Affaire des Mistral

Affaire des Mistral
Mistral Sébastopol et Vladivostok, bassin de Penhoët, Saint-nazaire, 15 mai 2015
Mistral Sébastopol et Vladivostok à Saint-Nazaire, le 15 mai 2015.

Date De 2011 à 2016
Lieu Paris, Moscou, Saint-Nazaire, Saint-Pétersbourg, Le Caire
Cause Annexion de la Crimée, destruction du vol Malaysia Airlines MH17, guerre du Donbass
Résultat Les Porte-hélicoptères amphibies précédemment appelés Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) Vladivostok et Sébastopol de la Classe Mistral, construits pour la Russie, à Saint-Nazaire, et partiellement à Saint-Pétersbourg, sont finalement vendus à l'Égypte sous les noms de Gamal Abdel Nasser et d'Anouar el Sadate.
Chronologie
Signature d'un contrat par la France et la Russie concernant la fourniture par la France de deux navires Mistral pour un montant de 1,7 milliard de dollars. Livraisons prévues: octobre 2014 et octobre 2015.
Mise à flot du BPC Vladivostok
Annexion de la Crimée par la Russie
Début de la guerre du Donbass
Arrivée de 400 marins russes à Saint-Nazaire pour se former à la conduite des Mistral.
Destruction du vol Malaysia Airlines 17 par un missile BUK au-dessus de Louhansk (Ukraine orientale)
à Bataille d'Ilovaïsk
Suspension de la livraison du BPC Vladivostok
Mise à flot en catimini du BPC Sébastopol
Départ des marins russes sans Mistral
Accord entre Paris et Moscou sur l'annulation du contrat Mistral
Accord sur la vente des Mistral entre Paris et Le Caire

L'affaire des Mistral fait référence à l'annulation de la livraison de deux porte-hélicoptères Mistral français commandés en 2010 par la Russie, à la suite de son implication en 2014 dans l'annexion de la Crimée et la guerre du Donbass.

Appel d'offres russe modifier

Le Vladivostok à Saint-Nazaire en .

Dès , l'Amirauté russe exprime le besoin d'un ou deux bâtiments de commandement et de transport, éventuellement construit sous transfert de technologie[1],[2],[3] avec livraison d'un premier bâtiment fin 2014 et d'un second fin 2015[4]. Selon Vladimir Vyssotski, alors commandant en chef de la Marine russe, la deuxième guerre d'Ossétie du Sud a démontré l'impact de l'absence de bâtiments de type LHD[5].

Le coût de la construction d'un tel bâtiment se situerait entre 400 et 500 millions d'euros[6].

À cette époque, la Russie ne dispose plus de capacités suffisantes pour construite de tels navires (21.300 to de déplacement à pleine charge et près de 200 mètres de long), lesquelles se trouvaient auparavant à Mykolaïv, en Ukraine. Il lui aurait fallu pouvoir réaliser auparavant une extension du chantier naval Iantar (Kaliningrad) ou des chantiers de l'Amirauté à Kronstadt.

La compétition s'engage entre DCNS et Navantia qui propose la Classe Juan Carlos I. Les LPD hollando-espagnols de la classe Galicia sont également en lice. Les chantiers russes étant incapables de construire ce type de navire, l'appel d'offre permet de charger les chantiers navals qui remporteront le marché[7].

Signature du contrat modifier

Le , un communiqué commun des présidents russe et français[8] annonce que la marine russe a retenu le type Mistral. Deux bâtiments doivent être construits à Saint-Nazaire par STX France avec la participation des chantiers navals russes OSK (Chantiers de la Baltique) et, éventuellement, deux autres en Russie. Le à Saint-Nazaire, le ministre de la Défense Alain Juppé et le vice-premier ministre de la fédération de Russie, Igor Setchine, signent une lettre d'intention portant sur la construction de quatre navires[4]. L'accord final portera sur la construction de 2 navires pour un montant de 1,7 milliard de dollars est signé le [9].

La construction sera lancée au premier semestre 2012[10]. Selon l'Élysée, la construction de deux bâtiments représente « l'équivalent de cinq millions d'heures de travail, ou de mille personnes travaillant pendant quatre ans » pour les chantiers DCNS et STX France de Saint-Nazaire[11].

