« Franc-maçonnerie sous la Troisième République » : différence entre les versions

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=== Recrutement et sociologie ===
[[File:Camille Pelletan 1914.jpg|thumb|upright|alt=Portrait en noir et blanc d'un homme politique française|[[Camille Pelletan]], membre fondateur du [[Parti radical (France)|Parti radical]].]]
L'extension du recrutement de la franc-maçonnerie et l'augmentation du nombre de ces membres est consubstantiel à la victoire définitive de la République en 1877{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=13|id=PC2|group=C}}. La grande majorité des membres du [[Grand Orient de France]], principale obédience française, est dans cette période largement constituée par la petite et moyenne [[bourgeoisie]], intégrant artisans, commerçants, juristes, journalistes ou professeurs, qui côtoient parfois des hommes d'affaires, ingénieurs et quelques fonctionnaires. Le Grand Orient et ses membres se montrent très actif dans ses actions de recrutements en direction des enseignants et des militaires, milieux perçus comme sous influence [[catholique]] depuis de nombreuses années{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=10|id=PC2|group=C}}. Si le recrutement dans l'enseignement s'avère important dès 1888{{note|texte=Le convent de 1898 reçoit 21 délégués de loges ayant pour profession directeur d'école ou enseignant{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=10|id=PC2|group=C}}.|group=n|}}, le recrutement dans l'armée est largement moindre et malgré une légère augmentation du nombres de militaires francs-maçons, l'[[Affaire des fiches (France)|affaire des fiches]] laisse apparaitre en 1904 que l'[[Armée de terre (France)|armée]] et la [[Marine nationale (France)|marine]] restent des bastions traditionnellement conservateurs{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=11|id=PC2|group=C}}.
 
L'ouverture du recrutement se traduit aussi dans les relations qui s'établissent entre la franc-maçonnerie en général et les tendances politiques libérales de l'époque, parmi lesquelles les partis républicains, des républicains modérés à l’extrême gauche{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=13|id=PC2|group=C}}. L'évolution idéologique du Grand Orient entre 1890 et 1900 transforme sensiblement les effectifs de l'Ordre, les [[Radicalisme|radicaux]] républicains devenant majoritaires. [[Camille Pelletan]], membre de la loge {{Citation|[[La Clémente Amitié]]}}, développe le [[Parti radical (France)|Parti radical]] dont [[Georges Clemenceau]], sans être franc-maçon, dirige l'organe appelé [[La Justice (journal)|''La Justice'']]. Cet organe travaille à son programme : [[Séparation de l'Église et de l'État en France|séparation de l'Église et de l'État]], [[Impôt sur le revenu (France)|impôt sur le revenu]], [[Révision constitutionnelle|révision de la constitution]] sont les principaux projets du parti{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=13|id=PC2|group=C}}. À initiative de [[Gustave Mesureur]], dignitaire de la Grande Loge de France, et de [[Léon Bourgeois]], membre du Grand Orient, se réunit en juin 1901 le premier congrès du {{Citation|Parti républicain radical-socialiste}}. Si les constitutions du Grand Orient dans son article 15 interdisent aux loges d’adhérer à un parti politique ès-qualité, une circulaire du 18 mai 1903 autorise les membres de l'Ordre à constituer des rassemblements à l’extérieur pour travailler aux questions économiques et sociales{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=14|id=PC2|group=C}}. De fait, de nombreux membres dirigeants ou militants du Parti radical sont des francs-maçons appartenant à l'une des deux principales obédiences françaises. Une synergie s'installe alors entre les questions débattues en loge ou en convent et les thèmes abordés dans les congrès radicaux{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=15|id=PC2|group=C}}.
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L'intervention dans la législation sociale et l’intérêt que portent les francs-maçons aux difficultés que connaissent les déshérités de la société posent question dès 1875. L'organe de diffusion maçonnique ''[[La Chaîne d'union]]'' diffuse plusieurs articles qui proposent la création d'un organisme national d'assistance en faveur des enfants, des malades, infirmes et vieillards. En 1880, [[Gustave Mesureur]] invite les loges à étudier la question d'une caisse nationale des retraites{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=143|id=PC2|group=C}}. En 1898, le convent du Grand Orient débat de nouveau de la création d'une [[Assurance maladie en France|assurance maladie]] et vieillesse ; une majorité de loges se prononce en faveur d'une forme d'organisation et de financement tripartite entre l’État, l'employeur et le salarié. Ce convent valide ces propositions et incite les parlementaires francs-maçons à user de leur influence pour faire voter une loi en ce sens{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=143|id=PC2|group=C}}.
 
