Massacre de la rue Transnonain

lithographie de Honoré Daumier
Massacre de la rue Transnonain
Massacre de la rue Transnonain par Honoré Daumier.
Artiste
Date

Le Massacre de la rue Transnonain est une lithographie de Honoré Daumier (1808-1879) qui porte témoignage d'un massacre lié à un mouvement populaire le à Paris.

La rue Transnonain modifier

Marque et plaque actuelles à l’angle de la rue Chapon.

L’ancienne rue Transnonain, située entre la rue Michel-le-Comte et la rue au Maire, est ouverte au début du XIIIe siècle ; on l'appelle successivement « rue de Châlons » ou « rue de Chalon », « rue Trousse-Nonnain », « rue Trace-Putain » puis « rue Tasse-Nonnain » et enfin « rue Transnonnain ». La « rue Transnonain », correspond à la partie de la rue Beaubourg située entre la rue du Grenier-Saint-Lazare et la rue Michel-le-Comte au Sud, et la rue au Maire qui longeait Saint-Nicolas-des-Champs au nord. Elle appartenait pour sa partie septentrionale au quartier Sainte-Avoye (ancien 7e arrondissement) et pour sa partie méridionale au quartier Saint-Martin-des-Champs (ancien 6e arrondissement). Elle a été absorbée par la rue Beaubourg en 1851.

Contexte et histoire du massacre modifier

Un exemple de contestation sous la monarchie de Juillet modifier

La révolution de 1830 conduisit à la continuation de la monarchie avec un nouveau roi, Louis-Philippe, et quelques aménagements constitutionnels.

Dès sa création, le nouveau régime doit faire face à une forte opposition républicaine, concentrée dans les centres urbains. À cette opposition, s'ajoutent plusieurs émotions populaires, suscitées par des conditions de vie difficiles et les espoirs déçus de la Révolution.

Pour y faire face, le gouvernement instaura plusieurs mesures de répression, dont l'interdiction des associations politiques républicaines et une limitation de la liberté d'expression.

À Lyon, le , se déroule une manifestation organisée par la Société des droits de l'homme et le conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel, notamment à la suite de l'appel de Armand Carrel dans le journal Le National à « répondre à la suspension de la légalité par la suspension de l’ordre public ». Cette manifestation déboucha sur des émeutes, qui s'étendent à Paris le [1]. En réaction, le gouvernement réprime très durement le mouvement.

Le lendemain , près d'une barricade dans la rue Transnonain un capitaine d'infanterie est apparemment blessé par un coup de feu tiré depuis une fenêtre. En représailles, douze (sur les cinquante)[2],[3] occupants de l'immeuble d'où le tir serait parti, sont massacrés par les militaires. Les autres occupants sont également violentés, dont quatre grièvement[4].

Un retentissement de l’événement amplifié par la diffusion de la lithographie de Daumier modifier

En , Honoré Daumier crée une lithographie. Il s’agit de la vingt-quatrième et dernière planche de l’Association Mensuelle. Cette lithographie (art de reproduire par impression les dessins tracés avec un corps gras sur une pierre calcaire) est l’un des chefs-d’œuvre de Daumier, souvent tenue pour l’une des premières manifestations du réalisme. Cette gravure est l’une des œuvres majeures de l’histoire de l’estampe (image imprimée au moyen d’une planche gravée ou par lithographie / gravure) du XIXe siècle. Daumier démontra à la fois la puissance de son style et ses convictions politiques en dénonçant la répression policière. Les occupants du 12, de la rue Transnonain, dont la maison était située à côté d’une barricade, furent massacrés sans distinction pour un coup de feu qui avait été tiré d’un des étages en direction d’un officier : les soldats pénétrèrent dans la maison et tuèrent douze habitants et blessèrent de nombreux autres (hommes, vieillards, femmes, enfants).

Les douze victimes étaient : M. Breffort père, son fils Louis Breffort et sa nièce Annette Besson, Henri de Larivière, Mme Bonneville, M. Hordesseaux, M. Lepère, M. Robiquet, M. Hû, M. Bouton, M. Thierry et M. Loisillon.

