Le retable Despenser ou Reredos Despenser est un retable peint d'époque médiévale, exposé dans la chapelle Saint-Luc de la cathédrale de Norwich en Angleterre. Œuvre artistique majeure de l'édifice, il illustre cinq scènes des derniers moments de la vie du Christ : la flagellation, le chemin de croix, la Crucifixion, les événements suivant la Mise au tombeau, ainsi que l'Ascension.

Retable Despenser
Retable médiéval doré en quatre panneaux représentant la Passion du Christ.
Le retable Despenser, photographie de 2015.
Artiste
InconnuVoir et modifier les données sur Wikidata
Date
Commanditaire
Type
Matériau
Dimensions (H × L)
87,63 × 260,35 cmVoir et modifier les données sur Wikidata
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Carte

Le retable est généralement considéré comme une commande de l'évêque de Norwich, Henri le Despenser, en réponse à la répression de la révolte des paysans après leur défaite à la bataille de North Walsham en 1381. Cependant, d'autres théories suggèrent qu'il pourrait avoir été créé pour célébrer la visite du roi Richard II à Norwich en 1383 ou pour marquer l'achèvement de travaux importants dans la cathédrale. Les écussons héraldiques autour du cadre pourraient représenter les familles impliquées dans la répression du soulèvement en Est-Anglie ou celles ayant financé l'œuvre. Les premières identifications de ces armoiries, faites à la fin du XIXe siècle, ont été révisées à la lumière de recherches plus récentes.

Jusqu'à sa redécouverte fortuite en 1847, le retable est resté oublié, dissimulé dans la cathédrale où il avait été transformé en table, les peintures étant cachées sous le plateau. Cette transformation a entraîné la découpe de la partie supérieure de l'œuvre, amputant même une section de la figure centrale du Christ. Dans les années 1950, l'ensemble — panneaux et encadrement — a été restauré par Pauline Plummer. Depuis cette intervention, le retable a retrouvé sa fonction d'origine en tant que mobilier liturgique.

Découverte et provenance

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Le retable Despenser orne la chapelle Saint-Luc de la cathédrale de Norwich[1], utilisée comme église paroissiale depuis le XVIe siècle[2]. Redécouvert en 1847 dans l'enceinte de la cathédrale, l'œuvre avait été convertie en table durant la Réforme anglaise[3]. Relégué pendant de nombreuses années dans une pièce à l'étage, le panneau conserve, dissimulées sous sa surface, les peintures originelles de l'autel. Pour en faire un meuble utilitaire, la partie supérieure est sciée et les quatre coins sont découpés afin d’y fixer des pieds[4],[N 1].

« The preservation of this work of art is wholly due to the fortuitous circumstance that the well-compacted piece of joiner's work, whereon the painter so elaborately displayed his skill, had happily been found suitable to form a large table for one of the subordinate chambers or vestries, adjoining the choir of the cathedral. It had, accordingly, on the removal of all superstitious imageries, been cut to adapt it to the desired purpose; the painted side being reversed, and by that means rescued from further injury. It had thus remained long time wholly forgotten, whilst the back of the picture served conveniently as the top of the required table. »

— Albert Way, Memoirs illustrative of the history and antiquities of Norfolk and the city of Norwich[5].

« La conservation de cette œuvre d'art résulte entièrement d'un concours de circonstances fortuit. Le panneau, solidement assemblé par un menuisier et sur lequel le peintre a déployé toute l'étendue de son talent, se trouve réemployé comme plateau d'une grande table destinée à l'une des salles annexes ou sacristies attenantes au chœur de la cathédrale. À l'époque de la suppression des représentations jugées superstitieuses, le panneau est découpé pour s'adapter à sa nouvelle fonction, la face peinte étant tournée vers le bas. Ce retournement protège la peinture de toute dégradation ultérieure. Ainsi dissimulée et détournée de sa fonction première, l'œuvre tombe dans l'oubli pendant une longue période, tandis que son revers continue de servir, dans l'indifférence générale, de surface utilitaire à la table installée. »

— Memoirs illustrative of the history and antiquities of Norfolk and the city of Norwich[5].

