Misopogon

œuvre de Julien
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Misopogon (Μισοπώγων en grec ancien) ou L'ennemi de la barbe est une œuvre écrite en grec par l'empereur romain Julien au début de l'année 363.

Le titre Misopogon signifie littéralement « barbe haïssable » en grec, ce qui reflète le ton satirique de l'œuvre rédigé en réplique aux moqueries des habitants d'Antioche.

Contexte modifier

Monnaie de Julien, portant la barbe longue.

L'empereur Julien a abandonné le christianisme pour retourner au polythéisme traditionnel romain. Il est aussi adepte de philosophie, membre de l'école néoplatonicienne de Pergame, mène une vie ascétique et s'habille en philosophe. Pour le présenter à la cour impériale en 355, on l'a rasé à son grand déplaisir[1],[2]. Devenu empereur en 360, il s'est laissé repousser la barbe et l'arbore longue à la mode des philosophes, contrairement à ses contemporains, rasés de près.

En 363, alors qu'il prépare une grande campagne militaire contre les Perses sassanides, il installe sa cour et son armée à Antioche. Cette ville opulente, très à la mode, compte de nombreux chrétiens (peut-être une majorité). Les moqueries envers l'apparence physique de Julien se multiplient dans cette ville, peut-être aussi agacée par la présence encombrante de milliers de soldats. Ammien Marcellin, contemporain de Julien et originaire d'Antioche, en rapporte une série : « chèvre », « taupe bavarde », « singe en manteau de pourpre », « Cercope » (créature métamorphosé en singe par Zeus)[3],[4].

Date modifier

Julien écrit le Misopogon à la fin du mois de février 363, après plusieurs mois de séjour à Antioche et avant son départ pour Tarse[5].

Établissement du texte d'après les manuscrits modifier

Le Misopogon est transmis au cours du Moyen Âge avec d'autres discours de Julien par huit versions manuscrites, dont six ne sont que des copies. La version la plus ancienne figure dans le manuscrit Vindobonensis datant des XIIIe siècle-XIVe siècle, lacunaire mais complétée par le Vaticanus[6]. Une première édition du texte est publiée en 1566. Les divers manuscrits sont compilés pour reconstituer le texte grec par plusieurs spécialistes, dont Joseph Bidez qui publie sa version du texte grec en 1929[7]. Christian Lacombrade en publie la traduction française en 1964[8]. L'italien Carlo Prato complète les travaux d'étude des manuscrits et édite une nouvelle traduction commentée en 1979[9].

Contenu modifier

Misopogon est un chef-d’œuvre de second degré. Dans son préambule, Julien annonce qu'il va se moquer « non pas d'autrui, puisque la loi s'y oppose, mais de lui, nulle loi n'interdit d'écrire contre soi-même », signifiant au passage l'illégalité dans laquelle se placent les Antiochiens[10]. Il insiste sur ses défauts physiques, et son affectation de philosophe :

« À un visage ni beau, ni régulier, ni même sain, mon mauvais caractère et mon humeur morose m'ont fait ajouter une barbe touffue, comme pour le punir d'être dépourvu de beauté naturelle. Et voilà pourquoi les poux s'y promènent comme les bêtes sauvages dans une forêt... »

— Misopogon, 3

mais pour mieux s'en prendre à l'orgueil, à la superficialité, au narcissisme des Antiochiens :

« Mais une cité florissante, heureuse, peuplée, […] qui ne voit chez elle que danseurs, flûteurs, mimes plus nombreux que les citoyens, et pas de respect pour les princes. […] des gens de cœur, comme vous, doivent faire bombance dès le matin et la nuit prendre leurs ébats, sans nul souci des lois »

— Misopogon, 5

« Vous êtes tous beaux, grands, lisses et imberbes et, vieux aussi bien que jeunes, vous aspirez au linge frais, aux bains chauds et aux lits plutôt qu'au respect dû aux lois »

— Misopogon, 8

Par contraste, Julien présente sa conduite ascétique, renforcée par l'expérience de son séjour en Gaule et à Lutèce[11], et par l'éducation de son précepteur Mardonios[12].

Postérité modifier

Ammien Marcellin, pourtant généralement favorable à Julien mais Antiochien lui-même, présente le Misopogon en termes négatifs, s'offusquant d'une réaction de colère où Julien « énumère rageusement et avec agressivité les tares de la cité, non sans en rajouter maintes fois par rapport à la vérité » [13]. En revanche, les auteurs grecs du Ve siècle avec un siècle de recul, sont plutôt élogieux : Zosime qualifie le Misopogon de « discours spirituel » qui a humilié les Antiochiens au point de leur imposer le repentir de leurs fautes. Sozomène trouve ce discours « de toute beauté et fort spirituel ». Selon Socrate le Scolastique, Julien s'est libéré de sa colère et a marqué Antioche d'une opprobre durable[13].


Misopogon est intéressant à la fois comme une source historique pour comprendre l'attitude de l'empereur Julien envers ses sujets et comme un exemple de la littérature satirique de l'Antiquité tardive.

Références modifier

  1. Julien, Au Sénat et au peuple d'Athènes, 5.
  2. Aude de Saint-Loup, p. XIV.
  3. Ammien Marcellin, Res Gestae, XVII, 9 ; XXII, 14
  4. Bouffartigue 1989, p. 533-534.
  5. Aude de Saint-Loup, p. V.
  6. Delatte 1930, p. 920-921.
  7. Delatte 1930, p. 922.
  8. Misopogon, 2003, p. 93, bibliographie.
  9. (it) Carlo Prato et Dina Micalella, Guiliano imperatore. Misopogon, Rome, (présentation en ligne).
  10. Misopogon, 1-2.
  11. Misopogon, 7.
  12. Misopogon, 22.
  13. a et b Bouffartigue 1989, p. 537.

Bibliographie modifier

  • (grc + fr) Julien (trad. Eugène Talbot), Misopogon, Paris, Henri Plon, (lire en ligne) Traduction française sur le site remacle.org
  • (grc + fr) Julien (trad. Christian Lacombrade, préf. Aude de Saint-Loup), Misopogon, Les Belles Lettres, , 96 p. (ISBN 2-251-79970-2).
  • Joseph Bidez, La tradition manuscrite et les éditions des Discours de l'empereur Julien, Paris, Champion, .
    • Armand Delatte, « compte-rendu de lecture de l'ouvrage ci-dessus », Revue belge de philologie et d'histoire, t. 9, nos 3-4,‎ , p. 919-922 (lire en ligne).
  • Jean Bouffartigue, « L'état mental de l'empereur Julien », Revue des Études Grecques, t. 102, nos 487-489,‎ , p. 529-539 (lire en ligne).
  • Lucien Jerphagnon, Julien dit l'Apostat : Histoire naturelle d'une famille sous le Bas-Empire, Paris, Tallandier, , 364 p. (ISBN 9791021046122).

Articles connexes modifier