Le retable Despenser ou Reredos Despenser est un retable peint d’époque médiévale, actuellement exposé dans la chapelle Saint-Luc de la cathédrale de Norwich. Œuvre artistique majeure de l’édifice, il illustre cinq scènes des derniers moments de la vie du Christ : la flagellation, le chemin de croix, la Crucifixion, les événements suivant la Mise au tombeau, ainsi que l’Ascension.

Retable Despenser
Artiste
InconnuVoir et modifier les données sur Wikidata
Date
Commanditaire
Type
Matériau
Dimensions (H × L)
87,63 × 260,35 cmVoir et modifier les données sur Wikidata
Localisation
Coordonnées
Carte

Le retable est communément attribué à une commande de l’évêque de Norwich, Henri le Despenser, dans le contexte de la répression de la révolte des paysans, consécutive à leur défaite lors de la bataille de North Walsham en 1381. Toutefois, d’autres interprétations ont émergé quant à son origine : il pourrait avoir été conçu pour commémorer la visite du roi Richard II à Norwich en 1383, ou encore pour exprimer une reconnaissance à l’achèvement de travaux majeurs dans la cathédrale. Les écussons héraldiques disposés autour du cadre pourraient symboliser les familles impliquées dans la répression du soulèvement en Est-Anglie ou celles ayant soutenu financièrement la réalisation de l’œuvre. Les premières tentatives d’identification de ces armoiries, formulées à la fin du XIXe siècle, ont depuis été réévaluées à la lumière de recherches plus récentes.

Le retable reste longtemps oublié jusqu’à sa redécouverte fortuite en 1847, dissimulé au sein même de la cathédrale, où il avait été reconverti en table, les peintures étant cachées sous le plateau. Lors de cette transformation, des menuisiers avaient scié la partie supérieure de l’œuvre, amputant notamment une section de la figure centrale du Christ. Dans les années 1950, l’ensemble — panneaux et encadrement — fait l’objet d’une restauration minutieuse par Pauline Plummer. Depuis cette intervention, le retable reprend sa fonction d’origine en tant qu’élément liturgique d’autel.

Description

modifier

Le retable est installé derrière l’autel, dans la chapelle Saint-Luc de la cathédrale de Norwich[1]. Il présente cinq scènes peintes sur un panneau de bois constitué d’au moins quatre planches, assemblées à l’aide de chevilles, puis encadrées d’un bâti désormais partiellement disparu. À l’origine, ces scènes étaient séparées par des meneaux, dont un seul subsiste. La partie supérieure de l’œuvre a été tronquée pour être réutilisée comme plateau de banc rectangulaire. Des découpes carrées d’environ 10 centimètres ont également été pratiquées aux quatre coins du panneau afin d’y fixer des pieds, altérant ainsi la structure d’origine[2].

La forme initiale du cadre reste inconnue, bien qu’il ait vraisemblablement été rectangulaire. On suppose qu’il comprenait jusqu’à une trentaine de blasons héraldiques, ainsi que certains des Instruments de la Passion[3]. Après la reconversion du retable en mobilier, seuls les éléments latéraux et la base du cadre ont été conservés[4].

Panneaux peints

modifier

Les cinq panneaux du retable représentent chacun une scène distincte des derniers jours du Christ[5]. La palette chromatique, particulièrement éclatante, se distingue par l’emploi de tons vifs tels qu’un rouge intense et un vert aux nuances bleuâtres[6]. Si les peintures n’ont jamais fait l’objet de dégradations intentionnelles, elles ont toutefois subi, avec le temps, des pertes de matière picturale. La découpe de la partie supérieure de trois panneaux a principalement entraîné la disparition des éléments architecturaux de fond[2]. Cependant, dans deux d’entre eux, la partie supérieure de la figure du Christ est également perdue[4]. Seul le panneau central a fait l’objet d’une reconstitution partielle, réalisée par Pauline Plummer, alors que les autres panneaux restent dans leur état lacunaire. Cette intervention ciblée permet au retable de retrouver sa vocation cultuelle et d’être à nouveau utilisé dans le cadre des offices religieux[7].