Le témoignage d'Albert Way concernant la peinture reste flou sur les circonstances exactes de sa découverte dans la chapelle, la fonction de la table à ce moment-là, ainsi que l'usage initial de l'objet dans la cathédrale[6]. Une fois découvert, le retable est exposé au public dans une vitrine aménagée dans le déambulatoire sud de l'édifice[7].

À la suite de sa découverte en 1847, Way, historien local qui a consigné ses observations dans une édition spéciale de The History and Antiquities of Norfolk and the City of Norwich, en collaboration avec l'historien de l'art Matthew Digby Wyatt, attribue le retable à une provenance italienne[3]. Néanmoins, la question de son origine demeure irrésolue. Également envisagée comme allemande[8], l'œuvre suscite ensuite des hypothèses évoquant une influence française ou bohémienne[8]. En 1897, William Henry St John Hope avance une thèse divergente en présentant le retable comme un exemple représentatif de « l'art anglais authentique », réalisé selon lui à Norwich[3], de même que Heslop qui estime également que le retable est l'œuvre d'un artiste établi dans cette ville[9].

Les panneaux du retable présentent certaines analogies stylistiques avec ceux de l'église St Michael-at-Plea, également située à Norwich, mais ces ressemblances ne suffisent pas à confirmer une production locale. L'historien David King conclut que l'analyse stylistique, à elle seule, ne permet pas de trancher quant à l'origine de l'œuvre[8]. À l'inverse, l'historienne de l'art médiéval Pamela Tudor-Craig fait valoir l'existence d'indices probants suggérant qu'elle aurait été exécutée par des artisans locaux[3].

Description

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Bannière héraldique ancienne
La bannière héraldique d'Henri le Despenser est bien visible sur le cadre du retable.

Le retable est installé derrière l'autel, dans la chapelle Saint-Luc de la cathédrale de Norwich[10]. Il présente cinq scènes peintes sur un panneau de bois constitué d'au moins quatre planches, assemblées à l'aide de chevilles, puis encadrées d'un bâti. À l'origine, ces scènes étaient séparées par des meneaux, dont un seul subsiste. La partie supérieure de l'œuvre a été tronquée pour être réutilisée comme plateau de banc rectangulaire. Des découpes carrées d'environ 10 centimètres ont également été pratiquées aux quatre coins du panneau afin d'y fixer des pieds, altérant ainsi la structure d'origine[11].

La forme initiale du cadre reste inconnue, bien qu'il ait vraisemblablement été rectangulaire. On suppose qu'il comprenait jusqu'à une trentaine de blasons héraldiques, ainsi que certains des instruments de la Passion[12]. Après la reconversion du retable en mobilier, seuls les éléments latéraux et la base du cadre ont été conservés[4]. Les abords du retable sont ornés de boucliers héraldiques appartenant à des familles qui ont soutenu la répression des paysans lors de la Révolte de 1380[13]. La bannière héraldique d'Henri le Despenser est également clairement visiblement sur le retable[14].

Panneaux peints

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Les cinq panneaux du retable représentent chacun une scène distincte des derniers jours du Christ[15]. La palette chromatique, particulièrement éclatante, se distingue par l'emploi de tons vifs tels qu'un rouge intense et un vert aux nuances bleuâtres[16]. Si les peintures n'ont jamais fait l'objet de dégradations intentionnelles, elles ont toutefois subi, avec le temps, des pertes de matière picturale. La découpe de la partie supérieure de trois panneaux a principalement entraîné la disparition des éléments architecturaux de fond[11]. Cependant, dans deux d'entre eux, la partie supérieure de la figure du Christ est également perdue[4]. Seul le panneau central a fait l'objet d'une reconstitution partielle, réalisée par Pauline Plummer, alors que les autres panneaux restent dans leur état lacunaire. Cette intervention ciblée permet au retable de retrouver sa vocation cultuelle et d'être à nouveau utilisé dans le cadre des offices religieux[17].

