Boubaker El Hakim
Boubaker El Hakim, né le [1] à Paris, dont le nom de guerre est Abou Mouqatel, est un djihadiste franco-tunisien[2],[1] et le plus haut gradé français de l'État islamique.
Boubaker El Hakim | |
Surnom | Abou al Moukatel Abou Mouqatel Abou Mouqâtil At-Tounsî |
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Naissance | Paris (France) |
Décès | (à 33 ans) Raqqa (Syrie) |
Origine | Français et Tunisien |
Allégeance | Irak (2003) Al-Qaïda en Irak (2003-2005) État islamique (2014-2016) |
Arme | Amniyat |
Conflits | Guerre d'Irak Insurrection djihadiste en Tunisie Guerre civile syrienne |
Faits d'armes | Première bataille de Falloujah Deuxième bataille de Falloujah Bataille de la Division-17 |
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Il est tué par un drone le [3] ou [4] dans la ville syrienne de Raqqa[3]. Il est, d'après les mots du journaliste David Thomson, une « sorte d'émir français des attentats, l'un des principaux responsables des opérations extérieures de l'État islamique »[4].
Guerre d'Irak et filière des Buttes-Chaumont
modifierBoubaker El Hakim naît le dans le 12e arrondissement de Paris[5]. Vendeur chez Monoprix, il est élevé par sa mère au milieu de deux petites sœurs contraintes à renoncer à leurs études pour porter le voile[6]. Il est le premier membre de la filière des Buttes-Chaumont à se rendre au Proche-Orient. En , à seulement 19 ans, prétextant partir étudier l'arabe et l'islam, et comme la plupart des candidats au djihad attendant l'intervention américaine en Irak, il fréquente durant six mois les écoles salafistes Al Fateh Al Islami et Zahra de Damas[4],[7], d'où il passe clandestinement en Irak[1]. De retour à Paris en , il participe avec Farid Benyettou à l'élaboration dans le 19e arrondissement d'une filière d'envoi de jeunes volontaires djihadistes en Irak, dite « filière des Buttes-Chaumont »[1]. Il dispose auprès des jeunes d'une aura particulière, du fait de son voyage sur place. Les frères Chérif et Saïd Kouachi — qui commettront douze ans plus tard l'attentat contre Charlie Hebdo — font partie de ceux qui écoutent ses récits[1].
Il est interrogé à cette époque à Bagdad, dans un camp d'entraînement pour djihadistes encadré par l'armée irakienne, par un journaliste de RTL : « Je suis de Paris 19e ! Tous mes potes dans le 19e je leur dis venez faire le djihad ! Je suis prêt à me faire exploser, mettre des dynamites et boum boum ! »[8],[7]. Quatre jours plus tard, dans un reportage de la chaîne de télévision française LCI, il défie les États-Unis : « Je viens de France, on va tuer les Américains ! On va tuer tout le monde, nous ! Je vis en France, moi ! Allahû akbar ! »[4].
