Dictature sanitaire
« Dictature sanitaire » (en anglais health dictatorship, en espagnol dictadura sanitaria) est un terme apparu dans des recherches historiques sur le Mexique pour qualifier les politiques appliquées par le Mexique de 1917 à 1945 dans le contexte de l'épidémie mondiale de grippe de 1918[1],[2],[3].
Ce terme a par la suite été employé en 2020 en France et en Italie par les mouvements d'opposition aux mesures de lutte contre la pandémie de Covid-19[4] qui reprochent aux gouvernements d'imposer des lois liberticides[5],[6],[7],[8],[9].
Il sera par la suite l'objet de débats avec des historiens de la santé en France[10] et le terme de « dictature vaccinale » est également prononcé à propos de l'extension annoncée du passe sanitaire par Emmanuel Macron le 12 juillet 2021 dans les manifestations contre les mesures vaccinales[11].
Différentes traductions ont ensuite été adoptées par la presse anglophone, et par la presse hispanophone, cependant, au Mexique, on a continué d'employer l'expression dictadura sanitaria afin de faire le lien avec des mesures constitutionnelles datant de 1917 et toujours appliquées en 2020 dans le cadre de la pandémie de Covid-19 au Mexique[12].
Traductions employées par la presse
modifierLe terme health dictatorship a été utilisé par Tony Abbott, ancien Premier ministre australien, afin de caractériser les mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 allant à l'encontre de la loi ordinaire en Australie dans un discours tenu le premier [13],[14] : cette traduction a par la suite été utilisée par la presse anglophone pour traduire le terme français de dictature sanitaire[15].
Le terme dictatura de la salud a été employé par certains médias espagnols, dans un contexte similaire[16].
Développements de la notion
modifierContexte historique et sanitaire général
modifierSelon Stanis Perez, historien de la médecine et de la santé, co-auteur de Pandémies. Des origines à la Covid-19, une dictature sanitaire pourrait ressembler à la dictature sanitaire mexicaine en 1917-1918 qui se caractérisait par des thèmes eugénistes et racistes visant à la régénération du peuple mexicain, avec un culte de l'homme idéal et idée de pureté raciale, typique des concepts rappelant les grandes dictatures européennes des années 1930, empreintes de nationalisme[10].
Selon Michel Maffesoli, les diverses crises sanitaires rencontrées dans les démocraties occidentales témoignent d'un « hygiénisme » et d'une « sécurisation de toute la vie sociale » qu'il oppose aux « totalitarismes durs » de l’URSS, la Chine ou de l’Allemagne nazie, en les nommant « totalitarismes doux », caractérisés par une technostructure déconnectée des masses populaires et la mise en scène de la peur[17].
Mexique
modifierL'état de dictature sanitaire a été décrété dans le Mexique post-révolutionnaire de 1917 à 1945[1].
José María Rodríguez y Rodríguez (es) est connu pour avoir ajouté, le , plusieurs sections à l'article 73 de la constitution mexicaine[12] :
- le Conseil général de la santé dépend directement du Président de la République, sans l'intervention d'aucun secrétaire d'État, et ses dispositions générales sont d'application obligatoire dans le pays[12] ;
- en cas d'épidémies graves ou de danger d'invasion du pays par des maladies exotiques, le ministère de la Santé a l'obligation de dicter immédiatement les mesures préventives indispensables, sous réserve de leur sanction ultérieure par le pouvoir exécutif[12] ;
- l'autorité sanitaire sera exécutive et ses dispositions seront appliquées par les autorités administratives du pays[12].
Le journal El Siglo de Torreón a considéré en que ces sections étaient employées par le gouvernement mexicain et le Conseil général de santé dans le contexte des mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19, ce qui est qualifié de « loi du critère médical »[12].
Chili
modifierAu mois de , l'ancien ministre de la santé du Chili,
Jaime Mañalich (en), a critiqué les mesures adoptées dans le cadre de l'état d'exception décidé par Sebastián Piñera, et les qualifie de dictature sanitaire[18].
Il compare l'état d'exception au Chili à un état de siège, sans que le Parlement ne se prononce sur la question, avec l'accord total des citoyens, avec la possibilité qu'ils vous demandent vos documents, qu'ils vous emmènent en prison, qu'ils vous infligent une amende[18].
Il évoque également la situation dans d'autre pays où, selon lui, les mesures restrictives liées à la pandémie sont utilisées à des fins politiques, citant le Venezuela, Cuba, la Chine, la Biélorussie, la Russie comme des endroits où les limitations des libertés seraient prises par les gouvernements à des fins de contrôle politique[18].
Il parle également des effets négatifs des quarantaines prolongées dans des endroits vulnérables, c'est-à-dire là où il y a surpeuplement et pauvreté. Pour lui, dans de nombreuses régions du monde, il existe un risque de mourir de faim ou de tomber finalement malade[18].
