Cage de fer

concept sociologique forgé par Max Weber

La Cage d'acier ou Cage de fer est la traduction d'une notion sociologique forgé par Max Weber (stahlhartes Gehäuse) souvent mis en lien avec l'idée de désenchantement du monde (Entzauberung der Welt)[note 1]. Il existe deux grandes interprétations : la première insiste sur l'idée de perte de sens (lié au désenchantement du monde) et la seconde insiste sur l'idée de perte de liberté (lié aux contraintes qui pèsent sur l'individu)[1]. La traduction « habitacle dur comme l'acier » est parfois préféré.

La métaphore modifier

Couverture de l'édition originale de Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus [L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme].

Dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme est mobilisé la métaphore de la « cage d'acier »[2] :

« Le puritain voulait être un homme besogneux - et nous sommes forcés de l'être. Car lorsque l'ascétisme se trouva transféré de la cellule des moines dans la vie professionnelle et qu'il commença à dominer la moralité séculière, ce fut pour participer à l'édification du cosmos prodigieux de l'ordre économique moderne. Ordre lié aux conditions techniques et économiques de la production mécanique et machiniste qui détermine, avec une force irrésistible, le style de vie de l'ensemble des individus nés dans ce mécanisme - et pas seulement de ceux que concerne directement l'acquisition économique. […] Selon les vues de Baxter, le souci des biens extérieurs ne devait peser sur les épaules de ses saints qu'à la façon d' « un léger manteau qu'à chaque instant l'on peut rejeter ». Mais la fatalité a transformé ce manteau en une cage d'acier. […] Aujourd'hui, l'esprit de l'ascétisme religieux s'est échappé de la cage - définitivement? qui saurait le dire… Quoi qu'il en soit, le capitalisme vainqueur n'a plus besoin de ce soutien depuis qu'il repose sur une base mécanique[note 2] »

Comme l'explique le sociologue Guillaume Fondu, « ce qui était conduite de vie dotée de sens chez le puritain devient nécessité extérieure, mécanique, et tendanciellement dénuée de sens »[3]. Il ajoute : « l'expression allemande (Stahlhartgehäuse) connote en réalité moins l'idée d'enfermement que celle d'une contrainte venant entraver, voire contraindre les gestes : ce qui était manteau, c'est-à-dire un vêtement souple et occasionnel, devient une coquille, solide […][et] contraignante »[3].

Les traductions modifier

Une première apparition de la métaphore apparait dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Mais comme le rappelle le sociologue néerlandais Peter Baehr[4],[5], on doit à Talcott Parsons l'expression « iron cage » (cage de fer) alors que Max Weber mobilise l'expression « stahlhartes Gehäuse »[note 3]. L’expression sera traduite en français à partir de l'anglais. Le terme « cage d'acier » figure dans la traduction de Jacques Chavy, parue en 1964[6],[5]. En 2000, la germaniste et sociologue Isabelle Kalinowski choisit « une dure chape d'acier »[7]. En 2001, le sociologue Peter Baehr propose plutôt de traduire par « shell as hard as steel » (coquille dure comme l'acier)[8],[5] ; de même que le philosophe Guillaume Fondu[3]. Selon le sociologue Laurent Fleury, à partir de l'analyse du sociologue Jean-Pierre Grossein[9], il faudrait plutôt traduire par « habitacle dur comme l'acier »[10],[5] :

« La métaphore de la « cage d’acier », introduite par Parsons (iron cage), fausse le sens de la métaphore wébérienne (stahlhartes Gehäuse) en le durcissant selon Jean-Pierre Grossein, qui rappelle que « ce dont il est question s’agissant du cosmos capitaliste, n’est pas d’acier, mais “dur comme l’acier” et Gehäuse désigne toute sorte de contenant qui englobe, enveloppe ou enserre quelque chose […] ». Weber utilise aussi cette métaphore de l’habitacle pour décrire les dangers inhérents à une bureaucratisation généralisée, en parlant d’habitacle pour la servitude future (Gehäuse der Hörigkeit der Zukunft) »

Notes modifier

  1. Le mot allemand zauber signifie magie, enchantement.
  2. Page 141 de l'édition électronique de l'UQAC basé sur la traduction de 1964[2].
  3. Le mot allemand stahlhartes signifiant « dur comme l'acier » et le mot allemand Gehäuse signifiant « habitacle, coquille, boitier ».

Références modifier

  1. Martuccelli (1999), p. 205.
  2. a et b Weber (1964).
  3. a b et c Fondu (2020), p. 101.
  4. Baehr (2001).
  5. a b c et d Mauger (2018), p. 117.
  6. Weber (1964), p. 250.
  7. Weber (2000), p. 301.
  8. Baehr (2001), p. 154.
  9. Grossein (2016).
  10. Fleury (2023), p. 23.