Accompagné de son frère cadet Redouane alors âgé de 19 ans[9], il combat avec les troupes d'Al-Qaïda en Irak[10] contre les Américains à Falloujah. Boubaker El Hakim supervise la répartition dans les différents groupes des volontaires français et tunisiens. Dans une note qu'elle lui consacre le , la DST relève qu'il « connaissait beaucoup de monde en Syrie et franchissait aisément la frontière irakienne. Il y avait intégré un groupe de cinq à six personnes, tous sunnites, ayant été des cadres du parti Baas ou étant des islamistes[4] ». Le journaliste David Thomson rappelle en 2016 la complaisance historique du régime syrien avec les djihadistes : « Au sein des services de renseignement les gens ont la mémoire un peu plus longue et personne n'a oublié qu'en 2003 les premiers djihadistes français (dont le fameux Boubaker El Hakim qui vient d'être droné par les États-Unis et qui était le Français le plus important de l'EI), quand ils allaient combattre aux côtés des volontaires qui rejoignaient les troupes de Saddam Hussein pour combattre les Américains, ils passaient par la Syrie avec la bénédiction du régime Assad »[11]. Avec son groupe, El Hakim pose des mines de 80 kilos qu'il déclenche au passage de convois américains, ce qui lui vaut les compliments du cheikh Abdullah al-Janabi (en), imam radical de Falloujah, qui deviendra une décennie plus tard l'un des prédicateurs les plus appréciés de l'État islamique[4]. Son frère meurt sur place le dans un bombardement américain à Falloujah[9],[4]. Leur mère téléphone alors au domicile d'un autre membre de la filière des Buttes-Chaumont et s'enthousiasme : « Bonne nouvelle : mon fils est mort en martyr ! » Une autre fois, elle avait prédit : « Mes enfants sont destinés à cela ». Par la suite, elle se rend dans la zone irako-syrienne[4]. Boubaker El Hakim se fait arrêter sans passeport à la frontière irako-syrienne et est renvoyé en France[12] en .
Malgré ses propos dans les médias, El Hakim n'est pas inquiété à son retour en France. Respecté dans son quartier pour ses faits d'armes, il structure la « filière des Buttes-Chaumont ». Formée d'amis de quartier fréquentant la mosquée Adda'wa sur la rue de Tanger, dont les frères Kouachi, la filière est structurée autour d'un chef spirituel, Farid Benyettou, alors que Boubaker El Hakim joue le rôle du relais opérationnel auréolé de ses actes de guerre. Une dizaine de membres de la bande rejoignent l'Irak au milieu des années 2000, où trois d'entre eux perdront la vie[7]. Il envoie Mohamed el-Ayouni et Peter Cherif participer à la bataille de Falloujah. Le premier est blessé à trois reprises — par un obus, par une balle et par une roquette —, perd son œil et son bras gauche ; le second est capturé par les forces de la coalition, jusqu'à ce que sa prison soit attaquée par des rebelles et qu'il en profite pour s'évader avec 150 autres détenus[4].
Revenu pour la troisième fois en Irak à seulement 20 ans, il combat aux côtés d'Abou Moussab Al-Zarqaoui, qui deviendra quelques mois plus tard le chef d'Al-Qaïda. En , il repasse en Syrie, où il est à nouveau interpellé et emprisonné pendant neuf mois avant d'être expulsé vers la France le [7]. Il est mis en examen et incarcéré pour association de malfaiteurs terroristes. Lui, Farid Benyettou, Mohamed el-Ayouni et Chérif Kouachi sont jugés par le tribunal correctionnel de Paris. Il est condamné le à sept ans de prison, assortis d'une peine de sûreté de quatre ans et huit mois, pour avoir facilité le transit en Syrie de ses amis[7],[10].
Des rapports de l'administration pénitentiaire soulignent « le charisme et l'aura naturelle que lui reconnaissent les autres détenus. Il s'est très vite imposé comme un leader naturel auprès des détenus à forte personnalité » pendant sa détention. Il organise des prières sauvages. À la maison d'arrêt d'Osny, il est sanctionné le par la commission de discipline « pour avoir dirigé une prière collective sur la cour de promenade regroupant six autres détenus ». Il est rapporté qu'« il avait transformé la promenade en camp d'entraînement djihadiste. Ils s'exerçaient à des prises de judo, à des exercices de stratégie ». Mais il évite toute provocation disciplinaire. Il relatera en à la revue djihadiste Dabiq : « La prison est difficile. Il faut faire face à l'humiliation de ces mécréants. Mais c'est aussi une grande occasion [...] pour expliquer ce minhaj (en) aux jeunes emprisonnés »[4].
Libéré le , il s'installe en Tunisie, le pays d'origine de ses parents, où le régime du président Zine el-Abidine Ben Ali vient d'être renversé[7].
