Introduction - applications bilinéaires
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Lorsque M, N et F sont trois A-modules, on appelle application bilinéaire une application f : M × N → F, telle que :
- f est linéaire à gauche, c'est-à-dire que .
- f est linéaire à droite, c'est-à-dire que .
Pour ramener l'étude des applications bilinéaires à celle des applications linéaires, on se propose de définir un module M⊗N et une application bilinéaire tels que toute application bilinéaire se factorise de manière unique à droite par , c'est-à-dire qu'il existe une et une seule application linéaire telle que .
On va prouver qu'un tel couple existe et est unique à un isomorphisme près.
Soient M et N deux A-modules. L'espace C = A(M × N) est le A-module des combinaisons linéaires formelles (à coefficients dans A) d'éléments de M × N. Un tel espace peut également être défini de manière équivalente comme le A-module des applications de M × N dans A nulles partout sauf sur un nombre fini d'éléments. C est un A-module libre dont est la base canonique, en ayant défini comme la combinaison linéaire formelle ayant pour seul coefficient non nul le coefficient devant , où ce coefficient est le neutre multiplicatif de A, autrement dit et
pour .
On souhaite que les éléments de la forme
soient identifiés comme nuls. On appelle donc D le sous-module de C engendré par les éléments de la forme précédente. On appelle produit tensoriel de M et N, et l'on note M⊗AN le module quotient C/D. Il est important de préciser l'anneau des scalaires A dans la notation du produit tensoriel. Néanmoins, si la situation est assez claire, on peut se permettre de ne pas trop surcharger les notations. On note la classe de dans M⊗AN.
Réponse au problème de l'introduction
La construction du produit tensoriel permet d'affirmer que est une application bilinéaire, que l'on note .
Montrons que ce module résout bien le problème des applications bilinéaires posé en introduction. Pour cela, donnons-nous une application bilinéaire . Comme le module C est libre, définir une application linéaire de C dans F revient à choisir l'image des éléments de la base canonique de C. On définit ainsi l'application par :
Mais, le fait que f soit bilinéaire implique que :
Donc le sous-module D est inclus dans le noyau de . On déduit par passage au quotient qu'il existe une application telle que :
De plus g est unique car les éléments de la forme engendrent .
Montrons finalement que est unique à un isomorphisme près, c'est-à-dire que s'il existe un module H tel que :
- Il existe une application bilinéaire .
- Si f : M × N → F est une application bilinéaire, il existe une unique application linéaire g : H → F telle que .
alors H est isomorphe à .
Si tel est le cas, comme est bilinéaire, il existe une application telle que . De même, comme est bilinéaire, il existe une application telle que . Donc et comme est aussi une application linéaire de dans vérifiant , on déduit d'après la propriété d'unicité que . De même . Donc et sont des A-modules isomorphes.
Remarque : dans le module quotient M⊗N, l'image de M×N par est un cône.
Si les deux A-modules M et N sont libres (par exemple si l'anneau commutatif A est un corps et M, N deux espaces vectoriels sur ce corps) alors leur produit tensoriel est libre : si (mi)i et (nj)j sont des bases respectives de M et N, une base de M⊗AN est (mi⊗nj)(i,j).
En particulier, le produit tensoriel de deux espaces vectoriels M et N a pour dimension dim(M)×dim(N).
Par exemple, le complexifié (en) d'un espace vectoriel réel E (cas particulier d'extension des scalaires), qui est par définition l'espace vectoriel complexe ℂ⊗ℝE, a, vu comme espace vectoriel réel, une dimension double de celle de E : tout vecteur de ℂ⊗ℝE est somme d'un produit tensoriel de 1 par un vecteur de E et de i par un autre vecteur de E et si (ej)j est une base de E (sur ℝ), alors une base sur ℝ de ℂ⊗ℝE est formée des 1⊗ej et des i⊗ej (tandis qu'une base sur ℂ de ℂ⊗ℝE est (1⊗ej)j).
Généralisation à un produit fini de modules
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Ce qui a été fait précédemment se généralise sans peine aux applications multilinéaires. Soit E1, … , En des A-modules. On considère le module produit E = E1×…×En. Une application f : E → F est dite n-linéaire si
- Quels que soient l'indice i et les n – 1 éléments , l'application partielle est linéaire.
Il existe un A-module que l'on note et une application n-linéaire de E dans telle que pour toute application n-linéaire de E dans un module d'arrivée F, il existe une unique application linéaire telle que .
En fait, le produit tensoriel de deux modules est associatif au sens suivant : si E, F, G sont trois A-modules, alors les modules (E⊗AF)⊗AG, E⊗A(F⊗AG) et E⊗AF⊗AG sont isomorphes.
Pour des A-modules E1, … , En fixés, les applications multilinéaires , où F parcourt les A-modules, sont les objets d'une catégorie, un morphisme de l'objet vers l'objet étant une application linéaire h de F dans G telle que . Dans le langage des catégories, la propriété énoncée ci-dessus de l'application de dans , à savoir que pour toute application n-linéaire de dans un module d'arrivée F, il existe une unique application linéaire telle que , revient à dire que est un objet initial de la catégorie en question[2], ou encore : que le foncteur covariant qui à tout module F associe le module des applications multilinéaires est représenté par [3].
Par ailleurs, pour un A-module N, fixé, la donnée d'une application bilinéaire de M × N dans F est équivalente à celle d'une application linéaire de M dans le module Hom(N, F) des applications linéaires de N dans F, si bien que le foncteur – ⊗N est adjoint à gauche du foncteur Hom(N, –), c'est-à-dire qu'on a un isomorphisme naturel :
- ↑ Par exemple: Alexander Grothendieck, La théorie de Fredholm, Bulletin de la S. M. F., tome 84 (1956), p. 319-384.
- ↑ Serge Lang, Algèbre [détail des éditions], 3e éd., Paris, Dunod, 2004, p. 618-620.
- ↑ Régine et Adrien Douady, Algèbre et théories galoisiennes [détail des éditions]; p.156-157