« Affaire Dreyfus » : différence entre les versions

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{{Affaire Dreyfus}}
{{En-tête label|BA|année=2024}}
L''''affaire Dreyfus''' est une [[erreur judiciaire]]<ref>Voire un {{guillemets|crime judiciaire}} selon [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], Fayard, 1984 et [[#DuclertBio|Vincent Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], Fayard, 2006</ref>{{,}}<ref>Lire aussi le [http://www.presse.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10093&ssrubrique=10094&article=11255 discours] du ministre français de la justice, [[Pascal Clément]], du 12 juin 2006</ref> sur fond d’[[espionnage]], dont la [[victime]] est le [[capitaine]] [[Alfred Dreyfus]] ([[1859]]-[[1935]]), [[Juif]] et [[alsacien]] d'origine, et qui pendant douze ans, de [[1894]] à [[1906]], a bouleversé la [[Société (sciences sociales)|société]] [[France|française]].
{{Voir homonymes|L'Affaire Dreyfus}}
{{Infobox Affaire criminelle
|image = J’accuse.jpg
|taille image =
|légende = [[Émile Zola]], « [[J'accuse… !]] » à la [[Une (journalisme)|une]] du journal ''[[L'Aurore (journal français, 1897-1914)|L'Aurore]]'', {{date-|13 janvier 1898}}.
<!-- AFFAIRE-->
|désignation courte = Affaire Dreyfus
|titre = Affaire Alfred Dreyfus
|pays1 = {{France}}
|ville = [[Paris]]
|pays2 =
|nature du crime = Espionnage
|type de crime = [[Espion|Espionnage]] et [[trahison|intelligence avec l'ennemi]]
|nature de l'arme =
|type d'arme =
|date du crime =
|nombre de victimes =
<!-- JUGEMENT -->
|statut = Condamné à la [[Déportation en droit français|déportation à perpétuité]] et à la [[Dégradation militaire|dégradation publique]] (1894)<br>Condamné à dix ans de [[Réclusion criminelle|réclusion]] (1899)<br>Acquitté le {{date-|12|juillet|1906|en France}}
|tribunal = [[Conseil de guerre]] de la [[prison du Cherche-Midi]] de [[Paris]] <small>(1894)</small><br />Conseil de guerre de la {{Xe}} région militaire de [[Rennes]] <small>(1899)</small>
|formation = Chambres réunies de la [[Cour de cassation (France)|Cour de cassation]] <small>(1906)</small>
|date du jugement = {{date-|22|décembre|1894|en France}}<br />{{date-|9|septembre|1899|en France}}
|recours = Requête en révision acceptée le {{date-|29|octobre|1898}}<br />Arrêt cassé le {{date-|3|juin|1899}}<br />[[Grâce présidentielle en France|Gracié]] le {{date-|19|septembre|1899|en France}}<br />[[Acquittement en droit français|Acquitté]] sans renvoi le {{Date-|12|juillet|1906}}
}}
 
L''''affaire Dreyfus''' ({{IPA-fr|afɛʁ dʁɛfys|pron}}) est une [[affaire d'État]] devenue un conflit social et politique majeur de la [[Troisième République (France)|Troisième République]], survenu en [[France]] à la fin du {{s-|XIX}} autour de l'accusation de [[Haute trahison|trahison]] faite au [[Capitaine (France)|capitaine]] [[Alfred Dreyfus]], [[Histoire des Juifs en Alsace|juif d'origine alsacienne]], qui est finalement innocenté. Elle bouleverse la société française pendant douze ans, de [[1894 en France|1894]] à 1906, la divisant profondément et durablement en deux camps opposés : les « dreyfusards », partisans de l'innocence de Dreyfus, et les « antidreyfusards », partisans de sa culpabilité.
La révélation de ce [[scandale]], dans ''[[J'accuse]]'', un [[article (presse)|article]] d’[[Émile Zola]] en [[1898]], provoque une succession de crises politiques et sociales uniques en [[France]]. À son paroxysme en [[1899]], elle révèle les clivages de la France de la [[Troisième République]]. Elle divise profondément et durablement les Français en deux camps opposés, dreyfusards et anti-dreyfusards. Cette affaire est le symbole moderne et universel de l'iniquité<ref>Guy Canivet, premier président de la [[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], p. 15 </ref> au nom de la [[raison d'État]]. Enfin, elle suscite de très violentes polémiques [[Nationalisme|nationalistes]] et [[antisémitisme|antisémites]] diffusées par une [[Presse écrite|presse]] influente.
 
La condamnation fin 1894 du capitaine Dreyfus {{incise|pour avoir prétendument livré des documents secrets français à l'[[Empire allemand]]}} est une [[erreur judiciaire]] voire un [[Conspiration|complot judiciaire]]<ref>Voire un « crime judiciaire » selon [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], Fayard, 1984 et [[#DuclertBio|Vincent Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], Fayard, 2006.</ref>{{,}}<ref>Lire aussi le {{Lien web|url=https://www.justice.gouv.fr/actualites/espace-presse/archives-inauguration-lexposition-capitaine-dreyfus |titre=discours}} du ministre de la Justice, [[Pascal Clément]], du 12 juin 2006.</ref> sur fond d'[[Renseignement|espionnage]], dans un contexte social particulièrement propice à l'[[antisémitisme]] et à la haine de l'Allemagne ([[revanchisme]]) après son [[Annexions de l'Alsace-Lorraine|annexion]] de l'[[Alsace-Lorraine]] ([[Alsace-Moselle]]) en [[1871 en France|1871]]. L'affaire rencontre au départ un écho limité, avant qu'en 1898 l'acquittement du véritable coupable et la publication d'un [[pamphlet]] dreyfusard par [[Émile Zola]], « ''[[J'accuse… !]]'' » ne provoquent une succession de crises politiques et sociales. À son paroxysme en 1899, l'affaire révèle les clivages de la France de la Troisième République, où l'opposition entre les camps dreyfusard et antidreyfusard suscite de très violentes polémiques [[Nationalisme en France|nationalistes]] et [[Antisémitisme en France|antisémites]], diffusées par une [[Presse écrite|presse]] influente. Elle s'achève en 1906, par un arrêt de la [[Cour de cassation (France)|Cour de cassation]] qui innocente et réhabilite définitivement Dreyfus.
==Résumé de l'affaire Dreyfus==
{{Article détaillé|Chronologie de l'affaire Dreyfus}}
[[Image:Jeu de loie.jpg|thumb|300px|right|Jeu de l'oie de l'affaire Dreyfus]]
 
Cette affaire est souvent considérée comme le symbole moderne et universel de l'iniquité<ref>Guy Canivet, premier président de la [[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], {{p.}}15.</ref> au nom de la [[raison d'État]], et reste l'un des exemples les plus marquants d'une erreur judiciaire difficilement réparée, avec un rôle majeur joué par la presse et l'[[opinion publique]].
<!-- D'après : Jean-Denis Bredin, ''l'Affaire'' et Pierre Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus, la République en péril''.-->À la fin de l'année [[1894]], le capitaine de l'armée française Alfred Dreyfus, [[École polytechnique (France)|polytechnicien]], juif d'origine alsacienne, accusé d'avoir livré aux Allemands des documents secrets, est condamné au [[bagne]] à vie pour trahison et déporté sur l'[[Île du Diable (Guyane)|île du Diable]]. À cette date l'opinion comme la classe politique françaises sont unanimement défavorables à Dreyfus.
 
{{Sommaire|niveau=3}}
 
== Résumé ==
{{Article détaillé|Chronologie de l'affaire Dreyfus}}
[[Fichier:Histoire d'un innocent (affaire Dreyfus).jpg|vignette|gauche|redresse=1.2|« Histoire d'un innocent », [[imagerie populaire]] offrant un résumé [[Patriotisme|patriotique]] de l'affaire Dreyfus en seize cases, Paris, imprimerie Pochy, 1900.]]
<!-- D'après : Jean-Denis Bredin, ''l'Affaire'' et Pierre Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus, la République en péril''.-->À la fin de l'année [[1894]], le capitaine de l'armée française Alfred Dreyfus, [[École polytechnique (France)|polytechnicien]]<ref name="Kabla">Alfred Dreyfus, une affaire polytechnicienne {{lire en ligne|lien=https://www.hervekabla.com/wordpress/alfred-dreyfus-une-affaire-polytechnicienne/}}.</ref>, [[Juifs|Juif]] d'origine alsacienne, accusé d'avoir livré aux Allemands des documents secrets, est condamné au [[bagne]] à [[Emprisonnement à perpétuité|perpétuité]] pour trahison et déporté sur l'[[île du Diable]]. À cette date, l'opinion comme la classe politique française est unanimement défavorable à Dreyfus.
 
[[Fichier:Dreyfus est innocent - les défenseurs du droit, de la justice et de la vérité.jpg|vignette|''Dreyfus est innocent : les défenseurs du droit, de la justice et de la vérité''. Affiche présentant certains des principaux dreyfusards, qui se battaient pour que soit reconnue l'innocence d'[[Alfred Dreyfus]].]]
Certaine de l'incohérence de cette condamnation, la famille du capitaine, derrière son frère [[Mathieu Dreyfus|Mathieu]], tente de prouver son innocence, engageant à cette fin le journaliste [[Bernard Lazare]]. Parallèlement, le colonel [[Marie-Georges Picquart|Georges Picquart]], chef du contre-espionnage, constate en mars 1896 que le vrai traître avait été le commandant [[Ferdinand Walsin Esterhazy|Ferdinand Walsin Esterházy]]. L'[[État-major]] refuse pourtant de revenir sur son jugement et affecte Picquart en Afrique du Nord.
 
Certaine de l'incohérence de cette condamnation, la famille du capitaine, derrière son frère [[Mathieu Dreyfus|Mathieu]], tente de prouver son innocence, engageant à cette fin le journaliste [[Bernard Lazare]]. Parallèlement, le colonel [[Marie-Georges Picquart|Georges Picquart]], chef du contre-espionnage, constate en {{date-|mars 1896}} que le vrai traître est le commandant [[Ferdinand Walsin Esterhazy]]. L'[[état-major]] refuse pourtant de revenir sur son jugement et affecte Picquart en [[Tunisie]].
Afin d'attirer l'attention sur la fragilité des preuves contre Dreyfus, sa famille contacte en juillet 1897 le respecté président du Sénat [[Auguste Scheurer-Kestner]] qui fait savoir, trois mois plus tard, qu'il a acquis la conviction de l'innocence de Dreyfus, et qui en persuade également [[Georges Clemenceau]], ancien député et alors simple journaliste. Le même mois, Mathieu Dreyfus porte plainte auprès du ministère de la Guerre contre Esterházy. Alors que le cercle des dreyfusards s'élargit, deux événements quasi simultanés donnent en janvier 1898 une dimension nationale à l'affaire : Esterházy est acquitté, sous les acclamations des conservateurs et des nationalistes ; [[Émile Zola]] publie ''[[J'accuse]]'', plaidoyer dreyfusard qui entraîne le ralliement de nombreux intellectuels. Un processus de scission en deux de la France est entamé, qui se prolonge jusqu’à la fin du siècle. Des émeutes [[antisémitisme|antisémites]] éclatent dans plus de vingt villes françaises. On dénombre plusieurs morts à [[Alger]]. La [[République]] est ébranlée, certains la voient même en péril, ce qui incite à en finir avec l’affaire Dreyfus pour ramener le calme.
 
Afin d'attirer l'attention sur la fragilité des preuves contre Dreyfus, sa famille décide de contacter en {{date-||juillet|1897}} le respecté vice-président du Sénat [[Auguste Scheurer-Kestner]] qui fait savoir, trois mois plus tard, qu'il a acquis la conviction de l'innocence de Dreyfus, et qui en persuade également [[Georges Clemenceau]], ancien député et alors simple journaliste. Le même mois, Mathieu Dreyfus porte plainte auprès du ministère de la Guerre contre Walsin Esterhazy. Alors que le cercle des dreyfusards s'élargit, deux événements quasi simultanés donnent en {{date-||janvier|1898}} une dimension nationale à l'affaire : Esterhazy est acquitté sous les acclamations des conservateurs et des nationalistes ; [[Émile Zola]] publie « [[J'accuse… !]] », réquisitoire dreyfusard qui entraîne le ralliement de nombreux intellectuels. Un processus de scission de la France est entamé, et se prolonge jusqu'à la fin du siècle. Des émeutes [[antisémitisme|antisémites]] éclatent dans plus de vingt villes françaises. On dénombre plusieurs morts à [[Alger]]. La [[Troisième République (France)|République]] est ébranlée, certains la voient même en péril, ce qui incite à en finir avec l'affaire Dreyfus pour ramener le calme.
Malgré les menées de l'armée pour étouffer cette affaire, le premier jugement condamnant Dreyfus est cassé par la [[Cour de cassation (France)|Cour de cassation]] au terme d'une enquête minutieuse, et un nouveau conseil de guerre a lieu à [[Rennes]] en [[1899]]. Contre toute attente, Dreyfus est condamné une nouvelle fois, à dix ans de travaux forcés, avec, toutefois, circonstances atténuantes. Épuisé par sa déportation de quatre longues années, Dreyfus accepte la grâce présidentielle. Ce n'est qu'en [[1906]] que son innocence est officiellement reconnue au travers d'un arrêt sans renvoi de la Cour de cassation, décision inédite et unique dans l'histoire du [[droit]] français. Réhabilité, le capitaine Dreyfus est réintégré dans l'armée au grade de [[commandant]] et participe à la [[Première Guerre mondiale]]. Il décède en [[1935]].
 
Malgré les menées de l'armée pour étouffer cette affaire, le premier jugement condamnant Dreyfus est cassé par la [[cour de cassation (France)|Cour de cassation]] au terme d'une enquête minutieuse, et un nouveau conseil de guerre a lieu à [[Rennes]] en 1899. Dreyfus est condamné une nouvelle fois, à dix ans de détention, avec circonstances atténuantes. Dreyfus accepte par la suite la grâce présidentielle, accordée par le président [[Émile Loubet]]. C'est en 1906 que son innocence est officiellement établie au travers d'un arrêt sans renvoi de la Cour de cassation<ref name="Arrêt">{{Lien web |format=PDF |url=https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/dreyfus/cour_cassation.pdf |titre=Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906}}.</ref>. Réhabilité, le capitaine Dreyfus est réintégré dans l'armée, sans la rétroactivité qui a été accordée au colonel Picquart, au grade de [[Commandant (grade français)|commandant]] et participe à la [[Première Guerre mondiale]]. Il meurt en 1935.
Les conséquences de cette affaire sont innombrables et touchent tous les aspects de la vie publique française : politique (elle consacre le triomphe de la III{{e}} République, dont elle devient un mythe fondateur<ref>[[Michel Winock]], {{guillemets|L'affaire Dreyfus comme mythe fondateur}}, dans ''La France politique'', Éditions du Seuil, coll. {{guillemets|Points Histoire}}, 2003, pp. 151-165</ref> tout en renouvelant le [[nationalisme]]), militaire, religieux (elle ralentit la réforme du [[catholicisme]] français, ainsi que l'intégration républicaine des catholiques), sociale, juridique, médiatique, diplomatique et culturel (c'est à l'occasion de l'affaire que le terme d'[[intellectuel]] est forgé). L'affaire a également un impact international sur le mouvement [[histoire du sionisme|sioniste]] au travers d'un de ses pères fondateurs : [[Théodore Herzl]] et de par l'émoi que ses manifestations antisémites vont provoquer au sein des communautés juives d'Europe centrale et occidentale.
 
Les conséquences de cette affaire sont innombrables et touchent tous les aspects de la vie publique française : politique (elle consacre le triomphe de la {{IIIe}} République, dont elle devient un mythe fondateur<ref>[[Michel Winock]], « L'affaire Dreyfus comme mythe fondateur », dans ''La France politique'', Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », 2003, {{p.}}151-165.</ref> tout en renouvelant le [[nationalisme]]), militaire, religieux (elle ralentit la réforme du [[catholicisme]] français, ainsi que l'intégration républicaine des catholiques), social, juridique, médiatique, diplomatique et culturel (c'est à l'occasion de l'affaire que le terme d'[[intellectuel]] est forgé). L'affaire a également un impact international sur le mouvement [[histoire du sionisme|sioniste]] au travers de l'un de ses pères fondateurs, [[Theodor Herzl]], et de par l'émoi que ces manifestations antisémites provoquent au sein des communautés juives d'Europe centrale et occidentale.
===Confusions possibles===
Il ne faut pas confondre ''dreyfusards'', ''dreyfusiens'' et ''dreyfusistes''.
*Les ''dreyfusards'' sont les premiers défenseurs de Dreyfus, ceux qui le soutiennent dès le début.
*Le terme ''dreyfusiste'' désigne ceux qui réfléchissent au-delà de l'affaire et voient en celle-ci une nécessité de remettre en cause la société et la politique et, par extension, le fonctionnement de la République (certains dreyfusards furent parfois aussi dreyfusistes par la suite).
*Quant aux ''dreyfusiens'', ils n'apparaissent qu'en décembre [[1898]] lorsque l'affrontement entre dreyfusards et antidreyfusards devient vraiment aigu et que l'affaire compromet la stabilité de la République. Ces derniers, même si certains ont des sympathies pour Alfred Dreyfus, veulent liquider l'affaire en calmant le jeu, dans le but de sauver le régime républicain parlementaire alors en place. Ils sont à l'origine d'une certaine conciliation entre les deux camps, grâce à un effort de médiation en prônant l'apaisement. Leur texte fondateur est {{guillemets|L'Appel à l'union}} paru le [[23 janvier]] 1899 dans le journal ''[[Le Temps (quotidien français)|Le Temps]]''. Ils soutiennent généralement la politique de [[Waldeck-Rousseau]] et prônent une [[laïcisation]] de la société.
 