Un débat a lieu en arrière-plan de la négociation de cette vente. Il porte sur la fourniture des systèmes de commandement Senit-9 (Système d'Exploitation Navale des Informations Tactiques) et SIC-21(Système d'information pour le commandement des forces), aux normes OTAN. Moscou comptait bien acheter les navires avec leurs systèmes électroniques mais ils constituent une technologie sensible[12].

Le , les Chantiers de la Baltique signent un contrat de 2,5 milliards de roubles — soit 60,2 millions d'euros — sur la construction des coques de deux porte-hélicoptères de type Mistral[13]. La marine russe compte les armer avec des hélicoptères Kamov Ka-29 et Kamov Ka-52K[14]. Les deux premiers navires porteront les noms de Vladivostok et Sebastopol[15].

Le , le Vladivostok entre en cale sèche aux chantiers navals de Saint-Nazaire[15]. Les deux parties, (française pour la proue et russe pour la poupe), sont assemblées en à Saint-Nazaire. Le Vladivostok est mis à flot le 15 octobre 2013.

La poupe du Sébastopol, fabriquée en Russie, quitte les Chantiers navals de la Baltique le et arrive à Saint-Nazaire le [16]. La mise à l'eau s'est effectuée la nuit du 20 au [17]. Il était prévu que le Sebastopol, rejoigne la marine russe en automne 2015 avant que la livraison soit suspendue[réf. souhaitée].

Le , le Vedomosti annonce que le Gouvernement russe aurait renoncé à l'option sur les deux navires Mistral supplémentaires[18],[19]. Seuls les deux navires commandés initialement seront donc livrés mais, en 2013, cela n’est pas confirmé.

Annulation du contrat modifier

Manifestation du collectif international pro-ukrain, No Mistrals for Putin, contre la livraison des BPC à la Russie de Poutine - Saint-Nazaire, 29 juin 2014.
Manifestation du collectif international pro-ukrainien, No Mistrals for Putin, contre la livraison des BPC à la Russie de Poutine - Saint-Nazaire, 29 juin 2014.

Fin 2013, la crise ukrainienne débute et entraîne l'annexion de la Crimée par la Russie en . Plusieurs alliés de la France réclament dès l'été 2014 une suspension de la livraison des navires. C'est le cas de l'Allemagne[20], du Royaume-Uni et des États-Unis[21].

Bien que le gouvernement de David Cameron ait manifesté une certaine forme d’indignation à l'égard de la France, cela n'a pas empêché les autorités britanniques de continuer de vendre à la Russie des fusils de précision, des munitions, des gilets pare-balles, des moyens de communication militaire et des appareils de vision nocturne pour un montant qui totalise environ 132 millions de livres (167 millions d'euros)[22].

En , le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius annonce que la France « pourra envisager » d'annuler la vente de Mistral à la Russie, en raison de la crise de Crimée[23],[24], ce qui générerait, contractuellement, une compensation financière importante[25]. Après plusieurs mois d'hésitation, le président de la République François Hollande déclare en novembre 2014 que la situation dans l’est de l’Ukraine ne permet pas la livraison du premier navire[21]. Le , la presse russe annonce qu'un accord d'annulation est conclu, ce qui est démenti le lendemain par les autorités françaises[26].

Le , la France officialise qu'un accord d'annulation de la livraison des deux navires est conclu entre les deux pays[26].

Cambriolage sur le Sebastopol modifier

Le , il est constaté sur le porte-hélicoptère Sebastopol, amarré sur le quai de Penhoët, la disparition de deux disques durs, une carte mère et d’une carte graphique[27] employés pour les transmissions radar, un système de haute technologie mis en place par le groupe Thales[28]. La police judiciaire de Nantes n'a relevé aucune trace d'effraction[29].

Conséquences financières modifier

En conséquence de cette annulation, la France s'engage dans un communiqué à rembourser à la Russie les « sommes avancées », incluant la livraison des deux navires, les frais engagés pour l'aménagement du port de Vladivostok, l'adaptation de 32 hélicoptères Kamov Ka-52 et la formation de 400 marins russes[26]. Finalement, la France rembourse la somme de 949 754 849 euros[30], dont 56,7 millions correspondant aux frais de formation des 400 membres d'équipage à la Russie. Sans frais financiers, ni pénalités, ni indemnisation[31].