Sans avoir le monopole des propositions sociales {{Incise|la loi de 1910 sur les [[retraites ouvrières et paysannes]] est également soutenue par les abbés [[Jules-Auguste Lemire |Lemire]] et [[Hippolyte Gayraud|Gayraud]]}}, les membres des ordres maçonniques s'investissent aussi dans les questions des [[Inégalités femmes-hommes en France|droits des femmes]] et des enfants. En 1899, [[Alfred Faure (homme politique)|Alfred Faure]] intervient au convent pour demander que les loges étudient les conditions de travail des enfants dans les orphelinats, les couvents et autres établissements s'occupant d'enfance déshéritée. Rapidement, le député franc-maçon [[Eugène Fournière]] dénonce au parlement {{Citation|l’exploitation}} des enfants dans certaines institutions religieuses{{note|texte=En premier lieu, Eugène Fournière cite l'orphelinat catholique du Bon Pasteur à Nancy{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=143|id=PC2|group=C}}.|group=n}}. Des questions sont également posées sur le problème de l'alcoolisme et ses répercussions sur la criminalité et l'instruction ainsi que sur une réforme du [[Code pénal (France)|code pénal]]{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=143|id=PC2|group=C}}.
 
La législation sociale évolue et s'enrichit de nouvelles dispositions débattues en loges et en convent des ordres maçonniques, comme la journée de travail à 11 heures en 1900, le repos obligatoire du dimanche en 1906, la création d'un [[Ministère du Travail (France)|ministère du Travail]] dont les lois créatives sont déposées par les francs-maçons [[Gaston Doumergue]], puis [[René Viviani]]{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=145|id=PC2|group=C}}. De manière assez hétéroclite de nombreux travaux sont mis en chantier pour proposer aux législateurs des réformes économiques et sociales. En 1910, des propositions sont faites pour une réglementation de l'apprentissage, pour réduire l'[[Exode rural en France|exode des paysans vers les villes]], pour réformer le [[Code d'instruction criminelle (France)|code d'instruction criminelle]]. En 1911, un projet de loi pour la retraite à 65 ans est débattu dans les ateliers, ainsi que des propositions pour combattre la [[Prostitution en France|prostitution]], pour soutenir les familles nombreuses ou encore lutter contre l'[[alcoolisme]]{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=195|id=M2019|group=M}}. Toutefois, les initiateurs des réformes dans plusieurs domaines ne sont pas uniquement francs-maçons. Les [[Parti socialiste (France)|socialistes]] ou les [[Catholicisme libéral|catholiques libéraux]] prennent part dans leurs organes respectifs à l'étude et à la traduction législative des avancées sociales{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=145|id=PC2|group=C}}.
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=== Rôle dans l'action électorale et syndicale ===
[[File:Delattre, Paul-Eugène (phot. Marius).jpg|thumb|upright|[[Eugène Delattre]], avocat en faveur d'une représentation proportionnelle des élus.|alt=Portrait en noir et blanc d'une personnalité politique.]]
La question du mode de scrutin est évoqué au sein de la franc-maçonnerie dès la période libérale du [[Second Empire]] où les propositions de l'avocat [[Eugène Delattre]] posent les prémices, au travers de ses publications, d'une représentation proportionnelle des élus et d'une plus grande légitimité de la représentation populaire{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=148|id=PC2|group=C}}. À la fin du {{S-|XIX}}, la question devient un objet de travaux des loges. L'aboutissement des travaux de plusieurs loges dont celle d'[[Antoine Blatin (1841-1911)|Antoine Blatin]], ardent défenseur de la [[Scrutin proportionnel plurinominal|représentation proportionnelle]], incite le convent du Grand Orient de 1898 à soumettre au vote l'adoption de ce mode électoral{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=149|id=PC2|group=C}}. Après de vives discussions avec les défenseurs du scrutin d'arrondissement qui permet de meilleures opportunités politiques, le convent adopte le rapport du président de l'assemblée{{note|texte=L'assemblée est présidée par Antoine Blatin{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=150|id=PC2|group=C}}.|group=n}} et invite les partis républicains à inscrire cette proposition en tête de leur programme politique{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=150|id=PC2|group=C}}. La Grande Loge de France s'engage dans les mêmes réflexions à compter de 1905{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=150|id=PC2|group=C}}.
 
