Discussion:Messe en si mineur
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modifierGenèse de la Messe en si:
La composition s’en est échelonnée sur 25 ans. La genèse de l'œuvre débute le 27 juillet 1733, date à laquelle Bach envoie à Dresde vingt et une parties séparées formant la Missa (Kyrie, Gloria) accompagnées de la dédicace « à Son Altesse Royale et Son Altesse Sérénissime, le Prince-Électeur de Saxe ». Kyrie et Gloria célébraient l'avènement de Friedrich August II, nouvel électeur de Saxe, sur le trône de Pologne sous le nom d'Auguste III. Bach espérait en contrepartie un poste à la Chapelle ducale de Dresde. À la fin de sa vie, dans les années 1747-1749, le compositeur ajouta à la Missa de 1733 le Symbolum Nicenum, c'est-à-dire le Credo, ainsi qu'Osanna, Benedictus, Agnus Dei et Dona nobis pacem et un Sanctus composé en 1724, année de sa création. Bach reprit des pages antérieurement écrites, airs de cantates et pièces originales, les recomposa et les adapta pour aboutir à une messe complète qui garde son homogénéité.
La Messe en si, messe universelle:
L'œuvre prise dans sa globalité tient de la tradition catholique, avec les cinq parties de l'ordinaire de la messe et la présence dans le Credo des termes : « Je crois en une Église sainte, catholique et apostolique », confiés à la basse. Certes à Dresde, capitale catholique de Saxe rivale de Leipzig, cité luthérienne saxonne, une dualité religieuse s'affirme par la présence de deux chapelles ducales, l'une luthérienne, l'autre catholique. La Messe en si mineur est peut-être le reflet de cette dualité religieuse de l’Allemagne. Plus sûrement, compte tenu de la durée de sa composition, de son caractère de somme de l’art vocal de Bach, elle a été pensée comme la messe universelle (= catholicam) et se réfère à la tradition liturgique la plus ancienne qui soit, celle qui est issue du concile de Nicée au IVe siècle, antérieure même à la séparation entre l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident.
La Messe en si est un monument par ses proportions, par ses multiples strates stylistiques : ancrée dans la tradition la plus ancienne, celle du contrepoint archaïque de Palestrina ; annonçant le gigantisme des proportions de la musique du XIXe siècle… Devant un tel monument, il vaut la peine de s’interroger sur l’origine et la signification de cette ample et « admirable liturgie chrétienne, qui fut d’une si prenante efficacité » (Jules Isaac) et a pu susciter, parmi tant d’autres, un si absolu chef-d’œuvre.
Sens de la liturgie et traduction dans la Messe en si de Bach:
Pour un chrétien, la religion est une nouvelle forme de vie, au sein d’une ecclesia qui en est le corps social renouvelé. L’ambition de cette société est de faire de ses membres des saints : c’est le sens de cette proclamation du Credo : « je crois en une église sainte… ». C’est également affirmé dans ces tout premiers écrits chrétiens, antérieurs même aux évangiles, que sont les épîtres de Paul : « Paul parle du destin de l’humanité et non des individus qui la composent […] il présente l’impasse où se trouve l’individu croyant qui cherche à lui tout seul à obéir à Dieu » (E. Trocmé, L’enfance du christianisme). Dans les termes mêmes de l’Eglise catholique : « l’œuvre du salut continuée par l’Eglise se réalise dans la liturgie. […] Toute célébration liturgique est un exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles ; […] c’est l’œuvre sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Eglise ne peut atteindre l’efficacité au même degré. […] La liturgie terrestre est considérée comme un avant-goût de la liturgie céleste qui se célèbre dans la sainte cité de Jérusalem à laquelle les chrétiens tendent comme des voyageurs. […] Elle pousse les fidèles à garder dans leur vie ce qu’ils ont saisi par la foi dans les mystères de la Pâque. […] Ainsi la liturgie, sommet vers lequel tend l’action de l’Eglise, est également la source dont peut découler le plus efficacement cette sanctification des hommes et cette glorification de Dieu dans le Christ, que recherchent, comme leur fin, toutes les autres œuvres de l’Eglise. » (tiré des actes de Vatican II).