== Contexte ==
==Contextes de l'affaire Dreyfus==
=== Contexte politique ===
{{Article général|Antisémitisme pendant la Troisième République|position=section}}
En [[1894]], la [[Troisième République|{{IIIe}} République]] est vieille de vingt-quatre ans. Le régime politique de la [[France]] vient d'affronter trois crises (le [[boulangisme]] en [[1889]], le [[scandale de Panamá]] en [[1892]], et la menace [[Anarchisme|anarchiste]], réduite par les {{guillemets|[[lois scélérates]]}} de juillet [[1894]]) qui n'ont fait que l'affermir. Les élections de 1893, centrées sur la {{guillemets|question sociale}}, ont consacré la victoire des républicains de gouvernements (un peu moins de la moitié des sièges) face à la droite conservatrice, ainsi que la force des radicaux (environ 150 sièges) et des socialistes (environ 50 sièges).
[[Fichier:RF lampadaire Pont Alexandre III.jpg|vignette|redresse|[[Emblèmes_de_la_France#Monogramme_«_RF_»|Monogramme de la République française]].]]
En 1894, la [[Troisième République (France)|{{IIIe}} République]] est vieille de vingt-quatre ans. Le régime politique de la [[France]] vient d'affronter trois crises (le [[boulangisme]] en 1889, le [[scandale de Panama]] en [[1892]], et la menace [[Anarchisme|anarchiste]], réduite par les « [[lois scélérates]] » de {{date-||juillet|1894}}) qui n'ont fait que l'affermir. Les [[Élections législatives françaises de 1893|élections de 1893]], centrées sur la « [[question sociale]] », ont consacré la victoire des [[Républicains modérés|républicains]] de gouvernement (un peu moins de la moitié des sièges) face à la [[Droite (politique)|droite conservatrice]], ainsi que la force des [[Parti radical (France)|radicaux]] (environ {{nombre|150|sièges}}) et des [[Socialisme|socialistes]] (environ {{unité|50|sièges}}).
 
L'opposition des radicaux et des socialistes pousse à gouverner au [[Centrisme politique en France|centre]], d'où des choix politiques orientés vers le [[protectionnisme]] économique, une certaine indifférence à la question sociale, une volonté de briser l'isolement international, avec l'alliance[[Alliance franco-russe|alliance et le développement de l'Empirerusse]]{{refnec}}. Cette politique de centre provoque l'instabilité ministérielle, certains républicains de gouvernement rejoignant parfois les radicaux, ou certains [[Orléanisme|orléanistes]] rejoignant les légitimistes, et cinq gouvernements se succèdent de 1893 à 1896. Cette instabilité gouvernementale se double d'une instabilité présidentielle : au président [[Sadi Carnot (président)|Sadi Carnot]], assassiné le [[{{date-|24 |juin]] [[|1894]]}}, succède le modéré [[Jean Casimir-Perier]] qui démissionne le [[{{date-|15 |janvier]] [[|1895]]}} et est remplacé par [[Félix Faure]].
 
SuiteÀ àla suite de l'échec du [[Gouvernement Léon Bourgeois|gouvernement radical]] de [[Léon Bourgeois]] en 1896, le président nomme [[Gouvernement Jules Méline|Jules Méline]], homme du protectionnisme sous [[Jules Ferry|Ferry]]. Son gouvernement prend acte de l'opposition de la gauche et de certains républicains (l'[[Union progressiste (Troisième République)|Union progressiste]] notamment) et fait en sorte de toujours obtenir le soutien de la droite. Très stable, il cherche à apaiser les tensions religieuses (ralentissement de la [[Anticléricalisme|lutte anticléricale]]), sociales (vote de la loi sur la responsabilité des [[Accident du travail|accidents du travail]]) et économiques (maintien du protectionnisme) en conduisant une politique assez [[Conservatisme|conservatrice]]. C'est sous ce gouvernement stable qu'éclate réellement l'Affaire Dreyfus<ref>Pour ces trois paragraphes, cf. Jean-Marie Mayeur, ''Les débuts de la III{{eIIIe}} République'', Éditions du Seuil, 1973, pp{{p. }}209-217.</ref>.
 
=== Contexte militaire ===
[[ImageFichier:GénéralRaoul de Boisdeffre - photo Eugène Pirou.jpg|thumb|200pxvignette|Le [[Raoul Le Mouton de Boisdeffre|général Raoul leLe Mouton de Boisdeffre]], artisan de l'alliance militaire avec la Russie.]]
L'affaire Dreyfus se place dans le cadre de l'annexion à l'Allemagne de l'[[Alsace-Lorraine|Alsace et de la Moselle]], déchirure qui alimente tous les nationalismes les plus extrêmes. La [[Guerre franco-allemande de 1870|défaite traumatisante de 1870]] semble loin, mais l'esprit [[Revanchisme|revanchard]] est toujours présent. De nombreux acteurs de l'affaire Dreyfus sont d'ailleurs [[Alsace|alsaciens]]{{note|groupe=n|Dreyfus est de [[Mulhouse]], comme Sandherr et Scheurer-Kestner, Picquart est [[strasbourg]]eois, Zurlinden est [[colmar]]ien.}}.
La [[guerre de 1870|défaite traumatisante de 1870]] semble loin, mais l'esprit revanchard est toujours présent.
De nombreux acteurs de l'affaire Dreyfus sont d'ailleurs Alsaciens<ref>Dreyfus est de [[Mulhouse]], comme Sandherr et Scheurer-Kestner, Picquart est [[strasbourg]]eois, Zurlinden est [[colmar]]ien</ref>.
Les militaires exigent des moyens considérables pour préparer le prochain conflit, et c'est dans cet esprit que l'[[alliance franco-russe]] {{guillemets|contre nature}}<ref>Auguste Scheurer-Kestner dans une allocution au Sénat.</ref> du [[27 août]] [[1892]] est signée, sur la base d'une convention militaire.
L'armée s'est relevée de la défaite, mais elle est encore en partie constituée d'anciens cadres socialement aristocrates et politiquement monarchistes.
Le culte du drapeau et le mépris de la République parlementaire sont deux principes essentiels à l'armée de l'époque<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 5</ref>.
La République a beau célébrer son armée avec régularité, l'armée ignore la République.
 
Les militaires exigent des moyens considérables pour préparer le prochain conflit, et c'est dans cet esprit que l'[[alliance franco-russe]], que certains considèrent « contre nature »{{note|groupe=n|car entre un régime autocratique et religieux et une république laïque (Auguste Scheurer-Kestner dans une allocution au Sénat).}} est signée le {{date-|17|août|1892}} sur la base d'une convention militaire secrète. L'armée s'est relevée de la défaite, mais elle est encore en partie constituée d'anciens cadres socialement [[Aristocratie|aristocrates]] et politiquement [[Monarchisme|monarchiste]]s. Le culte du [[drapeau]] et le mépris de la [[République parlementaire]] sont deux principes essentiels à l'armée de l'époque<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}5.</ref>. La République a beau célébrer son armée avec régularité, l'allégorie de la République est presque absente des enceintes militaires.
Mais depuis une dizaine d'années, l'armée connaît une mutation importante, dans le double but de la démocratiser et de la moderniser.
Des [[École polytechnique (France)|polytechniciens]] concurrencent efficacement les officiers issus de la voie royale de [[Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan|Saint-Cyr]], ce qui amène des dissensions, amertumes et jalousies parmi ceux des sous-officiers qui s'attendaient à des promotions au choix.
La période est aussi marquée par une course aux armements qui touche principalement l'artillerie, avec des perfectionnements concernant l'artillerie lourde (canons de 120 et 150), mais aussi et surtout, la mise au point de l'ultra secret [[Canon de 75 Modèle 1897|canon de 75]]<ref>Sur la mise au point du canon de 75 : [[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], pp. 9 et s.</ref>.
 
Mais depuis une dizaine d'années, l'armée connaît une mutation importante, dans le double but de la démocratiser et de la moderniser. Des [[École polytechnique (France)|polytechniciens]] concurrencent efficacement les officiers issus de la voie royale de [[Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan|Saint-Cyr]]<ref name="Kabla"/>, ce qui amène des dissensions, amertumes et jalousies parmi ceux des sous-officiers qui s'attendaient à des promotions au choix.
Signalons ici le fonctionnement du contre-espionnage militaire, alias {{guillemets|Section de statistiques}}.
Le Renseignement, activité organisée et outil de guerre secrète, est une nouveauté de la fin du {{XIXe}} siècle.
La Section de statistiques est créée en 1871 mais ne compte alors qu'une poignée d'officiers et de civils.
Son chef en [[1894]] est le lieutenant-colonel Jean Sandherr, saint-cyrien, alsacien de Mulhouse, antisémite convaincu.
Sa mission militaire est claire : récupérer des renseignements sur l'ennemi potentiel de la France, et l'intoxiquer avec de fausses informations.
La Section de statistiques est épaulée par les {{guillemets|Affaires réservées}} du quai d'Orsay, le ministère des Affaires étrangères, animée par un jeune diplomate, [[Maurice Paléologue]].
La course aux armements amène une ambiance d'espionnite aiguë dans le [[contre-espionnage]] français à partir de 1890.
Aussi, l'une des missions de la section consiste à espionner l'ambassade d'Allemagne, rue de Lille, à Paris, afin de déjouer toute tentative de transmission d'informations importantes à cet adversaire.
D'autant que plusieurs affaires d'[[espionnage]] avaient déjà défrayé la chronique d'une presse friande de ces histoires mêlant le mystère au sordide.
Ainsi en [[1890]], l'archiviste Boutonnet est condamné pour avoir vendu les plans de l'obus à la mélinite.
L'attaché militaire allemand à Paris est en [[1894]] le comte Maximilien von Schwartzkoppen, qui développe une politique d'infiltration qui semble avoir été efficace.
 
La période est aussi marquée par une course aux armements qui touche principalement l'[[artillerie]], avec des perfectionnements concernant l'artillerie lourde ([[Obusier de 120 mm C modèle 1890|obusiers de 120 court]] et de 155 court, modèles 1890 Baquet, à nouveaux freins hydropneumatiques), mais aussi et surtout, la mise au point de l'ultra secret [[Canon de 75 mm modèle 1897|canon de 75]]<ref>Sur la mise au point du canon de 75 : [[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.}}9 et s.</ref>.
Depuis le début 1894, la Section de statistiques enquête sur un trafic de plans directeurs concernant Nice et la Meuse, mené par un agent que les Allemands et les Italiens surnomment Dubois<ref>Il est l'objet de la lettre interceptée par le SR français, appelée {{guillemets|Canaille de D...}}. Elle est utilisée dans le {{guillemets|dossier secret}} pour faire condamner Dreyfus.</ref>.
C'est ce qui l'amène aux origines de l'affaire Dreyfus.
 
Le renseignement, activité organisée et outil de guerre secrète, est une nouveauté de la fin du {{s-|XIX}}. Le [[contre-espionnage]] militaire, alias « Section de statistiques », est créé en 1871 mais ne compte alors qu'une poignée d'officiers et de civils. Son chef en 1894 est le lieutenant-colonel [[Jean Sandherr]], saint-cyrien, alsacien de Mulhouse, antisémite convaincu. Sa mission militaire est claire : récupérer des renseignements sur l'ennemi potentiel de la France, et l'intoxiquer avec de fausses informations. La « Section de statistiques » est épaulée par le service des « Affaires réservées » du [[Ministère des Affaires étrangères (France)|quai d'Orsay]], le ministère des Affaires étrangères, animé par un jeune diplomate, [[Maurice Paléologue]]. La course aux armements amène une ambiance d'espionnite aiguë dans le [[contre-espionnage]] français à partir de 1890. Aussi, l'une des missions de la section consiste à espionner l'[[Ambassade d'Allemagne en France|ambassade d'Allemagne]], [[Rue de Lille (Paris)|rue de Lille]] ([[hôtel Beauharnais]]), à Paris, afin de déjouer toute tentative de transmission d'informations importantes à cet adversaire. D'autant que plusieurs affaires d'[[renseignement|espionnage]] avaient déjà défrayé la chronique d'une presse friande de ces histoires mêlant le mystère au sordide. Ainsi en [[1890]], l'archiviste Boutonnet est condamné pour avoir vendu les plans de l'[[obus]] à la [[Acide picrique|mélinite]]. L'[[attaché militaire]] allemand à Paris est en 1894 le comte [[Maximilian von Schwartzkoppen]], qui développe une politique d'infiltration qui semble avoir été efficace.
===Contexte social===
 
Depuis le début 1894, la Section de statistiques enquête sur un trafic de plans directeurs concernant [[Nice]] et la [[Meuse (fleuve)|Meuse]], mené par un [[Agent (renseignement)|agent]] que les Allemands et les Italiens surnomment Dubois{{note|groupe=n|Il est l'objet de la lettre interceptée par le SR français, appelée « Canaille de D… ». Elle est utilisée dans le « dossier secret » pour faire condamner Dreyfus.}}. C'est ce qui l'amène aux origines de l'affaire Dreyfus.
[[Image:Caricature antisémite.jpg|thumb|200px|L'Affaire suscita de nombreuses caricatures antisémites]]
 
=== Contexte social ===
[[Fichier:Dreyfus, Reinach & Cie (Huard).jpg|vignette|alt=Première page d'une partition. Dessin de cinq hommes vêtus à la mode de la fin du XIXème siècle, trois d'entre eux tenant des dossiers, un quatrième donnant de l'argent au cinquièe |Chanson ''Dreyfus, Reinach & Cie'', créée au local de la [[Jeunesse antisémitique|Jeunesse antisémite]]. Une variante du dessin, légendée « Judas et ses frères » est publiée à la Une de ''La Libre Parole illustrée'' du 14 novembre 1896.]]
Le contexte social est marqué par la montée du [[nationalisme]] et de l'[[antisémitisme]].
Cette croissance de l'antisémitisme, très virulente depuis la publication de ''La France juive'' d'[[Édouard Drumont]] en [[1886]] ({{formatnum:150000}} exemplaires la première année), va de pair avec une montée du [[cléricalisme]].
Les tensions sont fortes dans toutes les couches de la société, attisées par une presse influente et pratiquement libre d'écrire et de diffuser n'importe quelle information, fût-elle injurieuse ou diffamatoire.
Les risques juridiques sont limités si la cible est une personne privée.
L'antisémitisme n'épargne pas l'institution militaire qui pratique des discriminations occultes. Jusque dans les concours, avec la fameuse {{guillemets|cote d'amour}}, notation irrationnelle, dont Dreyfus a fait les frais à l'école d'application de Bourges<ref>[[#Bach|Bach, '' L'armée de Dreyfus'']], p. 534</ref>.
Témoin des fortes tensions de cette époque, la vogue du duel, à l'épée ou au pistolet, provoquant parfois la mort d'un des deux duellistes.
De brillants officiers juifs, atteints par une série d'articles de presse de ''[[La Libre Parole]]''<ref>''Les juifs dans l'armée''</ref>, accusés de {{guillemets|trahir par naissance }}, défient leurs rédacteurs.
Ainsi en est-il du capitaine Cremieu-Foa, juif alsacien et polytechnicien qui se bat sans résultat.
Mais le capitaine Mayer, autre officier juif, est tué par le [[marquis de Morès]], ami de Drumont, dans un autre duel ; décès qui déclenche une émotion considérable, très au delà des milieux israélites.
La haine des juifs est désormais publique, violente, alimentée par un brûlot diabolisant la présence juive en France qui ne représente alors que {{formatnum:80000}} personnes au plus en [[1895]] (dont {{formatnum:40000}} à Paris), très intégrés, plus {{formatnum:45000}} en [[Histoire des Juifs en Algérie|Algérie]].
Le lancement de ''La Libre Parole'', dont la diffusion estimée est de {{formatnum:200000}} exemplaires<ref>[[#Miquel|Miquel, ''La troisième République'']], p. 391</ref> en [[1892]] permet à Drumont d'élargir encore son audience vers un lectorat plus populaires, déjà tenté par l'aventure boulangiste dans le passé.
L'antisémitisme diffusé par ''La Libre Parole'', mais aussi par ''L'Éclair'', ''[[Le Petit Journal]]'', ''La Patrie'', ''L'Intransigeant'', ''[[La Croix]]'', en puisant dans les racines antisémites des milieux catholiques, atteint des sommets<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 8</ref>.
{{approfondir|La presse et l'édition dans l'affaire Dreyfus}}
 
