Discussion:Le Secret du Masque de fer
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Le fils bâtard de Charles II
modifierLa thèse identifiant James de la Cloche au frère jumeau de Louis XIV exclut doublement toute filiation avec Charles II : En situant la naissance de James au moment de celle de Louis XIV, c’est-à-dire le 5 septembre 1638, il n’aurait que 8 ans de moins de Charles II né en 1630[1].
James, arrivé à Jersey en 1644 sans connaître son identité, ignore probablement la date exacte de sa naissance. On remarque cependant que lorsque Charles II arrive à Jersey en 1646 (il a 16 ans et n’est pas encore roi), James, né en 1638 et déjà sur l’île, a 8 ans. On peut donc supposer que James, à l’âge de 8 ans, a côtoyé Charles II chez les Carteret à Jersey pendant deux ans environ, avant le départ de Charles II pour La Haye en 1648. Pouvait-il se croire plus tard fils de Charles II ? Cela signifierait que non seulement il ignorait aussi la date de naissance de Charles II, mais qu’il surestimait l’âge de ce dernier, alors qu’il l’avait côtoyait sur l’île de Jersey à un âge assez raisonnable pour juger si Charles II pouvait être son père.
Au-delà de la rumeur qui circulait à Jersey, James aurait acquis sa propre conviction en voyant le portait de Charles II par Peter Lely, offert par la reine d’Angleterre à Sir Carteret, sur lequel Marcel Pagnol voit une ressemblance frappante avec Louis XIV (et donc son frère jumeau le cas échéant), cousin germain de Charles II. Cette ressemblance paraît contestable, même si M.Pagnol ne spécifie pas le portrait de Louis XIV auquel il compare celui de Charles II.
M.Pagnol dispose des documents soumis par James dans lesquels il est déclaré comme étant le fils bâtard de Charles II. En admettant que les lettres de Charles II au père jésuite sont des faux, écrites par James lui-même, on admet donc que James a revendiqué une filiation à Charles II afin d’être admis à l’Institut des novices jésuites, ce que le père Oliva a cru. On peut cependant contester le fait que James y croyait sincèrement.
D’après M.Pagnol, James, qui croyait sincèrement être le fils de Charles II, « militait » pour être reconnu en tant que tel et obtenir ainsi un titre de duc. Il démarche auprès des jésuites dans le but d’être à même de convertir Charles II, le rendant ainsi redevable. Lorsqu’il précipite son départ de l’Institut jésuite, il renonce ainsi à son noviciat et au fait d’être à même de convertir Charles II. Il cherche alors un autre moyen de le rendre redevable, en l’occurrence l’argent qu’il va escroquer aux jésuites.
Si on admet que James croyait sincèrement être le fils de Charles II, il aurait, lorsqu’il doit renoncer à son noviciat, escroqué une importante somme d’argent aux jésuites en projetant d’ « acheter » la reconnaissance de Charles II, qui le ferait ainsi duc.
Sans doute anticipait-il également un nouveau refus de Charles II et s’assurait déjà une petite fortune clandestine. Il n’envisage en effet sûrement pas de retourner chez les Carteret qui voient sans doute d’un mauvais œil son obstination après le refus de Charles II de le reconnaître comme son fils. On ignore d’ailleurs ce qu’ils savent de James après son départ de l’île de Jersey : Ils ignorent certainement qu’il a intégré l’Institut jésuite en se faisant passer pour le fils de Charles II.
Si on admet que James s’est fait passer pour le fils de Charles II en sachant pertinemment qu’il ne pouvait l’être, on s’interroge alors sur ses motivations. On écarte l’hypothèse selon laquelle il s’acharnait autant à obtenir de Charles II un titre de duc qui ne lui était pas dû. On écarte également l’hypothèse d’une escroquerie crapuleuse isolée et préméditée, dans la mesure où James rencontre Charles II après son départ de l’Institut jésuite. Il ne se contente pas de fuir avec l’argent escroqué. Sans doute avait-il d’autres projets et ambitions en tête, en l’occurrence la conspiration Roux de Marcilly.
Conspiration Roux de Marcilly
modifierLe document avancé par Marcel Pagnol situe une rencontre entre James et Charles II début 1669, date à laquelle Charles II aurait redirigé James vers Roux de Marcilly après lui avoir révélé sa véritable identité. Le rôle de James dans la conspiration est fondamental : Il aspirait au trône qui lui revenait légitimement, portant ainsi avec lui le soutien populaire français et étranger.
Or début 1669, Roux de Marcilly est déjà dénoncé depuis pas mal de temps (juin 1668), il est en fuite et se réfugie en Suisse en février 1669. James aurait donc été intégré aux conspirateurs bien tardivement pour un protagoniste.
D’autre part, M.Pagnol donne très peu d’informations sur les jeunes années de James, entre son adolescence à Jersey et son départ pour Rome. Lorsqu’en 1663 James Scott, fils de Charles II, est fait duc de Monmouth, James a 25 ans. Il n’attend probablement pas 5 ans pour se manifester. Il démarche auprès du roi Charles II, sans doute par l’intermédiaire des Carteret.