Le premier panneau illustre Jésus, presque entièrement dénudé et attaché à une colonne, subissant la flagellation. Son regard, empreint de tristesse plutôt que de douleur, se tourne vers ses bourreaux, des soldats romains dépeints de manière grotesque pour souligner leur cruauté[18]. Les flagelleurs, représentés comme de simples paysans à la peau hâlée et aux vêtements grossiers, contrastent avec la pâleur et la vulnérabilité de Jésus[19]. Une figure d'autorité, probablement Ponce Pilate, est également présente. Le deuxième panneau montre Jésus entouré de soldats et contraint de porter sa croix[18]. La scène centrale représente la Crucifixion, avec la Vierge Marie soutenue par saint Jean l'Évangéliste, tandis qu'un groupe de trois hommes inclut vraisemblablement la même figure d'autorité. Une citation biblique, vere filius Dei erat iste (« Cet homme était vraiment le Fils de Dieu »[17]), accompagne cette représentation. Le quatrième panneau évoque les événements après l'ensevelissement du Christ, le montrant sortant de son tombeau avec une bannière, posant un pied sur l'épaule d'un soldat endormi. Alors que le corps du Christ est soigneusement représenté, le tombeau manque de perspective, contrastant avec le réalisme de la figure centrale[20]. Enfin, le cinquième panneau illustre l'Ascension du Christ, entouré des douze Apôtres et de la Vierge Marie. Une grande partie de sa figure a disparu en raison de la découpe du panneau supérieur lors de la transformation du retable en plateau de table[21]. On ne sait pas dans quelle mesure la silhouette de Jésus était initialement représentée[11].

peinture sur panneau de la Flagellation de Jésus
Le premier panneau illustre la scène de la flagellation de Jésus.
peinture sur panneau montrant le Christ portant la croix
Le deuxième panneau illustre la scène du portement de croix.
peinture sur panneau représentant la Crucifixion
Le panneau central représente la crucifixion.
peinture sur panneau de la Résurrection de Jésus
Le quatrième panneau représente la résurrection de Jésus.
peinture sur panneau représentant l'Ascension de Jésus
Le cinquième panneau représente l'Ascension du Christ.

Dans le retable, Jésus est dépeint dans une posture d'humilité, acceptant le destin imposé par ceux qui détiennent le pouvoir. Beckwith interprète cette attitude comme un reflet de la résignation de la paysannerie, contrainte de s'incliner après l'échec de sa révolte[15].

Commande

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Image en noir et blanc d'un retable illustrant la Passion du Christ.
Photographie du retable par William Henry St John Hope, 1898.

Le retable a vraisemblablement été commandé par Henri le Despenser, alors évêque de Norwich. Sa date de création, ainsi que les raisons de sa commande et sa provenance, demeurent toutefois incertaines. Il a cependant été avancé que la présence de boucliers héraldiques sur ses bords pourrait indiquer qu'il a été conçu comme un acte de remerciement à la suite des événements survenus en Norfolk durant la révolte des paysans de 1381[4]. Cette hypothèse a été formulée pour la première fois par l'antiquaire anglais William Henry St John Hope en 1898[22]. En analysant les éléments héraldiques présents sur le retable, Hope a attribué des noms de familles à sept des boucliers. Cette analyse a depuis été révisée par les chercheurs modernes, dont les découvertes renforcent l'idée d'une connexion encore plus étroite entre le retable et la révolte des paysans. Hope a notamment repéré des « traces évidentes » des armes de la famille Despenser sur le cadre, bien que sa photographie de 1898 ne les montre pas[4]. Il a également suggéré que les armes de Stephen Hales, capturé par les rebelles durant la révolte, figurent sur le retable[23]. Selon Hope, les boucliers auraient symbolisé des familles locales qui ont souhaité rendre grâce à Dieu pour la défaite des rebelles lors de la bataille de North Walsham[13], en particulier la famille d'Henry le Despenser, qui avait dirigé les forces royales contre ces rebelles[4],[24]. Henri le Despenser est considéré par Hope comme le commanditaire de l'œuvre[4],[N 2], d'autant plus que sa bannière héraldique est clairement visible sur le cadre du retable[14].

Sculpture en bois du visage d'un homme coiffé d'un mitre.
Henri le Despenser, supposé commanditaire du retable.

