Eliza Fraser est une Anglaise née le à Wirksworth en Angleterre et morte en 1858 à Melbourne. En 1836, après que le brick que commande son mari a fait naufrage au large de la côte nord-est de l'Australie, elle endure trois mois d'errance avec quelques marins survivants avant que des Occidentaux de Brisbane ne la retrouvent.

Eliza Fraser
Biographie
Naissance
Décès
Nom de naissance
Eliza Ann Slack
Autres noms
Eliza Ann Britton, Eliza Anne Starke, Eliza Anne Frazer
Conjoint
capitaine James Fraser (avant 1821 - 1836)
capitaine Alexander John Greene (1837 - ?)
Enfant
Jane, James Muir et David
Œuvres principales
Narrative of the capture, sufferings, and miraculous escape of Mrs. Eliza Fraser, wife of the late Captain Samuel Fraser, commander of the ship Sterling Castle, which was wrecked on 25th May (1837)

Elle donne un récit cauchemardesque des semaines qu'elle a passées auprès d'Aborigènes, les décrivant comme des sauvages cannibales qui l'ont réduite en esclavage. Largement amplifié par la presse contemporaine, sa relation des faits est perçue au début du XXIe siècle comme ayant contribué à ternir la vision des Aborigènes dans l'imaginaire occidental. La sincérité ou non de son témoignage n'est pas établie.

Biographie

modifier

Jeunesse

modifier

Eliza Ann Slack naît en Angleterre, peut-être dans le Derbyshire vers 1798[1]. Il peut s'agir de la fille de John Slack et de Grace of Middleton, née le et baptisée le à Wirksworth[2]. Elle apprend au moins à lire et écrire. Peu avant 1821, elle épouse un marin nommé James Fraser, son aîné d'une vingtaine d'années. En 1835, le capitaine Fraser, malade et âgé de 56 ans, commande le brick de 350 tonnes[3] Stirling Castle. Laissant leur fille — Jane, 14 ans — et leurs deux fils — James Muir, 10 ans[N 1] et David, 6 ans[2] — sous la garde du pasteur de Stromness, dans les îles Orcades, Eliza l'accompagne dans un voyage pour l'Australie. Le navire appareille de Londres le , gagne Hobart puis Sydney[1] où il décharge une cargaison de rhum, vin, bière, vinaigre, moutarde, cornichons, sel, meules et planches[2]. De là, il fait route en direction de Singapour[1].

Naufrage

modifier

Le capitaine Fraser n'a pas un passé glorieux dans l'hémisphère sud : quelques années plus tôt, sa brigantine Comet a fait naufrage dans le détroit de Torrès[3].

Le , alors qu'il longe de nuit la côte nord-est de l'Australie, le Stirling Castle heurte à Swain Reefs (en)[2] un récif de corail[1]. L'accident ne fait pas de victime immédiate[4] et les dix-neuf[2] rescapés embarquent dans deux canots de sauvetage et mettent cap au sud pour tenter de gagner le camps pénitencier de la baie Moreton (en)[2], trois cent soixante-dix milles nautiques plus loin . Les deux embarcations naviguent au début de conserve. Mais assez vite, la pinasse distance la chaloupe : elle touche finalement terre vers l'embouchure de la Tweed ; six de ses sept passagers[N 2] meurent, le survivant Robert Hodge est recueilli plus au sud, sur les rives du Macleay[1].

La chaloupe quant à elle prend l'eau et navigue plus lentement[N 3]. À son bord, Eliza accouche après trois jours[2] d'un bébé qui ne survit pas[1]. Le canot atteint après 400 kilomètres[3] et un mois d'errance[2] la pointe septentrionale de l'île que les Occidentaux nomment alors Great Sandy Island et le peuple autochtone — les Butchulla — K'gari[1]. Les naufragés, alors au nombre de douze, y rencontrent des Aborigènes, avec lesquels ils troquent leur équipement et vêtements contre de la nourriture. Ils tentent dans un premier temps de réparer leur canot, mais c'est à pied, scindés en deux groupes, qu'ils longent la plage pendant plusieurs semaines[5] vers le sud, jusqu'au détroit qui sépare l'île de sable du continent[1]. Quand ils l'atteignent, trois d'entre eux ont déjà péri (dont le capitaine[5] et son second Charles Brown[6]) et deux se noient en tentant de traverser à la nage[3].