Cette croissance de l'antisémitisme, très virulente depuis la publication de ''[[La France juive]]'' d'[[Édouard Drumont]] en 1886 ({{unité|150000|exemplaires}} la première année), va de pair avec une montée du [[cléricalisme]]. Les tensions sont fortes dans toutes les couches de la société, attisées par une presse influente et pratiquement libre d'écrire et de diffuser n'importe quelle information, fût-elle injurieuse ou [[Diffamation|diffamatoire]]. Les risques juridiques sont limités si la cible est une personne privée.
==Origines de l'affaire et le procès de 1894==
===À l'origine : les faits d'espionnage===
[[Image:003 Bordereau recto.jpg|thumb|200px|right|Photographie du [[s:Bordereau de l’affaire Dreyfus|bordereau]] datée du 13 octobre 1894. L'original a disparu en 1940.]]
L'origine de l'affaire Dreyfus bien que totalement éclaircie depuis les années 1960<ref>voir l'immense travail de Marcel [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']]</ref>, a suscité de nombreuses controverses pendant près d'un siècle.
Il s'agit d'une affaire d'espionnage dont les intentions sont restées obscures jusqu’à nos jours<ref>Espionite aiguë ? Affolement de l'État-major ? Intox du SR français ? Écran de fumée pendant le développement de l'ultra secret canon de 75 ?</ref>.
De nombreux historiens parmi les plus éminents expriment plusieurs [[Hypothèses liées à l'affaire Dreyfus|hypothèses]] distinctes sur l'affaire<ref>Hypothèses car les preuves n'existent pas.</ref>, mais tous arrivent à une conclusion unique : Dreyfus était innocent de tout crime ou délit.
{{approfondir|Hypothèses liées à l'affaire Dreyfus}}
 
L'antisémitisme n'épargne pas l'institution militaire qui pratique des [[discrimination]]s occultes, jusque dans les concours, avec la fameuse « cote d'amour », notation subjective d’appréciation d’aptitude au service d’état-major. Dreyfus, qui avait brillamment réussi ses examens, s’était ainsi vu attribuer un 5 par le général Bonnefond à l'[[école d'application]] de [[Bourges]]<ref>[[#Bach|Bach, '' L'armée de Dreyfus'']], {{p.}}534.</ref>, note que partagea le seul autre de ses condisciples juif<ref>{{Lien web|auteur1=Société internationale d'histoire de l'affaire Dreyfus|titre=Le J’accuse de Polanski, adaptation du D de Robert Harris. Compte rendu|url=http://affaire-dreyfus.com/2019/11/09/le-jaccuse-de-polanski-adaptation-du-d-de-robert-harris-compte-rendu/|site=L'affaire Dreyfus - blog de la Société internationale d'histoire de l'affaire Dreyfus|date=|consulté le=30 novembre 2019}}.</ref>. Témoin des fortes tensions de cette époque, la vogue du duel, à l'épée ou au pistolet, provoquant parfois la mort d'un des deux duellistes. Des officiers juifs, atteints par une série d'articles de presse de ''[[La Libre Parole]]''<ref>''Les Juifs dans l'armée''.</ref>, accusés de « trahir par naissance », défient leurs rédacteurs. Ainsi en est-il du capitaine Crémieu-Foa, [[Histoire des Juifs en Alsace|Juif alsacien]] et [[École polytechnique (France)|polytechnicien]] qui se bat sans résultat contre Drumont{{note|groupe=n|Le fameux [[Ferdinand Walsin Esterhazy|comte Esterhazy]] sera, de façon ironique, l'un des témoins de Crémieu-Foa.}}{{,}}<ref>Frédéric Viey, [http://www.judaicultures.info/histoire-6/Dans-la-Modernite-du-XIXo-s-a-nos/article/l-antisemitisme-dans-l-armee-l ''L'antisémitisme dans l'Armée : l'Affaire Coblentz à Fontainebleau''].</ref>, puis contre M. de Lamase, auteur des articles. Mais le capitaine Mayer, autre officier juif, est tué par le [[marquis de Morès]], ami de Drumont, dans un autre duel ; décès qui déclenche une émotion considérable, très au-delà des milieux israélites.
====Découverte du bordereau====
Les personnels du Service de Renseignements militaire (SR) ont affirmé de manière constante <ref>Voir notamment Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 40-42.</ref> qu'en septembre [[1894]], la {{guillemets|voie ordinaire}}, <ref>Jargon du SR signifiant : documents récupérés par la femme de ménage de l’ambassade d’Allemagne, [[#Thomas|Thomas, ''L'affaire sans Dreyfus'']], p. 140 et s.</ref> avait apporté<ref>Voir [[Hypothèses liées à l'affaire Dreyfus]].</ref> au contre-espionnage français une lettre, surnommée par la suite {{guillemets|[[s:Bordereau de l’affaire Dreyfus|le bordereau]]}}. Cette lettre-missive, partiellement déchirée en six grands morceaux<ref>Et non pas en tout petits morceaux. De plus le papier n'était pas froissé. [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 67</ref>, écrite sur du papier pelure, non signée et non datée, était adressée à l'attaché militaire allemand en poste à l’ambassade d’Allemagne, Max von Schwarzkoppen. Elle établissait que des documents militaires confidentiels, mais d'importance relative<ref>La seule information importante du document consiste en une note sur le canon de 120 C, pièce d'artillerie qui n'aura représenté que 1,4 % du parc d'artillerie moderne français en 1914, et 0,6 % de toute l'artillerie. [[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], p. 55 et s. </ref>, étaient sur le point d'être transmis à une puissance étrangère.
 
La haine des Juifs est désormais publique, violente, alimentée par un [[Pamphlet|brûlot]] diabolisant la présence juive en France qui représente alors au plus {{unité|80000|personnes}} en 1895 (dont {{unité|40000}} à Paris), plus {{unité|45000}} en [[Histoire des Juifs en Algérie|Algérie]]. Le lancement de ''La Libre Parole'', dont la diffusion estimée est de {{unité|200000|exemplaires}}<ref>[[#Miquel|Miquel, ''La troisième République'']], {{p.}}391.</ref> en 1892, permet à Drumont d'élargir encore son audience vers un lectorat plus populaire, déjà tenté par l'aventure [[Boulangisme|boulangiste]] dans le passé. L'antisémitisme diffusé par ''La Libre Parole'', mais aussi par ''[[L'Éclair (journal)|L'Éclair]]'', ''[[Le Petit Journal (quotidien)|Le Petit Journal]]'', ''[[La Patrie (Paris)|La Patrie]]'', ''[[L'Intransigeant]]'', ''[[La Croix]]'', développant un antisémitisme présent dans certains milieux catholiques, atteint des sommets<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}8.</ref>.
====Recherche de l'auteur du bordereau====
{{Article détaillé|Presse et édition dans l'affaire Dreyfus}}
[[Image:Auguste Mercier.jpg|thumb|200px|left|Le général [[Auguste Mercier]], ministre de la Guerre en 1894]]
Cette prise semble suffisamment importante pour que le chef de la {{guillemets|Section de statistiques}}<ref>Sur la Section de statistiques, voir [[#Bredin|Bredin]], p. 49-50, Doise p.42-43 et [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']] p. 60-70</ref>, le mulhousien<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']] p. 67. Alfred Dreyfus était aussi originaire de Mulhouse.</ref> Jean Sandherr, en informe le [[ministre de la Guerre]], le [[général]] [[Auguste Mercier]]. Le SR soupçonne en effet des fuites depuis le début de l'année 1894, et recherche son auteur. Le ministre, violemment attaqué dans la presse pour son action jugée incompétente<ref>{{guillemets|Cette moule de Mercier}} affirme Rochefort dans ''L'Intransigeant'', [[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], pp. 43-44.</ref>, semble vouloir tirer parti de cette affaire pour rehausser son image<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p.65 et Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 39</ref>. Il diligente immédiatement deux enquêtes secrètes, l’une administrative et l’autre judiciaire. Pour trouver le coupable, le raisonnement est simple sinon grossier<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p.40</ref>: le cercle de recherche est arbitrairement restreint à un suspect en poste ou un ancien collaborateur à l’État-major, nécessairement artilleur<ref>Sur les indication du capitaine Matton, seul artilleur de la Section de statistiques. Trois des documents transmis concernaient l'artillerie de près ou de loin.</ref>, et officier stagiaire <ref>Les documents pouvaient provenir des 1{{er}}, 2{{e}}, 3{{e}} et 4{{e}} bureaux, un stagiaire semblant seul à même de proposer une telle variété de documents, car ceux-ci passaient de bureau en bureau pour parfaire leur formation. Raisonnement du lieutenant-colonel d'Aboville qui se révéla faux.</ref>{{,}}<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p.68</ref>.
 
== Origines de l'affaire et procès de 1894 ==
Le coupable idéal est identifié : le [[capitaine]] [[Alfred Dreyfus]], [[École polytechnique (France)|polytechnicien]] et [[Artillerie|artilleur]], de confession israélite et alsacien d’origine, issu de la méritocratie républicaine<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 48</ref>. Au tout début de l’affaire, on insiste plutôt sur les origines alsaciennes de Dreyfus que sur son appartenance religieuse. Celles-ci n'étaient pourtant pas exceptionnelles, puisqu’on privilégiait les officiers de l’est de la France pour leur double connaissance de la langue allemande et de la culture germanique<ref>Burns, ''Une famille….'', p. 139</ref>{{,}}<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], p. 260</ref>. Mais l’[[antisémitisme]], qui n’épargne pas les bureaux d’État-major<ref>Sandherr était un antisémite forcené. Paléologue, ''l'Affaire Dreyfus et le quai d'Orsay''.</ref>, devient rapidement le centre de l’affaire d’instruction, remplissant les vides d’une enquête préliminaire incroyablement sommaire <ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 40</ref>. D'autant que Dreyfus était à ce moment là le seul officier juif étant passé récemment par l'État-major général.
=== À l'origine : les faits d'espionnage ===
[[Fichier:003 Bordereau recto.jpg|vignette|Photographie du [[s:Bordereau de l'affaire Dreyfus|bordereau]] datée du {{date-|13|octobre|1894}}. L'original a disparu entre 1900 et 1940.]]
L'origine de l'affaire Dreyfus, bien que totalement éclaircie depuis les années 1960<ref>Marcel [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']].</ref>, a suscité de nombreuses controverses pendant près d'un siècle. Il s'agit d'une affaire d'espionnage dont les intentions sont restées obscures jusqu'à nos jours. De nombreux historiens parmi les plus éminents expriment plusieurs [[Hypothèses liées à l'affaire Dreyfus|hypothèses]] distinctes sur l'affaire{{note|groupe=n|Hypothèses car les preuves n'existent pas.}}, mais tous arrivent à une conclusion unique : Dreyfus était innocent.
{{Article détaillé|Hypothèses liées à l'affaire Dreyfus}}
 
==== Découverte du bordereau ====
De fait, la légende<ref>On prétend dans de nombreux livres que Dreyfus est sans émotion et indifférent à son sort ce qui est en définitive démenti par de nombreux témoignages. V. [[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 115 et s.</ref> du caractère froid et renfermé, voire hautain de l’homme, et de sa {{guillemets|curiosité}}, jouent fortement contre lui. Ces traits de caractère, les uns faux, les autres naturels, rendent plausibles toutes les accusations en transformant les actes les plus ordinaires de la vie courante dans un ministère, en faits avérés d’espionnage. Ce début d’instruction partial et partiel amène une multiplication d'erreurs qui conduisent au mensonge d’État. Ceci au travers d’une affaire où l’irrationnel l’emporte sur le positivisme pourtant en vogue à cette époque<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 38</ref> :
Le personnel du Service de Renseignements militaire (SR) a affirmé de manière constante<ref>Voir notamment Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}40-42.</ref> qu'en septembre [[1894]], la « voie ordinaire »{{note|groupe=n|Jargon du SR signifiant : documents récupérés par la femme de ménage de l'ambassade d'Allemagne<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'affaire sans Dreyfus'']], {{p.}}140 et s.</ref>.}} avait apporté{{note|groupe=n|Voir [[Hypothèses liées à l'affaire Dreyfus]].}} au contre-espionnage français une lettre, surnommée par la suite « [[s:Bordereau de l'affaire Dreyfus|le bordereau]] ». Cette lettre-missive, déchirée en six grands morceaux{{note|groupe=n|Et non pas en tout petits morceaux. De plus le papier n'était pas froissé<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}67.</ref>.}}, écrite sur du papier pelure, non signée et non datée, était adressée à l'attaché militaire allemand en poste à l'[[Ambassade d'Allemagne en France|ambassade d'Allemagne]], [[Maximilian von Schwartzkoppen]]. Elle établissait que des documents militaires confidentiels, mais d'importance relative{{note|groupe=n|La seule information importante du document consiste en une note sur le canon de 120 C Baquet, pièce d'artillerie qui n'aura représenté que 1,4 % du parc d'artillerie moderne français en 1914, et 0,6 % de toute l'artillerie<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.}}55 et s.</ref>.}}, étaient sur le point d'être transmis à une puissance étrangère. C'est madame Bastian, employée comme femme de ménage, mais en fait membre des services d'espionnage qui l'a rapportée. Elle collectait le contenu des corbeilles de l'ambassade d'Allemagne, qu'elle remettait soit toutes les semaines, soit toutes les deux semaines, au [[Hubert Henry|commandant Henry]] dans la pénombre d'une chapelle de l'[[Basilique Sainte-Clotilde de Paris|église Sainte-Clotilde]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Jean-Denis Bredin|titre=Dreyfus, un innocent|éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]]|année=2006|passage=55|isbn=}}.</ref>.
{{Citation bloc|Dès cette première heure s’opère le phénomène qui va dominer toute l’affaire. Ce ne sont plus les faits contrôlés, les choses examinées avec soin qui forment la conviction ; c’est la conviction souveraine, irrésistible, qui déforme les faits et les choses.|[[Joseph Reinach]]}}
 
==== Recherche de l'auteur du bordereau ====
====Expertises en écriture====
[[Fichier:Auguste Mercier.jpg|vignette|gauche|alt=Photo d'un homme moustachu en uniforme militaire, portant une médaille à ons col officier |Le [[Auguste Mercier|général Mercier]], ministre de la Guerre en 1894.]]
[[Image:Alphonse Bertillon.jpg|thumb|200px|right|[[Alphonse Bertillon]] n'est pas un expert en écriture mais il invente la théorie de {{guillemets|l'auto-forgerie}}]]
Cette prise semble suffisamment importante pour que le chef de la « Section de statistiques »<ref>Sur la Section de statistiques, voir [[#Bredin|Bredin]], {{p.}}49-50 ; Doise, {{p.}}42-43 et [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.}}60-70.</ref>, le mulhousien<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.}}67. Alfred Dreyfus était aussi originaire de Mulhouse.</ref> [[Jean Sandherr]], en informe le [[Liste des ministres français de l'Administration de la Guerre|ministre de la Guerre]], le [[général]] [[Auguste Mercier]]. Le SR soupçonne en effet des fuites depuis le début de l'année 1894, et recherche leur auteur. Le ministre, violemment attaqué dans la presse pour son action jugée incompétente<ref>« Cette moule de Mercier » affirme Rochefort dans ''L'Intransigeant'', [[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], {{p.}}43-44.</ref>, semble vouloir tirer parti de cette affaire pour rehausser son image<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}65.</ref>{{,}}<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}39.</ref>. Il diligente immédiatement deux enquêtes secrètes, l'une administrative et l'autre judiciaire. Pour trouver le coupable, le raisonnement est simple sinon grossier<ref name="ReferenceA">[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}40.</ref> : le cercle de recherche est arbitrairement restreint à un suspect en poste ou un ancien collaborateur à l'état-major, nécessairement [[Artillerie|artilleur]] sur les indications du capitaine Matton, seul artilleur de la Section de statistiques, car trois des documents transmis concernaient l'artillerie de près ou de loin, et officier stagiaire, puisque les documents provenaient des {{1er}}, {{2e}}, {{3e}} et {{4e|bureaux}}, un stagiaire semblant seul à même de proposer une telle variété de documents, car ceux-ci passaient de bureau en bureau pour parfaire leur formation. Ce raisonnement du [[Henri d'Aboville|lieutenant-colonel d'Aboville]] se révéla faux<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}68.</ref>.
[[Image:Du Paty de Clam.jpg|thumb|200px|left|Le commandant du Paty de Clam, chef d'enquête, procède à l'arrestation du capitaine Dreyfus]]
Pour confondre Dreyfus, les écritures du bordereau et du capitaine sont comparées. Personne n’est compétent en matière d'analyse d'écritures à l’État-major<ref>Comme le signale d'ailleurs le général Mercier à ses subordonnés, [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 69.</ref>. Entre alors en scène le [[commandant]] [[Armand du Paty de Clam|du Paty de Clam]]<ref>sur les personnalités de Mercier et du Paty de Clam, lire : [[#Paléologue|Paléologue, ''L’Affaire Dreyfus et le Quai d’Orsay'']], p. 111 et s., et [[#Guillemin|Guillemin, ''L’énigme Esterházy'']], T1 p. 99</ref>, homme original qui se pique d’expertise [[graphologie|graphologique]]. Mis en présence de lettres de Dreyfus et du bordereau le [[5 octobre]], du Paty conclut d’emblée à l'identité des deux écritures. Après une journée de travail complémentaire, il assure dans un rapport que, malgré quelques dissemblances, les ressemblances sont suffisantes pour justifier une enquête. Dreyfus est donc {{guillemets|l'auteur probable}} du bordereau pour l'État-major<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 70</ref>.
 