panel painting of the Flagellation of Jesus
Le premier panneau illustre la scène de la flagellation du Christ.
Panel painting showing Christ carrying the cross
Le deuxième panneau illustre la scène du Christ portant la croix.
Panel painting showing the Crucifixion
Le panneau central représente la Crucifixion.
panel painting of the Resurrection of Jesus
Le quatrième panneau représente la Résurrection de Jésus.
Panel painting showing the Ascension of Jesus
Le cinquième panneau représente l'Ascension du Christ.

Le premier panneau met en scène le Christ, presque entièrement dénudé et attaché à une colonne, subissant la flagellation. Son regard, empreint de tristesse plutôt que de douleur, se tourne vers ses bourreaux. Les soldats romains, au visage grimaçant et aux gestes outranciers, sont volontairement dépeints de manière grotesque afin de souligner leur cruauté[8]. Les flagelleurs sont représentés comme de simples paysans : leur peau est hâlée par le soleil, leurs vêtements sont grossiers, et leurs jambes demeurent nues, contrastant fortement avec l'apparence de Jésus, dont la pâleur et la quasi-nudité accentuent la vulnérabilité[9]. Un homme barbu, vraisemblablement une figure d’autorité — peut-être Ponce Pilate —, est également présent dans cette scène. Le deuxième panneau représente le Christ entouré de soldats, contraint de porter sa croix[8]. La scène centrale illustre la Crucifixion : la Vierge Marie, effondrée, est soutenue par saint Jean l’Évangéliste. Face à eux, un groupe de trois hommes inclut vraisemblablement la même figure d’autorité que celle observée dans la scène de la flagellation. Une citation biblique, vere filius Dei erat iste (« Cet homme était vraiment le Fils de Dieu »[7]), accompagne la représentation. Le quatrième panneau évoque les événements postérieurs à l’ensevelissement du Christ. Celui-ci est figuré sortant de son tombeau, tenant une bannière, et posant un pied sur l’épaule d’un soldat endormi. Alors que le corps du Christ est représenté avec soin, le tombeau lui-même est dépourvu de toute perspective, tranchant avec le réalisme de la figure centrale[10]. Le cinquième et dernier panneau représente l’Ascension du Christ, entouré des douze Apôtres et de la Vierge Marie. Une grande partie de la figure du Christ a disparu, conséquence de la découpe du panneau supérieur lors de la transformation du retable en plateau de table[11]. Il demeure incertain dans quelle mesure la silhouette de Jésus était initialement représentée[2].

Dans le retable, le Christ est représenté dans une posture d'humilité, acceptant le destin qui lui est imposé par ceux qui détiennent le pouvoir de le décider. Beckwith interprète cette attitude comme le reflet de la résignation de la paysannerie, forcée de s'incliner après l'échec de sa révolte[5].

Découverte et provenance

modifier

Le retable Despenser orne la chapelle Saint-Luc de la cathédrale de Norwich[12], utilisée comme église paroissiale depuis le XVIe siècle[13]. Redécouvert en 1847 dans l'enceinte de la cathédrale, l'œuvre avait été convertie en table durant la Réforme anglaise[14]. Relégué pendant de nombreuses années dans une pièce à l'étage, le panneau conserve, dissimulées sous sa surface, les peintures originelles de l'autel. Pour en faire un meuble utilitaire, la partie supérieure est sciée et les quatre coins sont découpés afin d’y fixer des pieds[4],[N 1].