La Coface, outre le montant du contrat, va indemniser les frais de gardiennage (soit 1 million par mois pour chaque bateau[32]) et les frais généraux, qui font aujourd'hui l'objet de discussions avec l'industriel. Dans ce cadre, elle pourra "sans doute" indemniser comme frais généraux une partie de la marge de DCNS liée à son rôle en tant qu'architecte de système. En revanche, elle n'indemnisera pas la marge commerciale estimée à 350 millions d'euros[26], laquelle n'est jamais assurée dans les mécanismes de la Coface.

La France devait prendre en charge le retrait des équipements russes déjà installés à bord, pour un coût estimé à plusieurs dizaines de millions d'euros[26] cependant la revente à l'Égypte utilisant en outre du matériel russe fait que l'équipement reste à bord[33]. De plus, à la suite de la transaction, l’Égypte a acheté à la Russie 50 hélicoptères de combat Kamov Ka-52 destinés à ses deux Mistral[34].

La France doit aussi annuler le contrat de maintenance lié aux navires, qui devait rapporter à terme au moins 400 millions d'euros aux chantiers de l'Atlantique[26].

Enfin, l'accord de 450 millions d'euros avec les chantiers russes OSK pour la construction de navires câbliers est également annulé, tout comme le projet franco-russe de construction de ravitailleurs[26].

Du côté russe, alors que la non livraison était destinée à sanctionner la Russie, celle-ci a obtenu le remboursement des sommes versées et même plus (40 milliards de roubles versées et 65 milliards récupérés du fait de la dévaluation du rouble). De plus, elle conserve 150 000 pages de documentation technique fournies au titre du transfert de technologie.

Revente à l'Égypte modifier

Par la suite, le gouvernement français tente de revendre ces navires à d'autres pays[35]. Après une première discussion le entre les chefs d'État français et égyptien, un accord sur l'achat des deux bâtiments par la marine égyptienne est annoncé le [36]. Le montant du contrat est d'environ 950 millions d'euros et la livraison prévue en [37].

Début juin 2016, DCNS a livré à l'Égypte le premier Mistral, originellement destiné à la Russie : le BPC Gamal Abdel Nasser[38].

Le , DCNS a livré à l'Égypte le deuxième Mistral : le BPC Anouar el Sadate[39].

Détail des navires modifier

Drapeau de la Russie Russie Drapeau de l'Égypte Égypte
N° de coque Nom Construction Lancement N° de coque Nom Mise en service
501 Vladivostok L1010 Gamal Abdel Nasser
Sebastopol [40] L1020 Anouar el Sadate

Classe Ivan Rogov (projet 23900) modifier

Afin de réponde à son besoin, la Russie décide de développer sa propre classe de porte-hélicoptères et de navire d'assaut amphibie. La construction de deux navires de la classe Ivan Rogov (projet 23900) démarre en juillet 2020 à Kertch (république de Crimée) pour une mise en service prévue en 2025 et 2026.

Réactions politiques modifier

L'annulation du contrat avec la Russie suscite de vives critiques de la part notamment de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen[41],[42].