En effet, lors de l’insurrection parisienne des 13 et , les forces qui étaient destinées à réprimer cette insurrection furent divisées en trois brigades dont l’une fut commandée par le maréchal Thomas-Robert Bugeaud. L'implication de Bugeaud dans la répression de l'insurrection le rendra particulièrement impopulaire.

Cette gravure est le constat de la mort dressé par Daumier à l’intérieur d’une chambre au lit défait, où l’homme glissant du lit a écrasé un bébé sous son poids, tandis que l’on aperçoit au premier plan de façon fragmentaire le visage d’un vieil homme, lui aussi mort.

Dans son explication, Charles Philipon laissa libre cours à l’indignation suscitée par « la boucherie de la rue Transnonain », alors que Daumier s’en tint à la « chose vue », de sorte que la planche ne put être saisie (mais Louis-Philippe en fit rechercher et détruire les exemplaires disponibles sur le marché) : « cette lithographie est horrible à voir, horrible comme l’action épouvantable qu’elle retrace ».

Face à l’absence de polémique dans la lithographie de Daumier, simple constat de la vérité, la censure ne put rien. La planche fut donc publiée et exposée chez Aubert, passage Véro-Dodat, où elle remporta un vif succès. Le gouvernement fit ensuite saisir les épreuves et la pierre. « Ce n’est point une caricature, ce n’est point une charge, c’est une page sanglante de notre histoire moderne », notait Philipon dans le commentaire de la planche. Baudelaire alla dans le même sens quelques années plus tard : « Ce n’est pas précisément de la caricature, c’est de l’histoire, de la terrible et triviale réalité ». De caricaturiste, Daumier se hissa au rang de peintre d’histoire en noir et blanc et devança le courant réaliste en peinture.

Pour le dernier spectacle, dans la salle Transnonain, la toile se leva dans la rue : un drame fut improvisé par la sanglante affaire d’avril. La veille de l’insurrection, on y jouait encore des vaudevilles ; le jour même, on y répéta le bruit d’une vive fusillade. Il ne resta pas beaucoup de morts sur le champ de bataille de la rue Transnonain, et le cimetière Saint-Nicolas, qui n’avait été séparé de l’hôtel de Châlons que par l’une des rues latérales, n’existait plus.

Conclusion : un massacre lié à une insurrection populaire modifier

En ce début de la monarchie de Juillet, pleine époque du romantisme, du développement industriel et des débuts de la conquête de l'Algérie, la répression s'abat sur les républicains et les milieux populaires : répression sanglante dans de nombreuses villes en France, (cf. par exemple la 2e révolte des Canuts et répression contre la liberté de presse et d'association qui touche la Société des Droits de l’Homme en (cf. *Grandes lois sous la monarchie de Juillet). Honoré Daumier fait le simple constat d’une réalité dramatique, loin de toute recherche d’évasion. De caricaturiste, il se hissa au rang de peintre d’histoire en noir et blanc et devança le courant réaliste en peinture.( Cette phrase a déjà été écrite sept lignes supra).

Suites judiciaires modifier

Le le rapport Girod était rendu a et concernait presque 2 000 personnes mises en cause. Le procureur du Roi, Martin du Nord poursuivait 310 accusés mais la cour le mettait en cause 164 prévenus dont 43 étaient absents. Les condamnations furent rendues le .

Presque tous les membres de la Société des droits de l'homme furent poursuivis pour avoir provoqué, préparé et dirigé les émeutes et les autres furent poursuivis pour participation matérielle aux événements de la rue Transnonain.

La maison de la rue Transnonain modifier

La sanglante « bavure », dénoncée par Daumier, rendit tristement célèbre la maison du 12, rue Transnonain pendant les émeutes d’.
Pour le procès de l’année suivante, des relevés précis furent effectués pour permettre à la cour des Pairs de localiser les faits relatés par les nombreuses dépositions.
Construite en 1796 à l’angle de la rue Transnonain et de la rue de Montmorency, cette maison occupa une parcelle où subsistaient les vestiges du couvent des Carmélites : ce fut là un de ces espaces parisiens livrés à la spéculation par suite de la vente des biens du clergé à partir de 1793. On estime qu’ils représentaient quatre cents des trois mille trois cent soixante-dix hectares que comptait alors la ville. Les deux propriétaires de l’immeuble n’habitaient pas la maison. Mais il n’y avait pas moins de trente-quatre locataires dont cinq enfants.
Au début du règne de Louis-Philippe, la population du centre de Paris était en plein accroissement. Tous les espaces étaient habités y compris les mansardes.