Les Aborigènes font franchir le détroit en canoë à Eliza et cinq membres d'équipage, tandis que le second John Baxter est laissé sur l'île[3]. Deux des marins sont conduits vers le sud le long de la rivière Noosa (en), les trois autres[N 4] parviennent à fausser compagnie à leurs ravisseurs à l'embouchure de ce fleuve. Aidés par d'autres aborigènes, ceux-ci parviennent à gagner l'île Bribie où ils rencontrent le [3] le lieutenant Charles Otter de la garnison de la baie Moreton. Son commandant, Foster Fyans, lance le un groupe de sauvetage de deux soldats et treize prisonniers volontaires[3] placés sous les ordres d'Otter et guidés par John Graham, un condamné récemment repris après avoir passé plusieurs années en fuite parmi les Aborigènes[3]. Deux marins[N 5] sont récupérés sur la rive occidentale du lac Cooroibah (en), puis au sud de K'gari le sous-lieutenant du Stirling Castle John Baxter est délivré du groupe aborigène qui le détient. Enfin, John Graham retrouve Eliza Fraser près de l'extrémité nord du lac Cootharaba et parvient à l'exfiltrer. C'est non loin de l'actuel Teewah (en) qu'il la remet au lieutenant Otter, extrêmement affaiblie[3]. Tous rentrent à Brisbane le , trois mois après le naufrage du brick[1].

Selon le journaliste contemporain John Curtis, le bilan humain du drame est le suivant[4] :

  • survivants : Eliza Fraser, le maître d'équipage John Baxter, le steward Joseph Corallis, les marins Robert Darge, Robert Hodge, Henry Youlden, Robert Hanham et le garçon d'équipage Robert Carey ;
  • morts :
    • de faim : le marin John Copeland et le cuisinier Jacob Allen ;
    • d'un coup de lance : James Frazer (selon le témoignage d'Eliza), le charpentier Jacob Schofield et le bosco Edward Stone ;
    • brûlés : le second Charles Brown et le marin Michael Denny ;
    • noyés : les marins Michael Doyle et William Eliott, les garçons John Fraser et John Wilson.

Récit d'Eliza Fraser

modifier

Rapatriée à Sydney, Eliza Fraser fait le récit de son périple, que les journaux d'alors ne manquent pas de romancer et d'exagérer : sur l'île K'gari, les Aborigènes ont progressivement dépouillé de force les Européens de leurs vêtements et objets et les ont répartis dans divers groupes familiaux, où ils participent aux tâches quotidiennes entièrement nus. Des femmes lui ont frotté le corps brûlé par le soleil avec du sable, puis l'ont enduite de charbon de bois et de graisse, peinte et décorée de plumes. Elle a été contrainte d'allaiter un enfant indigène dont la mère est malade, on lui a demandé de déterrer pour le groupe des racines ou de monter dans des arbres pour exploiter des nids d'abeilles. Devant son incompétence à exécuter ces tâches, elle est battue, brutalisée, nourrie de restes et maintenue isolée des autres naufragés[1]. Elle est forcée de dormir sans abri[3]. Charles Fraser est mort sous ses yeux, victime d'un coup de lance[1] ; Brown et Denny ont été brûlés vifs, attachés à des poteaux[2].

Autres témoignages

modifier

La perception des faits par les Butchulla est à l'évidence différente : ils perçoivent ces inconnus blancs comme des fantômes de proches décédés, qui doivent logiquement retrouver leur foyer et y participer à la vie quotidienne. Leur patience s'émousse rapidement quand ils les découvrent totalement dépourvus des compétences les plus élémentaires pour une autosuffisance qu’eux et leurs ancêtres connaissent depuis des millénaires[3].

Ses contemporains font d'Eliza Fraser des portraits divergents : pour le marin du Stirling Castle Henry Youlden, c'était « une femme grossière, méchante et rusée » ; le journaliste John Curtis est en revanche bienveillant et estime qu'elle souffre d'une « aberration mentale » due à sa mésaventure[1]. A-t-elle exagéré son récit, réalisant qu'elle pouvait ainsi maximiser ses profits ?

Robert Hodge — le seul survivant des hommes embarqués sur la pinasse — évoque des actes de cannibalisme. Un officier découvre en effet dans une clairière les restes méconnaissables d'un homme blanc dont la tête a été placée sur un feu. Il porte cependant le gilet à boutons dorés d'un des marins, ce qui rend peu crédible que son meurtre soit le fait d'aborigènes[2].