Les lois sur le mode de scrutin sont débattues en 1912, toutefois le Sénat dont la majorité radicale défend le scrutin par arrondissement rejette la proposition. En 1914, l'assemblée se prononce de nouveau à la demande d'[[Arthur Groussier]], mais le débat au Sénat est ajourné à cause du début de la [[Première Guerre mondiale]]. Le Sénat finit par adopter la proposition de loi sur la représentation proportionnelle et le scrutin de liste qui s'applique pour les [[Élections législatives françaises de 1919|élections de novembre 1919]]{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=150|id=PC2|group=C}}. Le résultat de ces élections conforte la position des francs-maçons hostiles à ce mode de scrutin, voyant l'arrivée de nombreux parlementaires qualifiés de réactionnaires et une perte de sièges pour la gauche. En 1924, le Grand Orient demande alors le retour au scrutin d'arrondissement uninominal, ce mode plus opportuniste à l'intérêt politique affirmé étant considéré dès lors comme un système de défense de la République. La chambre vote ce retour en 1928 : les [[Élections législatives françaises de 1928|élections législatives de 1928]], 1932 et 1936 usent de ce mode uniquement{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=151|id=PC2|group=C}}.
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=== Rôle dans l'évolution des droits civils ===
[[File:JB Antoine Blatin.jpg|thumb|upright|[[Antoine Blatin (1841-1911)|Antoine Blatin]], l'une des figures du mouvement crématiste favorable au droit à l'incinération des morts.|alt=portrait au fusain d'un homme politique.]]
L'engagement des francs-maçons français dans le mouvement [[Crémation|crématiste]] est ancien et plusieurs tentatives de légalisation de l'incinération des morts sont rejetées par les pouvoirs précédant ceux de la {{IIIe}} République{{sfn|Emmanuel Pierrat|Laurent Kupferman|group=P|p=147|2020|id=PK2020}}. L'idée fait toutefois son chemin en [[Europe]], principalement en [[Allemagne]], pays protestant et plus ouvert à la diversité des pratiques funéraires. C'est le cas également en Italie où un mouvement crématiste largement soutenue par les obédiences maçonniques s'active en 1860{{sfn|Emmanuel Pierrat|Laurent Kupferman|group=P|p=150|2020|id=M2019|}}. [[Giuseppe Garibaldi]], {{Citation|premier franc-maçon d'Italie}} demande par voie testamentaire à être incinéré{{note|texte=À sa mort en 1882, un conseil de famille renonce devant la pression publique, il est finalement mis en terre{{sfn|Emmanuel Pierrat|Laurent Kupferman|group=P|p=151|2020|id=PK2020}}.|group=n}}{{,}}{{sfn|Emmanuel Pierrat|Laurent Kupferman|group=P|p=151|2020|id=PK2020}}.
 
En France en 1883, une nouvelle proposition appuyée par plusieurs parlementaires francs-maçons et une pétition de {{unité|5000|signatures}} est rejetée par la Chambre des députés. [[Antoine Blatin (1841-1911)|Antoine Blatin]], futur grand-maître du Grand Orient de France, permet par son action de rendre légale la [[crémation]] en France. Il dépose à cet effet un amendement sur le bureau de la Chambre lors du débat sur la liberté des funérailles civiles. Cet amendement autorise la liberté de choisir son mode de sépulture{{sfn|Emmanuel Pierrat|Laurent Kupferman|group=P|p=155|2020|id=M2019}}. L'amendement est adopté par la Chambre et ratifié par le Sénat qui se contente de supprimer le terme {{Citation|incinérer}} du texte réglementaire. La loi qui autorise la crémation est définitivement adoptée en octobre 1887{{sfn|Emmanuel Pierrat|Laurent Kupferman|group=P|p=156|2020|id=PK2020}}.
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Suivit de près par le Grand Orient, les efforts politiques sur ce sujet sont salués lors du convent de la même année par une motion de soutien{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=149|id=M2019|group=M}}. La paternité de ces lois est largement revendiquée par les loges maçonniques qui y voient l'aboutissement de nombreux efforts autour de questions étudiées en leur sein depuis le [[Franc-maçonnerie sous le Second Empire|Second Empire]]{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=65|id=PC2|group=C}}.
 