Charles II lui répond qu’il n’est pas son père, ce dont James peut convenir s’il sait l’âge de Charles II. James continue donc de questionner les Carteret qui s’en remettent à Charles II. Celui-ci tient de sa mère un secret royal: Il doit connaître l’existence du frère jumeau de Louis XIV, qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour le royaume de son cousin.
Charles II, questionné par James et sans doute les Carteret, aurait ainsi révélé à James le secret de sa naissance et donc son identité, entre 1664 et début 1668 (et non en 1669 tel que M.Pagnol le laisse entendre). Peut-être que les Carteret apprennent alors eux aussi le secret.
Sachant cela, James prépare, aux côtés de Roux de Marcilly, une conspiration qui, au-delà de rendre le trône à son héritier légitime, rassemble la cause protestante à l’échelle de l’Europe. Il pouvait en effet, ayant vécu aux Pays-Bas (ce à quoi M.Pagnol ne fait pas référence), se charger de la coordination avec les Provinces Unies citées dans la lettre dénonçant Roux de Marcilly.
James sollicite la collaboration décisive de Charles II, des provinces françaises étant promises à l’Angleterre en cas de chute de Louis XIV[2]. Charles II exprime alors ses réticences du fait de la pension qui lui est versée par son cousin. Le manque de coopération de l’Angleterre ressort d’ailleurs dans la lettre dénonçant Roux de Marcilly.
James se présente ensuite à L’institut des novices jésuites à Rome, se faisant passer pour le fils bâtard de Charles II avec les fausses lettres à l’appui. Ainsi, lorsqu’il sera fait prêtre catholique, il pourra convertir Charles II qui lui en sera redevable.
Mais la venue à Rome de Christine de Suède bouleverse ses plans. Craignant d’être démasqué, il précipite son départ de Rome mais « rentabilise » son court séjour (moins de 8 mois) en escroquant une grosse somme d’argent aux jésuites. Cet argent pourra servir à acheter la collaboration de Charles II qui tient à la pension versée par Louis XIV. James quitte donc l’Institut avant de terminer son noviciat, mais compte désormais sur Henriette d’Angleterre pour le faire ordonner prêtre catholique.
On remarque que James précipite son départ de l’Institut jésuite fin 1668, soit entre la dénonciation de Roux de Marcilly et son enlèvement en Suisse. Il serait donc retourné à Londres, en possession du magot escroqué à l’Institut jésuite, dans le but d’accélérer ses démarches auprès de Charles II, alors que la conspiration s’avérait sérieusement compromise par l’arrestation de Roux. Il se pourrait donc que son départ de l’Institut ait été précipité certes par la venue de Christine de Suède (fortement susceptible de démasquer son imposture), mais surtout par l’enlèvement de Roux.
Lorsqu’Henriette d’Angleterre le renvoie à Charles II, celui-ci campe sur sa position de « wait and see » quant à un positionnement affirmé dans la conspiration Roux de Marcilly. James s’installe alors clandestinement à Londres, disposant de la grosse somme d’argent escroquée aux jésuites.
On remarque aussi qu’à son retour de Rome, James s’installe à Londres, où Roux de Marcilly était basé avant sa dénonciation et sa fuite en Suisse… Marcel Pagnol n’apporte pas d’élément permettant d’établir la date de son départ de l’île de Jersey ou d’établir une hypothèse quant à une installation à Londres aux côtés de Roux avant son séjour à Rome.
« Dauger » valet de Fouquet
modifierD’autre part c’est M.Pagnol lui-même qui, en toute loyauté et objectivité, concède certaines objections à sa propre thèse.
Fouquet éliminé?
modifierLe prisonnier aurait porté le masque à Sainte-Marguerite et la Bastille, mais pas à Pignerol lorsqu’il côtoie Fouquet. Le voyant masqué, Fouquet aurait sans doute été d’autant plus intrigué et curieux. Cela étant, on peut raisonnablement admettre que si Fouquet a côtoyé Dauger, il l’a très certainement reconnu et le cas échéant, a identifié la ressemblance avec Louis XIV.
Le roi a-t-il consenti à cette révélation ? C’est bien possible si l’on admet qu’il programme par ailleurs l’élimination de Fouquet. Mais M.Pagnol qualifie cette réponse de « faible ». En effet, si l’on reprend la chronologie relative à l’emprisonnement de Fouquet : Début 1675, Compte tenu de l’état de santé physique et mentale du prisonnier qui se dégrade dangereusement, Louis XIV lui autorise la compagnie de Fouquet (en l’affectant officiellement comme son valet). Fin 1678, Louvois, de manière très habile et hypocrite, interroge Fouquet sur ce qu’il sait de « Dauger ». Fouquet « tombe dans le piège » et meurt empoisonné un peu plus d’un an plus tard (mars 1680).
Louis XIV aurait-il programmé l’exécution de Fouquet dès 1675, soit 5 ans avant sa mort ?...