Un cadre de vie représentatif de Paris avant Haussmann modifier

Dans cette maison, trente « actifs » exercent, pour la plupart sur place, des métiers très divers et se répartissent dans les étages en fonction de leur fortune :

au rez-de-chaussée, les boutiquiers ou artisans ;
au premier et au deuxième étage, des artisans plus cossus ou des petites entreprises ;
aux étages supérieurs, des employés, ouvriers, apprentis et journaliers sont bijoutier, chapelier, doreur sur papier, gainier, monteur sur bronze, peintre en bâtiment, tailleur de pierre, couturière, artiste peintre, peintre vitrier, polisseuse en pendules ou ravaudeuse.

Cet immeuble est représentatif de la densité et de la diversité des activités dans le centre de Paris à l’époque de la monarchie de juillet.
L’activité artisanale, le commerce et l’habitat s’y côtoient. Artisans, ouvriers et même le fabricant de papier peint Breffort, habitent des pièces adjacentes à leur atelier, comptoir ou entreprise. Et, sur place encore, le théâtre propose deux ou trois spectacles par semaine !

Les dépositions renseignent avec précision sur les modes de vie et les mentalités des habitants qui, malgré des différences de fortune, semblent avoir appartenu à des milieux relativement homogènes. Ils s’étaient presque tous réfugiés dans deux ou trois logements sur l’arrière pour éviter les balles perdues du côté de la rue, quand la troupe a chargé à l’intérieur de la maison.

Cette convivialité entre les habitants pourrait expliquer le fait que toutes les familles endeuillées par la tuerie ont continué à habiter ensemble sous ce toit, après le drame.

Notes et références modifier

  1. Une lettre de Paul-François Dubois sur l'insurrection parisienne d'avril 1834
  2. « Cinquante personnes de tout âge, parmi lesquelles deux hommes, trois femmes et un enfant, étrangers à cette maison, y avaient passé la nuit du 13 au 14 avril». Rapport Girod, tome 1, p. 376, https://www.senat.fr/histoire/les_proces_de_la_cour_des_pairs/les_emeutes_de_1834.html
  3. Luce-Marie ALBIGÈS et Martine ILLAIRE, « L'histoire par l'image / Rue Transnonain, une maison à Paris sous Louis-Philippe », sur histoire-image.org, L'Histoire par l'image, (consulté le ).
  4. « Dans une seule maison de la rue Transnonain, douze cadavres gisent affreusement mutilés; quatre personnes sont dangereusement blessées : femmes, enfants, vieillards, n'ont pas trouvé grâce. » Mémoire sur les événements de la rue Transnonain, dans les journées des 13 et 14 avril 1834, par Ledru-Rollin

Voir aussi modifier

Sources et bibliographie modifier

  • Ledru-Rollin, Mémoire sur les événements de la rue Transnonain, Guillaumin, Paris, 1834 Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • David Guillet (administrateur des Galeries nationales du grand Palais), Daumier (1808-1879), réunions des musées nationaux, Paris, 1999
  • Judith Wechsler, Le Cabinet des dessins Daumier, Flammarion, Paris, 1999
  • Jean El Gammal, Histoire politique de la France de 1814 à 1870, Nathan/HER, 1999
  • Maïté Bouyssy, L'urgence, l'horreur, la démocratie. Essai sur le moment frénétique français 1824-1834, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 222 à 271.
  • Hélène Bonafous-Murat s'inspire de cet événement tragique pour écrire un roman Le Jeune Homme au bras fantôme, Le Passage, 2021

Articles connexes modifier

Liens externes modifier