« Banalité du mal » : différence entre les versions

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Avant la découverte de ces archives les chercheurs devaient utiliser des sources très problématiques pour étayer leurs recherches sur la perception de la violence et la propension à tuer : dossiers d'enquêtes (le dossier d'Eichmann à Jérusalem en est un très vaste), lettres de la poste aux armées, récits de témoins oculaires. Toutes ces sources sont entachées d'un problème identique et gigantesque : les propos, récits livrés, sont rédigés en toute conscience et ont un destinataire, un procureur, une épouse restée au foyer, un public auquel on veut communiquer un vécu. Alors que les récits de ces soldats enregistrés dans la cire, par contre, sont spontanés, sans intention particulière. Ils disent ce qu'ils pensent en passant parfois du coq à l'âne. Ils ne se savent pas entendus, ni enregistrés, et ce pendant de longues périodes de semi-isolement carcéral. Ils étaient enregistrés à une époque où les moyens d'enregistrement n'étaient pas aussi répandus que de nos jours et ils n'imaginaient donc pas une telle procédure d'écoute enregistrée. Par ailleurs, ils parlaient à une époque où personne ne connaissait les évènements de la fin de la guerre et son issue. Pour eux l'espace du futur était encore ouvert alors que pour les lecteurs actuels, l'espace est clos depuis plus d'un demi siècle. La spontanéité ne garantit certainement pas la certitude d'obtenir des témoignages nécessairement exacts : la forfanterie, la fanfaronnade, la gène, la honte, une personnalité plus secrète peuvent être autant d'obstacles à la sincérité d'une conversation que les soldats ne savent pas enregistrée. Toutefois leur espace dicible est différent du nôtre, et des éléments qui peuvent être utiles à un locuteur pour se vanter ne sont pas non plus les mêmes que ceux qui seraient utilisés aujourd'hui par d'autres sujets d'expériences<ref>{{Harvsp|texte=Sönke Neitzel et Harald Welzer : Soldats|Sönke Neitzel|Harald Welzer|2013|p=12|loc=|id=Sönke_NeitzelHarald_Welzer2013}}</ref>.
 
Aussi violent que soit le sujet des discussions entre eux, les soldats se comprennent et partagent le même univers de camaraderie militaire. Ils racontent leur vécu dans un cadre culturel et historique spécifique qui représente leur cadre de référence. Les discussions se passent sans violence physique, entre camarades de combat qui ont connu les mêmes évènements. Le comportement des personnes qui exercent des violences extrêmes, comme ce fut le cas pendant la guerre nous apparaît comme anormal ou pathologique<ref>{{Harvsp|texte=Sönke Neitzel et Harald Welzer : Soldats|Sönke Neitzel|Harald Welzer|2013|p=24|loc=|id=Sönke_NeitzelHarald_Welzer2013}}</ref>, même s'il est plausible et compréhensible si l'on reconstitue le monde de leurs points de vue. Que l'on pense, par exemple, à la description d'un soldat qui veut faire impression sur son public en racontant le torpillage d'un convoi maritime transportant des enfants et plusieurs milliers de passagers qui vont se noyer dans les minutes qui suivent<ref>{{Harvsp|texte=Sönke Neitzel et Harald Welzer : Soldats|Sönke Neitzel|Harald Welzer|2013|p=18|loc=|id=Sönke_NeitzelHarald_Welzer2013}}</ref>. Les deux auteurs S. Neitzel et H. Welzer tentent de porter, à l'aide de l'analyse du cadre de référence, un « regard amoral » sur la violence exercée au cours de la Seconde Guerre mondiale, afin de comprendre dans quelles conditions des hommes parfaitement normaux parviennent d'un point de vue psychique à commettre dans des circonstances déterminées des choses qu'ils ne feraient jamais dans d'autres conditions, et faire basculer des crimes de guerre dans ceux contre l'humanité <ref>{{Harvsp|texte=Sönke Neitzel et Harald Welzer : Soldats|Sönke Neitzel|Harald Welzer|2013|p=619|loc=|id=Sönke_NeitzelHarald_Welzer2013}}</ref>. Le point de repère de base est, comme les auteurs le signalent d'emblée, le théorème de [[William Isaac Thomas]] : lorsque les gens interprètent des situations comme réelles, alors celles-ci sont réelles dans leurs conséquences<ref name="AA27">{{Harvsp|texte=Sönke Neitzel et Harald Welzer : Soldats|Sönke Neitzel|Harald Welzer|2013|p=27|loc=|id=Sönke_NeitzelHarald_Welzer2013}}</ref>. Aussi erronée que soit une évaluation de la réalité, les conclusions que l'on en tiretirent n'en créent pas moins de nouvelles réalités ([[Orson Welles]], avec les conséquences de sa pièce radiophonique de « [[La Guerre des mondes|La Guerre des Mondes]] » aux États-Unis, a donné une illustration de ce théorème). Dans les sociétés modernes, dont le fonctionnement est très compartimenté, les individus doivent mener un travail d'interprétation permanent : la question clé est dans ce contexte : « Que se passe-t-il ici ? » <ref name="AA27" />. Si, en l'absence de perturbation, le déroulement de l'action qui suit la question est souvent automatisé, il existe en revanche un grand nombre de cas et de facteurs où le cadre de référence bascule et modifie les priorités et les orientations. Par exemple, le cas de la guerre, de l'ignorance, des exigences de rôles à jouer, des obligations militaires.
 
Avant Harald Welzer et Sönke Neitzel, d'autres auteurs ont cherché des explications au comportement et à la mentalité d'auteurs de crimes, de grades inférieurs à celui d'Eichmann. Les documents allemands disponibles utilisent le langage bureaucratique propre, qui permet la dissimulation des sentiments individuels derrière une phraséologie standardisée. Ils sont donc les témoignages les moins fiables pour expliquer la banalisation d'assassinats de masse.
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