Massacre de Glogova

massacre de 64 civils bosniaques par les forces serbes de Bosnie à Glogova

Le massacre de Glogova (en serbe cyrillique : Глогова) est relatif à l'assassinat de soixante-quatre civils Bosniaques par des forces serbes le dans le contexte de la guerre de Bosnie-Herzégovine. Ce meurtre de masse a été qualifié de crime contre l'humanité par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Les poursuites engagées par la juridiction ont fait l'objet de critiques.

Massacre de Glogova
Date 9 mai 1992
Lieu Glogova, Bratunac, Bosnie-Herzégovine
Morts 64 civils Bosniaques (nombre retenu par le TPIY)
Ordonné par Miroslav Deronjić
Participants Armée populaire yougoslave, Défense territoriale et police locales, paramilitaires serbes
Guerre Guerre de Bosnie-Herzégovine
Coordonnées 44° 12′ 48″ nord, 19° 15′ 22″ est
Géolocalisation sur la carte : Bosnie-Herzégovine
(Voir situation sur carte : Bosnie-Herzégovine)
Massacre de Glogova

Contexte et déroulement des faits

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Glogova est un village situé dans la municipalité de Bratunac, près de Srebrenica, dans l'est de la Bosnie-Herzégovine. En , on y dénombre 1 913 habitants[1], dont 1 901 identifiés comme musulmans de Bosnie, c'est-à-dire Bosniaques[2].

L'exposé des faits — issu du jugement de première instance du TPIY[3] — peut être découpé en trois temps.

La préparation

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Le , la municipalité de Bratunac est reprise par les forces serbes de Bosnie ; à la fin du mois, les musulmans sont désarmés totalement[n 1]. En parallèle, afin que la région ne compte plus de Bosniaques, un « nettoyage ethnique » incluant intimidations, meurtres aléatoires et pillages est mis en place ce qui fait fuir un nombre inconnu de musulmans[n 2].

A Glogova, vers le , des militaires et policiers lancent un ultimatum à la population pour qu'ils remettent leurs armes dans un délai de deux jours[n 3]. Vers le , après avoir récupéré les armes, les autorités affirment aux villageois qu'ils seront protégés et pas attaqués puisqu'ils ont obtempéré[n 4]. Entre le 6 et le , différentes rencontres sont organisées entre les autorités civiles et militaires afin de planifier l'attaque de Glogova : repérage de la configuration des lieux, débats sur le mode opératoire, etc.[n 5].

L'attaque

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L'attaque est menée par différentes entités affiliées au camp serbe : l'Armée populaire yougoslave (JNA), la Défense territoriale (TO) de Bratunac, la police locale et des paramilitaires « volontaires »[n 6]. Dans un premier temps, le matin du , les assaillants encerclent Glogova puis y pénètrent et prennent le contrôle ; les habitants ne résistent pas[n 7]. Pendant que ceux-ci sont rassemblés au centre du village, quatre habitants sont tués à l'extérieur de leurs maisons[n 8]. Dans un deuxième temps, trois « meurtres de masse » sont commis :

  • Dix-neuf hommes sont tués sur la route principale près du village[n 9] ;
  • Ordre est donné à d'autres villageois de transporter ces corps et d'autres puis de les jeter dans la rivière avoisinante ; une fois cette tache effectuée, le groupe est aligné et mis à mort[n 10] ;
  • Enfin, une vingtaine d'hommes sont rassemblés près du marché et amenés vers la rivière où un dernier assassinat de groupe a lieu[n 11].

Au total, soixante-quatre civils bosniaques sont exécutés au cours de l'attaque[n 12]. En outre, des « déplacements forcés » sont mis en œuvre : précisément, les femmes et enfants qui ont survécu à l'attaque sont forcés de monter dans des bus[n 13]. Enfin, les maisons musulmanes, la mosquée, les champs et meules de foin ont sont incendiés de façon systématique[n 14].

Le sort des survivants

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L'acte d'accusation n'a pas précisé ce qui est arrivé aux survivants du massacre de Glogova pendant et après le transport[n 13].

Le , environ cinq cents civils de Bratunac et de sa banlieue sont enfermés dans un hangar[n 15]. Le jour même ou le , plusieurs desdites personnes sont tuées et jetées dans la rivière Drina. Dans la soirée du , lors d'une réunion entre les autorités locales, il est décidé que les survivants du hangar seront libérés puis amenés vers Pale, un territoire sous contrôle musulman. Le sort de ces personnes reste donc obscur[n 16].

