Flap Gurney
Le flap Gurney (en anglais Gurney Flap ou wicker bill spoiler) est une petite réglette installée le long du bord de fuite d'une aile (ou un aileron). Elle est typiquement installée à angle droit du gradient de pression sur le profil aérodynamique[1] et mesure 1 à 2 % de la longueur de la corde[2]. Cet appendice aérodynamique permet d'améliorer la performance d'un profil simple à un niveau équivalent à celui d'un profil hautes performances au design plus complexe[3].
Le principe de fonctionnement du flap consiste à augmenter la pression sur l'intrados et à la diminuer sur l'extrados, et à aider la couche limite à rester collée à l'extrados depuis le bord d'attaque jusqu'au bord de fuite[4].
Les flaps Gurney sont généralement rencontrés en course automobile, ou sur les plans horizontaux des hélicoptères, ou sur les avions qui nécessitent une grand portance, comme ceux de la publicité aérienne[5].
Le nom du flap Gurney vient du nom de son inventeur, le pilote de course américain Dan Gurney[6],[7].
Histoire
modifierLes premières expérimentations du flap ont eu lieu au début des années 1970 et elles furent réalisées par le pilote automobile Dan Gurney (qui a été mis au défi de le faire par son compatriote le pilote américain Bobby Unser), sous la forme d'une cornière métallique rigidement fixée en haut du bord de fuite des ailerons arrière de ses monoplaces. Cet équipement a été installé pointant vers le haut pour augmenter la déportance générée par l'aileron ce qui améliore la traction[4]. Les tests du dispositif ont permis de constater qu'il apportait un gain de vitesse appréciable, tant dans les lignes droites que dans les virages[8].
La première application du flap date de 1971[9]. À cette époque, Gurney avait pris sa retraite en tant que pilote et dirigeait sa propre écurie de course, All American Racers. Pendant les séances d'essais sur le circuit Phoenix International Raceway, son pilote Bobby Unser s'est plaint des performances de sa monoplace. Pour redonner confiance à son pilote avant la course, Gurney se rappela des expérimentations réalisées dans les années 1950 par certaines écuries automobiles sur des spoilers fixés à l'arrière des carrosseries pour neutraliser la portance qui soulevait les voitures (à ce stade des développements les ailerons n'étaient pas vus comme des dispositifs pour améliorer la performance, mais des dispositifs pour neutraliser l'action déstabilisatrice et potentiellement dangereuse de la portance aérodynamique). Gurney décida d'ajouter un spoiler au bord de fuite de l'aileron arrière[10]. Le flap fut fabriqué et installé en moins d'une heure, mais il n'y eut aucune amélioration des temps au tour pendant les essais qui suivirent. Unser et Gurney en discutèrent ensemble et ce dernier réalisa que la voiture était déséquilibrée et subissait un gros sous-virage en raison d'un manque d'appui sur l'avant. Le problème fut vite corrigé en en ajoutant de l'appui à l'avant[6].
Unser réalisa immédiatement la valeur de la nouveauté et voulut la cacher à la concurrence, y compris son frère Al. Pour ne pas attirer l'attention sur son innovation, Gurney prit la décision de tout laisser à la vue de tous[11]. Pour dissimuler ses véritables intentions, Gurney répondit à la curiosité de ses concurrents que la modification apportée au bord de fuite était destinée à prévenir les blessures des mécaniciens aux mains lorsqu'ils poussent la voiture à la main. Certains de ces concurrents ont copié le concept, alors que d'autres ont même tenté de l'améliorer en pointant la réglette vers le bas, ce qui a bien sûr nui à la performance[12].
Gurney a pu utiliser son dispositif en compétition pendant de nombreuses années avant que son rôle exact soit découvert. Plus tard, il partagea ses idées avec l'aérodynamicien et concepteur d'ailes Bob Liebeck (qui travaillait à l'époque chez Douglas Aircraft Company). Liebeck réalisa des tests sur le nouveau dispositif, qu'il appela plus tard le « flap de Gurney », et confirma les résultats empiriques de Gurney d'un flap mesurant 1,25 % de la corde d'un profil d'aile symétrique Newman[13]. Il dévoila l'innovation de Gurney dans un article publié en 1976 dans la revue scientifique AIAA Papers et intitulé « On the design of subsonic airfoils for high lift » (en français : « Sur la conception de profils subsoniques à portance élevée »)[14]. Le flap de Gurney est le premier développement aérodynamique issu de la compétition automobile qui a été adopté ensuite par l'industrie aéronautique[12].
