Polynôme de Legendre

suite de polynômes orthogonaux
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En mathématiques et en physique théorique, les polynômes de Legendre constituent l'exemple le plus simple d'une suite de polynômes orthogonaux. Ce sont des solutions polynomiales , sur le segment , de l'équation différentielle de Legendre :

Polynômes de Legendre
,

dans le cas particulier où le paramètre n est un entier naturel.

De façon équivalente, les polynômes de Legendre sont les fonctions propres de l'endomorphisme de défini par :

,

pour les valeurs propres .

Ces polynômes orthogonaux ont de nombreuses applications tant en mathématiques, par exemple pour la décomposition d'une fonction en série de polynômes de Legendre, qu'en physique, où l'équation de Legendre apparaît naturellement lors de la résolution des équations de Laplace ou de Helmholtz en coordonnées sphériques.

Définitions et propriétés générales

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Définition en tant que solution de l'équation de Legendre

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On appelle équation de Legendre l'équation différentielle linéaire homogène d'ordre 2[1] :

,

avec en général [note 1]. On trouve les solutions non nulles de cette équation sous forme de séries entières en utilisant la méthode de Frobenius. D'après le théorème de Fuchs, puisque les seuls points singuliers de cette équation sont 1 et –1[note 2], le rayon de convergence d'une telle série vaut au moins 1. Si α n'est pas entier, ce rayon est exactement égal à 1 car la série ne peut pas converger à la fois en 1 et en –1[note 3].

En revanche[note 4], si α est un entier naturel, une (et une seule) de ces séries entières converge sur [–1, 1] et vaut 1 au point 1 (cette solution est alors polynomiale, de degré α et de même parité que cet entier).

On peut donc définir le polynôme de Legendre Pn (pour tout entier naturel n) comme l'unique solution définie en 1 et –1 du problème de Cauchy[2] :

Définition en tant que fonctions propres d'un endomorphisme

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De façon plus abstraite, il est possible de définir les polynômes de Legendre Pn comme les fonctions propres pour les valeurs propres n(n+ 1), avec n entier, de l'endomorphisme défini sur :

.

Cette définition plus abstraite est intéressante notamment pour démontrer les propriétés d'orthogonalité des polynômes de Legendre (voir infra).

Fonction génératrice

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On peut aussi définir cette suite de polynômes par sa série génératrice :

.

Cette expression intervient notamment en physique, par exemple dans le développement à grande distance du potentiel électrostatique ou gravitationnel (développement multipolaire).

Si l'on considère qu'en général z est complexe, le calcul des coefficients de la série de Laurent donne alors :

où le contour entoure l'origine et est pris dans le sens trigonométrique.

Il est possible de définir les polynômes de Legendre par cette fonction génératrice, comme les coefficients de l'expansion.

Autres définitions

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Formule de récurrence de Bonnet

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Cette formule permet rapidement d'obtenir l'expression du polynôme de Legendre d'ordre (n + 1) à partir de ceux d'ordres n et (n – 1).

Pour tout entier n ≥ 1 :

avec P0(x) = 1 et P1(x) = x. Elle se démontre facilement à partir de la fonction génératrice.

Orthogonalité

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Les polynômes de Legendre sont aussi caractérisés — à normalisation près par la condition Pn(1) = 1 — par le fait que Pn est de degré n et pour tous entiers distincts m, n,

.

Autrement dit, les polynômes de Legendre sont deux à deux orthogonaux par rapport au produit scalaire défini sur par la relation :

.

Formule de Rodrigues

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Le polynôme Pn(x) peut également être défini par la formule de Rodrigues :

.

On déduit cette égalité de la caractérisation précédente[3], en vérifiant d'une part (par intégrations par parties répétées) que est orthogonal à , et d'autre part (par la règle de Leibniz) que la valeur en de est .

Définitions sous forme de somme

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On définit ce polynôme de deux façons sous forme de somme :

(on en déduit )

où on a utilisé :

Quelques polynômes

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Les onze premiers polynômes sont :

Les 20 premiers polynômes de Legendre

Propriétés

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Le polynôme Pn est de degré n.

Coefficient dominant

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Le coefficient dominant de Pn est .

Pour tout entier naturel N, la famille étant une famille de polynômes à degrés étagés, elle est une base de l'espace vectoriel .

Parité

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Le polynôme Pn a même parité que l'entier n. On peut exprimer cette propriété par :

(en particulier, et ).

Le carré de la norme, dans L2([–1, 1]), est[4]

Scindé à racines simples

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Pour tout entier n ≥ 1, le polynôme Pn est scindé à racines simples, toutes ses racines appartenant à l'intervalle ]–1, 1[ (c'est une propriété générale des suites de polynômes orthogonaux, qui se déduit classiquement de la définition ci-dessus par orthogonalité et degré).

Théorème d'addition

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Si 0 ≤ ψ1 < π, 0 ≤ ψ2 < π, ψ1 + ψ1 < π et ϕ un réel quelconque, alors

ce qui est équivalent à

On a aussi

sous l'hypothèse que 0 ≤ ψ1 < ψ2.

