles, ne sont pas beaucoup plus satisfaisants. Elle réfute aussi deux idées reçues sur l'amour dans la littérature romanesque : l'idéal du coup de foudre et l'impossibilité d'aimer plusieurs fois. Au fur et à mesure que se développe l'intrigue, l'héroïne s'engage dans la démarche vers ce qui sera pour elle, au dénouement, le mariage idéal : une union fondée sur l'affection et le respect mutuels, un attachement profond mais rationnel, sentimentalement et intellectuellement équilibré mais économiquement viable, avec un homme qui présente avec elle une affinité de pensées et de goûts, et qu'elle aura eu le temps d'apprendre à connaître et à apprécier, indépendamment de leur origine sociale et de leur situation financière.