Le coupable idéal est identifié : le [[Capitaine (France)|capitaine]] [[Alfred Dreyfus]], [[École polytechnique (France)|polytechnicien]] et [[Artillerie|artilleur]]<ref name="Kabla"/>, de confession [[Judaïsme|israélite]] et [[Alsace|alsacien]] d'origine, issu de la [[méritocratie]] républicaine<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}48.</ref>. Au tout début de l'affaire, on insiste sur les origines alsaciennes de Dreyfus plutôt que sur son appartenance religieuse. Celles-ci n'étaient pourtant pas exceptionnelles, puisqu'on privilégiait les officiers de l'est de la France pour leur double connaissance de la langue allemande et de la culture germanique<ref>Burns, ''Une famille…'', {{p.}}139.</ref>{{,}}<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.}}260.</ref>. Mais l'[[antisémitisme]], qui n'épargne pas les bureaux d'état-major<ref>Sandherr était un antisémite forcené. [[#Paléologue|Paléologue, ''L'Affaire Dreyfus et le Quai d'Orsay'']].</ref>, devient rapidement le centre de l'affaire d'instruction, remplissant les vides d'une enquête préliminaire très sommaire<ref name="ReferenceA"/>. D'autant que Dreyfus était à ce moment-là le seul officier juif étant passé récemment par l'état-major général.
Le général Mercier tenant un coupable, il met exagérément en valeur l'affaire, qui prend le statut d'affaire d'État pendant la semaine précédant l'arrestation de Dreyfus. En effet, le ministre consulte et informe toutes les autorités de l'État<ref>Le général rencontre le président de la République, [[Jean Casimir-Perier|Casimir-Perier]], en minimisant l'importance des pièces transmises, ce que Mercier niera ensuite, opposant irréductiblement les deux hommes. Voir [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24250f ''Procès de Rennes'' Tome 1], pp. 60, 149 et 157</ref>. Malgré les conseils de prudence<ref>Du général [[Félix Gustave Saussier|Saussier]], gouverneur de la place de Paris notamment.</ref> et les objections courageusement exprimés par [[Gabriel Hanotaux]] lors d'un petit conseil des ministres<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], p. 141. Hanotaux a fait promettre à Mercier d'abandonner les poursuites si d'autres preuves n'étaient pas trouvées. C'est sans doute l'origine du dossier secret.</ref>, il décide de poursuivre<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p.72</ref>. Du Paty de Clam est nommé [[officier de police judiciaire]] chargé d'une enquête officielle.
 
De fait, la légende{{note|groupe=n|On prétend dans de nombreux livres que Dreyfus est sans émotion et indifférent à son sort ce qui est en définitive démenti par de nombreux témoignages<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}115 et s.</ref>.}} du caractère froid et renfermé, voire hautain de l'homme, et de sa « curiosité », jouent fortement contre lui. Ces traits de caractère, les uns faux, les autres naturels, rendent plausibles toutes les accusations en transformant les actes les plus ordinaires de la vie courante dans un ministère, en faits avérés d'espionnage. Ce début d'instruction partial et partiel amène une multiplication d'erreurs qui conduisent au mensonge d'État. Ceci au travers d'une affaire où l'irrationnel l'emporte sur le [[positivisme]] pourtant en vogue à cette époque<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}38.</ref> :
Pendant ce temps plusieurs informations sont ouvertes parallèlement, les unes sur la personnalité de Dreyfus, les autres consistant à s'assurer de la réalité des identités d'écriture. L'expert<ref>Expert en écritures à la Banque de France. Son honnête prudence est vilipendée dans [[s:acte d'accusation contre le capitaine Dreyfus|l'acte d'accusation]] du commandant d'Ormescheville.</ref> Gobert n'est pas convaincu, trouve de nombreuses différences et écrit même que {{guillemets|la nature de l'écriture du bordereau exclut le déguisement graphique<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 92. Gobert affirme que le texte a été écrit rapidement, excluant la copie</ref>}}. Déçu, Mercier fait alors appel à [[Alphonse Bertillon]], l'inventeur de l'[[anthropométrie]] judiciaire, mais nullement expert en écritures. Il n'est d'abord pas plus affirmatif que Gobert, en n'excluant pas une copie de l'écriture de Dreyfus<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24251s ''Procès de Rennes'' Tome 2] p. 322. Idée renforcée par la transparence du papier</ref>. Mais par la suite, sous la pression des militaires, il affirme que Dreyfus s'est autocopié et développe sa théorie de l'{{guillemets|auto-forgerie}}.
{{Citation bloc|Dès cette première heure s'opère le phénomène qui va dominer toute l'affaire. Ce ne sont plus les faits contrôlés, les choses examinées avec soin qui forment la conviction ; c'est la conviction souveraine, irrésistible, qui déforme les faits et les choses.|[[Joseph Reinach]]}}
 
====L'arrestation Expertises en écriture ====
[[Fichier:Du Paty de Clam.jpg|vignette|gauche|redresse|alt=Photo de profil d'un militaire moustachu en uniforme, galonné, portant plusieurs médailles du côté gauche|Le commandant [[Armand du Paty de Clam]], chef d'enquête, procède à l'arrestation du capitaine Dreyfus.]]
[[Image:Alfred-Dreyfus.jpg|thumb|200px|right|Le [[Alfred Dreyfus|capitaine Dreyfus]] avant l'Affaire]]
Pour confondre Dreyfus, les écritures du bordereau et du capitaine sont comparées. Personne n'est compétent en matière d'[[Expertise en écritures|analyse d'écritures]] à l'état-major<ref>Comme le signale d'ailleurs le général Mercier à ses subordonnés, [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}69.</ref>. Entre alors en scène le [[commandant]] [[Armand du Paty de Clam|du Paty de Clam]]<ref>Sur les personnalités de Mercier et du Paty de Clam, lire : [[#Paléologue|Paléologue, ''L'Affaire Dreyfus et le Quai d'Orsay'']], {{p.}}111 et s.</ref>{{,}}<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Henri Guillemin]]|titre=L'énigme Esterhazy|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|Gallimard]]|année=1962|pages totales=267|passage=99}}.</ref>, homme original qui se pique d'expertise en écritures. Mis en présence de lettres de Dreyfus et du bordereau le 5 octobre, du Paty conclut d'emblée à l'identité des deux écritures. Après une journée de travail complémentaire, il assure dans un rapport que, malgré quelques dissemblances, les ressemblances sont suffisantes pour justifier une enquête. Dreyfus est donc « l'auteur probable » du bordereau pour l'état-major<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}0.</ref>.
Le [[13 octobre]], sans aucune preuve tangible et avec un dossier vide, le général Mercier fait convoquer le capitaine Dreyfus pour une inspection générale, en {{guillemets|tenue bourgeoise}}, c'est-à-dire en civil. L'objectif de l'État-major est de gagner la [[Preuve en droit pénal français|preuve]] parfaite en droit français : l'[[aveu]]. Cet aveu serait obtenu par effet de surprise, en faisant écrire une lettre inspirée du bordereau<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 107</ref> au coupable<ref>''Rapport de la Cour de Cassation'', T1 p. 127</ref> sous la dictée.
 
[[Fichier:Alphonse Bertillon - fiche anthropométrique (1894).jpg|vignette|alt=Fiche anthropomorphique d'un homme moustachu et barbu, avec texte ajouté à la main et texte imprimé ; une photo du profil droit, une photo de face. Chemise, nœud de cravatte, veston.|[[Alphonse Bertillon]] n'est pas un [[Expertise en écritures|expert en écriture]] mais il invente la théorie de « l'autoforgerie ».]]
Le [[15 octobre]] [[1894]] au matin, le capitaine Dreyfus subit cette épreuve, mais n'avoue rien. Du Paty tente même de lui suggérer le suicide en plaçant un revolver devant Dreyfus, mais l'accusé refuse d'attenter à ses jours, affirmant qu'il {{guillemets|veut vivre afin d'établir son innocence}}. L'espoir des militaires est déçu. Du Paty de Clam fait tout de même arrêter le capitaine<ref>L'ordre d'arrestation avait été signé d'avance, v. [[#Thomas|Thomas, ''L'affaire sans Dreyfus'']], p. 208</ref> et l'inculpe d'intelligence avec l'ennemi afin qu'il soit traduit devant un Conseil de guerre. Dreyfus est incarcéré à la [[prison du Cherche-midi]] à [[Paris]]<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 118</ref>.
 
Le général Mercier tenant un coupable, il met exagérément en valeur l'affaire, qui prend le statut d'[[affaire d'État]] pendant la semaine précédant l'arrestation de Dreyfus. En effet, le ministre consulte et informe toutes les autorités de l'État{{note|groupe=n|Le général rencontre le président de la République, [[Jean Casimir-Perier|Casimir-Perier]], en minimisant l'importance des pièces transmises, ce que Mercier niera ensuite, opposant irréductiblement les deux hommes<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24250f ''Procès de Rennes'' Tome 1], {{p.}}60, 149 et 157.</ref>.}}. Malgré les conseils de prudence{{note|groupe=n|Du général [[Félix Gustave Saussier|Saussier]], gouverneur de la place de Paris notamment.}} et les objections courageusement exprimées par [[Gabriel Hanotaux]] lors d'un petit conseil des ministres<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.}}141. Hanotaux a fait promettre à Mercier d'abandonner les poursuites si d'autres preuves n'étaient pas trouvées. C'est sans doute l'origine du dossier secret.</ref>, il décide de poursuivre<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}72.</ref>. Du Paty de Clam est nommé [[officier de police judiciaire]] chargé d'une enquête officielle.
===L'instruction et le premier Conseil de guerre===
{{Mme}} Dreyfus est informée de l'arrestation le jour même, par une perquisition de l'appartement du jeune couple. Elle est terrorisée par du Paty qui lui ordonne de garder le secret sur l'arrestation de son mari, et lui affirme même : {{guillemets|Un mot, un seul mot et c'est la guerre européenne !}}<ref>Mathieu Dreyfus, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], p. 20 et s.</ref>.
En toute illégalité<ref>Aucun prévenu ne peut être mis au secret dans aucune loi de l'époque. Les risque de fuite étant limités du fait que les avocats sont soumis au secret professionnel. [[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert, p. 51</ref>, Dreyfus est mis au secret dans sa prison, où Du Paty l'interroge jour et nuit afin d'obtenir des aveux, ce qui échoue. Le capitaine est soutenu moralement par le premier dreyfusard : le commandant Forzinetti, commandant les prisons militaires de Paris<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 118 </ref>.
 
Pendant ce temps, plusieurs informations sont ouvertes parallèlement, les unes sur la personnalité de Dreyfus et les autres consistant à s'assurer de la réalité des identités d'écriture. L'expert Gobert{{note|groupe=n|Expert en écritures à la Banque de France : son honnête prudence est vilipendée dans [[s:acte d'accusation contre le capitaine Dreyfus|l'acte d'accusation]] du commandant d'Ormescheville.}} n'est pas convaincu, trouve de nombreuses différences et écrit même que « la nature de l'écriture du bordereau exclut le déguisement graphique »<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}92. Gobert affirme que le texte a été écrit rapidement, excluant la copie.</ref>. Déçu, Mercier fait alors appel à [[Alphonse Bertillon]], l'inventeur de l'[[anthropométrie judiciaire]], mais nullement expert en écritures. Il n'est d'abord pas plus affirmatif que Gobert, en n'excluant pas une copie de l'écriture de Dreyfus<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24251s ''Procès de Rennes'' Tome 2], {{p.}}322. Idée renforcée par la transparence du papier.</ref>. Mais par la suite, sous la pression des militaires<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}87.</ref>, il affirme que Dreyfus s'est autocopié et développe sa théorie de l'« autoforgerie ».
Le [[29 octobre]], l'affaire est révélée par le journal antisémite d'[[Édouard Drumont]], ''[[La Libre Parole]] '', dans un article qui marque le début d'une très violente campagne de presse jusqu'au procès. Cet évènement place l'Affaire sur le terrain de l'[[antisémitisme]], qu'elle ne quitte plus jusqu’à sa conclusion définitive<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 80</ref>.
 
Selon le procureur général Jean-Pierre Manau, Alphonse Bertillon, ramenant tout à des questions de mensuration, aurait pu être {{citation|hypnotisé, possédé en quelque sorte par un souvenir, celui de l'[[affaire de la Boussinière]]}}<ref>{{Lien web|titre = La révision du procès Dreyfus ; Débats de la Cour de cassation : rapport de M. Ballot-Beaupré, conclusions de M. le procureur général Manau, mémoire et plaidoirie de {{Me}} Mornard, arrêt de la cour p 649 |url =https://books.google.fr/books?id=eKpUAAAAYAAJ&q=%22+a+%C3%A9t%C3%A9+certainement+hypnotis%C3%A9,+poss%C3%A9d%C3%A9+en+quelque+sorte+par+un+souvenir,+celui+de+l%27affaire+de+la+Boussini%C3%A8re.%22&dq=%22+a+%C3%A9t%C3%A9+certainement+hypnotis%C3%A9,+poss%C3%A9d%C3%A9+en+quelque+sorte+par+un+souvenir,+celui+de+l%27affaire+de+la+Boussini%C3%A8re.%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi7jurK4OjoAhVk1uAKHWAxCbsQ6AEIKDAA}}</ref>. Joseph Reinach le dira aussi « obsédé par le souvenir du testament de la Boussinière »<ref>{{Lien web|titre = Histoire de l'affaire Dreyfus: Le procès de 1894 Joseph Reinach Editions de la Revue Blanche, 1901 p. 172 |url = https://books.google.fr/books?id=fwExAQAAIAAJ&q=bertillon+la+boussini%C3%A8re&dq=bertillon+la+boussini%C3%A8re&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjig6e34ejoAhWDy4UKHUf1DJMQ6AEIRDAE}}</ref>. En outre, deux experts, dont Bertillon, ayant expertisé le faux testament comme authentique dans l'affaire de la Boussinière, sont précisément au nombre des trois qui déclarent que le document est bien de la main de Dreyfus, ce qui ne manque pas d'interpeller<ref>{{Lien web|titre =Le procès Zola devant la cour d'assises de la Seine et la cour de cassation: 7 - 23 février-31 mars - 2 avril 1898|url = https://books.google.fr/books?id=Xsncl3_-KBgC&q=%22affaire+de+la+boussini%C3%A8re%22&dq=%22affaire+de+la+boussini%C3%A8re%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjiotH2pOroAhUNCRoKHS19DDMQ6AEILzAB}}</ref>.
Le {{1er novembre}}, [[Mathieu Dreyfus]], le frère d'Alfred, appelé d'urgence à Paris, est mis au courant de l'arrestation. Il devient l'artisan du combat difficile pour la libération de son frère<ref>[[Mathieu Dreyfus]], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''].</ref>. Sans attendre, il se met à la recherche d'un avocat, et retient l'éminent<ref>Edgar Demange, lauréat du concours national d'éloquence, devient célèbre en faisant acquitter le prince Pierre Bonaparte, assassin du républicain Victor Noir en 1870. Grand spécialiste du droit pénal, il est reconnu par ses pairs et élu membre du conseil de l'Ordre de 1888 à 1892. Ironie de l'histoire, c'est Demange qui obtient l'acquittement du marquis de Morès, assassin du capitaine juif Mayer, lors d'un duel. Y. Repiquet, bâtonnier de l'ordre, ''in Edgar Demange et Fernand Labori'', [[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], p. 274</ref> pénaliste [[Edgar Demange]].
 
==== L'instructionarrestation ====
Le 13 octobre, sans preuve tangible et avec un dossier vide, le [[Auguste Mercier|général Mercier]] fait convoquer le capitaine Dreyfus pour une inspection générale, en « tenue bourgeoise », c'est-à-dire en civil. L'objectif de l'état-major est de gagner la [[Preuve en droit pénal français|preuve]] parfaite en droit français : l'[[aveu]]. Cet aveu serait obtenu par effet de surprise, en faisant écrire une lettre inspirée du bordereau<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}107.</ref> au coupable<ref>''Rapport de la Cour de cassation'', tome 1, {{p.}}127.</ref> sous la dictée.
[[Image:Felix-gustave-saussier.jpg|thumb|150px|left|Le général [[Félix Gustave Saussier|Saussier]], gouverneur militaire de Paris, ordonne une information contre Dreyfus]]
{{Wikisource|Acte d'accusation contre le capitaine Dreyfus|L'acte d'accusation de Besson d'Ormescheville}}
Le [[3 novembre]], à contre cœur<ref>Il qualifie le rapport de du Paty {{guillemets|d'élucubrations}}, [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 88.</ref>, le général [[Félix Gustave Saussier|Saussier]] donne l'ordre d'informer. Il a tous les pouvoirs pour arrêter la machinerie, mais il ne le fait pas, peut-être par confiance exagérée en la justice militaire<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert, p. 103</ref>.
Le commandant Besson d'Ormescheville, rapporteur auprès du Conseil de guerre, rédige un [[s:Acte d'accusation contre le capitaine Dreyfus|rapport à charge]] dans lequel les {{guillemets|éléments moraux}} de l'accusation (qui vont de ragots concernant les mœurs de Dreyfus et sa prétendue fréquentation de {{guillemets|cercles-tripots}} à sa connaissance de l'allemand<ref>{{guillemets|[...] il parle plusieurs langues, notamment l’allemand qu’il sait à fond}}.</ref> et sa {{guillemets|mémoire remarquable}}) sont développés bien plus longuement que les {{guillemets|éléments matériels}}<ref>Ceux-ci sont traités dans l'unique avant-dernier paragraphe, en une phrase : {{guillemets|<noinclude>[les éléments matériels]</noinclude> consistent en la lettre missive incriminée, dont l’examen par la majorité des experts aussi bien que par nous et par les témoins qui l’ont vue, a présenté, sauf dissemblances volontaires, une similitude complète avec l’écriture authentique du capitaine Dreyfus.}}</ref>, dont la rareté même sert à la charge : {{guillemets|c'est une preuve de culpabilité, car Dreyfus a tout fait disparaître}}. Le manque complet de neutralité de l'acte d'accusation conduit Émile Zola à le qualifier de {{guillemets|monument de partialité<ref>Zola, ''J'accuse''.</ref>}}.
 