Gurney a cédé ses droits de brevet à Douglas Aircraft[6], mais le dispositif n'était pas brevetable, car il était substantiellement similaire au microflap mobile breveté par E.F. Zaparka en 1931, dix jours avant la naissance de Gurney[6],[15]. Gruschwitz et Schrenk ont aussi étudié des dispositifs similaires[16], présentés à Berlin en 1932[17].
Théorie
modifierLe Flap de Gurney permet d'augmenter le coefficient de portance (CL,max), de diminuer l'angle d'attaque en cas de portance nulle (α0) et d'augmenter le moment de piqué (CM), ce qui est cohérent avec l'augmentation de la cambrure du profil[4]. Il a aussi pour effet d'augmenter généralement le coefficient de traînée (Cd)[18], spécialement à des faibles angles d'attaques[19], bien qu'il ait été reporté une diminution de la traînée pour des profils épais[20]. Une nette amélioration générale de la finesse est possible si le flap est convenablement dimensionné en fonction de l'épaisseur de la couche limite[21].
Le flap de Gurney augmente la portance en altérant le condition de Kutta au niveau du bord de fuite[4],[8]. Le sillage derrière le flap est un couple de tourbillons contrarotatifs qui sont alternativement déposés dans une allée de tourbillons de Karman[22]. En plus de ces tourbillons générés le long du bord de fuite derrière le flap, des tourbillons générés à l'avant du flap deviennent de plus en plus importants aux angles d'attaque élevés[5].
L'augmentation de la portance sur l'intrados à l'avant du flap signifie que l'effet de succion de l'extrados peut être réduit tout en produisant la même portance globale[22].
Application sur les hélicoptères
modifierLes flaps Gurney sont largement employés sur les stabilisateurs horizontaux des hélicoptères, car ceux-ci doivent fonctionner sur un très large domaine d'angles d'attaque, positifs et négatifs. Dans le cas d'une ascension rapide, l'incidence du stabilisateur horizontal peut aller jusqu'à -25°, et en situation d'autorotation, elle peut atteindre +15°. Cela explique pourquoi les flaps Gurney sont présents sous une forme ou une autre sur au moins la moitié des hélicoptères modernes construits en Occident[23].
Le flap Gurney a été utilisé pour la première fois sur la variante B du Sikorsky S-76 (le S-76B)[12], lorsque les tests en vol ont révélé que le stabilisateur horizontal hérité du S-76 d'origine ne fournissait pas une portance suffisante. Les ingénieurs ont ajouté un flap Gurney au profil inversé NACA 2412 pour résoudre le problème, sans redessiner complètement le stabilisateur[12]. Un flap Gurney a aussi été installé sur le Bell 206 JetRanger pour corriger un problème d'angle d'incidence sur les stabilisateurs horizontaux, impossible à corriger directement[12],[23].
L'Eurocopter AS355 TwinStar utilise un double système de flaps Gurney, fixés sur les deux faces de la dérive. Il permet de corriger un problème d'inversion de portance au niveau des sections les plus épaisses du profil en condition de faible angle d'attaque[12]. Ce système permet de faciliter la transition entre le vol stationnaire et le vol horizontal[23].
Application sur les automobiles
modifierDu fait de ses éléments structurels combinés créant des appuis aérodynamiques excessifs, la Dallara Stradale est équipée de flaps Gurney inversés, qui aident à maintenir son équilibre général.