Tunisie et Libye
modifierUne fois en Tunisie, il y fait venir des armes de Libye, alors en pleine guerre civile, pour armer les djihadistes tunisiens[12]. Il planifie le meurtre de deux opposants politiques à Ennahdha, le parti islamiste au pouvoir, afin de faire basculer dans le chaos la transition démocratique tunisienne[7]. L'avocat Chokri Belaïd est assassiné par balles le devant chez lui à Tunis. Cinq mois plus tard, le , Mohamed Brahmi, est tué sous les yeux de sa famille[7].
Le en Syrie, il revendiquait déjà — sous le nom de guerre d'Abou Mouqatil — le double meurtre dans une vidéo de propagande de l'EI : « Oui, tyrans, c'est nous qui avons tué Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi […] Nous allons revenir et tuer plusieurs d'entre vous. Vous ne vivrez pas en paix tant que la Tunisie n'appliquera pas la loi islamique »[7]. Dans un entretien paru le dans le huitième numéro de la revue djihadiste anglophone Dabiq, El Hakim revendique personnellement le meurtre de Mohamed Brahmi : « nous sommes restés quatre heures devant la maison de ce tyran, nous étions en train d'attendre jusqu'à ce qu'il soit sorti de la maison et qu'il monte dans la voiture, je l'ai ainsi tué de dix balles »[7]. Ces deux assassinats ont provoqué d'importantes manifestations hostiles aux islamistes et aux salafistes djihadistes ayant un effet contraire à celui recherché : « Notre frère Kamâl Gafgâzî (qu'Allâh l'accepte comme martyr) a mené la première opération afin de répandre le chaos dans le pays. Cela a été une réussite mais les prétendants au Jihâd ont défendu les institutions de l'ancien gouvernement et ont ruiné nos efforts, qu'Allâh les guide. Nous avons encore essayé avec Brahmi et la même chose est arrivée »[7].
En , Boubaker El Hakim quitte la Libye où il s'était réfugié, traverse la Turquie et, dix ans après son premier séjour, retrouve la Syrie où il est accueilli par Salim Benghalem. À l'été, il aurait été blessé par un tir de sniper, mais il poursuit son ascension au sein de l'État islamique[4].
Membre de l'État islamique
modifierIl prend ensuite part à la guerre civile syrienne où il combat dans les troupes de l'État islamique. En juillet 2014, il participe à la bataille de la Division-17, où il est blessé par un tir de sniper[13]. À l'automne 2014, il est à la tête d'un bataillon d'un millier d'hommes[13]. Par la suite, il intègre l'Amniyat, les services de renseignement de l'État islamique[13].
Il est l'un des Français les plus importants de l'organisation, chargé d'un commando dédié à la préparation d'attentats en France[12]. Le département d'État américain l'ajoute le à sa liste noire des « combattants terroristes étrangers » en précisant qu'il aurait étudié la possibilité de « viser des diplomates européens en poste en Afrique du Nord »[4]. La DGSI suspecte Boubaker El Hakim d'avoir planifié à l'automne 2016, au sein d'une cellule de l'État islamique chargée des opérations extérieures, une demi-douzaine d'attentats qui devaient frapper l'Europe et le Maghreb, dont les membres du commando ont été interpellés à Strasbourg et Marseille dans la nuit du 19 au [4]. Il est également suspecté d'être impliqué « dans la conception et la direction du projet » de l'attentat préparé par le réseau de Reda Kriket, arrêté le à Boulogne-Billancourt, puis d'en avoir été en relation en octobre avec le Syrien Jaber al-Bakr à Chemnitz (Allemagne). Il commandite enfin une attaque menée le sur un policier à Constantine (Algérie)[4].