Six ans après leur vote, les lois scolaires de laïcisation ont du mal à être appliquées dans tout le territoire{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=151|id=M2019|group=M}}. Des interventions ont lieu au convent du Grand Orient de 1892 pour signaler que malgré la circulaire du ministre de l'Instruction publique [[Léon Bourgeois]] qui interdit l'instruction religieuse, la pratique perdure dans l'école publique. L'accentuation de la pression pour mettre en pratique les lois votées et écarter toute survivance religieuse dans les écoles se fait dès lors forte de la part des francs-maçons ; les instituteurs qui ne respectent pas les lois sont vilipendés. Les propositions des loges visent désormais à interdire tout membre d'une congrégation, même tenant d'un brevet de capacité{{note|texte=De nombreux religieux ont obtenu le brevet de capacité que la loi Grévy de 1880 rend obligatoire et peuvent de la sorte se maintenir au sein de l'instruction primaire{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=150-151|id=M2019|group=M}}.|group=n}} et à faire abroger la [[loi Falloux]]{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=152|id=M2019|group=M}}. L'enseignement religieux devenant d'ordre privé, les cours d'instruction civique et morale se doivent d'être étendu à tous les niveaux de l'éducation publique{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=155|id=M2019|group=M}}. Les réformes législatives débattues évoquent aussi la reprise par l'État de tous les biens des congrégations pour les affecter à l'enseignement supérieur, qui serait dispensé dans de nouvelles universités dont l'entrée se ferait sur concours tant pour les professeurs que pour les étudiants dans le but de créer une réelle [[méritocratie]] républicaine{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=153|id=M2019|group=M}}. Les propositions visent principalement à écarter les congrégations et le personnel catholique de l'[[instruction publique]]. Elles trouvent une réponse partielle en 1900 : si la [[loi Falloux]] n'est pas abrogée, une circulaire s'appuyant sur la loi du 30 octobre 1886 réaffirme l'interdiction aux instituteurs de tout emploi au service de l'Église{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=155|id=M2019|group=M}}.
 
=== Épuration de la fonction publique ===
{{article détaillé|Épuration de la fonction publique française (1879-1884)}}
[[File:Faure, Fernand.jpg|thumb|upright|[[Fernand Faure]], partisan d'une élimination de toute influence religieuse dans les institutions.|alt=Portrait en noir et blanc d'un homme politique de la {{3e}} République française.]]
La radicalisation de la laïcisation qui s'opère autour de l'enseignement public s'accompagne également de propositions de francs-maçons qui visent à écarter de la [[fonction publique française]] ceux qui ne sortent pas de l'appareil républicain{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=157|id=M2019|group=M}}. En effet, afin de permettre l’avènement des idéaux maçonniques dans la société, les [[corps constitués]] doivent être coopératifs ou du moins ne pas faire obstacle{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=182|id=M2019|group=M}}. Des vœux émanant des loges sont proposés au convent du Grand Orient ; ils expriment la nécessité de progressivement épurer la fonction publique en général. Ne doivent ainsi accéder aux postes à responsabilité que des fonctionnaires républicains affirmés et remplis d'esprit laïc{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=183|id=M2019|group=M}}. L'alliance de l'[[Ordre moral]] essaie plusieurs fois à l'occasion de crises gouvernementales{{note|texte=Notamment lors du [[Gouvernement Albert de Broglie (1)|gouvernement de l'Ordre moral]] ou de la [[crise du 16 mai 1877]]{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=57|id=PC2|group=C}}.|group=n}} de vaincre électoralement la coalition républicaine dont de nombreux francs-maçons sont membres et fait obstacle à sa volonté de laïcisation de la société. Elle voit s'opposer un anticléricalisme maçonnique qui s'exprime sans détours et va jusqu'à affirmer que l'on ne peut être républicain et catholique simultanément{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=57|id=PC2|group=C}}. Dans le sillage des écrits de l'auteur et franc-maçon Victor Courdevaux et des nombreuses conférences qu'il donne en loge autour des {{Citation|prétentions politiques de l'Église}}, d'autres personnalités vont s'engager dans le combat pour la laïcisation des institutions du pays. Certaines sont plus radicales et élargissent le champ des critiques à toutes les religions, catholiques, juives ou encore protestante, malgré l'alliance tacite entre le protestantisme libéral animé par [[Ferdinand Buisson]] ou [[Frédéric Desmons]] et la franc-maçonnerie{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=58|id=PC2|group=C}}. [[Fernand Faure]] demande au convent du Grand Orient de 1885 que toute influence religieuse soit éliminée des institutions pour permettre la victoire totale de la libre-pensée{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=59|id=PC2|group=C}}. Les loges du Grand Orient, au-delà l'épuration du système éducatif, réclament aussi une réorganisation de l'État bâtie sur la neutralité la plus stricte autour des questions religieuses ou philosophiques : de longues listes de revendications sont transmises aux ministères et frères élus dans les institutions de la République{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=156|id=M2019|group=M}}.
 
