Camp des Rochères et de la Poterie

Le camp des Rochères et de la Poterie est un Camp d'internement français, ouvert en août 1939, dans des prairies, proche du Château des Rochères sur le territoire de la commune de Meslay-du-Maine (Mayenne). Zone complètement inadaptée, il est remplacé par le camp de la Poterie, ouvert en octobre 1939, dans une ferme La Poterie sur le territoire de la commune de La Cropte (Mayenne) située à trois kilomètres de Meslay-du-Maine.

Camp des Rochères et de la Poterie
Le château des Rochères, vu de l'étang.jpg
Présentation
Type camp d'internement
Gestion
Date de création 28 août 1939
Créé par Troisième République
Date de fermeture 17 juin 1940
Victimes
Géographie
Pays Drapeau de la France France
Région Pays-de-la-Loire
Localité Meslay-du-Maine, La Cropte

Entre 1939 et 1940, il a connu l'internement d'environ 2000 Allemands, Sarrois et Autrichiens. Il s’agit d’intellectuels, d’artistes, d’hommes d’affaires, de juifs, de résistants aux régime nazi, surtout des hommes, provenant de la région parisienne, arrêtés en raison de leur nationalité.

Contrairement au Camp des Milles, il est évacué à l'arrivée des troupes allemandes en juin 1940. Suite l’arrivée des troupes allemandes, le camp est ré-utilisé en septembre 1940 par les Allemands pour accueillir des prisonniers français.

Il ne reste quasiment plus aucun vestige de ce camp.

Juillet 1939 à juin 1940 : un camp d’internement pour sujets dit « ennemis »

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L’histoire du camp débute sous la IIIe République, au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le gouvernement français radical-socialiste d'Édouard Daladier prend la décision d’interner les ressortissants du Reich. Le ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, n'a aucun égard pour les authentiques antifascistes qu'ils sont pour la plupart, ayant fui en France dès avant 1936 la politique antisémite et anti-intellectuels des nazis. Considérés paradoxalement et tragiquement comme des « sujets ennemis », les internés sont victimes d’un mélange de xénophobie, d’absurdité et de désordre administratifs ambiants.

En septembre 1939, avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, l’internement des hommes allemands et autrichiens a commencé en France, qu’ils soient partisans nazis ou antifascistes déclarés.

Emplacement en Mayenne

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Les préparatifs d’un camp d’internement étaient en cours depuis le début de l’année 1938. L'emplacement du camp est arrêté en avril 1939, il comprend le château. Le 12 avril 1939 est promulgué le décret sur la création des CTE Compagnie de travailleurs étrangers. La 4e région militaire est choisie pour concentrer les étrangers originaires de la région parisienne.

Le maire de Meslay-du-Maine reçoit l’ordre de péempter le site le 28 août 1939[1]. Il pose alors d'emblée question[2]. Le terrain agricole de 5 hectares était jugé impraticable en hiver pour les bestiaux... Un premier détachement de soldats du Bataillon de garde des étrangers s'installe dès le 2 septembre 1939.

Le 18 et le 19 septembre 1939, 1949 Allemands et Autrichiens arrivent à Meslay-du-Maine, en provenance de la région parisienne, après un passage par le Stade olympique Yves-du-Manoir, centre de rassemblement de Colombes. Le camp constitue alors l'une des principales destinations pour les internés de la région parisienne. En février 1940, le camp de Meslay du Maine devint camp de prestataires.

Conditions

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Ils sont premièrement installés sur un terrain proche du Château des Rochères. Ils trouvèrent une zone entourée uniquement de barbelés, dans laquelle ils durent dormir dans la prairie sans aucune protection au début ; ce n’est que pour les malades qu’il y avait une tente décente disponible[3].

Il s'agit d'une zone et d'un hébergement complètement inadaptée[4].

À la mi-octobre 1939, après une tempête, les conditions étaient devenues si intenables que le camp a dû être déplacé vers un nouvel emplacement. Des travaux d'aménagement sont effectués à la Poterie pour y construire des baraquements. Au lieu de tentes comme auparavant, les internés sont désormais logés dans des baraquements[3]. Les conditions de vie y demeurèrent néanmoins des plus précaires. Un camp annexe est installé à Longuefuye : il est à l'origine [5] du site de stockage d'alcool.

Denis Peschanski donne un aperçu précis des nationalités des internés à Meslay[6] :

  • Allemand = 349
  • Autrichiens = 1 311
  • Sarres = 200
  • Réfugiés allemands = 89
  • Total = 1 949

Ils étaient regroupés dans le camp de cinq compagnies, chacune ayant un commandant de compagnie étranger et un chef de groupe.

  • 1ère compagnie = 349 Allemands
  • 2e compagnie = 461 Autrichiens
  • 3e compagnie = 200 Sarres et 89 réfugiés allemands (divisée en deux unités distinctes)
  • 4ème Compagnie = 428 Autrichiens
  • 5e compagnie = 422 Autrichiens.