Ajoutant à la confusion, un certain David Bracewell[N 6] prétend en 1842 être celui qui, alors détenu en fuite, a sauvé Eliza Fraser[1] grâce à ses liens étroits avec un groupe autochtone[3]. Celle-ci l'aurait ensuite dénoncé aux autorités lorsque Bracewell l'a conduite auprès des Occidentaux[3]. Cette version de l'histoire, empreinte de romance suggérée et de trahison, est rapidement devenue la plus célèbre au point d'éclipser les témoignages de la garnison de Moreton[3]. Le rôle de ce Bracewell reste incertain : il semble qu'il a effectivement épaulé Graham dans l'exfiltration d'Eliza Fraser du groupe qui la détenait ; quelques indices suggèrent qu'il a pu avoir avec elle une relation sexuelle, consentie ou non[3].

Fin de vie

modifier

Eliza est fêtée dans la société occidentale de Sydney. Elle séjourne chez le secrétaire aux Colonies et une souscription publique récolte à son profit une importante somme d'argent. Elle y épouse en secondes noces le le capitaine Alexander John Greene[N 7]. À bord du navire qu'il commande, le Mediterranean Packet, le couple rentre en Europe et débarque à Liverpool le [2]. Il semble qu'elle se produit quelques temps à Hyde Park, racontant son histoire pour une poignée de pence[3]. Elle relance en Angleterre une souscription publique mais prenant conscience qu'elle a déjà touché des fonds en Australie et que, remariée, elle n'est plus veuve, le lord-maire de Londres attribue les fonds collectés au tuteur des enfants Fraser à Stromness[1].

C'est dans ce port des Orcades que le couple s'installe pour un temps : sa présence y est attestée en 1838, mais plus lors du recensement de 1841[2]. Les descendants de Fraser pensent que le couple s'est installé à Auckland (une partie de la famille d'Eliza est inhumée à Dunedin en Nouvelle-Zélande[N 8],[2]) et qu'elle est morte à Melbourne dans un accident de voiture en 1858[1]. Il est cependant possible qu'elle ait fini sa vie en Nouvelle-Zélande[2].

Prolongements

modifier
Affiche d'une exposition consacrée à l'aventure d'Eliza Fraser au musée de Stromness en 1986.
Plaque commémorative apposée sur la maison d'Eliza Fraser à Stromness.

La propagation du récit d'Eliza Fraser a affecté durablement les relations entre colons et aborigènes en Australie, ceux-ci estimant que les tentatives de leurs ancêtres pour aider les naufragés étaient déformées et travesties[1]. Elle contribue à donner des Aborigènes une image de « sauvages » et de « cannibales »[7].

En 1842, Great Sandy Island est renommée île Fraser, en hommage au capitaine[7]. En 2023, le gouvernement de Queensland lui attribue officiellement le nom de K'gari[7].

Les historiens du XXe siècle ont tenté de démêler la véracité de ses dires, et des universitaires commencent à étudier les mythologies complexes créées par son héritage[1].

Plusieurs artistes se sont inspirés de ses aventures pour des œuvres majeures :

  • le peintre australien Sidney Nolan lui a consacré plusieurs tableaux au fil des années. Le premier, peint en 1947 sur l'île K'gari, la montre nue et à quatre pattes, la tête baissée obscurcie par ses cheveux emmêlés[5] ;
  • son compatriote prix Nobel de littérature Patrick White en fait en 1976 l'héroïne de sa nouvelle A Fringe of Leaves (en) ;
  • le compositeur australien Peter Sculthorpe travaille en collaboration avec Patrick White à la fin des années 1960 à un opéra sur elle, mais le projet n'aboutit pas[8]. Il publie les pièces musicales Elisa Fraser Sings en 1978[9] et Great Sandy Island en 2003[10] ;
  • ainsi que les auteurs sud-africain André Brink (An Instant in the Wind, 1976[11]), australien Kenneth Cook (Eliza Fraser, 1976) et canadien Michael Ondaatje (L'Homme aux sept orteils, pièce de théâtre en vers, 1969)

En 1958 la BBC diffuse une pièce radiophonique sur l'histoire d'Eliza Fraser, Time of the Serpent (en). Une comédie dramatique, Eliza Fraser (en), lui est consacrée en 1976 par Tim Burstall, avec Susannah York dans le rôle titre[1].