« La conservation de cette œuvre d’art résulte entièrement d’un concours de circonstances fortuit. Le panneau, solidement assemblé par un menuisier et sur lequel le peintre a déployé toute l’étendue de son talent, se trouve réemployé comme plateau d’une grande table destinée à l’une des salles annexes ou sacristies attenantes au chœur de la cathédrale. À l’époque de la suppression des représentations jugées superstitieuses, le panneau est découpé pour s’adapter à sa nouvelle fonction, la face peinte étant tournée vers le bas. Ce retournement involontaire protège efficacement la peinture de toute dégradation ultérieure. Ainsi dissimulée et détournée de sa fonction première, l’œuvre tombe dans l’oubli pendant une longue période, tandis que son revers continue de servir, dans l’indifférence générale, de surface utilitaire à la table installée. »

— Albert May, Memoirs illustrative of the history and antiquities of Norfolk and the city of Norwich[15].

Le témoignage de May relatif à la peinture demeure évasif quant aux circonstances exactes de la découverte de l’œuvre dans la chapelle, à la fonction qu’occupait la table au moment de cette trouvaille, ainsi qu’à l’usage initial de l’objet au sein de la cathédrale[16]. Une fois mis au jour, le retable est présenté au public dans une vitrine aménagée dans le déambulatoire sud de l’édifice[17].

À la suite de sa découverte en 1847, Albert Way, historien local qui a consigné ses observations dans une édition spéciale de The History and Antiquities of Norfolk and the City of Norwich, en collaboration avec l’historien de l’art Matthew Digby Wyatt, attribue le retable à une provenance italienne[14]. Néanmoins, la question de son origine demeure irrésolue. D’abord envisagée comme italienne ou allemande, l’œuvre suscite ensuite des hypothèses évoquant une influence française ou bohémienne. En 1897, William Henry St John Hope avance une thèse divergente en présentant le retable comme un exemple représentatif de « l’art anglais authentique », réalisé selon lui à Norwich même[14],[18].

Les panneaux du retable présentent certaines analogies stylistiques avec ceux de l’église St Michael-at-Plea, également située à Norwich, mais ces ressemblances ne suffisent pas à confirmer une production locale. L’historien David King conclut que l’analyse stylistique, à elle seule, ne permet pas de trancher quant à l’origine de l’œuvre[18]. À l’inverse, l’historienne de l’art médiéval Pamela Tudor-Craig fait valoir l’existence d’indices probants suggérant qu’elle aurait été exécutée par des artisans locaux[14].

Commande

modifier
Photographie du retable par William Henry St John Hope, 1898.

Le retable a vraisemblablement été commandé par Henri le Despenser, alors évêque de Norwich. Sa date de création, ainsi que les raisons de sa commande et sa provenance, demeurent toutefois incertaines. Toutefois, il a été avancé que la présence de boucliers héraldiques sur ses bords pourrait indiquer qu'il ait été conçu comme un acte de remerciement à la suite des événements survenus en Norfolk durant la révolte des paysans de 1381[4]. Cette hypothèse a été formulée pour la première fois par l'antiquaire anglais William Henry St John Hope en 1898[19]. En analysant les éléments héraldiques présents sur le retable, Hope a attribué des noms de familles à sept des boucliers. Cette analyse a depuis été révisée par les chercheurs modernes, dont les découvertes renforcent l'idée d'une connexion encore plus étroite entre le retable et la révolte des paysans. Hope a notamment repéré des « traces évidentes » des armes de la famille Despenser sur le cadre, bien que sa photographie de 1898 ne les montre pas[4]. Il a également suggéré que les armes de Stephen Hales, capturé par les rebelles durant la révolte, figuraient sur le retable, hypothèse qui semble aujourd'hui plausible[20]. Selon Hope, les boucliers auraient symbolisé des familles locales qui ont souhaité rendre grâce pour la défaite des rebelles lors de la bataille de North Walsham en juin de cette même année[21], en particulier celle d'Henry le Despenser, qui avait dirigé les forces royales contre eux[4],[22]. Il est possible que ce retable ait été commandé par Despenser, un noble anglais et évêque de Norwich à l'époque de la révolte, comme le propose Hope, bien que la photographie de 1898 ne fournisse aucune preuve de la présence des armes de Despenser sur le cadre du retable[4],[N 2].

Henri le Despenser, supposé commanditaire du retable.