=== Séparation des Églises et de l’État ===
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Les arguments des loges portent aussi sur la nature du [[Régime concordataire français|régime concordataire]], accord conclu en 1801 entre le [[Napoléon Ier|premier consul Bonaparte]] et le [[Saint-Siège]] qui offre une rémunération aux ecclésiastiques en échange de l'abandon des biens religieux vendus durant la [[Révolution française]]. Le concordat étendu par Napoléon aux Églises protestantes et juives, dans un souci de contrôle du pouvoir au travers d'un subventionnement de l'État de toutes les religions{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=113|id=M2019|group=M}}, permet une forte pénétration de l'[[Église catholique]], notamment dans les institutions de l'État{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=114|id=M2019|group=M}}. La question se pose clairement de subventionner, par l'argent de l'État, la croyance en des [[dogmes religieux|dogmes]] des diverses religions, tout en ne le faisant pour la franc-maçonnerie qui se revendique en cet instant comme une {{Citation|Église de la République}}, dont la doctrine se fonde sur la raison, la science et la fraternité. Cependant, ce débat sur le financement des cultes ne s'établit pas sur une recherche de reconnaissance ou de subvention, mais plutôt sur celui de la rupture d'égalité de traitement entre les institutions, dès lors que ces subventions sont allouées à des religions et des doctrines qui s'affirment supérieures à l'État, à la science et se dénigrent parfois entre elles{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=114|id=M2019|group=M}}.
 
Pour les défenseurs du budget du culte, que ce soit à la [[Chambre des députés (Troisième République)|Chambre des députés]] ou au [[Sénat (France)|Sénat]], les subventions au clergé ne sont qu'une forme de remboursement et de dédommagement des biens dont l'Église s'estime spoliée à la suite de la Révolution. L'argument est balayé dans un rapport du convent en arguant de lois de l'[[Société d'Ancien Régime|Ancien Régime]]{{note|texte=Le système [[Gallicanisme|gallican]] fait de l'Église une institution soumise au Roi, depuis Louis XIV{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=115|id=M2019|group=M}}.|groupe=n}} qui précisent que les biens de l'Église sont possessions des rois. Pour le Grand Orient de France, l'Église est soumise à l'État qui peut disposer de ces biens comme bon lui semble{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=115|id=M2019|group=M}}.
 