Bibliographie

modifier
  • (en) Eliza Fraser, Narrative of the capture, sufferings, and miraculous escape of Mrs. Eliza Fraser, wife of the late Captain Samuel Fraser, commander of the ship Sterling Castle, which was wrecked on 25th May, Charles S. Webb, (lire en ligne)
  • (en) John Curtis, Shipwreck of the Stirling Castle, Londres, (lire en ligne)
  • (en) Charlotte Barton, A Mother's Offer to her Children,
  • (en) H. S. Russell, The Genesis of Queensland, Sydney,
  • (en) R. Gibbings, John Graham, Convict 1824, Londres,
  • (en) M. Alexander, Mrs. Fraser on the Fatal Shore, Londres,
  • (en) C. C. Petrie, Tom Petrie’s Reminiscences of Early Queensland, Melburne,
  • (en) B. Dwyer et N. Buchanan, The Rescue of Eliza Fraser, Noosa,
  • (en) K. Schaffer, In the Wake of First Contact, Cambridge,
  • (en) I. J. McNiven, L. Russell et K. Schaffer, Constructions of Colonialism, Londres,
  • (en) E. Brown, Cooloola Coast, Brisbane,

Notes et références

modifier
  1. James Muir, naît à Greenock le . Dans l'acte, sa mère est désignée sous le nom de Eliza Ann Britton, épouse du capitaine James Frazer[2].
  2. Dans cette pinasse ont pris place le sous-lieutenant John Baxter, le maître d'équipage Edward Stone, les marins Jacob Schofield, Robert Hodge, Robert Dayman, Henry Youlden, William Elliot et le garçon de cabine de 17 ans, John Wilson (pendant leur navigation, quelques marins changent cependant d'embarcation)[2].
  3. Elle emporte le capitaine Fraser, Eliza, John Fraser leur neveu âgé de 13 ans, le second Charles Brown et les marins Joseph Corralis, James Major, John Allan, Michael Doyle, Robert Darge, Michael Denny et Robert Carey (pendant leur navigation, quelques marins changent cependant d'embarcation)[2].
  4. Darge, Corallis et Youlden[2].
  5. Robert Hanham et le garçon Robert Carey[4].
  6. Parfois Bracefell ou Bracefield[5].
  7. L'acte la mentionne sous le nom de Eliza Anne Starke ou Fraser ou Frazer[2].
  8. Son fils James Muir, son épouse et quatre de leurs neufs enfants[2].

Références

modifier
  1. a b c d e f g h i j k l m n o p q et r (en) Elaine Brown, « Eliza Anne Fraser (1798–1858) », dans Australian Dictionary of Biography, National Centre of Biography, Australian National University (lire en ligne)
  2. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s et t (en) « Eliza Fraser - did Australia’s most famous castaway hail from Derbyshire? », sur Great British Life, (consulté le )
  3. a b c d e f g h i j k l m n o et p (en) Davie Reiny, « Eliza’s landfall », sur acoment.com, (consulté le )
  4. a b et c (en) John Curtis, Shipwreck of the Stirling Castle : containing a faithful narrative of the dreadful sufferings of the crew and the cruel murder of Captain Fraser by the savages : also, the horrible barbarity of the cannibals inflicted upon the captain's widow ..., London, (lire en ligne)
  5. a b c et d (en) « Nolan’s “Mrs Fraser”: Reconstruction and Deconstruction », sur aComment (consulté le )
  6. (en) Eliza Fraser, « Narrative of the capture, sufferings, and miraculous escape of Mrs. Eliza Fraser, wife of the late Captain Samuel Fraser, commander of the ship Sterling Castle, which was wrecked on 25th May ... », (consulté le ), p. 17
  7. a b et c (en) Department of Resources, « About the name change », sur www.resources.qld.gov.au (consulté le )
  8. (en-US) « Music and Patrick White – Patrick White Catalogue » (consulté le )
  9. « Eliza Fraser sings : for soprano, flute and piano by Peter Sculthorpe : Work : Australian Music Centre », sur www.australianmusiccentre.com.au (consulté le )
  10. « Great sandy island : for orchestra by Peter Sculthorpe : Work : Australian Music Centre », sur www.australianmusiccentre.com.au (consulté le )
  11. Yvonne Munnick, « L'utilisation allégorique du roman historique chez André Brink : An Instant in the Wind et A Chain of Voices », Caliban, vol. 28, no 1,‎ , p. 141–147 (DOI 10.3406/calib.1991.1262, lire en ligne, consulté le )