Découverte du charnier et procédure

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À l'été , des équipes médico-légales de Bosnie découvrent et exhument soixante-quatre corps dans une fosse du village pensant qu'il pourrait s'agir de victimes de Srebrenica déplacées par les auteurs en raison de la proximité géographique avec Glogova[4].

En , un premier acte d'accusation et un mandat d'arrêt[5] sont émis par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie contre Miroslav Deronjić, à l'époque des faits Président du Conseil municipal SDS de Bratunac[n 17] et de la « cellule de crise » locale[n 18]. Il est alors poursuivi sur le fondement, d'une part de la planification, de l'incitation à commettre, de l'ordre ou de la commission[n 19] et, d'autre part, de supérieur responsable des actes de ses subordonnés[n 20] pour des charges de crimes contre l'humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre[7]. Moins d'une semaine après, la SFOR capture le suspect[8],[9]. Le , lors de sa comparution initiale, Miroslav Deronjić plaide non coupable de toutes les charges[10].

L'acte d'accusation est modifié une première fois[11] puis une seconde fois, les charges étant alors réduites à un crime contre l'humanité consistant en des « persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses »[n 21], crime commis en tant que co-auteur dans le cadre d'une « entreprise criminelle commune (en) »[12].

En , Miroslav Deronjić conclut un plaidoyer de culpabilité « reconnaissant son entière responsabilité » par rapport au deuxième amendement de l'acte d'accusation[13].

Le , il déclare lors de l'audience[14] :

« [...] je m'incline face aux souvenirs de ces victimes innocentes de Glogova. Tout ce que j'ai fait au sein de ce Tribunal et je n'en connais pas la valeur, je le dédie à ces personnes dans l'espoir que cela permettra, peut-être, de soulager la douleur de leurs êtres proches. Je connais cette douleur parce que j’en suis moi-même porteur [...] j'exprime mon remords pour toutes les victimes de cette guerre, quels que soient les cimetières où elles reposent. »

Prenant en compte le plaidoyer de culpabilité, la coopération substantielle et le comportement de l'accusé, ses remords ainsi que sa contribution à empêcher toute tentative de réécriture de l'histoire, la Chambre de première instance le condamne à une peine de dix ans de prison le [15].

La sentence est confirmée en appel le [16]. La même année, Miroslav Deronjić est transféré en Suède pour purger sa peine[17].

En , alors qu'il doit témoigner devant la Cour de Bosnie-Herzégovine à Sarajevo dans un procès où comparaissent onze personnes accusées de génocide, Miroslav Deronjić est déclaré en état de « phase terminale » avec des métastases cancéreuses[18]. Le de la même année, il décède à l'âge de 52 ans[19],[20].

Analyses et critiques

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Le juge Wolfgang Schomburg (en), dans une opinion dissidente, considère que la peine prononcée aurait dû être d'au moins vingt ans vu le « caractère odieux » et « la planification de longue date » des crimes par un « auteur de haut rang »[21]. Il critique également la stratégie de poursuites du procureur qui a concentré l'accusation dans la présente affaire, uniquement sur les faits d'une petite localité, alors que, selon lui, Miroslav Deronjić a des responsabilités plus étendues et que les faits de Glogova s'inscrivent dans un « plan criminel plus vaste »[22]. Pour le New York Times, la réaction de Wolfgang Schomburg est une nouvelle illustration de « l'inconfort » ressenti par un certain nombre de juges depuis que, sous la pression des Etats-Unis, la juridiction internationale a opté pour « une nouvelle stratégie visant à encourager les plaidoyers de culpabilité afin d'accélérer les affaires » et permettre la fermeture du tribunal en [23]. Depuis , le TPIY s'est effectivement engagé dans une stratégie dite « d'achèvement des travaux », celle-ci consistant à se concentrer sur les plus hauts responsables et à renvoyer les individus de rang intermédiaire ou subalterne devant les juridictions nationales[24].