France
modifierUne tribune dans Le Monde discute des points communs entre l'assignation à résidence des personnes radicalisées et les mesures de confinement et de couvre-feu décidées dans le cadre des mesures sanitaires lors de la pandémie de Covid-19 en France[19].
Selon l'économiste Éloi Laurent, le terme de « dictature sanitaire » est un leurre qui dissimule une politique d'attentisme économique. Il dénonce plusieurs mois d'inaction ayant conduit à la propagation accrue du virus en France[20].
Selon Le Quotidien du médecin, le philosophe André Comte-Sponville dénonce la dictature sanitaire comme une forme de pan-médicalisme[21], qui consiste, selon lui, à « faire de la santé la valeur suprême »[22].
Un article du Figaro de relaie une tribune signée par 24 intellectuels régissant au sujet des entraves aux libertés individuelles mises en place pour lutter contre l'épidémie, et commente les propos tenus, le , par le ministre de la santé Olivier Véran saluant la réactivité de la Chine qui a su « mettre en place des mesures de confinement et d’isolement très rapidement ». Selon l'article, ces propos mettent en avant l'efficacité des dictatures en matière de distanciation sociale[23].
En , France Culture débat avec Stanis Perez, historien de la médecine et de la santé, co-auteur de Pandémies. Des origines à la Covid-19, sur le thème de la dictature sanitaire en France[10].
Selon Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève, étant donné qu'il faut un total de 80 à 90 % d'une population vaccinée pour atteindre l'immunité collective, l'obligation vaccinale constitue un dilemme de démocratie sanitaire. Puisque les tenants de l'idée qu'il faut être vacciné exigent que 90 % soient d'accord avec eux et si cela est impossible à obtenir quelle que soit la pédagogie déployée, l'idée de la dictature sanitaire peut apparaître comme la meilleure façon de lutter contre une pandémie, puisque les outils traditionnels de la démocratie échouent[24].
Protestations contre les mesures sanitaires
modifierEn Espagne, en Angleterre et en Tchéquie, des protestations se sont élevées, remettant en cause l'utilité et le bien-fondé des mesures de confinement, en particulier concernant l'interdiction faite à certains entrepreneurs d'exercer leur activité professionnelle, dont certaines se sont retrouvées sous une pression financière croissante pour autoriser les clients payants ou faire face à une fermeture définitive, ainsi que le port du masque généralisé. Des émeutes ont été rapportées dans plusieurs villes aux Pays-bas, et des confrontations avec les forces de police[25].
Selon RFI, ce terme est utilisé par les partisans extrêmes du mouvement « anti-masque » qui a pris de l’ampleur en France, animé par des groupes habitués du complotisme et des fausses informations[26].
Allemagne
modifierLe parti nationaliste Alternative pour l'Allemagne (AfD) dénonce les mesures prises par le gouvernement pour combattre la pandémie, estimant qu'elles ont fait du pays une « dictature sanitaire »[27].
Australie
modifierL'ancien premier ministre australien Tony Abbot (en fonction de 2013 à 2015) en fait notamment mention[28],[29].
Belgique
modifierDès le mois de mai, l'Association Belge des Syndicats Médicaux constate la prise de mesures exceptionnelles de perte de libertés, sans opposition de la population[30].
En novembre, l'écrivain Didier van Cauwelaert, présentant son roman « L’inconnue du », emploie l'expression dictature sanitaire[31],[32].
France
modifierDes mouvements de protestation s'élèvent dès octobre en France, déplorant des mesures qu'ils jugent excessives[33]. Le même mois, le journal Le Monde, citant des personnalités comme Carlo Alberto Brusa, analyse l'apparition de mouvements de contestation remettant en cause la dangerosité du virus et s’opposant aux restrictions des libertés[34].
En novembre, des habitants de Figeac placardent la ville d'affichettes appelant à des manifestations quotidiennes[35].
À la suite du discours d'Emmanuel Macron du au sujet de l'extension de l'utilisation du certificat Covid numérique européen — dit passe sanitaire — pouvant être enregistré sur l'application TousAntiCovid, des manifestations ont lieu dans plusieurs villes, au cours desquelles le terme de « dictature », de « pass nazitaire » et de « dictature sanitaire » sont employés[36].
Suisse
modifierEn septembre, des élus, comme Roger Köppel, parlent de dictature sanitaire. Selon ce dernier, « cette situation est une dictature du Conseil fédéral. Mais c'est une dictature légale que nous avons créée. Elle est le produit de la loi sur les épidémies que le Parlement n'a pas sérieusement discutée il y a quelques années »[37].