Le {{date-|15|octobre|1894}} au matin, le capitaine Dreyfus subit cette épreuve, mais n'avoue rien. Du Paty tente même de lui suggérer le suicide en plaçant un revolver devant Dreyfus, mais l'accusé refuse d'attenter à ses jours, affirmant qu'il « veut vivre afin d'établir son innocence ». L'espoir des militaires est déçu. Du Paty de Clam fait tout de même arrêter le capitaine<ref>L'ordre d'arrestation avait été signé d'avance, v. [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.}}208.</ref> et l'inculpe d'[[intelligence avec l'ennemi]] afin qu'il soit traduit devant un conseil de guerre. Dreyfus est incarcéré à la [[prison du Cherche-Midi]] à [[Paris]]<ref name="ReferenceB">[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}118.</ref>.
Le [[4 décembre]], avec ce dossier vide, Dreyfus est renvoyé devant le premier Conseil de guerre. Le secret est levé et M{{e}} Demange peut pour la première fois accéder au dossier. Après sa lecture, la confiance de l'avocat, qui a pu constater le néant du dossier d'instruction, est absolue<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 89</ref>. L'accusation ne repose en effet que sur l'écriture d'une pièce unique, le bordereau, à propos de laquelle les experts se contredisent, et sur de vagues témoignages indirects.
 
=== L'instruction et le premier conseil de guerre ===
====Le procès : {{guillemets|Le huis clos ou la guerre !}}<ref>Titre de l’''Intransigeant'' du 21 décembre 1894</ref>====
[[Fichier:Lucie Dreyfus - portrait médaillon.jpg|vignette|[[Lucie Dreyfus]] (1869-1945).]][[Lucie Dreyfus]] est informée de l'arrestation de son époux le jour même, par une perquisition de l'appartement du jeune couple. Elle est terrorisée par du Paty qui lui ordonne de garder le secret sur l'arrestation de son mari, et lui affirme même : {{Citation|Un mot, un seul mot et c'est la guerre européenne !}}<ref>Mathieu Dreyfus, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], {{p.}}20 et s.</ref> En toute illégalité{{note|groupe=n|Aucun prévenu ne peut être mis au secret dans aucune loi de l'époque. Les risques de fuite étant limités du fait que les avocats sont soumis au secret professionnel<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert, {{p.}}51.</ref>.}}, Dreyfus est mis au secret dans sa prison où Du Paty l'interroge jour et nuit afin d'obtenir des aveux, ce qui échoue et incite le lieutenant-colonel à recommander l'abandon des poursuites en l'absence de preuves, par crainte d'être désavoué par une cour de justice<ref>{{Ouvrage|auteur1=Maurice Baumont|titre=Au cœur de l'affaire Dreyfus|éditeur=Del Duca|année=1976|passage=59|isbn=}}.</ref>. Le capitaine est soutenu moralement par le premier dreyfusard : le commandant [[Ferdinand Forzinetti]], commandant les prisons militaires de Paris<ref name="ReferenceB" />.
[[Image:Dreyfus Petit Journal 1894.jpg|thumb|200px|right|Une du ''[[Le Petit Journal|Petit Journal]]'' du 23 décembre 1894]]
Pendant les deux mois précédant le procès, la presse se déchaîne.
''La Libre Parole'', ''L'Autorité'', ''Le Journal'', ''Le Temps'' racontent toute la vie supposée de Dreyfus au travers de mensonges et de mauvais romans<ref>Mathieu Dreyfus, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], p. 24</ref>. C'est aussi l'occasion pour les titres extrémistes comme ''La Libre Parole'' ou ''La Croix'', de justifier leurs campagnes préalables contre la présence de Juifs dans l'armée, sur le thème {{guillemets|On vous l'avait bien dit !}}<ref>v. [[La presse et l'édition dans l'affaire Dreyfus]] et Bredin, ''L'Affaire'', p. 83</ref>. Cette période longue est surtout le moyen pour l'État-major de préparer l'opinion et de faire pression indirectement sur les juges<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 85</ref>. Ainsi le 8 novembre, le général Mercier va jusqu’à déclarer Dreyfus coupable dans une interview au ''Figaro''<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], p. 55</ref>. Lui réplique le 29 novembre un article d'Arthur Meyer dans ''Le Gaulois'', dans lequel est condamné le réquisitoire fait contre Dreyfus et demandé : {{guillemets|Quelle liberté restera-t-il au Conseil de Guerre appelé à juger ce prévenu<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']] p. 58</ref> ?}}.
 
Le {{date-|29 octobre 1894-}}, l'affaire est révélée par un entrefilet d'[[Adrien Papillaud]] dans le journal antisémite d'[[Édouard Drumont]], ''[[La Libre Parole]]'', marquant ainsi le début d'une très violente campagne de presse jusqu'au procès. Cet événement place l'Affaire sur le terrain de l'[[antisémitisme]], qu'elle ne quitte plus jusqu'à sa conclusion définitive<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}80.</ref>.
Des joutes d'éditorialistes ont lieu au sein d'un large débat à propos de la question du huis clos. Pour Ranc et Cassagnac qui représentent la majorité de la presse, le huis clos est une manœuvre basse dans le but de permettre l'acquittement de Dreyfus, {{guillemets|car le ministre est un lâche}}. La preuve c'est {{guillemets|qu'il ''rampe'' devant les Prussiens}} en acceptant de publier des démentis de l'Ambassadeur d'Allemagne à Paris<ref>Trois démentis, très mous et ambigus sont publiés par l'agence Havas en novembre et décembre 1894 dans le but de dégager la responsabilité de l'ambassade d'Allemagne. [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 85</ref>. Mais pour d'autres journaux, comme ''L'Éclair'' du 13 décembre, {{guillemets|le huis clos est nécessaire pour éviter un ''casus belli''}}, alors que pour Judet dans ''Le Petit Journal'' du 18, {{guillemets|le huis clos est notre refuge inexpugnable contre l'Allemagne}} ou le Chanoine de ''La Croix'' du même jour, il faut {{guillemets|le huis clos le plus absolu}}<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], p. 60</ref>.
 
Le {{date-|1 novembre 1894-}}, [[Mathieu Dreyfus]], le frère d'Alfred, appelé d'urgence à Paris, est mis au courant de l'arrestation. Il devient l'artisan du combat difficile pour la libération de son frère<ref>[[Mathieu Dreyfus]], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''].</ref>. Sans attendre, il se met à la recherche d'un avocat, et retient l'éminent pénaliste [[Edgar Demange]].
Le procès s'ouvre le 19 décembre à treize heures<ref>Sur les détails du déroulement, lire [[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 147 et s.</ref>, le huis clos<ref>Procès qui a lieu en la seule présence des magistrats, de l'accusé et de sa défense.</ref> étant presque immédiatement prononcé. Ce huis clos n'est d'ailleurs pas conforme juridiquement puisque le commandant [[colonel Picquart|Picquart]] et le préfet [[Louis Lépine]] sont présents à certaines audiences en violation du droit, mesure qui permet néanmoins aux militaires de ne pas divulguer le néant du dossier au grand public<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 394</ref> et d'étouffer les débats<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert, p. 107 </ref>. Conformément aux prévisions, le vide du dossier apparaît nettement pendant les audiences. Les discussions de fond sur le bordereau montrent que le capitaine Dreyfus ne pouvait pas en être l'auteur<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 409 et [[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], p. 87</ref>. D'autre part, l'accusé lui même clame son innocence, et se défend point par point avec énergie et logique<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 151</ref>. Au surplus, ses déclarations sont appuyées par une dizaine de témoignages à décharge. Enfin l'absence de mobile pour le crime est une sérieuse épine dans le dossier d'accusation. Dreyfus était en effet un officier très patriote et très bien noté par ses chefs, et surtout très riche<ref>Alors qu'il n'était que capitaine, il gagnait des revenus personnels issus de l'héritage de son père et de la dot de sa femme, équivalents à ceux d'un général commandant de région. [[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], p. 38</ref>, il n'avait donc aucune raison tangible de trahir. La justification par la judéité de Dreyfus, seule retenue par la presse de droite, ne saurait pourtant l'être par un tribunal.
 
==== L'instruction ====
[[Alphonse Bertillon]], qui n'est pas expert en écritures, est présenté comme un savant de première importance. Il avance la théorie de l'auto-[[forgerie]] à l'occasion de ce procès et accuse Dreyfus d'avoir imité sa propre écriture, expliquant les différences graphiques par l'emploi d'extraits de l'écriture de son frère Mathieu et de son épouse Lucie. Cette théorie, bien que considérée plus tard comme farfelue et sidérante<ref>Voir les démonstrations de Meyer, Giry, Henri Poincaré, d'Appel et de Darboux, les plus grands paléographes et les plus célèbres mathématiciens du {{XIXe}} siècle lors de leurs dépositions de la seconde révision en 1904. Ils ont détruit pour toujours le système Bertillon. [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], p. 189 </ref> semble avoir un certain effet sur les juges. De plus, le commandant [[Hubert-Joseph Henry]] <ref>Adjoint du chef du SR et découvreur du bordereau.</ref> fait une déclaration théâtrale<ref>Picquart, ''Révision 1898-1899'', Instruction, tome I, p. 129</ref> en pleine audience. Il affirme qu'une suspicion de fuites existait depuis le mois de février 1894 à propos d'une trahison à l'État-major et {{guillemets|qu'une personne honorable}} accusait le capitaine Dreyfus. Il jure sur l'honneur que le traître est Dreyfus, en désignant le crucifix accroché au mur du tribunal<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 411. Les crucifix avaient disparu des prétoires civils depuis le gouvernement de [[Jules Ferry]], mais pas des tribunaux militaires.</ref>. Dreyfus sort de ses gonds et exige d'être confronté à son accusateur anonyme, ce qui est refusé par l'État-major. L'incident a un effet incontestable sur la Cour, composée de sept officiers qui sont à la fois juges et jurés. Toutefois, l'issue du procès est incertaine. La conviction des juges a été ébranlée par l'attitude ferme et les réponses logiques de l'accusé<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 164</ref>. Les juges partent délibérer. Mais l'État-major a encore une carte en main pour faire pencher la balance définitivement contre Dreyfus.
Le 3 novembre, à contrecœur<ref>Il qualifie le rapport de du Paty « d'élucubrations », [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}88.</ref>, le général [[Félix Gustave Saussier|Saussier]] donne l'ordre d'informer. Il a tous les pouvoirs pour arrêter la machinerie, mais il ne le fait pas, peut-être par confiance exagérée en la justice militaire<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert, {{p.}}103.</ref>.
 
Le commandant d'Ormescheville, [[rapporteur]] auprès du Conseil de guerre, rédige un [[s:Acte d'accusation contre le capitaine Dreyfus|rapport à charge]] dans lequel les « éléments moraux » de l'accusation (qui vont de ragots concernant les mœurs de Dreyfus et sa prétendue fréquentation de « cercles-tripots » à sa connaissance de l'allemand et sa « mémoire remarquable ») sont développés bien plus longuement que les « éléments matériels »{{note|groupe=n|Le rapport d'un agent de la section des statistiques, François Guénée, a en effet présenté le capitaine Dreyfus sous un jour très défavorable (jeu, femme, besoin d'argent).}}.
====Transmission d'un dossier secret aux magistrats====
[[Image:Schwartzkoppen3.jpg|thumb|150px|left|Max von Schwarzkoppen a toujours affirmé n'avoir jamais connu Dreyfus]]
Les témoins militaires du procès alertent le commandement sur les risques d'acquittement. Dans cette éventualité, la Section de statistiques avait préparé un dossier, contenant quatre preuves {{guillemets|absolues}} de la culpabilité du capitaine Dreyfus, accompagnées d'une note explicative. Celui-ci est remis au début du délibéré, en [[s:Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906#En ce qui concerne le dossier secret :|toute illégalité]], au président du Conseil de guerre le colonel Émilien Maurel, sur ordre du ministre de la Guerre, le général Mercier<ref>En droit militaire français de l'époque, toutes les preuves de culpabilité doivent être remises à la défense afin d'être débattues contradictoirement, ce qui n'était pas obligatoire pour la justice ordinaire. [[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], p. 132</ref>. Plus tard, au procès de Rennes de 1899, le général Mercier a expliqué que la nature même des pièces soumises interdisait leur divulgation dans l'enceinte du tribunal<ref>Ce qui était évidemment faux. Le mobile de Mercier était bien de faire condamner Dreyfus à l'insu de la défense. V. réquisitoire</ref>. Ce dossier contenait, outre des lettres sans grand intérêt, dont certaines étaient truquées<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 43</ref>, une pièce restée célèbre sous le nom de {{guillemets|Canaille de D...}}.
 
Les éléments matériels sont traités dans l'unique avant-dernier paragraphe, en une phrase : « [les éléments matériels] consistent en la lettre missive incriminée, dont l'examen par la majorité des experts aussi bien que par nous et par les témoins qui l'ont vue, a présenté, sauf dissemblances volontaires, une similitude complète avec l'écriture authentique du capitaine Dreyfus. ». Cette rareté même sert à la charge : « c'est une preuve de culpabilité, car Dreyfus a tout fait disparaître ». Le manque complet de neutralité de l'acte d'accusation conduit Émile Zola à le qualifier de « monument de partialité »<ref>Zola, « [[J'accuse… !]] ».</ref>.
C'était une lettre de l'attaché militaire allemand, Max von Schwarzkoppen à l'attaché militaire italien Alessandro Panizzardi interceptée par le SR. La missive était censée accuser définitivement Dreyfus, puisque d'après ses accusateurs, il était désigné par l'initiale de son nom<ref>Il s'agissait en fait d'un dénommé Dubois, identifié par la Section de statistiques depuis un an.</ref>.
En réalité, la Section de statistiques savait que la lettre ne pouvait pas être attribuée à Dreyfus, et si elle le fut, ce fut par intention criminelle<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert p. 92</ref>. Le colonel Maurel a affirmé au second procès Dreyfus<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24251s ''Procès de Rennes'' Tome 2] pp. 191 et s. Il aggrave notamment son cas en n'admettant pas que la transmission d'un dossier secret fut une manœuvre criminelle.</ref> que les pièces secrètes n'avaient pas servi à emporter l'adhésion des juges du Conseil de guerre. Mais il se contredit en affirmant qu'il a lu un seul document, {{guillemets|ce qui fut suffisant}}.
 
