Fromage aux artisons

Fromage fermier français
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Le fromage aux artisons, ou fromage aux artisous, est un fromage fermier français sans appellation d'origine fabriqué à partir de lait cru de vache dans la région du Velay (Haute-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes) et aux alentours. Les producteurs du plateau du Devès commercialisent ce fromage sous la marque collective « Le Velay ».

Fromage aux artisons
Fromage aux artisous provenant d'une ferme de Saint-Jean-Lachalm.
Pays d’origine
Région
Haute-Loire (Auvergne)
Lait
Appellation
non protégée

« Artison » est le nom vernaculaire donné à l'acarien du fromage, également nommé Ciron de la farine (Acarus siro), qui, en se développant sur la croûte participe à l'affinage du fromage.

Étymologie

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Acarus siro, l'artison.

Le mot « artison » est attesté depuis le XIIIe siècle sous la forme « artoizon » avec pour définition « insecte qui ronge le bois, les pelleteries et les étoffes ». Il se rattache à l'ancien occitan « arta » signifiant « insecte qui ronge les toisons » ». Dans le contexte de la fromagerie, il dénomme les acariens du fromage et plus particulièrement Acarus siro. L'origine de ce mot est obscure et controversée : il se rattacherait au latin « tarmes » désignant « un termite, un ver de viande » mais la suppression phonétique du « t » initial est problématique[1],[2]. Ce terme pourrait également provenir du gaulois « darbita » désignant la maladie de peau dartre. Enfin, la sagesse populaire lui prête une liaison avec le mot « artisan » et sa force de travail, sans qu'elle soit étymologiquement justifiable[3].

« Artison » porte de nombreuses déclinaisons régionales telles que « artisou » comme dans le Velay, « artisoul », « artuison », « artuizon », « artaison », « arto », « arte » et « artaise », voire « arthes[3]».

Description et fabrication

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Fromage aux artisous provenant d'une ferme d'Yssingeaux.

Il s'agit exclusivement d'un fromage fermier au lait cru de vache. Il a une forme cylindrique mesurant approximativement 10 cm de diamètre pour 5 cm de hauteur[4].

Pour confectionner le fromage aux artisons, l'agriculteur fromager se sert de deux laits[4], le lait de la veille qui a été en partie écrémé et le lait du jour auquel il ajoute de la présure qui le fait cailler. Il est ensuite moulé et salé[5]. Il est mis à sécher pendant 2 à 5 jours et stocké sur des claies ou maies en bois de peuplier puis les artisous sont déversés sur la croûte. Ils s'y développent pour assurer l'affinage et vont « sculpter » le fromage. Une température de 18 à 20 °C semble idéale quant à leur développement de même qu'un mélange de souches qui permet, à terme, de conserver leur vitalité. La durée d'affinage peut aller de trois semaines à deux mois[5].

La pâte, à caractère lactique, n'est pas uniformisée et varie d'une ferme à une autre : selon la qualité du fourrage, sa saisonnalité, la flore lactique propre à la ferme et le temps d'affinage, elle peut être de consistance sèche, crayeuse, moelleuse ou crémeuse. Par exemple, un fromage fabriqué à partir de lait de printemps sera plus crémeux tandis que celui fabriqué avec le lait d'hiver sera plus sec[6],[7]. Sa coloration est jaune et parfois légèrement bleue à cœur, ce dernier caractère étant assez recherché[7],[8]. La croûte, colorée de brun, est plus ou moins creusée en fonction de l'affinage par les artisons. Généralement consommée intégralement, elle donne en bouche une première saveur acidulée et citronnée liée au néral[6],[9], alors que la partie interne donne un deuxième goût plus doux comparé au sous-bois, au cèpe ou à la noisette[6],[7].

Production

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Les données recueillies d'après les comptes de l'évêché du Puy-en-Velay, pour lequel les redevances seigneuriales étaient parfois réglées en fromages, montrent une production au moins à partir du XIVe siècle sur le plateau du Devès, plus particulièrement autour de Saint-Jean-Lachalm ainsi que sur le Haut-Forez autour de Craponne sur Arzon[5] et sur l'Yssingelais[10]. Les comptes de l’hôpital et centre d’accueil des pèlerins Hôtel-Dieu du Puy-en-Velay montrent également des livraisons de ce fromage depuis Chanaleilles en Margeride aux XVe et XVIe siècles[10].

Au début du XXe siècle, le fromage aux artisous est d'abord une production vivrière commune à l'ensemble des plateaux du Velay (Plateau du Devès, Plateau casadéen, Haut-Forez, Yssingelais, Meygal et Mézenc) et aux alentours à l'instar de la Margeride, du Livradois et du Brivadois. Tout au long du XXe siècle, le nombre de producteurs chute de façon importante, en premier lieu à cause de l'exode rural, puis à partir des années 1950, en raison de la généralisation de la collecte de lait pour l'industrie laitière locale[11],[10].

Le nombre de producteurs est réduit à 415 en 1988 puis à 39 en 2000. La production moyenne par exploitation a cependant augmenté, passant pour la même période de 677 à 3 935 kg pour une production totale de 281 tonnes en 1988 contre 153 tonnes en 2000[7]. En 2012, ils sont 45 producteurs en Haute-Loire[12].

Commercialisation

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Logo de la marque collective « Le Velay » appartenant aux producteurs de fromages aux artisous du plateau du Devès.

Il s'agit d'un fromage méconnu et sa consommation est en grande majorité localisée au Velay[12],[11].