Faut-il tenter de l’exprimer sous une forme plus extérieure à la religion chrétienne ? Disons que comme toute grande religion, le christianisme exprime une forme de prise de conscience de la destinée humaine et, face à ce sentiment océanique, à cet insondable mystère que nulle connaissance n’atteint, il affirme une croyance qui lui donne une fin (la dimension eschatologique de l’Eglise pour les chrétiens). Par exemple, ce qu’on sait désormais de notre extraction progressive hors de l’animalité peut faire croire à l’idée d’une destinée humaine. Cette idée suscite alors des règles de vie, des rituels de remémoration (anamnèse), une liturgie (étymologiquement, œuvre publique) qui ont pour but de garder présente à l’esprit dans chaque occasion de la vie cette prise de conscience essentielle à travers un double mouvement :
1. mouvement d’humilité et d’espérance (sanctification des hommes) exprimés par : - la déploration de notre faiblesse humaine (→ Seigneur prends pitié, Kyrie Eleison), - la contrition pour notre indéracinable propension à ne pas accompagner ce projet grandiose de tout notre être, et à lui opposer au contraire le mal que nous faisons à nos frères en humanité (→ Domine Deus,… → Qui tollis peccata mundi… → Qui sedes … miserere nobis ; → Agnus Dei…) ; - la reconnaissance envers la grâce qui nous est faite d’entrevoir les mystères qui restent celés aux formes de vie non humaines (→ Gratias agimus tibi…) - l’espérance d’être sanctifiés dans une société idéalement pacifiée (→ et in terra pax hominibus bonae voluntatis…→ Dona nobis pacem ).
2. mouvement au sens propre d’enthousiasme (glorification de Dieu) pour le dessein que nous croyons apercevoir de nous faire participer tant soit peu, par une disposition qui est accordée à notre conscience par l’Esprit Saint (→ Cum Sancto Spiritu…), à ce projet mystérieux qui nous dépasse essentiellement (→ Gloria in excelsis Deo; → Laudamus te… ; → Quoniam tu solus… → Sanctus… → Osanna ; → Benedictus…)
Ce double mouvement conduit : 3. à une déclaration d’engagement, une profession de foi (→ Credo, tout le Symbolum Nicenum).
Ces mouvements de l’esprit ne cessent d’alterner tout au long de la messe, parfois au sein d’un même verset. La liturgie apparaît ainsi comme un exercice spirituel collectif visant à n’oublier jamais aucun des termes du processus qui doit mener à la sanctification, qui est le but de la nouvelle société.
La « Messe en si » comme allégorie complète de la liturgie : La musique de Bach épouse, révèle et magnifie ces mouvements de l’esprit à plusieurs échelles : le figuralisme des mots, le contrepoint des lignes, l’architecture de l’ensemble.
Le figuralisme est omniprésent et l’auditeur ajoutera à son plaisir à les repérer ; c’est une manière de donner au texte une importance fondamentale, c’est l’art du vitrail appliqué à la musique. Citons parmi tant d’autres exemples le caractère du Et incarnatus, lent et secret comme une gestation ; la montée chorale sur le mot « ascendit » ou au début du « Resurrexit ». On peut affirmer que, lorsqu’il met en musique un texte, Bach ne laisse jamais passer une idée, une image ou un mot important, sans en donner musicalement une transcription symbolique.