Les termes de la séparation ne font pas l'unanimité et diverses positions s'établissent parmi les ordres maçonniques. [[Émile Combes]], [[Président du Conseil des ministres (France)|président du Conseil]] qui applique avec vigueur les lois anticléricales, estime toutefois que la France n'est pas prête pour la séparation{{note|texte=Dans un discours à la Chambre en janvier, Émile Combes expose son scepticisme vis-à-vis de la séparation, au regard des siècles où la religion a nourri les esprits. Il estime que l'on ne peut rien effacer sans proposer un modèle religieux de remplacement{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|p=534|2014|id=YM2014}}.|group=n}} ; il propose la mise en œuvre d'une religion civile républicaine{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|p=534|2014|id=YM2014}}. Des francs-maçons proposent la création d'une église [[Gallicanisme|gallicane]] libérale. Pour d'autres, plus radicalement, la séparation ne représente qu'une étape vers une politique étatique antireligieuse{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|p= 535|2014|id=YM2014}}. Le vote de la loi est gêné par l'[[Affaire des fiches (France)|affaire des fiches]] dans laquelle est impliqué le Grand Orient de France. Elle est finalement votée les 3 juillet et 9 décembre 1905 à la Chambre et au Sénat. Une grande partie des parlementaires francs-maçons votent le texte, une minorité vote contre, le jugeant trop tiède{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|p=538|2014|id=YM2014}}.
 
=== Réactions cléricales et antimaçonnisme ===
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L'opinion des membres de la franc-maçonnerie commence à changer avec la publication du ''[[J'accuse]]'' d'[[Émile Zola]]. Plusieurs loges font signer la pétition des intellectuels en faveur d'un procès en révision. Certains adhèrent à la naissante [[Ligue des droits de l'homme (France)|Ligue des droits de l'Homme]]. Toutefois en mai 1898, les obédiences maintiennent leurs distances avec les événements, d'autant plus que les frères dreyfusards à l'image de [[Gustave-Adolphe Hubbard]], Joseph Reinach ou [[Jacques Sever]] sont battus aux élections législatives, leur engagement pour le capitaine Dreyfus ayant pesé dans leurs défaites électorales. Cette même année, après des débats très houleux lors du congrès des loges de Paris et dans de nombreuses loges du territoire, le convent de 1898 adopte un texte anti-complotiste et réclame la révision du procès, sans parler de l’innocence potentielle de Dreyfus{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|2014|p=532|id=YM2014}}. Il s'agit d'un acte de ralliement à la cause dreyfusarde sous forme d'un combat non pas moral, mais idéologique et politique qui s'inscrit dès lors dans la défense de la République et de ses institutions<ref name="VR">{{article|auteur1=Vanessa Ragache|périodique=Humanisme|date=2018|numéro=318|passage=9-10|titre=« L’affaire » et le Grand Orient|éditeur=Edimaf}}.</ref>. Ces décisions tardives ne masquent l'expression chez certains antidreyfusards des ordres maçonniques un {{Citation|[[antijudaïsme]] de gauche}} qui rejoint l'[[antisémitisme]] des loges d'[[Algérie]], qui se reconnaissent dans les théories d'[[Edouard Drumont]] et de [[Max Régis]]<ref name="boeglin"/>.
 
En 1899, une grande partie des loges sont favorables à la révision et le 10 mai 1899, le Grand Orient organise une manifestation de soutien à Dreyfus{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|2014|p=533|id=YM2014}} et se lance dans une campagne pour faire basculer l'opinion<ref name="VR" />. Cette manifestation rencontre un grand succès. En juin 1899, [[Pierre Waldeck-Rousseau]] forme son gouvernement et fait réprimer les agitations nationalistes qui accompagnent la révision du procès qui commence en août. En septembre, le convent du Grand Orient réclame {{Citation|l'anéantissement de la conjuration, cléricale, césarienne et monarchiste}}{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|2014|p=533|id=YM2014}}. La révision n'innocente pas Dreyfus qui doit attendre 1906 pour être pleinement réhabilité. À compter de 1900-1901, les francs-maçons s'approprient avec une grande part d'exagération le mérite d'avoir mené le combat pour la révision{{note|texte=Vanessa Ragache et Édouard Boeglin questionnent et exposent dans leurs ouvrages ce qu'ils considèrent comme un rendez-vous manqué de la franc-maçonnerie française en général et du GODF particulièrement, pour avoir attendu et rallié le mouvement dreyfusard tardivement sans jamais s'élever avec véhémence contre le complot politico-militaire et antisémite<ref name="boeglin">{{lien web|url=https://books.openedition.org/pur/125034?lang=fr#ftn3|auteur1=Édouard Boeglin|titre=Le rendez-vous raté de la franc-maçonnerie|site=books.openedition.org|accès url=libre|date=2009|consulté=05/11/2021}}.</ref>.|group=n}}, forgeant un mythe radical et patriote qui renforce l'anticléricalisme en loge dans le combat qui se noue pour la séparation de l'Église et de l'État{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|2014|p=533|id=YM2014}}.
 