Le retable médiéval fait l'objet de plusieurs autres interprétations quant à son commanditaire et à son contexte historique. Selon la médiéviste Sarah Beckwith, ce retable pourrait être directement lié à une révolte paysanne, servant de leçon de choses pour rappeler aux paysans leur place dans la hiérarchie sociale. Elle souligne que ces paysans, bien que leur révolte ait avorté, avaient osé contester leur position assignée et s'identifier au Christ, et que le retable leur rappelait une histoire dont ils connaissaient déjà bien l'issue[15].

Cependant, aucun lien concret entre le retable et cette révolte n'a été établi[26]. Les écussons héraldiques qui ornent le retable pourraient appartenir à des familles influentes du Norfolk, représentées pour des raisons autres que la révolte[27]. Une autre hypothèse suggère que le retable aurait été commandé par la cathédrale de Norwich pour commémorer la visite de Richard II d'Angleterre et de son épouse, la reine Anne de Bohême, en 1383[28]. Il est possible que le retable ait été dédié en présence du roi, une hypothèse renforcée si l'œuvre était destinée au maître-autel de la cathédrale[29]. Selon Tudor-Craig, l'héraldique présente sur le retable avait pour but de commémorer non seulement ceux qui ont contribué à la création de l'œuvre, mais aussi ceux qui ont financé la reconstruction des parties orientales de l'église[30].

Cependant, les archives de la cathédrale ne fournissent aucun élément permettant d'identifier les donateurs. L'historien David King avance l'hypothèse la plus plausible : il s'agirait selon lui d'un don collectif de la part des personnes représentées par les armoiries, ce qui expliquerait le financement du retable[28].

Notes et références

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(En) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Despenser Reredos » (voir la liste des auteurs).
  1. Selon l'historienne de l'art Sarah Stanbury, l'artéfact illustre un exemple remarquable de réutilisation créative, son appréciation évoluant au fil du temps. À l'origine, il constitue un objet de dévotion majeur qui symbolise la richesse et la piété orthodoxe. Au cours de son existence, il subit une transformation notable, étant reconverti en table dans une annexe, avant d'être finalement reconnu comme un chef-d'œuvre représentatif de l'art de l'Est-Anglie[3].
  2. Destiné dès son jeune âge à une carrière ecclésiastique, Despenser passe une grande partie de sa jeunesse à la Curie romaine, où il sert le pape Urbain V. Il participe aux combats menés par les armées pontificales contre la cité-État de Milan, dans le cadre de la croisade lancée contre les Visconti[24],[25].

Références

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  1. (en) « Norwich Cathedral, the Despenser Retable » Accès libre, sur Norwich360, (consulté le ).
  2. Tink 2010, p. 42.
  3. a b c d et e Stanbury 2015, p. 77.
  4. a b c d e f et g King 1996, p. 411.
  5. Way 1851, p. 198.
  6. Stanbury 2015, p. 76-77.
  7. Plummer 1959, p. 106.
  8. a b et c King 1996, p. 413.
  9. (en) Sandy Heslop, Medieval and Early Modern Art, Architecture and Archaeology in Norwich, Taylor & Francis, (ISBN 978-1-040-29308-9, lire en ligne Accès libre), p. 212
  10. McFayden 2015, p. 3.
  11. a b et c Plummer 1959, p. 108.
  12. McFayden 2015, p. 30.
  13. a et b McFayden 2015, p. 7.
  14. a et b (en) John Alban, « Depictions of the Arms of Henry Despenser, Bishop of Norwich », The Norfolk Standard,‎ , p. 193 (lire en ligne Accès libre [PDF]).
  15. a b et c Beckwith 1993, p. 22.
  16. McFayden 2015, p. 8.
  17. a et b McFayden 2015, p. 18.
  18. a et b McFayden 2015, p. 10-13.
  19. Stanbury 2015, p. 82.
  20. McFayden 2015, p. 22.
  21. McFayden 2015, p. 26.
  22. Stanbury 2015, p. 78.
  23. King 1996, p. 411-412.
  24. a et b Davies 2004.
  25. Sumption 2009, p. 111.
  26. McFayden 2015, p. 9.
  27. King 1996, p. 412.
  28. a et b King 1996, p. 412-413.
  29. McFayden 2015, p. 8-9.
  30. Stanbury 2015, p. 79.

Annexes

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Bibliographie

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Articles connexes

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