En 1993, les producteurs du plateau du Devès se regroupent en association et prennent pour marque collective « Le Velay ». Leur cahier des charges délimite strictement la zone de production à ce plateau volcanique. Ils sont 23 dans les années 2000. Cette marque a reçu l'attribution officielle « provenance Montagne ». En 2003, le lait ainsi transformé représente 35 % du quota vente directe de la Haute-Loire[13],[7]. Afin de promouvoir cette marque, la confrérie de l'artisou du Velay est créée en 2003[14].

Depuis 2012, une démarche fédératrice d’obtention de l’appellation d'origine protégée (AOP) est en cours. L'idée est menée par l'Association des producteurs fermiers de fromages aux artisous de Haute-Loire, forte d'une quarantaine de producteurs. Fin 2020, après une recherche de preuves de présence historique, le projet en est à la phase de description des techniques de fabrication puis viendra la mise en place d'un cahier des charges commun[12],[5],[10].

Autres fromages aux cirons de la farine

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Fromage de chèvre aux artisons.

D'autres fromages fermiers, sans appellations, sont également nommés « fromages aux artisons » tels que des petites tommes fermières du Puy de Dôme ou de Lozère et des fromages à pâtes pressées non cuites à base de lait de vache, de chèvre ou de brebis.

De même, certains fromages ayant des appellations sont également affinés grâce aux Cirons de la farine tels que le cantal, la tomme de Savoie céronnée, la mimolette vieille de Lille ou encore certaines tomme des Pyrénées fermières[15],[16] tandis que le Milbenkäse en Allemagne est affiné avec une autre espèce d'acariens du fromage, Tyrolichus casei[17].

Dans la littérature

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Le Petit fougaud est un roman de terroir écrit par l'altiligérien Albert Ducloz paru aux Éditions de Borée en 2021. Son intrigue s'articule autour de la reprise, par une famille syrienne productrice de savons d'Alep et fuyant la guerre, de la ferme d'un couple de personnes âgées éleveurs de vaches laitières et producteurs de fromages aux artisous en Haute-Loire. Le fil rouge de l'histoire étant la traite, la fabrication de l'artisou et sa vente sur le marché de la place du Plot au Puy en Velay, ainsi que la création d'un nouveau fromage nommé « le Petit fougaud »[18],[19].

Notes et références

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  1. « artison (définition et étymologie) », sur Centre national de ressource textuelle et léxicale (CNRTL) (consulté le )
  2. (fr + oc) Lagarde, Grange, Omèlhier, « Artison (ciron du fromage) », sur Locongres, dictionnaire occitan en ligne du Congrès permanent de la lenga occitana,
  3. a et b Alain Fraval, « Parlez-vous entomo? : artison », Insectes, no 151,‎ , p. 4 (lire en ligne)
  4. a et b « La ferme de l'or bleu », sur Toufrance (consulté le )
  5. a b c et d Phillipe Suc, « L'artisou à la reconquête du marché », L'Éveil de la Haute-Loire,‎ , p. 9 (lire en ligne)
  6. a b et c Emma Goffy, « Comment les Altiligériens préfèrent-ils leur fromage aux artisous ? », La Tribune - Le Progrès,‎ , p. 11
  7. a b c d et e Bernard Griffoul, « Fromage Le Velay : Marque collective et appellation Montagne de la Haute-Loire », Réussir Lait,‎ (lire en ligne)
  8. « Les tommes aux artisous ont du succès au marché du Puy-en-Velay… », sur velay-attractivite.fr (consulté le )
  9. (en) Adrian Brückner et Michael Heethoff, « Scent of a mite: origin and chemical characterization of the lemon-like flavor of mite-ripened cheeses », Experimental and Applied Acarology, vol. 69, no 3,‎ , p. 249–261 (ISSN 0168-8162 et 1572-9702, DOI 10.1007/s10493-016-0040-7).
  10. a b c et d Le fromage aux artisous prétend à l’AOP pour faire vivre le territoire, La Tribune - Le Progrès, Gérard Adier, 26 septembre 2020
  11. a et b Karine Wierzba, « Le fromage aux artisous mérite ses lettres de noblesse », Le Progrès - Haute-Loire,‎ , p. 12
  12. a b et c Gérard Adier, « Le fromage aux artisous veut être reconnu », La Tribune - Le Progrès,‎
  13. « Le fromage au lait cru : "Le Velay" », sur Conseil général de Haute-Loire (consulté le )
  14. Site internet de la mairie de Saint-Jean-Lachalm (consulté le 30 septembre 2020)
  15. « Cirons, artisons : une précieuse aide pour les fromagers ! », sur Fromagium (consulté le )
  16. Jean Froc, Balade au Pays des Fromages , éditions Quae, 2007 (ISBN 978-2759200177)
  17. (en) J.P. Melnyk, A. Smith, C. Scott-Dupree et M.F. Marcone, « Identification of cheese mite species inoculated on Mimolette and Milbenkase cheese through cryogenic scanning electron microscopy », Journal of Dairy Science, vol. 93, no 8,‎ , p. 3461–3468 (DOI 10.3168/jds.2009-2937).
  18. Albert Ducloz, Le Petit fougaud, de Borée, , 282 p. (ISBN 9782812932731)
  19. « Du savon d’Alep au fromage aux artisous : une histoire narrée par Albert Ducloz », sur La Commère 43, (consulté le )

Liens externes

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