Notes et références
modifier- (en) C.P. Van Dam, D.T. Yen et P. Vijgen, « Gurney flap experiments on airfoil and wings », Journal of Aircraft, vol. 36, no 2, , p. 484-486 (DOI 10.2514/2.2461) :
« Ces dispositifs ont permis d'agrandir la zone de flux d'air captif au-dessus de l'aileron, comparé à un aileron sans flap (These devices provided an increased region of attached flow on a wing upper surface relative to the wing without the flaps). »
- (en) B.L. Storms et C.S. Jang, « Lift Enhancement of an Airfoil Using a Gurney Flap and Vortex Generators », Journal of Aircraft, vol. 31, no 3, , p. 542-547 (DOI 10.2514/3.46528) :
« Une technologie candidate est le flap Gurney, qui consiste en une petite réglette, d'une hauteur de 1 à 2 % de la longueur de la corde du profil, positionnée sur le bord de fuite, perpendiculairement à la direction du flux d'air (One candidate technology is the Gurney flap, which consists of a small plate, on the order of 1-2% of the airfoil chord in height, located at the trailing edge perpendicular to the pressure side of the airfoil.) »
- [Grâce à l'utilisation appropriée des flaps Gurney, la performance d'un profil aérodynamique de conception simple (et donc facile à construire) peut concurrencer la performance d'un profil moderne, de conception complexe (through the proper use of Gurney flaps, the aerodynamic performance of a simple design, easy-to-build airfoil can be made practically as well as those of a modern, high performance, complex design).] (en) , P. Giguere, J. Lemay et G. Dumas « Gurney flap effects and scaling for low-speed airfoils » () (lire en ligne)
— « (ibid.) », dans AIAA Applied Aerodynamics Conference, 13 th, San Diego, CA, Technical Papers. Pt. 2, p. 966-976 - (en) R. Myose, M. Papadakis et I. Heron, « Gurney flap experiments on airfoils, wings, and reflection plane model », Journal of Aircraft, vol. 35, no 2, , p. 206-211 (DOI 10.2514/2.2309) :
« Le pilote automobile Dan Gurney a utilisé ce flap pour augmenter la force d'appui, et donc, améliorer la traction et les vitesses de passage dans les virages obtenues grâces aux ailerons inversés de ses monoplaces (Race-car driver Dan Gurney used this flap to increase the downforce and, thus, the traction and potential cornering speeds generated by the inverted wings on his race cars). »
- (en) D.R. Troolin, E.K. Longmire et W.T. Lai, « Time resolved PIV analysis of flow over a NACA 0015 airfoil with Gurney flap », Experiments in Fluids, vol. 41, no 2, , p. 241-254 (DOI 10.1007/s00348-006-0143-8, Bibcode 2006ExFl...41..241T, lire en ligne [PDF], consulté le ) :
« ...the intermittent shedding of fluid recirculating in the cavity upstream of the flap, becomes more coherent with increasing angle of attack.... Comparison of flow around ‘filled’ and ‘open’ flap configurations suggested that [this] was responsible for a significant portion of the overall lift increment. »
- (en) Keith Howard, « Gurney Flap », Motorsport Magazine, (lire en ligne) :
« Dès qu'ils furent seuls, Unser expliqua à Gurney que l'arrière était maintenant si bien planté que la voiture poussait mal (et partait en sous-virage), d'où les mauvais chronos (Once Gurney had confirmed they were alone, Unser told him the rear was now so well planted that the car was pushing (understeering) badly, hence the poor lap times). »
- (en) « Gurney Flap », Formula 1 dictionary.
- (en) C.S. Jang, J.C. Ross et R.M. Cummings, « Numerical investigation of an airfoil with a Gurney flap », Aircraft Design, vol. 1, no 2, , p. 75-88 (DOI 10.1016/S1369-8869(98)00010-X, lire en ligne, consulté le ) :
« Liebeck stated that race car testing by Dan Gurney showed that the vehicle had increased cornering and straight-away speeds when the flap was installed on the rear wing. »
- (en) Daniel R. Troolin, Ellen K. Longmire et Wing T. Lai « The Effect of Gurney Flap Height on Vortex Shedding Modes Behind Symmetric Airfoils » ()
— « (ibid.) », dans 13th Int. Symp. on Applications of Laser Techniques to Fluid Mechanics, Lisbon, Portugal. - (en) Jan R. Wagner, « The 2004 Art Center Car Classic (Part Two): Dan Gurney on Racing and the "BLAT" Effect », Auto Matters, (consulté le ) : « Et je me rappelle avoir consacré beaucoup de temps avec ces petites réglettes fixées à l'arrière, les spoilers, et je me suis demandé l'effet que ça pourrait avoir sur un aileron ? We already had wings on these in 1971. C'est comme ça qu'est né le flap Gurney (And I remembered having spent a lot of time with these little tabs on the back, or spoilers and so forth, and I thought to myself – well, I wonder if one would work on a wing? We already had wings on these in 1971. Sure enough, that was the beginning of the Gurney flap.) »