Bibliographie modifier

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Références citées dans l'article modifier

  • [Baehr 2001] (en) Peter Baehr, « The “Iron Cage” and the “Shell as Hard as Steel”: Parsons, Weber, and the Stahlhartes Gehäuse Metaphor in the Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism » [« La "Cage de Fer" et la "Coquille dure comme l'acier" : Parsons, Weber et la métaphore du Gehäuse de Stahlhartes dans l’Éthique Protestante et l'Esprit du Capitalisme »], History and Theory, vol. 40, no 2,‎ , p. 153-169 (ISSN 0018-2656 et 1468-2303, DOI 10.1111/0018-2656.00160, JSTOR https://www.jstor.org/stable/2678029). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • [Fleury 2023] Laurent Fleury, Max Weber, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », , 4e éd., 128 p. (ISBN 978-2-7154-1422-8, lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • [Fondu 2020] Guillaume Fondu, Découvrir Weber., Paris, Les Éditions sociales, , 198 p. (ISBN 978-2-35367-069-7). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • [Martuccelli1999] Danilo Martuccelli, Sociologies de la modernité : L'itinéraire du XXe siècle, Paris, Gallimard, , 709 p. (ISBN 978-2-07-041050-7). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • [Mauger 2018] Mauger Gérard, « Briser les barreaux de “la cage d’acier” », Savoir/Agir, vol. 45, no 3,‎ , p. 117‑120 (ISSN 1958-7856, DOI 10.3917/sava.045.0117). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.
  • [Weber 1964] Max Weber (trad. de l'allemand par Jacques Chavy), L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Plon, coll. « Recherches en sciences humaines », , 1re éd., 321 p. (SUDOC 151104301, lire en ligne).
  • [Weber 2000] Max Weber (trad. de l'allemand par Isabelle Kalinowski), L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme [« Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus »], Paris, Flammarion, coll. « Champs », , 1re éd., 394 p. (ISBN 2-08-081424-9, SUDOC 048580287).

Analyse critique des traductions modifier

  • [Grossein 1999] Jean-Pierre Grossein, « Peut-on Lire En Français “L’éthique Protestante Et L’esprit Du Capitalisme?”  », Archives Européennes de Sociologie, vol. 40, no 1,‎ , p. 125-147
  • [Grossein 2002] Jean-Pierre Grossein, « À propos d’une nouvelle traduction de L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme », Revue française de sociologie, vol. 43, no 4,‎ , p. 653‑671
  • [Grossein 2005a] Jean-Pierre Grossein, « De l’interprétation de quelques concepts wébériens », Revue française de sociologie, vol. 46, no 4,‎ , p. 685‑721
  • [Grossein 2005b] Jean-Pierre Grossein, « Max Weber " à la française "? De la nécessité d’une critique des traductions », Revue française de sociologie, vol. 46, no 4,‎ , p. 883‑904
  • [Grossein 2016] Jean-Pierre Grossein, « Glossaire raisonné », dans Max Weber, Concepts fondamentaux de sociologie : Max Weber ; textes choisis, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 405 p. (ISBN 978-2-07-078528-5, SUDOC 192841254). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article.

Autres références d'usuels en sciences sociales sur Max Weber modifier

  • [Aron 1967] Raymond Aron, Les Étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, , 663 p. (ISBN 978-2-07-029518-0).
  • [Campenhoudt et Marquis 2020] Luc Campenhoudt et Marquis Nicolas, Cours de sociologie, Paris, Dunod, , 2e éd., xii+351 (ISBN 9782100793075, SUDOC 244866546).
  • [Colliot-Thélène 2014] Catherine Colliot-Thélène, La sociologie de Max Weber, Paris, Nathan, , 125 p. (ISBN 978-2-7071-7825-1).
  • [Delas et Milly 2021] Jean-Pierre Delas et Bruno Milly, Histoire des pensées sociologiques., Paris, Armand Colin, , 5e éd., 573 p. (ISBN 978-2-200-62803-1).
  • [Durand et Weil 1997] Jean Pierre Durand et Robert Weil, Sociologie contemporaine, Paris, Vigot, , 775 p. (ISBN 9782711419982).
  • [Lallement 2000] Michel Lallement, Histoire des idées sociologiques : des origines à Weber, Paris, Nathan, , 2e éd., 238 p. (ISBN 978-2-09-191074-1).
  • [Martuccelli 1999] Danilo Martuccelli, Sociologies de la modernité : L'itinéraire du XXe siècle, Paris, Gallimard, , 709 p. (ISBN 978-2-07-041050-7).
  • [Riutort 2020] Philippe Riutort, Les classiques de la sociologie, Paris, PUF, , 258 p. (ISBN 978-2-1308-2087-1).
  • [Rocher 1968a] Guy Rocher, Introduction à la sociologie : 1. L'action sociale, Paris, Editions H.M.H, , 187 p. (ISBN 978-2-02-000588-3).
  • [Trémoulinas 2006] Alexis Trémoulinas, Sociologie des changements sociaux, Paris, La Découverte, coll. « Repères », , 121 p. (ISBN 978-2-7071-4628-1).