Il semblerait plutôt que, près de 4 ans après avoir accordé au prisonnier la compagnie de Fouquet, Louis XIV prend conscience d’avoir commis une grave erreur et se voit pris d’une certaine panique. Apprenant, comme il le craignait, que Fouquet sait le secret si dangereux pour la royauté, il décide d’épargner son frère aux dépens de Fouquet et ordonne l’exécution de celui-ci, dissimulée notamment par l’annonce au préalable d’une libération prochaine.
Lauzun libéré
modifierDe plus on se demande pourquoi la rencontre de Fouquet est autorisée tandis que la rencontre de Lauzun est tant redoutée et formellement interdite.
Lauzun fut emprisonné début 1671 à Pignerol alors qu’il s’apprêtait à épouser Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV. S’agissant ainsi d’un proche de la famille royale, il aurait été jugé plus susceptible que Fouquet de reconnaître le frère jumeau du roi ?... Fouquet, surintendant des finances, côtoyait très certainement le roi. Louis XIV craignait-il davantage l’indiscrétion de Lauzun ?...
De même on remarque que Lauzun, à qui Fouquet a pu révéler le secret de « Dauger » au cours de conversations nocturnes secrètes[3], a lui été épargné et libéré en 1681. M.Pagnol n’a apparemment pas de certitude sur ce que Lauzun savait (ou pas)[4].
On peut admettre que Lauzun a été libéré alors que Louvois et Louis XIV savaient pertinemment qu’il connaissait l’identité du fameux prisonnier. M.Pagnol précise qu’il est très étroitement surveillé à sa libération : Il doit rester en province sous la garde d’un certain M. de Maupertuis, capitaine de mousquetaires et ami de Saint-Mars, qui fait mettre des grilles aux fenêtres de sa chambre.
On explique par ailleurs la « clémence » de Louis XIV (et donc une certaine injustice vis-à-vis de Fouquet qui aurait été éliminé parce qu’il savait) par le haut statut de Lauzun à la cour. M.Pagnol donne une citation dont l’origine n’est pas clairement spécifiée (il s’agirait de l’épouse de Saint-Simon, l’une des filles du maréchal de Lorges) : « Le beau-frère [de Saint-Simon : Lauzun] a été de tous les secrets, chargé de la mission qui repose sur la confiance la plus intime : celle du capitaine des gardes. La personne, la sûreté du roi étaient entre ses mains… »
Craintes d’une attaque (pour délivrer le prisonnier)
modifierM.Pagnol s’interroge également sur l’attitude de prétendus complices à l’étranger après la dénonciation de la conspiration Roux de Marcilly et l’emprisonnement de « Dauger ».
Il fait par exemple remarquer que, si Saint-Mars a réellement intercepté à Exiles un message que des conspirateurs ont tenté de faire passer au prisonnier au moyen d’une bougie truquée, Saint-Mars pouvait répondre au message et organiser une fausse évasion de manière à tendre un piège aux expéditeurs. M.Pagnol n’a retrouvé aucune suite de cet épisode de la bougie truquée. On peut émettre l’hypothèse que, plutôt que de risquer de raviver des tensions internationales ayant suivi l’enlèvement illégal de Roux de Marcilly, Louis XIV a préféré transférer discrètement le prisonnier à la forteresse plus isolée de l'île Sainte-Marguerite.
Cela étant, on peut supposer que les vieux complices du prisonnier savaient qu’il s’agissait du frère jumeau de Louis XIV. Dans ce cas, pourquoi n’ont-ils pas dénoncé dans leurs gazettes que Louis XIV était un usurpateur, bourreau de son propre frère ? Sans doute craignaient-ils que Louis XIV aurait réagi en éliminant le prisonnier.
Pourquoi ces complices ne se sont-ils donc pas manifestés après le décès du prisonnier ? Plus de 34 ans après la conspiration, ceux qui savaient étaient sans doute eux-mêmes disparus. De plus un complot contre le roi n’était a priori plus d’actualité 6 ans après la Révocation de l’Edit de Nantes et l’exode massif des protestants… M.Pagnol concède que cette réponse s’avère peu convaincante.
Notes
modifier- Ainsi Charles II a 15 ou 16 ans lorsqu’arrive à Jersey en 1646, et James, déjà sur l’île, a donc 8 ans.
- D’après le rapport de Henri de Massué de Ruvigny, second ambassadeur de France à Londres, dénonçant la conspiration Roux de Marcilly, il avait été « convenu que le roi d’Angleterre aura la Guyenne, le Poitou, la Bretagne et la Normandie, […] ». Roux aurait évoqué un entretien avec le duc d’York, et un rendez-vous avec Md Arlington.
- Fouquet et Lauzun auraient communiqué secrètement au moyen d’un trou creusé entre leurs cellules. Saint-Mars en fait le rapport à Louvois suite au décès de Fouquet.
- On peut comprendre, en examinant la lettre de Louvois à Saint-Mars faisant suite au décès de Fouquet, que Lauzun a appris le secret de Dauger par Fouquet. Or M.Pagnol écrit par ailleurs : « Fouquet lui en a certainement parlé [à Lauzun, du mystérieux prisonnier], sans lui révéler le secret, car il le savait trop bavard. »