- (en) Bobby Unser, Winners Are Driven : A Champion's Guide to Success in Business and Life, New York, Wiley, , 224 p. (ISBN 0-471-64745-4, lire en ligne), p. 15
« Dan me demanda de garder mon calme. Laisse les visibles [les flaps]. N'attire pas l'attention sur eux (Dan told me to relax. Leave them in the open. Don't bring attention to them.) »
- (en) E. Houghton, Aerodynamics for Engineering Students, Boston, Butterworth Heinemann, , 500–502 p. (ISBN 0-7506-5111-3)
« So successful was this deception that some of his competitors attached the tabs projecting downwards to better protect the hands. »
- (en) R. Myose, I. Heron et M. Papadakis, « Effect of Gurney flaps on a NACA 0011 Airfoil », AIAA Paper, (DOI 10.4271/961316, lire en ligne, consulté le ) :
« Liebeck conducted wind tunnel tests on the effect of a 1.25% chord height Gurney flap. He used a Newman-type airfoil, which had an elliptic nose and a straight line wedge for the rear section. »
- (en) M. Schatz, B. Gunther et F. Thiele, « Computational Modeling of the Unsteady Wake Behind Gurney Flaps », AIAA Paper, vol. 2417, (DOI 10.2514/6.2004-2417) :
« The first theoretical investigations were published by Liebeck who introduced the concept of trailing edge devices to aircraft aerodynamics. »
- (en) H. Sobieczky (Henning Rosemann and Kai Richter), Iutam Symposium Transsonicum IV, Berlin, Springer, , 389 p. (ISBN 1-4020-1608-5), « Gurney Flaps in Transonic Flows », p. 165
« Gurney flaps are known already since 1931, when they were first patented by Zaparka (USA). »
- (en) J. Zerihan et X. Zhang, « Aerodynamics of Gurney flaps on a wing in ground effect », AIAA Journal, vol. 39, no 5, , p. 772-780 (DOI 10.2514/2.1396, Bibcode 2001AIAAJ..39..772Z, lire en ligne, consulté le )
- Eugen Gruschwitz et Oskar Schrenk « Über eine einfache Möglichkeit zur Auftriebserhöhung von Tragflügeln (A simple method for increasing the lift of airplane wings by means of flaps) » () (lire en ligne) [PDF]
—Wissenschaftliche Gesellschaft für Luftfahrt (21st 1932 Berlin)
— « (ibid.) », dans Zeitschrift für Flugtechnik und Motorluftschiffahrt, vol. vol. 23, no 20, Washington, juin 1933, National Advisory Committee for Aeronautics, traduction par dwight m. miner, p. 597-601« The problem is to create, in landing, a region of turbulence on the lower side of the wing near the trailing edge by some obstacle to the air flow. » - (en) C.S. Jang, J.C. Ross et , R.M. Cummings, « Computational evaluation of an airfoil with a Gurney flap », AIAA Paper, , p. 92-2708 (lire en ligne, consulté le )
- (en) A.W. Bloy, N. Tsioumanis et N.T. Mellor, « Enhanced aerofoil performance using small trailing-edge flaps », Journal of Aircraft, vol. 34, no 4, , p. 569-571 (DOI 10.2514/2.2210)
- (en) Dan H. Neuhart et Odis C. Pendergraft Jr, « A water tunnel study of Gurney flaps » [PDF], sur nasa.gov, NASA Langley Research Center, (consulté le )
- (en) P. Giguere, G. Dumas et J. Lemay, « Technical Notes », AIAA Journal, vol. 35, , p. 12 (lire en ligne, consulté le )
- (en) R. Meyer, W. Hage et D.W. Bechert, « Drag Reduction on Gurney Flaps by Three-Dimensional Modification », Journal of Aircraft, vol. 43, no 1, , p. 132 (DOI 10.2514/1.14294) :
« When hot-wire anemometry is used, a tonal component in the spectrum of the velocity fluctuations downstream of the Gurney flap is shown. This points to the existence of a von Kármán vortex street. »
- (en) R.W. Prouty, « Aerodynamics : The Gurney Flap, Part 2 », Rotor & Wing, Access Intelligence, (lire en ligne) :
« L'ascension à pleine puissance est l'une des plus phases de vol les plus critiques. L'angle d'attaque du stabilisateur horizontal peut atteindre la valeur négative de -25°, alors qu'en phase d'autorotation, il peut atteindre +15° (One of the critical flight conditions is a high-powered climb. The negative angle of attack of the horizontal stabilizer can be as high as -25°, whereas in autorotation it may be +15°. »
Annexes
modifierArticle connexe
modifierLiens externes
modifier- Le brevet original de Zaparka (1935) : (en) Brevet U.S. Re19412
- (es) Mauricio E. Camocardi, « Control de flujo sobre la estela cercana de perfiles aerodinámicos mediante la implementación de mini-flaps Gurney », Thèse de doctorat, , p. 111 (lire en ligne, consulté le )