Lien avec l'équation de Laplace

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L'équation différentielle qui définit les polynômes de Legendre est naturellement liée à l'équation de Laplace Δf = 0, écrite en coordonnées sphériques, qui intervient notamment en électrostatique. En effet, lors de la recherche d'une solution ne dépendant pas de l'angle d’azimut φ sous la forme d'un produit f(r,θ) = A(r)B(θ) de deux fonctions d'une seule variable, l'équation vérifiée par B ainsi obtenue est de la forme :

,

n(n + 1) est la constante de séparation. Le changement de variable x = cos θ permet de vérifier que B suit l'équation de Legendre[6]. Les seules solutions physiquement acceptables, c'est-à-dire qui ne divergent pas pour x → ±1 sont alors celles pour lesquelles n est entier, donc les polynômes de Legendre[note 5].

Décomposition en série de polynômes de Legendre

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Décomposition d'une fonction holomorphe

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Toute fonction f, holomorphe à l'intérieur d'une ellipse de foyers -1 et +1, peut s'écrire sous la forme d'une série qui converge uniformément sur tout compact à l'intérieur de l'ellipse :

avec

Décomposition d'une fonction lipschitzienne

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On note le quotient du polynôme Pn par sa norme.

Soit f une application continue sur [–1, 1]. Pour tout entier naturel n, on pose

Alors la suite (cn(f)) est de carré sommable, et permet d'expliciter le projeté orthogonal de f sur  :

On a de plus :

  1. , avec le noyau

Supposons de plus que f est une fonction lipschitzienne. On a alors la propriété supplémentaire :[réf. souhaitée]

Autrement dit, l'égalité

est vraie non seulement au sens L2 mais au sens de la convergence simple sur ]–1, 1[.

Intégration numérique d'une fonction

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Afin de calculer numériquement l'intégrale d'une fonction sur l'intervalle [–1, 1], l'une des méthodes les plus populaires est la méthode de quadrature de Gauss-Legendre fondée sur les propriétés des polynômes de Legendre. Elle prend la forme :

avec :

  • l'ensemble des zéros du polynôme de Legendre Pn ;
  • les poids respectifs : .

En particulier, la formule[7] à l'ordre n est exacte pour toute fonction polynomiale de degré 2n – 1.

Applications en physique

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Les polynômes de Legendre, tout comme ceux d'Hermite ou de Laguerre, apparaissent dans diverses branches de la physique ou du calcul numérique car ils permettent le calcul d'intégrales définies sans qu'il soit nécessaire de les évaluer analytiquement, à condition toutefois que par un changement de variable adéquat, on se place dans l'intervalle d'intégration [−1, 1].

Les polynômes de Legendre permettent de développer en série les fonctions du type (cette formule se déduit directement de la fonction génératrice) :

et sont les normes des vecteurs et , respectivement, et est l'angle entre ceux-ci. Un tel développement est utilisé par exemple dans l'étude du dipôle électrique ou de façon plus générale dans l'expression du champ électrique ou gravitationnel à grande distance d'une distribution continue de charge ou de masse (développement multipolaire).

Les polynômes de Legendre apparaissent également dans la résolution de l'équation de Laplace en électrostatique,, pour le potentiel électrique dans une région de l'espace vide de charges (en coordonnées sphériques) dans le cas d'un problème présentant une symétrie axiale (le potentiel est alors indépendant de l'angle azimutal ), procédant par la méthode de séparation des variables. La solution de l'équation de Laplace se met alors sous la forme :

Notes et références

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  1. Alors, sans perte de généralité, , puisque pour .
  2. En effet, l'équation différentielle se met sous la forme , avec et .
  3. En effet, les coefficients d'une telle série entière vérifient la relation de récurrence , or donc d'après le critère de Gauss (corollaire de celui de Kummer), chacune des deux sommes et est infinie sauf si son premier terme est nul (auquel cas tous ses termes sont nuls), si bien que ou est infinie (puisqu'on a exclu la solution nulle).
  4. D'après la relation de récurrence précédente.
  5. Le cas plus général où l'on cherche, par séparation des variables, les solutions de la partie angulaire de l'équation de Laplace dépendant à la fois de θ et ϕ, permet d'introduire les polynômes associés de Legendre, étroitement liés aux harmoniques sphériques.

Références

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  1. L'étude ci-dessous de cette équation constitue — aux notations près, le α de cette source désignant notre α(α + 1) — le problème 9.3 de Yves Leroyer et Patrice Tesson, Exercices et problèmes de mathématiques pour l'ingénieur : Rappels de cours, corrigés détaillés, méthodes, Dunod, (lire en ligne) (énoncé p. 225 et corrigé p. 233, 234 et 235).
  2. « Equation de Legendre », sur bibmath.net (consulté le ).
  3. Voir par exemple C. Bernardi, Y. Maday et F. Rapetti, Discrétisations variationnelles de problèmes aux limites elliptiques, Springer, (lire en ligne), p. 35.
  4. Démontré par exemple dans la question II.2.c du sujet de CAPES 1989 et dans Bernardi, Maday et Rapetti 2004, p. 36 (corollaire 2.7).
  5. (en) E. T. Whittaker et G. N. Watson, A Course of Modern Analysis, Cambridge et New York, Cambridge University Press and the MacMillan Company, , p. 305-306.
  6. Murray R. Spiegel (en), Analyse de Fourier et application aux problèmes de valeurs aux limites : 205 exercices résolus, Série Schaum, , 200 p. (ISBN 978-2-7042-1019-0), chap. 7 (« Les fonctions de Legendre et leurs applications »), p. 138-142.
  7. On trouvera une table pour les cinq premières formules dans (en) Eric W. Weisstein, « Legendre-Gauss quadrature », sur MathWorld.

Voir aussi

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Articles connexes

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Bibliographie

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Liens externes

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