Le contrepoint, dont Bach était un prodigieux virtuose, entrelace des mélodies indépendantes au cours de leur déroulement dans le temps. Pas une seule fois dans son immense production on ne trouve des accompagnements de simples accords plaqués (à moins qu’il ne le cherche pour une raison expressive) ou des voix intermédiaires ternes et sans intérêt. Il peut ainsi (parmi d’innombrables exemples) sous-tendre la solennelle déclamation du Credo de la Messe en si par la solidité d’un rythme perpétuel et obstiné à la basse continue, suggérant par-là un commentaire qui ajoute au texte chanté l’idée de l’éternité de Dieu. Dans le Confiteor, il fait circuler un cantus firmus grégorien, d’une voix à l’autre, au sein d’une écriture beaucoup plus moderne, comme pour signifier le caractère antique du baptême et l’ancrage de la liturgie dans la tradition. Le contrepoint, ce sont aussi ces dissonances audacieuses que Bach s’autorise, qui sont harmoniquement transcendées par le mouvement des voix vers la fin que leur assigne le compositeur. Dans les pièces chorales particulièrement, les chœurs représentent souvent la foule des hommes et l’on peut entendre les différentes voix comme celles des individus ou des peuples qui cheminent indépendamment. C’est par le miracle d’un contrepoint divin que dans ces routes diverses peut se déceler une fin et une harmonie. Ainsi le contrepoint peut être entendu comme une métaphore de cette liturgie céleste qui rassemble, en un dépassement surhumain, des destinées humaines qui s’entrechoquaient, livrées qu’elles semblaient aux dissonances des hasards et des nécessités de l’histoire. C’est par le miracle du contrepoint que l’on parvient à apercevoir, allégoriquement, non plus la confusion des cités terrestres, mais la façon dont on les verrait de la cité céleste, une fois le sens de la Création révélé, le compositeur apparaissant alors « comme un autre Dieu en tant que créateur d’œuvres d’art » et maître de l’harmonie des fins dernières.
Mais le mode de composition particulier de la Messe en si mineur apporte une dimension supplémentaire à cette allégorie musicale de la liturgie céleste : les quatre parties de la messe ont été écrites sur une période de quelque trente-quatre ans par un homme qui avait su s’assimiler la tradition du style ancien: « entre le Kyrie I, le Christe et le Kyrie II il existe des mondes ». Composée (à part trois ou quatre mouvements) par adaptation de musique préexistante de Bach à de nouveaux textes, elle révèle l’unité secrète de la création (celle de Bach, celle du Créateur), son eschatologie intime ; cela semble vouloir dire que, tout comme les morceaux de musique tout d’abord destinés à servir d’autres fins, les Hommes sont promis à une destinée imprévue, ils sont appelés à s’inscrire dans un grand dessein, à renaître à une vie future. Il est ainsi permis d’entendre les diverses strates stylistiques de cette somme comme une allégorie musicale de l’humanité en marche vers la sainteté à travers les siècles, et de la résurrection.
Les indications de tempo dans le tableau : d'où viennent-elles ?
modifierAmis musiciens bonjour, On n'est pas sans savoir qu'il existes quelques différences d'indication entre la version autographe de Bach et celle qui nous est parvenue via Carl Philip Emmanuel. Cependant, les indications de tempo utilisées dans le tableau listant tous les mouvements me semblent plutôt étranges. Elles ne sont aucunement représentatives des indications usuelles dans la littérature baroque : "maestoso", "pomposo", "larghetto" ; voilà des indications plutôt anachroniques ! De plus, elles ne sont visibles ni dans l'autographe (à consulter sur IMSLP), ni dans la dernière édition de la NBA chez Bärenreiter (ISMN 979-0-006-20526-4). Je n'ai pas pris la liberté de les supprimer, car je n'ai peut-être pas toutes les sources... mais si quelqu'un sait d'où ces indications peuvent provenir, il me paraîtrait nécessaire de le faire figurer de façon visible dans l'article, à savoir une note et un texte explicatif au-dessus du tableau. Duc in altum ! --Etienne Berny (discuter) 19 avril 2020 à 17:52 (CEST)