Le 4 décembre, avec ce dossier, Dreyfus est renvoyé devant le premier Conseil de guerre. Le secret est levé et M{{e}} Demange peut pour la première fois accéder au dossier. Après sa lecture, la confiance de l'avocat est absolue<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}89.</ref>. L'accusation repose sur l'écriture d'une pièce unique, le bordereau, à propos de laquelle les experts se contredisent, et sur de vagues témoignages indirects.
====Condamnation, dégradation et déportation====
[[Image:Dreyfus-in-Prison-1895.jpg|thumb|200px|right|Une du [[Le Petit Journal|''Petit Journal'']] du 20 janvier 1895]]
Le [[22 décembre]], après plusieurs heures de délibération, le verdict tombe. À l'unanimité des sept juges, Alfred Dreyfus est condamné pour trahison {{guillemets|à la destitution de son grade, à la dégradation militaire, et à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée}}, c'est-à-dire au [[bagne]] en [[Guyane]]. Dreyfus n'est pas condamné à mort car la [[Constitution française de 1848|constitution de 1848]] avait aboli la peine capitale pour crime politique. Pour les autorités, la presse et le public, les quelques doutes d'avant procès sont dissipés.
La culpabilité est certaine ; à droite comme à gauche, on regrette l'abolition de la peine de mort pour crime de trahison. L'antisémitisme atteint des sommets dans la presse et se manifeste dans des populations jusqu’à présent épargnées<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], p. 468</ref>. Même [[Jean Jaurès]] regrette la douceur de la peine dans une adresse à la Chambre, et écrit : {{guillemets|un troupier vient d'être condamné à mort et exécuté pour avoir lancé un bouton au visage de son caporal. Alors pourquoi laisser ce misérable traître en vie ?}}
 
==== Le procès : « Le huis clos ou la guerre ! » ====
Le [[5 janvier]] [[1895]], la cérémonie de la dégradation se déroule dans une cour de l'[[École militaire (France)|École militaire]] à Paris. Les témoins signalent la dignité de Dreyfus, qui continue de clamer son innocence. Ici vient se greffer ce que l'on surnomme {{guillemets|la légende des aveux}}<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 107</ref>. Avant la dégradation, dans le fourgon qui l'amenait à l'École militaire, Dreyfus aurait confié sa traîtrise au capitaine [[Charles Lebrun-Renault|Lebrun-Renault]]<ref>Il semble que l'orthographe exacte du nom du capitaine soit Lebrun Renaud, mais l'ensemble de la littérature historique adopte la forme du texte, celle-ci étant donc la plus courante. Voir son témoignage au [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k242524 Procès de Rennes Tome 3], p. 73 </ref>. Il apparait qu'en réalité, le capitaine de la Garde républicaine s'était vanté et que Dreyfus n'avait fait [http://fr.wikisource.org/wiki/Affaire_Dreyfus_-_arr%C3%AAt_de_la_Cour_de_cassation_du_12_juillet_1906#En_ce_qui_concerne_les_pr.C3.A9tendus_aveux_: aucun aveu]<ref>Décision de la Cour de Cassation</ref>. Du fait de la nature de l'affaire, touchant à la sécurité nationale, le prisonnier est mis au secret dans une cellule en attendant son transfert. Le [[17 janvier]], il est transféré au bagne de l'[[île de Ré]], où il est maintenu plus d'un mois. Il a le droit de voir sa femme deux fois par semaine, dans une salle allongée, chacun à un bout, le directeur de la prison au milieu<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 103</ref>. Le [[21 février]], il embarque sur le vaisseau ''Ville-de-Saint-Nazaire''. Le lendemain, le navire fait cap vers la [[Guyane]].
[[Fichier:Dreyfus Petit Journal 1894.jpg|vignette|gauche|La [[Une (journalisme)|une]] du ''[[Le Petit Journal (quotidien)|Petit Journal]]'' du {{date-|23|décembre|1894}}.]]
 
Pendant les deux mois précédant le procès, la presse se déchaîne. ''[[La Libre Parole]]'', ''[[L'Autorité]]'', ''[[Le Journal]]'', ''[[Le Temps (1861-1942)|Le Temps]]'' racontent toute la vie de Dreyfus au travers de récits orientés par l'État-major<ref>Mathieu Dreyfus, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k21872p/f23.image ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], {{p.}}24.</ref>. C'est aussi l'occasion pour ''La Libre Parole'' ou ''[[La Croix]]'', de justifier leurs campagnes antérieures contre la présence de Juifs dans l'armée, sur le thème « On vous l'avait bien dit ! »<ref>v. [[Presse et édition dans l'affaire Dreyfus|La presse et l'édition dans l'affaire Dreyfus]] et [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}83.</ref>. Cette période longue est surtout le moyen pour l'état-major de préparer l'opinion et de faire pression indirectement sur les juges<ref name="ReferenceC">[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}85.</ref>. Ainsi le {{date-|28 novembre}}, le général Mercier va jusqu'à déclarer Dreyfus coupable dans une interview au ''[[Le Figaro|Figaro]]''<ref>{{article|titre = L'espionnage militaire|périodique = le Figaro|date = 28 novembre 1894|lire en ligne = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k283104z/f1}} {{gallica}}.</ref>{{,}}<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], {{p.}}55.</ref>. Lui réplique le {{date-|29 novembre}} un article [[Arthur Meyer|d'Arthur Meyer]] dans ''[[Le Gaulois (France)|Le Gaulois]]'', dans lequel est condamné le réquisitoire fait contre Dreyfus et demandé : {{Citation|Quelle liberté restera-t-il au Conseil de Guerre appelé à juger ce prévenu ?}}<ref>{{article|titre = Démenti nécessaire|auteur = Arthur Meyer|périodique = Le Gaulois|date = jeudi 29 novembre 1894|lire en ligne =https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k528942m/f1}} {{gallica}}.</ref>{{,}}<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], {{p.}}58.</ref>.
[[Image:650px-Case de Dreyfus.jpg|thumb|150px|left|La case de Dreyfus sur l'île du Diable en Guyane]]
[[Image:Dreyfus Ile du diable 96.jpg|thumb|200px|right|Une du Petit Journal du 27 septembre 1896]]
Le [[12 mars]], après une traversée pénible de quinze jours, le navire mouille au large des [[îles du Salut]]. Dreyfus reste un mois au bagne de l'[[île Royale]], puis il est transféré à l'[[Île du Diable (Guyane)|île du Diable]] le [[14 avril]]. Avec ses gardiens, il est le seul habitant de l'île, logeant dans une case de pierre de quatre mètres sur quatre<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 125</ref>. Hanté par le risque de l'évasion, le commandant du bagne fait vivre un enfer au condamné alors que les conditions de vie sont déjà très pénibles<ref>La température atteint 45°C, il est sous-alimenté ou nourri de denrées frelatées, pratiquement pas soigné de ses nombreuses maladies tropicales.</ref>. Dreyfus tombe malade, secoué par les fièvres qui s'aggraveront d'année en année<ref>Alfred Dreyfus, ''Cinq années de ma vie''</ref>.
 
[[Fichier:L'Illustration n° 2704 - 22 décembre 1894 - Procès d'Alfred Dreyfus.jpg|vignette|La une de ''[[L'Illustration]]'' du {{date-|22|décembre|1894}}.]]
Dreyfus est autorisé à écrire sur un papier numéroté et paraphé. Il subit la censure du commandement de même que lorsqu'il reçoit du courrier de sa femme Lucie, par lequel ils s'encouragent mutuellement. Le [[6 septembre]] [[1896]], les conditions de vie d'Alfred Dreyfus s'aggravent encore : il est mis à ''la double boucle'', supplice obligeant le forçat à rester sur son lit, immobile, les chevilles entravées. Cette mesure est la conséquence de la fausse information de son évasion, révélée par un journal anglais. Pendant deux longs mois, elle plonge Dreyfus dans un profond désespoir. À ce moment, il est persuadé que sa vie s'achèvera sur cette île lointaine<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 132</ref>.
 
Des joutes d'éditorialistes ont lieu au sein d'un large débat à propos de la question du huis clos. Pour Ranc et Cassagnac qui représentent la majorité de la presse, le huis clos est une manœuvre basse dans le but de permettre l'acquittement de Dreyfus, « car le ministre est un lâche ». La preuve c'est « qu'il ''rampe'' devant les Prussiens » en acceptant de publier des démentis de l'ambassadeur d'Allemagne à Paris{{note|groupe=n|Trois démentis, très mous et ambigus sont publiés par l'agence Havas en novembre et décembre 1894 dans le but de dégager la responsabilité de l'[[Ambassade d'Allemagne en France|ambassade d'Allemagne]]<ref name="ReferenceC" />.}}. Mais pour d'autres journaux, comme ''[[L'Éclair (journal)|L'Éclair]]'' du {{date-|13 décembre}}, « le huis clos est nécessaire pour éviter un [[casus belli]] », alors que pour [[Ernest Judet|Judet]] dans ''[[Le Petit Journal (quotidien)|Le Petit Journal]]'' du 18, « le huis clos est notre refuge inexpugnable contre l'Allemagne » ou le chanoine de ''La Croix'' du même jour, il faut {{Citation|le huis clos le plus absolu}}<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'Affaire Dreyfus et la Presse'']], {{p.}}60.</ref>. Le 21 décembre, ''La Croix'' emploie la formule « Le huis clos ou la guerre »<ref>Philippe Oriol, {L'histoire de l'affaire Dreyfus : de 1894 à nos jours}, Paris, Les Belles Lettres, 2014, note 371.</ref>{{,}}{{note|groupe=n|Joseph Reinach indique que « plusieurs journaux du 21 décembre prêtent cette formule à un membre du conseil de guerre (''[[La Patrie (Paris)|Patrie]]'', ''[[L'Intransigeant|Intransigeant]]'', ''[[Gil Blas]]'') »<ref>''Histoire de l’Affaire Dreyfus'', p.394.</ref>.}}.
==La Vérité en marche (1895-1897)==
===La famille Dreyfus découvre l'affaire et agit===
[[Image:Cdt henry.JPG|thumb|200px|left|Le commandant Henry, faussaire du SR.]]
[[Mathieu Dreyfus]], le frère aîné d'Alfred Dreyfus, est convaincu de l'innocence du condamné. Il est le premier artisan de la réhabilitation de son frère, et passe tout son temps, toute son énergie et sa fortune à rassembler autour de lui un mouvement de plus en plus puissant en vue de la révision du procès de décembre 1894, malgré les difficultés de la tâche<ref>Lire à cet égard les mémoires de Mathieu Dreyfus, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], restés inédits jusqu'en 1978, sauf quelques extraits.</ref> : {{guillemets|Après la dégradation, le vide se fit autour de nous. Il nous semblait que nous n'étions plus des êtres comme les autres, que nous étions comme retranchés du monde des vivants<ref>Mathieu Dreyfus, ''L'Affaire telle que je l'ai vécue'', Fayard, p. 47</ref>.}}
 
Le procès s'ouvre le {{date-|19 décembre}} à treize heures<ref>Sur les détails du déroulement, lire [[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}147 et s.</ref>, le huis clos étant presque immédiatement prononcé. Ce huis clos n'est d'ailleurs pas conforme au droit puisque le commandant [[Marie-Georges Picquart|Picquart]] et le préfet [[Louis Lépine]] sont présents à certaines audiences en violation du droit, mesure qui permet néanmoins aux militaires de ne pas divulguer le contenu du dossier au grand public<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}394.</ref> et d'étouffer les débats<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert, {{p.}}107.</ref>. Les discussions de fond sur le bordereau montrent que l'hypothèse que le capitaine Dreyfus en soit l'auteur rencontre de très nombreuses contradictions<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}409.</ref>{{,}}<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.}}87.</ref>. D'autre part, l'accusé clame son innocence, et se défend point par point<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}151.</ref>. Ses déclarations sont appuyées par une dizaine de témoignages à décharge. La question d'un mobile pécuniaire est posée dans le dossier d'accusation, mais Dreyfus était aisé : alors qu'il était capitaine, il avait des revenus personnels équivalents à ceux d'un général commandant de région<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.}}38.</ref>, issus de l'héritage de son père et de la dot de sa femme. Il n'avait donc aucune raison pécuniaire de trahir. La justification par la [[Identité juive|judéité]] de Dreyfus, seule retenue par la presse de droite, ne saurait pourtant l'être par un tribunal.
Mathieu essaie toutes les pistes, y compris les plus étonnantes. Ainsi, grâce au docteur Gibert, ami du président [[Félix Faure]], il rencontre au [[Le Havre|Havre]] une femme qui, sous [[hypnose]], lui parle pour la première fois d'un {{guillemets|dossier secret}}<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 117</ref>{{,}}<ref>[[Mathieu Dreyfus]], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k21872p ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''] p. 48 et s.</ref>. Le fait est confirmé par le président de la République au docteur Gibert dans une conversation privée.
 
[[Alphonse Bertillon]] est présenté à la cour comme un savant de première importance. Il avance la théorie de l'[[forgerie|autoforgerie]] à l'occasion de ce procès et accuse Dreyfus d'avoir imité sa propre écriture, expliquant les différences graphiques par l'emploi d'extraits de l'écriture de son frère Mathieu et de son épouse Lucie. Cette théorie, bien que considérée plus tard comme farfelue et sidérante{{note|groupe=n|Voir les démonstrations de Meyer, Giry, Henri Poincaré, d'Appel et de Darboux, les plus grands paléographes et les plus célèbres mathématiciens du {{s-|XIX}} lors de leurs dépositions de la seconde révision en 1904. Ils ont détruit pour toujours le système Bertillon<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.}}189.</ref>.}} semble avoir un certain effet sur les juges. De plus, le commandant [[Hubert Henry|Hubert-Joseph Henry]], adjoint du chef du SR et découvreur du bordereau, fait une déclaration théâtrale<ref>Picquart, ''Révision 1898-1899'', Instruction, Tome {{I}}, {{p.}}129.</ref> en pleine audience. Il affirme qu'une suspicion de fuites existait depuis le mois de {{date-|février 1894}} à propos d'une trahison à l'état-major et « qu'une personne honorable » accusait le capitaine Dreyfus. Il jure sur l'honneur que le traître est Dreyfus, en désignant le crucifix accroché au mur du tribunal<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}411. Les crucifix avaient disparu des prétoires civils depuis le gouvernement de [[Jules Ferry]], mais pas des tribunaux militaires.</ref>. Dreyfus sort de ses gonds et exige d'être confronté à son accusateur anonyme, ce qui est refusé par l'état-major. L'incident a un effet incontestable sur la cour, composée de sept officiers qui sont à la fois juges et jurés. Toutefois, l'issue du procès est incertaine. La conviction des juges a été ébranlée par l'attitude ferme et les réponses logiques de l'accusé<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}164.</ref>. Les juges partent délibérer. Mais l'état-major a encore une carte en main pour faire pencher la balance définitivement contre Dreyfus.
Petit à petit, malgré les menaces d'arrestation pour complicité, les filatures, les pièges tendus par les militaires<ref>Mathieu Dreyfus, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], p. 54 et s.</ref>, il réussit à convaincre divers modérés. Ainsi, le journaliste de gauche [[Bernard Lazare]] se penche sur les zones d'ombre de la procédure. En [[1896]], Lazare publie à [[Bruxelles]] le premier opuscule dreyfusard<ref>Lazare, ''Une erreur judiciaire. La vérité sur l'Affaire Dreyfus'', Bruxelles, novembre 1896.</ref>. Cette publication n'a que peu d'influence sur le monde politique et intellectuel, mais elle contient tant de détails que l'État-major suspecte le nouveau chef du SR, Picquart, d'en être responsable.
 
==== Transmission d'un dossier secret aux magistrats ====
La campagne en faveur de la révision, relayée petit à petit dans la presse de gauche antimilitariste<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], p. 82</ref>, déclenche en retour une vague d'antisémitisme très violente dans l'opinion. La France reste alors très majoritairement antidreyfusarde. Le commandant Henry, à la Section de statistiques, est de son côté conscient de la fragilité du dossier d'accusation. À la demande de sa hiérarchie, le [[général de Boisdeffre]], chef d'État-major général, et le général Gonse, il est chargé de faire grossir le dossier afin d'éviter toute tentative de révision. Incapable de trouver la moindre preuve, il décide d'en fabriquer une ''a posteriori''.
[[Fichier:Schwartzkoppen3.jpg|vignette|gauche|redresse|[[Maximilian von Schwartzkoppen]] a toujours affirmé n'avoir jamais connu Dreyfus.]]
[[Fichier:Colonel Panizzardi affaire Dreyfus.jpg|vignette|droite|[[Alessandro Panizzardi]], attaché militaire italien, ''ami'' de Schwartzkoppen.]]
Les témoins militaires du procès alertent le commandement sur les risques d'acquittement. Dans cette éventualité, la Section de statistiques avait préparé un dossier, contenant, en principe, quatre preuves « absolues » de la culpabilité du capitaine Dreyfus, accompagnées d'une note explicative. Le contenu de ce dossier secret est incertain encore de nos jours, car aucune archive dressant la liste des pièces ne nous est parvenue. Des recherches récentes<ref>Pierre Gervais, Romain Huret et Pauline Peretz, « Une relecture du « dossier secret » : homosexualité et antisémitisme dans l'Affaire Dreyfus », ''Revue d'histoire moderne et contemporaine'', éditions Belin, Vol. 55, {{numéro}}1, {{p.}}125-160.</ref> indiquent l'existence d'une numérotation induisant peut-être la présence d'une dizaine de documents. Parmi ceux-ci, des lettres à caractère érotico-homosexuel ("Lettre Davignon" entre autres) posent la question des méthodes d'intoxication du Service de statistiques et de l'objet de ce [[Hypothèses liées à l'affaire Dreyfus|choix documentaire]].
 