Le nombre de détenus du camp a diminué en novembre 1939 à 1 530, avec lesquels, selon Albert Dubuc, on pouvait tout faire sauf la construction d’un camp. Il a estimé la proportion des travailleurs à 50 personnes et a compté de nombreuses personnes ayant des professions artistiques ou scientifiques dans ses mémoires.

Responsables du camp

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Le camp était placé sous le contrôle du 49e bataillon de garde des étrangers au Camp n° 4 de Meslay. Les responsables du camp sont :

  • Albert-Mary Dubuc, directeur[7] ;
  • Augustin Chartier, sergent-chef[8], chargé de l'intendance alimentaire du camp et de l'évacuation en juin 1940
  • Bernard Queinnec, lieutenant, médecin du camp
  • Joubert, lieutenant

Artistes et intellectuels au camp

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Une caractéristique essentielle du camp réside dans la diversité de la production artistique réalisée par les internés, malgré les privations et le manque de moyens. Cette production est importante entre 1939 et 1940. Ce foisonnement s’explique incontestablement par la présence de nombreux artistes et intellectuels, dont certains bénéficient déjà d’une renommée internationale, tandis que d’autres ne seront reconnus qu’après la guerre.

Toutes les disciplines sont concernées :

À leurs côtés, sont aussi présents des sportifs, provenant du Camp de Vitré, anciens professionnels du Stade rennais comme Anton Raab[14]

Parmi ces personnalités, beaucoup s’attachent à poursuivre leur activité, influencés par les circonstances extraordinaires et tragiques qui président à leur internement. Ils donnent libre cours à leur créativité, parfois avec humour ou ironie[15], pour préserver leur dignité, prendre du recul sur leur condition, tromper l’ennui[2], entretenir leur moral comme celui de leurs camarades. Des revues sont jouées[16] comme la réalisation d'une revue en seize tableaux[17].

Fin du camp d'internement

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Le 13 janvier 1940, un décret entre en vigueur qui entraîne la division des internés à Meslay en deux groupes: prestataires et les non-prestataires. Les prestataires étaient des hommes qui acceptaient de soutenir l’armée française ou les troupes britanniques combattant en France en tant que travailleurs civils sous tutelle militaire (le service est sans armes).

Meslay devient un camp de Prestataire à partir de février 1940 et Albert Mary Dubuc son commandant adjoint. Quiconque refusait de servir comme prestataire ou de servir dans la Légion étrangère était transféré au camp de Damigny.

Un article du Petit Parisien du 1er avril 1940, signé par Maurice Prax, relate la situation désespérante des prestataires du camp en attente d’affectation[18].

Progressivement, le camp va se vider. Il y a des transferts vers d'autres camps, des libérations. Certains internés rejoignent aussi la Légion étrangère comme Hans Hartung[19], l'armée anglaise comme Georges Bachrich[20], ou l'émigration aux Etats-Unis comme Leon Askin.

En mai 1940, les internés du camp de Forcalquier, annexe du camp des Milles, sont envoyés à Meslay-du-Maine pour y être employés comme main-d'œuvre de guerre[21]. Ainsi, par exemple, les prestataires de Forcalquier Ferdinand Springer et Hans Bellmer sont affectés au camp de Meslay-du-Maine[22].

Le 1er mai 1940, Dubuc devient commandant du camp et dirige son évacuation qui commence le 17 juin 1940 en raison de l’avancée allemande[23] suite à la Bataille de France. Le millier d'internés restant est transféré à Albi (camp Saint Antoine), via Angers[2] et Montpelier. Certains sont libérés, d’autres sont remis aux autorités allemandes[24].

Mémoire

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En 1939, Dubuc réalise un film, dont la première partie capte des scènes quotidiennes de Meslay. Dans la deuxième partie, il y a des plans du camp abandonné des Rochères et des scènes du camp de La Poterie. À Meslay, l’association Histoire et Mémoire s’intéresse à la mémoire du camp d’internement et a conçu une exposition à ce sujet en 2020[25].