Articles connexes
modifierNotes et références
modifier- (en) Ryan M. Alexander, « The Spanish Flu and the Sanitary Dictatorship: Mexico's Response to the 1918 Influenza Pandemic », The Americas, vol. 76, no 3, , p. 443–465 (ISSN 0003-1615 et 1533-6247, DOI 10.1017/tam.2019.34, lire en ligne, consulté le )
- Claudia Agostoni, « Popular Health Education and Propaganda in Times of Peace and War in Mexico City, 1890s–1920s », American Journal of Public Health, vol. 96, no 1, , p. 52–61 (ISSN 0090-0036, PMID 16322465, PMCID PMC1470425, DOI 10.2105/AJPH.2004.044388, lire en ligne, consulté le )
- Ernesto Aréchiga Córdoba, « Dictadura sanitaria, educación y propaganda higiénica en el México Revolucionario, 1917-1934 », Dynamis: Acta hispanica ad medicinae scientiarumque historiam illustrandam, no 25, , p. 117–143 (ISSN 0211-9536, lire en ligne, consulté le )
- « La France, une « dictature sanitaire » ? Yann Moix et Axel Kahn s'opposent », L'Express, (consulté le )
- « Coronavirus : qui sont les anti-masques en France? », Le Courrier picard, (consulté le )
- Centre France, « Coronavirus - Les anti-masques mobilisés contre une « muselière » jugée liberticide », sur www.lamontagne.fr, (consulté le )
- « Covid-19 - Belgique : à Bruxelles, des « anti-masques » manifestent contre les mesures sanitaires prises dans le pays », sur France 3 Hauts-de-France (consulté le )
- « « Stop à la dictature »: 200 personnes manifestent contre les mesures sanitaires à Bruxelles (photos et vidéo) », sur Le Soir, (consulté le )
- Netgen, « « Dictature sanitaire », « Fin des libertés individuelles » : que répondre à ces arguments durant la pandémie?* », sur Revue Médicale Suisse (consulté le )
- « Sommes-nous dans une dictature sanitaire ? », sur France Culture, (consulté le )
- « Covid-19 : la mobilisation contre le passe sanitaire s’accroît, 161 000 opposants ont défilé partout en France », Le Monde, .
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- (en) Paul Smith, « Hard lockdown and a “health dictatorship”: Australia’s lucky escape from covid-19 », BMJ, vol. 371, (ISSN 1756-1833, PMID 33361106, DOI 10.1136/bmj.m4910, lire en ligne, consulté le )
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- (en) Charles Bremner Paris, « Marine Le Pen claims travel ban for Covid antivaxers is health dictatorship », The Times, (ISSN 0140-0460, lire en ligne, consulté le )
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- « Michel Maffesoli : « La mise en scène de la peur est un signe de totalitarisme » », sur frontpopulaire.fr (consulté le )
- (es) « La dictadura sanitaria », sur El Desconcierto - Prensa digital libre (consulté le )
- « « Ne qualifions pas de dictature sanitaire ce qui relève d’un défaut de civisme » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « « Il en va de la “dictature sanitaire” comme de la “dictature verte” : ce sont des fictions toxiques » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Propos recueillis par Christian Delahaye, « Covid-19 : regards croisés du philosophe et de l'historien », Le Quotidien du médecin, (lire en ligne)
- Le JDD, « André Comte-Sponville : "Se laver les mains, c'est très bien, mais cela ne tient pas lieu de sagesse" », sur lejdd.fr (consulté le )
- « Covid-19: «En démocratie, on ne peut lutter contre une épidémie à n’importe quel prix» », sur LEFIGARO (consulté le )
- Laure Dasinieres, « La vaccination obligatoire est-elle compatible avec la démocratie sanitaire? », sur Slate.fr, (consulté le )
- France24 et Marc Paupe, « Covid-19 : les manifestations anti-confinement essaiment en Europe », sur france24.com (consulté le )
- « France: sur fond de théories complotistes, le mouvement «anti-masque» se propage », sur RFI, (consulté le )
- « Allemagne : l’AfD adapte son discours pour prospérer », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne)
- « Tony Abbott accuses Daniel Andrews of running 'health dictatorship', slams Australia's virus response », sur www.9news.com.au (consulté le )
- Victoria Craw in London, « ‘New low’: Abbott’s virus comment slammed », The Courier Mail, (lire en ligne, consulté le )
- La dictature de la pensée sanitaire ne doit pas se substituer à celle de l’économie (Dr. J de Toeuf)
- «Sous couverture» avec Didier van Cauwelaert: «Une dictature sanitaire reste une dictature»
- Didier van Cauwelaert : « Une dictature sanitaire reste une dictature »
- Ces Français qui protestent contre la «dictature sanitaire»
- Covid-19 : les visages de la fronde antimasques et antirestrictions
- Figeac : ils se mobilisent pour dire "Non à la dictature sanitaire"
- Le Point magazine, « Contre la "dictature sanitaire", des dizaines de milliers de personnes dans les rues », sur Le Point, (consulté le )
- "Cette situation est une dictature sanitaire, mais nous l'avons créée"