Le dossier secret est remis au début du délibéré, en [[s:Arrêt de la cour de cassation du 12 juillet 1906#En ce qui concerne le dossier secret :|toute illégalité]], au président du Conseil de guerre le colonel Émilien Maurel, sur ordre du ministre de la Guerre, le général Mercier. En effet, en droit militaire français de l'époque, toutes les preuves de culpabilité doivent être remises à la défense afin d'être débattues contradictoirement, ce qui n'était pas obligatoire pour la justice ordinaire<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.}}132.</ref>. Plus tard, au procès de Rennes de 1899, le général Mercier a expliqué que la nature même des pièces soumises interdisait leur divulgation dans l'enceinte du tribunal. Ce dossier contenait, outre des lettres sans grand intérêt, dont certaines étaient truquées<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}43.</ref>, une pièce restée célèbre sous le nom de « Canaille de D… ».
===La découverte du vrai coupable : Picquart {{guillemets|passe à l'ennemi}}===
[[Image:Picquart 2.jpg|thumb|200px|left|Le lieutenant colonel Georges Picquart en tenue de chasseurs d'Afrique]]
Le vrai coupable de la trahison est découvert par hasard de deux manières distinctes ; par Mathieu Dreyfus d'une part, en recueillant la dénonciation du banquier Castro, et par le SR d'autre part, à la suite d'une enquête. Le colonel Sandher étant tombé malade, le lieutenant-colonel [[Marie-Georges Picquart|Georges Picquart]] est affecté à la tête du SR en juillet 1895. En mars [[1896]] Picquart, qui avait suivi l’affaire Dreyfus dès son origine<ref>C’est lui qui avait reçu le capitaine le matin du 15 octobre 1894, lors de la scène de la dictée.</ref>, exige désormais de recevoir directement les documents volés à l'ambassade d'Allemagne, sans intermédiaire<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 140</ref>. Il y découvre un document surnommé le {{guillemets|petit bleu}} : une carte télégramme, jamais envoyée, écrite par Schwartzkoppen et interceptée à l’ambassade d’Allemagne début mars 1896<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], p. 276</ref>. Celle-ci est adressée à un officier français d'origine hongroise : au commandant [[Ferdinand Walsin Esterhazy|Ferdinand Esterházy]], 27 rue de la Bienfaisance - Paris<ref>Sur la personnalité et la vie d'Esterházy, lire Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'' Tome 2], chapitre 1{{er}} et toute la première partie de [[#Thomas|''L'Affaire sans Dreyfus'' de Marcel Thomas]].</ref>.
Par ailleurs, une autre lettre au crayon noir de von Schwartzkoppen démontre les mêmes relations d'espionnage avec Esterházy<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 142. C'est Marcel Thomas qui a découvert cette lettre au début des années 1970. V. les annexes in [[#Thomas|''L'Affaire sans Dreyfus'']]</ref>. Mis en présence de lettres de cet officier, Picquart s'aperçoit avec stupéfaction que son écriture est exactement la même que celle du {{guillemets|bordereau}} qui a servi à incriminer Dreyfus. Il se procure le {{guillemets|dossier secret}} remis aux juges en [[1894]], et devant sa vacuité, acquiert la certitude de l’innocence de Dreyfus. Très ému par sa découverte, Picquart diligente une enquête en secret, sans l'accord de ses supérieurs<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 144. Ce qui permet à l'État-major de contester ouvertement la qualité de la preuve et de s'en prendre à Picquart pour le discréditer.</ref>. Elle démontre qu'Esterházy avait connaissance des éléments décrits par le {{guillemets|bordereau}} et qu'il était bien en contact avec l'ambassade d'Allemagne<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 56</ref>. Il est établi que l'officier vendait aux Prussiens de nombreux documents secrets dont la valeur était cependant assez faible<ref>Au point que von Schwartzkoppen cesse ses relations avec Esterházy dès le début 1896. [[#Thomas|Thomas, ''L'affaire sans Dreyfus'']], p. 145 </ref>.
 
C'était une lettre de l'attaché militaire allemand [[Maximilian von Schwartzkoppen]] à l'attaché militaire italien [[Alessandro Panizzardi]] interceptée par le SR. La missive était censée accuser définitivement Dreyfus, puisque d'après ses accusateurs, il était désigné par l'initiale de son nom{{note|groupe=n|Il s'agissait en fait d'un dénommé Dubois, identifié par la Section de statistiques depuis un an<ref>Voir aussi : [[Pierre Milza]], ''L'Affaire Dreyfus nelle relazioni franco-italiane'' (en italien), in: Comune di Forlì–Comune di Roma, ''Dreyfus. L'''affaire'' e la Parigi'' fin de siècle ''nelle carte di un diplomatico italiano'', Edizioni Lavoro, Roma 1994, {{p.|23-36}}.</ref>.}}. En réalité, la Section de statistiques savait que la lettre ne pouvait pas incriminer Dreyfus, et si elle le fit, ce fut par intention criminelle<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la justice dans l'affaire Dreyfus'']], Duclert, {{p.}}92.</ref>. Le colonel Maurel a affirmé au second procès Dreyfus<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24251s ''Procès de Rennes'' Tome 2] {{p.}}191 et s. Il aggrave notamment son cas en n'admettant pas que la transmission d'un dossier secret fut une manœuvre criminelle.</ref> que les pièces secrètes n'avaient pas servi à emporter l'adhésion des juges du Conseil de guerre. Mais il se contredit en affirmant qu'il a lu un seul document, « ce qui fut suffisant ».
Esterházy est un ancien membre du contre-espionnage français<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 2], p. 26</ref> où il avait servi après la Guerre de 1870. Il avait travaillé dans le même bureau que le Commandant Henry de 1877 à 1880 <ref>Ce qui pose la question de savoir s'il n'y a pas eu complicité entre les deux hommes. Bredin, p. 144 et [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']] p. 231 sont sceptiques.</ref>. Homme à la personnalité trouble, à la réputation sulfureuse<ref>Lire [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], Chap. 1, {{guillemets|Le roman d'un tricheur}}.</ref>, criblé de dettes, il est pour Picquart, un traître probable animé par un mobile certain : l'argent. Picquart communique alors les résultats de son enquête à l'État-major, qui lui oppose : {{guillemets|l'autorité de la chose jugée}}. Désormais, tout est fait pour l'évincer de son poste, avec l'aide de son propre adjoint le commandant Henry. Il s'agit avant tout, dans les hautes sphères de l'Armée, de ne pas admettre que la condamnation de Dreyfus puisse être une grave erreur judiciaire. Pour Mercier, puis [[Émile Auguste François Zurlinden|Zurlinden]], et l'État-major, ce qui est fait est fait, on ne revient jamais en arrière<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], pp. 24 et s. </ref>. Il convenait alors de séparer les affaires Dreyfus et Esterházy.
{{clr}}
 
==== Condamnation, dégradation et déportation ====
===La dénonciation d'Esterházy et les progrès du dreyfusisme===
[[Fichier:Degradation alfred dreyfus.jpg|vignette|gauche|redresse=1.3|alt=Au milieu d'une cérémonie militaire, Alfred Dreyfus se tient droit en uniforme vierge de tout insigne. Ses insignes et son fourreau sont à ses pieds, et en face de lui, un adjudant est en train de casser son sabre en deux sur son genou.|La dégradation d'[[Alfred Dreyfus]] dans la grande cour de l'[[École militaire (France)|École militaire]], le {{date-|5|janvier|1895}}. Dessin d'[[Henri Meyer (illustrateur)|Henri Meyer]] en couverture du ''[[Le Petit Journal (quotidien)|Petit Journal]]'' du {{date-|13|janvier|1895}}, légendé « Le traître »<ref>Voir [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7161044 l'exemplaire complet] sur [[Gallica]].</ref>.]]
[[Image:Ferdinand Esterhazy.jpg|thumb|200px|right|Le commandant Ferdinand Walsin Esterházy]]
Le 22 décembre, après plusieurs heures de délibération, le verdict tombe. À l'unanimité des sept juges, Alfred Dreyfus est condamné pour [[intelligence avec l'ennemi|intelligence avec une puissance étrangère]] à la peine maximale applicable en vertu de l'article 76 du code pénal, la [[déportation en droit français|déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée]], c'est-à-dire au [[bagne]], ainsi qu'à la destitution de son grade et à la [[dégradation militaire]]. Dreyfus n'est pas [[peine de mort en France|condamné à mort]], cette peine ayant été abolie pour les [[Infraction politique en France|crimes politiques]] [[Constitution française du 4 novembre 1848|depuis 1848]].
La presse nationaliste lance une violente campagne contre le noyau dur naissant des Dreyfusards. En contre-attaquant, l'État-major se découvre et révèle des informations, ignorées jusque là, sur le {{guillemets|dossier secret}}<ref>v. articles de ''L'Éclair'' des 10 et 14 septembre 1896, hostiles à Dreyfus, mai révélant l'existence du {{guillemets|dossier secret}}. [[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 163</ref>. Le doute commence à s'installer et des figures des milieux artistiques et politiques s'interrogent<ref>Cassagnac, pourtant antisémite, fait paraître un article intitulé ''le doute'', mi-septembre 1896</ref>. Picquart tente de convaincre ses chefs de réagir en faveur de Dreyfus, mais l'État-major semble sourd. Une enquête est instruite contre lui, il est surveillé, éloigné dans l'Est, puis muté en [[Tunisie]] {{guillemets|dans l'intérêt du service}}<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], p. 167</ref>.
 
[[Fichier:Dégradation Monde Illustré 95.jpg|vignette|Foule agglutinée devant l'École militaire pour assister à la dégradation de Dreyfus<br> (''[[Le Monde illustré (Paris)|Le Monde illustré]]'', {{date-|12 janvier 1895}}).]]
C'est le moment que choisit le commandant Henry pour passer à l'action. Le {{1er novembre}} [[1896]], il fabrique un faux, le {{guillemets|faux Henry}}<ref>Autrement appelé {{guillemets|faux patriotique}} par les antidreyfusards.</ref>, en conservant l'entête et la signature<ref>Alexandrine, signature usuelle de Panizzardi.</ref> d'une lettre quelconque de [[Panizzardi]], en rédigeant lui-même le texte central :
 
Pour les autorités, la presse et le public, les quelques doutes d'avant procès sont dissipés ; la culpabilité est certaine. [[Jean Jaurès]] (très anti-dreyfusard à ce moment là, mais qui changera d'opinion) se sert comme argument contre la peine de mort, d'une condamnation qui laisse la vie à un « misérable traître » : {{Citation|un troupier vient d'être condamné à mort et exécuté pour avoir lancé un bouton au visage de son caporal. Alors pourquoi laisser ce misérable traître en vie ?}}{{Référence nécessaire}} [[Georges Clemenceau|Clemenceau]], dans ''[[La Justice (journal)|La Justice]]'', fait une remarque similaire{{note|groupe=n|[[Georges Clemenceau|Clemenceau]] écrit le {{date-|25 décembre 1894}}, dans ''[[La Justice (journal)|La Justice]]'' : {{citation bloc|Sans doute, je suis aussi résolument que jamais l'ennemi de la peine de mort. Mais on ne fera jamais comprendre au public qu'on ait fusillé, il y a quelques semaines, un malheureux enfant de 20 ans coupable d'avoir jeté un bouton de sa tunique à la tête du président du conseil de guerre, tandis que le traître Dreyfus, bientôt, partira pour l'île de Nou {{sic}}, où l'attend le jardin de Candide {{sic}}<ref>Cité par [[Michel Winock]], ''Clemenceau'', éd. Perrin, 2007, chap. XV, « L'entrée dans l'Affaire », {{p.}}244.</ref>.}}}}. L'antisémitisme atteint par ailleurs des sommets dans la presse et se manifeste dans des populations jusqu'à présent épargnées<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}468.</ref>.
{{Citation bloc|J'ai lu qu'un député va interpeller sur Dreyfus. Si on demande à Rome nouvelles explications, je dirai que jamais j'avais les relations avec ce Juif. C'est entendu. Si on vous demande, dites comme ça, car il ne faut pas que on sache jamais personne ce qui est arrivé avec lui.}}
 
Le {{date-|31 décembre}}, le commandant du Paty se rend à la prison et propose à Dreyfus un allégement de sa peine en échange de ses aveux, ce que le capitaine refuse<ref>{{Ouvrage|auteur1=Armand Israël|titre=Les vérités cachées de l'affaire Dreyfus|éditeur=[[Éditions Albin Michel|Albin Michel]]|année=2000|passage=471|isbn=}}.</ref>.
C'est un faux assez grossier. Les généraux Gonse et Boisdeffre, sans se poser de questions, amènent cependant la lettre à leur ministre le général Billot. Les doutes de l'État-major concernant l'innocence de Dreyfus s'envolent<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 168</ref>. Fort de cette trouvaille, l'État-major décide de protéger Esterházy et de persécuter<ref>''Ibid''</ref> le colonel Picquart, {{guillemets|qui n'a rien compris}}. Picquart, qui ignore tout du faux Henry, se sent rapidement isolé de ses collègues militaires.
Littéralement accusé de malversations par le commandant Henry<ref>Henry lui envoie une lettre pleine d'insinuations. [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'' Tome 2] p. 517 et s.</ref>, il proteste par écrit et rentre à Paris.
 
Le {{date-|5|janvier|1895}}, la cérémonie de la dégradation se déroule dans la Cour Morland de l'[[École militaire (France)|École militaire]] à Paris où quatre mille soldats formés en carré entourent le « traître » tandis que {{nombre|20000|personnes}} s'amassent derrière les foules : alors que les tambours roulent, Dreyfus est accompagné par quatre artilleurs qui l'amènent devant un huissier qui lui lit le jugement. Un adjudant de la [[Garde républicaine (France)|Garde républicaine]] lui arrache les insignes, les fines lanières d'or de ses galons, les parements des manches et de la veste. Les témoins signalent la dignité de Dreyfus, qui continue de clamer son innocence tout en levant les bras : {{Citation|Soldats, on dégrade un innocent, soldats on déshonore un innocent. Vive la France ! Vive l'armée !}}<ref>{{Ouvrage|auteur1=Armand Israël|titre=Les Vérités cachées de l'affaire Dreyfus|éditeur=[[Éditions Albin Michel|Albin Michel]]|année=2000|passage=110|isbn=}}.</ref>.
[[Image:Marie-Georges Piquart.jpg|thumb|200px|left|Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat]]
Picquart se confie à son ami, l'avocat [[Louis Leblois]], à qui il fait promettre le secret. Ce dernier en parle pourtant au vice-président du Sénat, l'alsacien [[Auguste Scheurer-Kestner]], lequel est à son tour touché par le doute. Sans citer Picquart, le sénateur révèle l'affaire aux plus hautes personnalités du pays. Mais l'État-major soupçonne quand même Picquart d'être à l'origine des fuites. C'est le début de l'affaire Picquart<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], p. 109 et s.</ref>, une nouvelle conspiration de l'État-major contre l'officier.
 
L'adjudant brise le sabre du condamné sur son genou puis Dreyfus défile au ralenti devant ses anciens compagnons<ref>Méhana Mouhou, ''Affaire Dreyfus: conspiration dans la République'', Éd. L'Harmattan, 2006, {{p.|40}}.</ref>. Un évènement, que l'on surnomme « la légende des aveux »<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}107.</ref>, s'est déroulé avant la dégradation. Dans le fourgon qui l'amenait à l'École militaire, Dreyfus aurait confié sa traîtrise au capitaine [[Charles Lebrun-Renault|Lebrun-Renault]]<ref>Il semble que l'orthographe exacte du nom du capitaine soit Lebrun Renaud, mais l'ensemble de la littérature historique adopte la forme du texte, celle-ci étant donc la plus courante. Voir son témoignage au [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k242524 Procès de Rennes Tome 3], {{p.}}73.</ref>. Il apparaît qu'en réalité, le capitaine de la Garde républicaine s'est vanté et que Dreyfus n'avait fait [[s:Arrêt de la cour de cassation du 12 juillet 1906#En ce qui concerne les prétendus aveux :|aucun aveu]]<ref name="Arrêt" />. Du fait de la nature de l'affaire, touchant à la sécurité nationale, le prisonnier est mis au secret dans une cellule en attendant son transfert. Le 17 janvier, il est transféré au bagne de l'[[île de Ré]], où il est maintenu plus d'un mois. Il a le droit de voir sa femme deux fois par semaine, dans une salle allongée, chacun à un bout, le directeur de la prison au milieu<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}103.</ref>.
Le commandant Henry, pourtant adjoint de Picquart, mais jaloux<ref>Henry ambitionnait la succession de Sandherr, ayant été son adjoint de longues années. Mais Picquart avait été nommé chef du SR comme on le sait. Le limogeage de Picquart va permettre à Henry d'assouvir son ambition [[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']] p. 262</ref>, mène de son propre chef, une opération d'intoxication afin de compromettre son supérieur. Il se livre à diverses malversations (fabrication d'une lettre le désignant comme l’instrument du {{guillemets|syndicat juif}} voulant faire évader Dreyfus, truquage du {{guillemets|petit bleu}} pour faire croire que Picquart a effacé le nom du réel destinataire, rédaction d'un courrier nommant Dreyfus en toutes lettres).
 