=== Affaire des fiches ===
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[[File:Caricature 1904 Le Pèlerin Lemot Quel appétit.jpg|thumb|upright|Caricature d'[[Achille Lemot]] publiée dans [[Le Pèlerin]] en 1904. La pieuvre, représentant le [[Grand Orient de France]] qui siège [[Hôtel du Grand Orient de France|rue Cadet]] est coiffée d'une casserole (l'[[affaire des fiches (France)|affaire des fiches]] est parfois appelée affaire des casseroles).|alt=Dessin d'une pieuvre coiffée d'une casserole se saisissant d'un soldat, d'un marin, d'un prélat et d'un instituteur.]]
 
Le général [[Louis André (général)|Louis André]] est nommé ministre de la Guerre par le président du conseil [[Pierre Waldeck-Rousseau]] le 28 mai 1900. Il travaille dès lors au rétablissement de la discipline dans l'armée où de nombreux officiers ont publiquement pris part à l'affaire Dreyfus et met fin aux fonctions des généraux qui critiquent son action{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=308|id=M2019|group=M}}. Ne pouvant s'appuyer sur la hiérarchie militaire en place pour bâtir une armée dirigée par des officiers fidèles à l'idéal républicain, il sollicite par l'intermédiaire du capitaine [[Henri Mollin]] le recours aux associations républicaines. Ce dernier, franc-maçon, sollicite le président du conseil de l'ordre du Grand Orient de France, [[Frédéric Desmons]], obédience ayant des loges dans de nombreuses villes de France{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=310|id=M2019|group=M}}. Le conseil de l'Ordre n'est pas sollicité, le bureau du conseil donne son autorisation établissant une volonté de garder un secret strict sur l'opération de collation d'information. Aucune circulaire n'est émise vers les loges en général, les présidents de loges les plus sûrs sont contactés directement. Si l'obédience n'est pas sollicitée ouvertement, en pratique les loges adressent leurs informations au siège du Grand Orient sous formes anonymes où elles sont dactylographiées. Les fiches ainsi établies sont centralisées au siège du Grand Orient par le secrétaire [[Narcisse-Amédée Vadecard|Narcisse Vadecard]] et son assistant [[Jean-Baptiste Bidegain]], puis transmises au ministère{{note|texte=Ce moyen de transmission donne son nom à l'affaire{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=310|id=M2019|group=M}}.|group=n}}{{,}}{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=310|id=M2019|group=M}}. L'opération de fichage se poursuit sans encombre durant quatre ans{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=311|id=M2019|group=M}}.
 
Par l'intermédiaire de l'abbé [[Gabriel de Bessonies]], Jean-Baptiste Bidegain décide de dénoncer publiquement le système de fichage installé par l'obédience. Il vend un lot de fiches et de documents appartement à l'Ordre à [[Jean Guyot de Villeneuve]], ancien officier devenu député nationaliste. Ce dernier interpelle le gouvernement qui évite la démission en plaidant l'ignorance des faits, mais l'affaire déclenche un important scandale{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=311|id=M2019|group=M}}.
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Tentant de concilier [[pacifisme]] et patriotisme, la position de la principale obédience reste ambiguë. Elle prône en même temps le renforcement de la défense nationale tout en promouvant les idées de paix universelle dont reste empreinte la franc-maçonnerie{{sfn|Patrice Morlat|2019|p=332|id=M2019|group=M}}. Le début de la [[Première Guerre mondiale|guerre de 1914]] dissipe l'idéal maçonnique, la grande majorité des francs-maçons considèrent comme un devoir la défense de la patrie. Les quelques liens récents noués avec la franc-maçonnerie germanique sont de nouveau rompus, les puissances maçonniques des pays belligérants se renient réciproquement et soutiennent leurs nations respectives{{sfn|Pierre Chevalier|1975|p=201|id=PC2|group=C}}.
 