L'historien Bernard Bruneteau dresse, pour sa part, un parallèle entre Srebrenica et Glogova : « A cette échelle modeste mais significative, tous les hommes furent exécutés [...] après que la confiscation des armes ait eu lieu dans les jours précédents. Ici aussi, on peut penser qu'une fois les femmes et les enfants entassés sans leurs protecteurs naturels dans les autocars, une communauté a été privée de moyens de survie, c'est-à-dire annihilée »[25].

Liens externes

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Notes et références

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  1. § 67
  2. §§ 71 et 80
  3. § 74
  4. §§ 76-77
  5. §§ 82 et 85 à 89
  6. § 90
  7. § 92
  8. § 93
  9. § 94
  10. § 95
  11. § 96
  12. § 97
  13. a et b § 100
  14. §§ 102-106
  15. § 108
  16. § 110
  17. septembre 1990 - fin avril 1992
  18. octobre 1991 - juin 1992
  19. Art. 7-1 du Statut[6]
  20. Art. 7-3 du Statut[6]
  21. Art. 5 (h) du Statut[6]

Références

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  1. (sr) « Population 1991 », sur pop-stat.mashke.org (consulté le ).
  2. (bs + hr + sr) « Composition nationale de la population - Résultats de la République par municipalités et localités », Bulletin statistique, Sarajevo, Publication de l'Institut national de statistique de Bosnie-Herzégovine, no 234,‎ .
  3. (en) TPIY, Ch. 1ère instance II, Prosecutor v. Miroslav Deronjić, Sentencing Judgement, 30 march 2004, pp. 18-32, §§ 61-114 (consulté le )
  4. (en-US) Reuters, « 162 Bodies Counted as Bosnians Open Mass Graves », sur Los Angeles Times, (consulté le ).
  5. (en) « Miroslav Deronjić - Case Information Sheet », sur icty.org (consulté le ).
  6. a b et c Statut du TPIY (consulté le )
  7. (en) TPIY, Prosecutor v. Miroslav Deronjić, Initial Indictment, 3 July 2002 (consulté le )
  8. « Deux PIFWC arrêtés par la SFOR », sur nato.int, Journal de la SFOR, (consulté le ).
  9. « Bosnie : arrestation de Miroslav Deronjic par la SFOR », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. (en) « Prosecutor v. Miroslav Deronjić (Transcript - Initial Appearance) », sur icty.org, (consulté le ).
  11. (en) TPIY, Prosecutor v. Miroslav Deronjić, Amended Indictment, 29 November 2002 (consulté le )
  12. (en) TPIY, Prosecutor v. Miroslav Deronjić, Second Amended Indictment, 29 September 2003 (consulté le )
  13. (en) TPIY, « Plea agreement - Prosecutor v. Miroslav Deronjić », sur icty.org, (consulté le ).
  14. (en) TPIY, « Prosecutor v. Miroslav Deronjić (Transcript - Sentencing Hearing) », sur icty.org, (consulté le ).
  15. (en) TPIY, Sentencing Judgement, op. cit., pp. 75-77 (consulté le )
  16. (en) TPIY, Ch. d'appel, Prosecutor v. Miroslav Deronjić, Judgement on sentencing appeal, 20 juillet 2005 (consulté le )
  17. (en) TPIY - Conférence de presse, « Miroslav Deronjic Transferred to Sweden to Serve his 10-Year Prison Sentence », sur icty.org, (consulté le ).
  18. (en) « Kravica: Illness Halts Deronjic Testimony », sur justice-report.com, (consulté le ).
  19. (en) « Bosnian Serb war criminal Deronjic dies in Sweden », Reuters,‎ (lire en ligne)
  20. (en) ICTY Digest, 21 may 2007 - nr. 14, p. 3 (consulté le )
  21. (en) TPIY, Prosecutor v. Miroslav Deronjić, Dissenting opinion of Judge Schomburg, 30 march 2004, §§ 2 et 5 (consulté le )
  22. (en) TPIY, Dissenting opinion of Judge Schomburg, op. cit., §§4 et 6-12 (consulté le )
  23. (en) Marlise Simons, « 10-Year Term For a Serb In War Crimes Called Light », The New York Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  24. « Stratégie d’achèvement des travaux du TPIY | Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie », sur icty.org (consulté le ).
  25. Bernard Bruneteau, Un siècle de génocides : des Hereros au Darfour (1904-2004), Malakoff, Armand Collin, , 349 p. (ISBN 978-2-200-61310-5, lire en ligne), p. 240