Notes et références

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  1. Denis Peschanski, Les camps français d’internement (1938-1946), Doctorat d’Etat. Histoire. Univer-sité Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2000.
  2. a b et c « 2 000 antinazis prisonniers à Meslay-du-Maine », Ouest-France,‎ (lire en ligne Accès payant)
  3. a et b Christian Eggers, Unerwünschte Ausländer. Juden aus Deutschland und Mitteleuropa in französischen Internierungslagern 1940 – 1942, Metropol Verlag, Berlin 2002, (ISBN 3-932482-62-X)
  4. Témoignage d'Albert Dubuc Pendant près d'un mois le terrain, piétiné par deux mille hommes, est devenu un cloaque infect. La boue, devenue ennemie numéro un du camp, envahit tout. De tous côtés, des sources surgissent. La paille des hommes devient une véritable litière. Des rats apparaissent. Les feuillées (les latrines) s'emplissent en quelques heures et menacent le camp. Laisser des hommes dans une telle situation est vraiment inhumain !. L'exceptionnalité du témoignage tient à la personnalité de son auteur, à l'objectif qu'il s'était fixé en transcrivant ses souvenirs et à la longueur du document qu'il a laissé. Il n'existe pas à ce jour de mémoires laissés par les chefs militaires des camps français de la drôle de guerre. Sur les cinq sections entre lesquelles les étrangers furent répartis, il dirigea en septembre la 5e section, formée d'Autrichiens, avant de prendre en charge à la mi octobre la 1ère, formée d'Allemands. Quand, en février 1940 le camp de Meslay du Maine devint camp de prestataires, Dubuc devint l'adjoint du commandant auquel il succéda le 1er mai. C'est donc lui qui assura l'évacuation du camp qui commença le 17 juin. Instituteur de formation et de conviction, il n'était pas militaire de carrière, mais, né en 1898, il avait déjà participé aux combats du front de Champagne en 1918 puis à l'occupation de la Rhénanie.
  5. [1]
  6. p. 123
  7. Né en 1898, instituteur de formation.
  8. Grossiste négociant en denrées alimentaires à Laval.
  9. [2]
  10. [3]
  11. [4]
  12. Political Memoirs. Lexington Books, 1999, 252 p.
  13. The Way I Remember It, American Mathematical Society. Providence, RI. 1997. (ISBN 978-0-8218-0633-3), p. 48.
  14. L’Ouest-Éclair, (lire en ligne), p. 10
  15. Ils font part de leur incompréhension à leurs gardiens français dans une chanson au texte évocateurPermettez-nous d'être vos amis Les amis de votre pays Et nous combattrons avec vous Donnez nous donc des armes Pourquoi nous retient-on ? Sommes-nous donc des ennemis ? Le destin ne nous a-t-il pas réunis ? « 2 000 antinazis prisonniers à Meslay-du-Maine », Ouest-France,‎ (lire en ligne Accès payant)
  16. Denis Peschanski, Les camps français d'internement (1938-1946).
  17. Mise en scène par Karl Farkas, dirigée par le chef d'orchestre Egon Neumann (Pierre Neuville), direction administrative de Charles Schlick. Le tableau le plus spectaculaire présentait des hommes en blazers à rayures grises et blanches. Le commandant du camp fit semblant de ne pas reconnaître... les enveloppes de paillasses neuves dont le camp venait enfin d'être doté. « 2 000 antinazis prisonniers à Meslay-du-Maine », Ouest-France,‎ (lire en ligne Accès payant)
  18. [5]
  19. Il est libéré le 16 octobre 1939.
  20. [6]
  21. Robert Menchérini, « De la Galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence », in Robert Menchérini (directeur), Provence-Auschwitz : de l'internement des étrangers à la déportation des juifs (1939-1944), Aix-en-Provence : Publications de l'Université de Provence, 2007. (ISBN 978-2-85399-693-8), p. 16.
  22. [7]
  23. Emmanuel Blois - Courrier de la Mayenne, « Meslay-du-Maine : l’histoire du camp des anti-nazis dévoilée samedi » (consulté le ).
  24. Dominique Barnéoud, Le camp de Meslay-du-Maine : ses internés civils, leur odyssée, leur sort (2 septembre 1939-juin 1940-fin 1942). Quelques souvenirs dans la tourmente : le camp des étrangers de Meslay-du-Maine (Mayenne, 2 septembre 1939-juin 1940), présentation préliminaire de soixante pages d'extraits du témoignage du lieutenant Dubuc, Nantes, Laval, Siloë, 2003, 245 p. Voir également l'article de Denis Peschanski, "Allemands et Autrichiens dans un camp français d’internement (1939-1940). Journal d’Albert Mary Dubuc, commandant du camp de Meslay-du-Maine", Histoire et archives, no 1, juin 1997, p. 61-81.
  25. [8]

Bibliographie

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  • Allemands et Autrichiens dans un camp français d'internement (1939-1940). Journal d'Albert Mary Dubuc, commandant du camp de Meslay-du-Maine, Histoire et archives, n°1, juin 1997, pp. 61-81.
  • Claude Winkler-Bessone, Les Camps d'internement français (1939-1942) : Témoignages d'un dessinateur autrichien. Publications de l'Université de Rouen. Centre d'études et de recherches autrichiennes. Préface de Serge Klarsfeld.
  • Dominique Barnéoud, Le camp d'internement des étrangers civils de Meslay-du-Maine (septembre 1939 à fin 1942)., 2003.
  • Document utilisé pour la rédaction de l’article Denis Peschanski. Les camps français d’internement (1938-1946) - Doctorat d’Etat. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2000. fftel-00362523 [[9]]
  • Quelques souvenirs dans la tourmente. Le camp d'internement des étrangers de Meslay-du-Maine, Mayenne, 2 septembre 1939 – 17 juin 1940" déposé par Albert Mary Dubuc en 1978 aux Archives départementales de la Mayenne, conservé sous la cote 1J 570/1.

Liens externes

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