Le retable médiéval fait l'objet de plusieurs interprétations quant à son commanditaire et à son contexte historique. Selon la médiéviste Sarah Beckwith, ce retable pourrait être directement lié à une révolte paysanne, servant de « leçon visuelle » pour rappeler aux paysans leur place dans la hiérarchie sociale. Elle souligne que ces paysans, bien que leur révolte ait avorté, avaient osé contester leur position assignée et s'identifier au Christ, et que le retable leur rappelait une histoire qu'ils connaissaient déjà bien[5].

Cependant, aucun lien concret entre le retable et cette révolte n'a été établi[24]. Les écussons héraldiques qui ornent le retable pourraient appartenir à des familles influentes du Norfolk, représentées pour des raisons autres que la révolte[25]. Une autre hypothèse suggère que le retable aurait été commandé par la cathédrale de Norwich pour commémorer la visite de Richard II d'Angleterre et de sa reine, Anne de Bohême, en 1383[26]. Il est possible que le retable ait été dédié en présence du roi, une hypothèse renforcée si l'œuvre était destinée au maître-autel de la cathédrale[27]. Selon Tudor-Craig, l'héraldique présente sur le retable avait pour but de commémorer non seulement ceux qui ont contribué à la création de l'œuvre, mais aussi ceux qui ont financé la reconstruction des parties orientales de l'église[28].

Cependant, les archives de la cathédrale ne fournissent aucun élément permettant d'identifier les donateurs. L'historien David King avance l'hypothèse la plus plausible : il s'agirait d'un don collectif de la part des personnes représentées par les armoiries, ce qui expliquerait le financement du retable[26].

Notes et références

modifier
(En) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Despenser Reredos » (voir la liste des auteurs).
  1. Selon l'historienne de l'art Sarah Stanbury, l'artéfact illustre un exemple remarquable de réutilisation créative, son appréciation évoluant au fil du temps. À l'origine, il constitue un objet de dévotion majeur qui symbolise la richesse et la piété orthodoxe. Au cours de son existence, il subit une transformation notable, étant reconverti en table dans une annexe, avant d'être finalement reconnu comme un chef-d'œuvre représentatif de l'art de l'Est-Anglie[14].
  2. Destiné dès son jeune âge à une carrière ecclésiastique, Despenser passe une grande partie de sa jeunesse à la Curie romaine, où il sert le pape Urbain V. Il participe aux combats menés par les armées pontificales contre la cité-État de Milan, dans le cadre de la croisade lancée contre les Visconti[22],[23].

Références

modifier
  1. McFayden 2015, p. 3.
  2. a b et c Plummer 1959, p. 108.
  3. McFayden 2015, p. 30.
  4. a b c d e f et g King 1996, p. 411.
  5. a b et c Beckwith 1993, p. 22.
  6. McFayden 2015, p. 8.
  7. a et b McFayden 2015, p. 18.
  8. a et b McFayden 2015, p. 10-13.
  9. Stanbury 2015, p. 82.
  10. McFayden 2015, p. 22.
  11. McFayden 2015, p. 26.
  12. (en) « Norwich Cathedral, the Despenser Retable » Accès libre, sur Norwich360, (consulté le ).
  13. Tink 2010, p. 42.
  14. a b c d et e Stanbury 2015, p. 77.
  15. May 1851, p. 198.
  16. Stanbury 2015, p. 76-77.
  17. Plummer 1959, p. 106.
  18. a et b King 1996, p. 413.
  19. Stanbury 2015, p. 78.
  20. King 1996, p. 411-412.
  21. McFayden 2015, p. 7.
  22. a et b Davies 2004.
  23. Sumption 2009, p. 111.
  24. McFayden 2015, p. 9.
  25. King 1996, p. 412.
  26. a et b King 1996, p. 412-413.
  27. McFayden 2015, p. 8-9.
  28. Stanbury 2015, p. 79.

Annexes

modifier

Bibliographie

modifier

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Articles connexes

modifier