Notes et références modifier

  1. « Mistral : Paris favorable à la demande de la Russie », sur rian.ru, RIA Novosti, (consulté le )
  2. Guillaume Belan, « La Russie s'intéresse au BPC Mistral », sur ttu.fr, Ttu, (consulté le )
  3. « Aéronavale : la Russie pourrait acheter un porte-hélicoptères français », sur rian.ru, RIA Novosti, (consulté le )
  4. a et b Philippe Chapleau, « Ce sera bien quatre « Mistral » pour la Russie », Ouest-France,‎ (lire en ligne)
  5. Pierre Avril, « Moscou va acheter des Mistral à Paris », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
  6. « Mistral : l'OTAN prend note de l'intention d'achat de Moscou (officiel) », RIA Novosti, (consulté le )
  7. « Le Mistral français démarche la marine russe », Ouest-France,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. « Toutes les actualités », sur elysee.fr (consulté le ).
  9. (en) « Russia signs $1.7 bln deal for 2 French warships », RIA Novosti, (consulté le )
  10. « DCNS lance la construction des 2 Mistral commandés par la Russie », sur Les Échos, (consulté le )
  11. Le Figaro, 24 janvier 2011, p. 23
  12. « La Russie obtiendra les "Mistral" avec leurs systèmes électroniques (Ministère de la défense russe) »,
  13. « Les coques de deux Mistral fabriquées à Saint-Pétersbourg », sur rian.ru, RIA Novosti, (consulté le )
  14. « Hélicoptères pour les Mistral russes : les prototypes construits en 2012 », sur rian.ru, RIA Novosti, (consulté le )
  15. a et b Alexey Danichev, « Mistral pour la Russie: les noms des deux premiers BPC dévoilés », RIA Novosti, (consulté le )
  16. « La partie arrière du Sébastopol arrivée au chantier STX », Ouest-France,‎ (lire en ligne)
  17. Jean-Dominique Merchet, « Mistral : un enjeu à 200 millions d'euros pour DCNS Après le Vladivostok, le Sébastopol a été mis à flot à Saint-Nazaire la nuit dernière »,
  18. (ru) Le Ministère de la Défense a décliné l'option de deux nouveaux navires de classe Mistral, sur le site vedomosti.ru, consulté le
  19. Moscou renonce à l'option de deux Mistral supplémentaires, sur le site latribune.fr, consulté le
  20. Cécile Ducourtieux, « Vente de Mistral à la Russie : « Cette hypocrisie a suffisamment duré » », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  21. a et b « La vente de deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie embarrasse Paris », FranceTVinfo,‎ (lire en ligne)
  22. Crash du vol MH17 : malgré la crise, les ventes d'armes à la Russie se poursuivent Metronews
  23. Le Point, 17 mars 2014 Russie : la France « pourra envisager » d'annuler la vente de Mistral, selon Fabius
  24. Patrick Edery, « Mistral : le vent du changement », Libération, (consulté le ).
  25. La voix de la Russie : Mistral, sur le site french.ruvr.ru, consulté le 23 mars 2014
  26. a b c d e f et g « Tempête de factures sur les Mistral », Le Canard Enchaîné,‎
  27. Mistral : mystérieux vols sur le Sebastopol L'écho de la pesqu'île du 28 novembre 2014
  28. Saint-Nazaire : un cambriolage sur le Mistral Le point du 28 novembre 2014
  29. Saint-Nazaire : le parquet ouvre une enquête pour cambriolage sur le BPC Sébastopol France 3 du 28 novembre 2014
  30. « Mistral : Paris a déjà versé les 949,7 millions d'euros à Moscou », La Tribune, (consulté le ).
  31. « Mais pourquoi la Russie a accepté l'accord sur les Mistral », La Tribune, (consulté le ).
  32. Guerric Poncet, « L'indécision sur les Mistral coûte un million d'euros par mois à la France », sur Le Point, (consulté le )
  33. « Les deux Mistral français vendus à l’Égypte pour 950 millions d'euros » Accès limité, sur challenges.fr, (consulté le ).
  34. Vente des Mistral à l'Égypte : pas de perte financière selon Hollande En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/021348287865-accord-pour-le-rachat-par-legypte-des-deux-mistral-1158411.php?VSBzByC8mb5po6xK.99, Les Échos du 23 septembre 2015
  35. « Mistral : à qui la France peut vendre ses navires de guerre ? », sur www.rtl.fr (consulté le )
  36. « L’Égypte va acquérir les deux Mistral non livrés à la Russie », sur Le Monde, (consulté le )
  37. « BPC: une livraison à la marine égyptienne annoncée pour mars 2016 », sur Ouest-France, (consulté le )
  38. « DCNS remet à l’Égypte son premier Mistral », sur latribune.fr (consulté le )
  39. « DCNS livre son second navire de guerre Mistral à l'Egypte » (consulté le )
  40. Jean-Dominique Merchet, « Mistral : un enjeu à 200 millions d'euros pour DCNS Après le Vladivostok, le Sébastopol a été mis à flot à Saint-Nazaire la nuit dernière », (consulté le )
  41. AFP, « Mélenchon : « Hollande ridiculise la France » en empêchant la livraison du Mistral », L'Express, .
  42. « Stopper la livraison est « très grave », dit Marine Le Pen », Ouest-France, .

Articles connexes modifier