Le nombre de francs-maçons mobilisés et tombés au combat est connu principalement par les monuments et les commémorations divers qui sont élevés ou entretenus par les obédiences dans les années qui suivent la fin du conflit{{note|texte=Les chiffres relèvent d'une estimation qui reste à affiner selon l'historien Hivert-Messeca{{sfn|Yves Hivert-Messeca|2016|p=240|id=HB}}.|group=n}}. Les diverses monographies des loges maçonniques françaises font apparaître qu'un franc-maçon français sur sept est mort sur les champs de bataille, les pertes des francs-maçons allemands, italiens et anglais étant du même ordre, ce qui représente environ 3 % des effectifs maçonniques européens de l'époque{{sfn|Yves Hivert-Messeca|2016|p=241|id=HB}}.
 
== Entre-deux-guerres ==
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Dans le même temps, les pouvoirs de l'organisme de hauts grades que représente le Suprême Conseil sont remis en cause par ses loges symboliques. En 1880, douze loges pour se libérer de sa tutelle quitte le conseil et créé la [[Grande Loge symbolique écossaise]], d'esprit démocratique et féministe, elle compte dans ses effectifs de grandes figures de la franc-maçonnerie française comme [[Gustave Mesureur]] futur grand maitre de la [[Grande Loge de France]] ou [[Oswald Wirth]] précurseur des études symboliques de la franc-maçonnerie{{sfn|Roger Dachez|2020|p=105|id=RD2020|groupe=D}}. Sous la pression de ses 60 loges, le Suprême conseil du rite écossais accepte en 1894 de leur accorder l'autonomie. Cette liberté occasionne et permet la fusion avec une grande partie des loges de la Grande Loge symbolique écossaise et constitue dès lors la [[Grande Loge de France]]. Partenaire du Grand Orient, elle mène pendant les années qui suivent de nombreux combats sociétaux{{sfn|Roger Dachez|2020|p=106|id=RD2020|groupe=D}}. Quelques loges refusant cette fusion, continuent leurs activités au sein d'une {{Citation|Grande Loge symbolique écossaise {{incise|mixte et maintenue}}}} dont les tendances libertaires et anarchistes, lui permette d'accueillir des personnalités aussi marquées que [[Paul Robin]] et [[Charles Malato]], ou des personnalités féminines telles que [[Louise Michel]] et [[Madeleine Pelletier]]{{sfn|Yves Hyvert-Messeca|p=342|2014|id=YM2014}}.
 
En 1910, [[Édouard de Ribaucourt]] et [[Camille Savoire]] accompagné de quelques membres du Grand Orient s'investissent dans la création d'un centre d'activité maçonnique plus traditionnel et non politisé. Il réactive à [[Paris]] une loge existante au début de {{s-|XIX}}, {{Citation|Le Centre des amis}}, et remettent en vigueur en France le [[Rite écossais rectifié]]. Rite d'essence très chrétienne, une version édulcoré pour cette recréation est proposée au convent du Grand Orient de 1913. Malgré tout, des oppositions s'élèvent et d'importantes suppressions sont demandées aux textes des rituels{{sfn|Roger Dachez|2020|p=108|id=RD2020|groupe=D}}. Rejetant ces décisions {{Citation|Le Centre des Amis}} et Pierre de Ribaucourt quittent le Grand Orient. En 1913, avec la loge {{Citation|L'Anglaise 204}} de [[Bordeaux]], elles se constituent en [[obédience maçonnique]] et fondent la {{Citation|Grande Loge nationale indépendante et régulière pour la France et les colonies}}{{note|texte=Elle prend le nom de [[Grande Loge nationale française]] en 1948{{sfn|Paul Naudon|2012|p=67|id=PN2012}}|group=n}}. La même année, elle, est reconnue par la [[Grande Loge unie d'Angleterre]]{{sfn|Paul Naudon|2012|p=67|id=PN2012}}. Cette dernière en 1929, s’autoproclame {{Citation|Mère loge du monde}} et édicte des principes de reconnaissance. Le principal étant l'obligation de croyance en un Dieu révélé pour être reconnus et nouer des relations avec elle. Ce système dit de la {{Citation|[[régularité maçonnique]]}} consacre la fracture complète entre les obédiences françaises historiques et libérales, qui rejettent ces principes et obligations religieuses{{sfn|Roger Dachez|2020|p=108|id=RD2020|groupe=D}}.
 
=== Avènement des femmes en franc-maçonnerie ===