Dans son entretien à Dabiq en , soit deux mois après les attentats de janvier 2015 en France commis notamment par les frères Kouachi, il n'appelle plus les djihadistes à se rendre au Moyen-Orient, mais à frapper dans le pays où ils se trouvent : « Tuez n'importe qui. Tous les mécréants sont des cibles pour nous. Ne te fatigue pas à chercher des cibles spécifiques. Tue n'importe quel mécréant »[7]. Membre de l'unité chargée des opérations extérieures de l'EI, son nom est évoqué sans que sa participation ne soit démontrée dans les attentats en France et en Tunisie : attentat contre Charlie Hebdo le , attaque du musée du Bardo le et attentats du 13 novembre en région parisienne. Les terroristes auraient pu transiter par ses camps d'entraînement en Syrie. La justice française ne l'incrimine que dans le cadre de l'enquête ouverte le par le parquet de Paris sur le meurtre des deux opposants tunisiens[7].
Le Pentagone revendique sa mort le , par l'intermédiaire du porte-parole du ministère américain de la Défense, précisant que Boubaker El Hakim est « un cadre de l'EI et un terroriste de longue date qui avait des liens étroits avec d'autres djihadistes français et tunisiens. [Sa mort] prive l'EI d'un cadre clé impliqué depuis longtemps dans la préparation et l'organisation d'opérations extérieures et affaiblit sa capacité à mener des attaques terroristes »[7]. Il est la cible d'une frappe d'un drone américain alors qu'il circule en voiture à Raqqa, la capitale de l'organisation djihadiste[4].
L'une de ses petites sœurs est arrêtée le à Paris par la DGSI avant d'être mise en examen et placée en détention provisoire le . Elle est soupçonnée d'être partie en Syrie en 2015 avec sa fille née en 2010 pour y rejoindre les zones contrôlées par l'État islamique[14],[15].
Notes et références
modifier- « Boubaker el-Hakim, le "héros" des frères Kouachi », L'Express, (ISSN 0014-5270, lire en ligne, consulté le ).
- Jean-Pierre Filiu, « Le chef de Daech pour la France tué en Syrie ? », sur filiu.blog.lemonde.fr, (consulté le ).
- « Les États-Unis confirment la mort d'un cadre de Daech, le Français Boubaker El Hakim », Le Figaro, (ISSN 0182-5852, lire en ligne, consulté le ).
- Matthieu Suc, « Boubakeur el-Hakim, vie et mort d'un émir français », sur mediapart.fr, (consulté le ).
- Zoé Lauwereys, « Syrie : un des plus hauts chefs français de Daech visé par un drone américain », Le Parisien, (ISSN 0767-3558, lire en ligne, consulté le ).
- « La naissance de la filière », sur open.spotify.com, (consulté le ).
- Soren Seelow, « Le Pentagone revendique la mort de Boubaker El Hakim, émir français de l'État islamique », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
- « Boubaker El Hakim, l'un des plus influents émirs français de Daech, tué en Syrie par une frappe de drone », sur huffingtonpost.fr, (consulté le ).
- « Destination fatale », Libération, (ISSN 0335-1793, lire en ligne, consulté le ).
- « Un cadre de l'État islamique, le Français Boubaker El Hakim, a été tué », Le Figaro, (ISSN 0182-5852, lire en ligne, consulté le ).
- Charlotte Pudlowski, « David Thomson : « L'Europe est condamnée à subir le contre-choc des erreurs qui ont été faites » », sur slate.fr, (consulté le ).
- « État islamique : « Même déçus, ils conservent des convictions jihadistes » », Libération, (ISSN 0335-1793, lire en ligne, consulté le ).
- Suc 2018, p. 192-193.
- « Une sœur de Boubaker El Hakim, vétéran français du djihad, mise en examen par un juge antiterroriste », Le Monde, (ISSN 0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
- « Une soeur de Boubaker el-Hakim incarcérée », Le Figaro, (ISSN 0182-5852, lire en ligne, consulté le ).
Bibliographie
modifier- Matthieu Suc, Les espions de la Terreur, New York, HarperCollins, , 490 p. (ISBN 979-1033902652). .