À la dernière minute, à l'initiative du général Mercier, un projet de loi est transmis au conseil des ministres, rétablissant les [[îles du Salut]] en Guyane comme lieu de déportation en enceinte fortifiée, afin que Dreyfus ne soit pas envoyé à [[Presqu'île de Ducos|Ducos]], en [[Nouvelle-Calédonie]]<ref name="Oriol">[[Philippe Oriol]], [https://books.google.fr/books?id=1lgrM_E7lrAC&pg=PT171&lpg=PT171&dq=dreyfus+%22iles+du+salut%22+ducos&source=bl&ots=yFqnqY8WPY&sig=tgvyy97rRwtwQmBUII_dgJODgk4&hl=fr&sa=X&ei=uS4jUuz7GMGh0QWzroDoCg&ved=0CEYQ6AEwBA#v=onepage&q=dreyfus%20%22iles%20du%20salut%22%20ducos&f=false ''L'Histoire de l'Affaire Dreyfus T.1 : L'affaire du capitaine Dreyfus, 1894-1897''], [[éditions Stock]], 10 septembre 2008, 408 pages.</ref>. En effet, lors de la déportation de l'adjudant Lucien Châtelain, condamné pour intelligence avec l'ennemi en 1888, notamment, les conditions de détentions à Ducos étaient apparues trop douces, lui ayant notamment permis de tenter une évasion<ref>{{Article |langue=fr |auteur1= |titre=L'adjudant Châtelain |périodique=L'Express du Midi |date=28 décembre 1894 |pages= |lire en ligne=https://rosalis.bibliotheque.toulouse.fr/ark:/12148/bpt6k5357358h/f1.image.r=Chatelain |consulté le=19 juin 2024 }}.</ref>. [[Émile Chautemps]], nouveau [[ministre des Colonies]] depuis le {{date-|31 janvier 1895}}, demande peu de jours après sa nomination que le projet soit porté devant la [[Chambre des députés (Troisième République)|Chambre]]. Le {{date-|8 février}}, sachant par avance que la loi sera votée, il écrit au [[Liste des gouverneurs de Guyane|gouverneur de la Guyane]], [[Camille Charvein]], pour faire part des inquiétudes du gouvernement, et des instructions que le gouverneur aura à appliquer lorsque Dreyfus sera sous sa responsabilité. Le {{date-|9 février}}, le projet de loi est adopté par la Chambre, sans débat<ref name="Oriol" />.
Parallèlement aux investigations du colonel Picquart, les défenseurs de Dreyfus sont informés de l'identité de l'écriture du {{guillemets|bordereau}} avec celle d'Esterházy en novembre [[1897]]. Mathieu Dreyfus avait fait afficher la reproduction du bordereau, publiée par ''[[Le Figaro]]''. Un banquier, Castro, identifie formellement cette écriture comme celle du commandant Esterházy, son débiteur et prévient Mathieu. Le [[11 novembre]] [[1897]], les deux pistes se rejoignent, à l'occasion d'une rencontre entre Scheurer-Kestner et Mathieu Dreyfus. Ce dernier obtient enfin la confirmation du fait qu'Esterházy est bien l'auteur du bordereau. Le [[15 novembre]], sur ces bases, Mathieu Dreyfus porte plainte auprès du ministère de la Guerre contre Esterházy<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 200</ref>. La polémique étant publique, l'armée n'a plus d'autre choix que d'ouvrir une enquête. Fin [[1897]], Picquart, revenu à Paris, fait connaître publiquement ses doutes sur la culpabilité de Dreyfus, du fait de ses découvertes. La collusion destinée à éliminer Picquart semble avoir échoué<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], p. 475</ref>. La contestation est très forte et vire à l'affrontement.
Afin de discréditer Picquart, Esterházy envoie sans effet des lettres de plainte au Président de la République<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'' Tome 2] p. 603 et 644</ref>.
 
Le 21 février, Dreyfus embarque sur le vaisseau ''Ville-de-Saint-Nazaire''. Le lendemain, le navire fait cap vers la [[Guyane]].
[[Image:Emile Zola.jpg|thumb|Émile Zola en 1898]]
Le mouvement dit ''dreyfusard'', animé par Bernard Lazare, Mathieu Dreyfus, Joseph Reinach et Auguste Scheurer-Kestner s'élargit<ref>Pour tout ce paragraphe, hors précisions complémentaires : Winock, ''Le Siècle des intellectuels'', pp. 11-19.</ref>. [[Émile Zola]], informé mi-novembre 1897 par Scheurer-Kestner du dossier, est convaincu de l'innocence de Dreyfus et s'engage officiellement<ref>Il était déjà intervenu dans ''Le Figaro'' en mai [[1896]], dans l'article {{guillemets|Pour les juifs}}</ref>. Le [[25 novembre]], le romancier publie ''M. Scheurer-Kestner'' dans ''[[Le Figaro]]'', premier article d'une série qui en compte trois<ref>Suivi du ''Syndicat'' le 1{{er}} décembre et de ''Procès-verbal'' le 5 décembre.</ref>. Devant les menaces de désabonnements massifs de ses lecteurs, le directeur du journal cesse de soutenir Zola<ref>Zola, ''Combat pour Dreyfus'', p. 44</ref>. De proches en proches, début décembre 1897 les écrivains [[Anatole France]] et [[Paul Bourget]], l'universitaire [[Lucien Lévy-Bruhl]], le bibliothécaire de l'École normale supérieure [[Lucien Herr]] qui convainc [[Léon Blum]] et [[Jean Jaurès]], les auteurs de ''[[La Revue blanche]]''<ref>Alors au cœur de l'avant-garde artistique, publiant [[Marcel Proust]], [[Saint-Pol-Roux]], [[Jules Renard]], [[Charles Péguy]], etc.</ref>, dont Lazare connaît bien le directeur [[Thadée Natanson]], les frères Clemenceau [[Albert Clemenceau|Albert]] et [[Georges Clemenceau|Georges]] s'investissent dans le combat pour la révision du procès. Blum tente fin novembre de faire signer à son ami [[Maurice Barrès]] une pétition demandant la révision du procès, mais ce dernier refuse, rompt avec Zola et Blum début décembre, et commence à populariser le terme d' « [[intellectuel]]s »<ref>Le concept naît avec un sens profondément péjoratif, afin de dénoncer, comme l'écrit [[Ferdinand Brunetière]], {{guillemets|la prétention de hausser les écrivains, les savants, les professeurs, les philologues, au rang des surhommes}}. [[Michel Winock]], ''Le Siècle des intellectuels'', p. 29</ref>. Cette première rupture est le prélude à une division des élites cultivées, après le 13 janvier.
 
Le 12 mars, après une traversée pénible de quinze jours, le navire mouille au large des [[îles du Salut]]. Dreyfus reste un mois au bagne de l'[[Île Royale (Guyane)|île Royale]], puis il est transféré à l'[[île du Diable]] le 14 avril. Avec ses gardiens, il est le seul habitant de l'île, logeant dans une case de pierre de quatre mètres sur quatre<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}125.</ref>. Hanté par le risque de l'évasion, le commandant du bagne fait vivre un enfer au condamné alors que les conditions de vie sont déjà très pénibles : la température atteint {{unité|45|°C}}, il est sous-alimenté ou nourri de denrées frelatées, pratiquement pas soigné de ses nombreuses maladies tropicales. Dreyfus tombe malade, secoué par les fièvres qui s'aggravent d'année en année<ref>Alfred Dreyfus, ''Cinq années de ma vie''.</ref>.
Si l'Affaire Dreyfus occupe de plus en plus les discussions, le monde politique ne le reconnaît toujours pas, et [[Jules Méline]] déclare en ouverture de séance de l'Assemblée Nationale, le 7 décembre : {{guillemets| il n'y a pas d'affaire Dreyfus. Il n'y a pas en ce moment et il ne peut pas y avoir d'affaire Dreyfus<ref>[http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Dreyfus/dreyfus_chambredesdeputes_s%C3%A9ance_4decembre1897.asp Extraits de la séance du 4 décembre 1897], sur le site de l'Assemblée nationale.</ref>.}}
 
Dreyfus est autorisé à écrire sur un papier numéroté et paraphé. Ce qu'il écrit subit la censure du commandement, comme les courriers échangés avec sa femme [[Lucie Dreyfus|Lucie]], par lesquels ils s'encouragent mutuellement. Le {{date-|6|septembre|1896}}, les conditions de vie d'Alfred Dreyfus s'aggravent encore : il est mis à ''la double boucle'', supplice obligeant le forçat à rester sur son lit, immobile, les chevilles entravées. Cette mesure est la conséquence de la fausse information de son évasion, lancée par un journal anglais. Pendant deux longs mois, elle plonge Dreyfus dans un profond désespoir. À ce moment, il est persuadé que sa vie s'achèvera sur cette île lointaine<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}132.</ref>.
===Procès et acquittement du traître===
[[Image:Clemenceau - Manet.jpg|left|thumb|200px|Portrait de Georges Clemenceau par le peintre Edouard Manet]]
Le général de Pellieux est chargé d'effectuer une enquête. Celle-ci tourne court, l'enquêteur étant adroitement manipulé par l'État-major. Le vrai coupable, lui dit-on, est le lieutenant-colonel Picquart<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 207</ref>. L'enquête s'achemine vers un non-lieu, quand l'ex-maîtresse d'Esterházy, {{Mme}} de Boulancy, fait publier dans ''Le Figaro'' des lettres dans lesquelles il exprimait violemment, une dizaine d'années plus tôt, toute sa haine de la France et son mépris de l'Armée française. La presse militariste vole au secours du traître au travers d'une campagne antisémite sans précédent. La presse dreyfusarde réplique, forte des nouveaux éléments en sa possession. [[Georges Clemenceau]], dans le journal [[L'Aurore (journal)|''L’Aurore'']], se demande :
{{Citation bloc|Qui protège le commandant Esterházy ? La loi s'arrête, impuissante devant cet aspirant prussien déguisé en officier français. Pourquoi ? Qui donc tremble devant Esterházy ? Quel pouvoir occulte, quelles raisons inavouables s'opposent à l'action de la justice ? Qui lui barre le chemin ? Pourquoi Esterházy, personnage dépravé à la moralité plus que douteuse, est-il protégé alors que tout l’accuse ? Pourquoi un honnête soldat comme le lieutenant-colonel Picquart est-il discrédité, accablé, déshonoré ? S'il le faut nous le dirons !}}
 
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Bien que protégé par l'État-major et donc par le gouvernement, Esterházy, est obligé d’avouer la paternité des lettres francophobes publiées par ''Le Figaro''. Ceci décide le bureau de l’État-major à agir : une solution pour faire cesser les questions, les doutes et les débuts de demande de justification doit être trouvée. L'idée est d'exiger d'Esterházy qu'il demande lui-même à passer en jugement et être acquitté afin de faire cesser les bruits et de permettre le retour de l'ordre. C'est donc pour le disculper définitivement, selon la vieille règle {{guillemets|''Res judicata pro veritate habetur''}}<ref>La chose jugée est tenue pour véridique.</ref>, qu'Esterházy est présenté le [[10 janvier]] [[1898]] devant un Conseil de guerre. Le huis clos {{guillemets|retardé}}<ref>La salle est vidée dès que les débats abordent des sujets touchant à la défense nationale, c'est-à-dire le témoignage de Picquart.</ref> est prononcé. Esterházy est prévenu des sujets du lendemain avec des indications sur la ligne de défense à tenir. Le procès est peu régulier : les constitutions de parties civiles demandées par Mathieu et Lucie Dreyfus<ref>Appelée à la barre, le président Delegorgue refuse de l'interroger.</ref> leur sont refusées, les trois experts en écritures ne reconnaissent pas l'écriture d'Esterházy dans le bordereau et concluent à la contrefaçon<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], T2 p. 244</ref>. L'accusé lui-même est applaudi, les témoins à charge, hués et conspués, Pellieux intervenant pour défendre l'État-major sans qualité légale<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 39</ref>. Le véritable accusé est le colonel Picquart, sali par tous les protagonistes militaires de l'Affaire<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], T2 p. 245 </ref>. Esterházy, est acquitté à l'unanimité dès le lendemain, après trois minutes de délibéré<ref name="Bredin227">[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 227</ref>. Sous les vivats, il a du mal à se frayer un chemin vers la sortie où l'attendent {{formatnum:1500}} personnes.
Hutte von Dreyfus.jpg|<center>La case de Dreyfus sur l'[[île du Diable]] en Guyane.</center>
Dreyfus-in-Prison-1895.jpg|<center>Une du [[Le Petit Journal (quotidien)|''Petit Journal'']] ({{date-|20|janvier|1895}}).</center>
Dreyfus Ile du diable 96.jpg|<center>Une du ''Petit Journal'' ({{date-|27|septembre|1896}}).</center>
Alfred Dreyfus in captivity on Devil's Island 1898.jpg|<center>Photographie de Dreyfus à l'île du Diable, 1898.</center>
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== La vérité en marche (1895-1897) ==
[[Image:L Agitation-Antisemite.jpg|right|thumb|230px|Émeutes antisémites dans une gravure du ''Petit Parisien''.]]
=== La famille Dreyfus découvre l'affaire et agit ===
Par erreur, un innocent a été condamné, mais par ordre, le coupable est acquitté. Pour beaucoup de républicains modérés, c'est une atteinte insupportable aux valeurs fondamentales qu'ils défendent. L'acquittement d'Esterházy amène donc un changement de la stratégie dreyfusarde. Au libéralisme respectueux de Scheurer-Kestner et Reinach, succède une action plus combative et contestataire<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 40</ref>. En réaction à l'acquittement, d'importantes et violentes émeutes antidreyfusardes et antisémites ont lieu dans toute la France. On attente aux biens et aux personnes.
[[Fichier:Dreyfus, Mathieu (La Vie illustrée).jpg|vignette|gauche|Mathieu Dreyfus, vers 1898.]]
[[Mathieu Dreyfus]], le frère aîné d'Alfred Dreyfus, est convaincu de l'innocence du condamné. Il est le premier artisan de la réhabilitation de son frère, et passe tout son temps, toute son énergie et sa fortune à rassembler autour de lui un mouvement de plus en plus puissant en vue de la révision du procès de {{date-|décembre 1894}}, malgré les difficultés de la tâche<ref>Lire à cet égard les mémoires de Mathieu Dreyfus, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], restés inédits jusqu'en 1978, sauf quelques extraits.</ref> : {{Citation|Après la dégradation, le vide se fit autour de nous. Il nous semblait que nous n'étions plus des êtres comme les autres, que nous étions comme retranchés du monde des vivants<ref>Mathieu Dreyfus, ''L'Affaire telle que je l'ai vécue'', Fayard, {{p.|47}}.</ref>.}}
 
Mathieu essaie toutes les pistes, y compris les plus étonnantes. Ainsi, grâce au [[Joseph Gibert (médecin)|docteur Gibert]], ami du président [[Félix Faure]], il rencontre au [[Le Havre|Havre]] une femme qui, sous [[hypnose]], lui parle pour la première fois d'un « dossier secret »<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|117}}.</ref>{{,}}<ref>[[Mathieu Dreyfus]], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k21872p ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''] {{p.|48}} et s.</ref>. Le fait est confirmé par le président de la République au docteur Gibert dans une conversation privée.
Fort de sa victoire, l’État-major arrête le lieutenant-colonel Picquart sous l'accusation de violation du secret professionnel, suite à la divulgation de son enquête à son avocat qui l'aurait révélée au sénateur Scheurer-Kestner. Le colonel, bien qu'il soit mis aux arrêts au [[Mont-Valérien]], n'abdique pas et s'engage de plus en plus dans l'Affaire. À Mathieu qui le remercie, il réplique sèchement qu'il ne {{guillemets|fait que son devoir}}<ref name="Bredin227" />. Le commandant Esterházy, est mis rapidement à la réforme, et devant les risques qui pèsent à son égard, s'exile en Angleterre où il termine ses jours confortablement dans les [[années 1920]]<ref>[[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], Thomas, entrée Esterházy en Angleterre</ref>. Esterházy a bénéficié, au moment de {{guillemets|L'Affaire}}, d'un traitement de faveur de la part des hautes sphères de l'Armée qui s'explique assez mal, sinon par le désir de l'État-major de vouloir étouffer toute velléité de remise en cause du verdict du Conseil de guerre qui avait condamné le capitaine Dreyfus en [[1894]].
 
Petit à petit, malgré les menaces d'arrestation pour complicité, les filatures, les pièges tendus par les militaires<ref>Mathieu Dreyfus, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k21872p ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], {{p.|54}} et s.</ref>, il réussit à convaincre divers modérés. Ainsi, le journaliste [[anarchie|libertaire]] [[Bernard Lazare]] se penche sur les zones d'ombre de la procédure. En [[1896]], Lazare publie à [[Bruxelles]] le premier opuscule dreyfusard<ref>Lazare, ''Une erreur judiciaire. La vérité sur l'Affaire Dreyfus'', Bruxelles, novembre 1896.</ref>. Cette publication n'a que peu d'influence sur le monde politique et intellectuel, mais elle contient tant de détails que l'état-major suspecte le nouveau chef du SR, Picquart, d'en être responsable.
==L'affaire explose en 1898==
===J'accuse : l'affaire Dreyfus devient l'Affaire===
[[Image:J accuse.jpg|thumb|left|À la une de ''[[L'Aurore (journal)|L'Aurore]]'', {{guillemets|[[J'accuse]] }} d'[[Émile Zola]]]]
{{loupe|J'accuse}}
Zola donne le [[13 janvier]] [[1898]] une nouvelle dimension à l'affaire Dreyfus, qui devient l'Affaire. Premier grand intellectuel dreyfusard, il est alors au sommet de sa gloire : les vingt volumes des [[Rougon-Macquart]] ont été diffusés dans des dizaines de pays. C'est une sommité du monde littéraire, et en a pleinement conscience. Au général de Pellieux, il affirme pendant son procès :
 
[[Bernard Lazare]], a lors de cette affaire {{citation|déployé pour l’une des [[Histoire du journalisme d'investigation#Affaire Dreyfus|premières fois en France une forme de journalisme d’investigation]]}}<ref name=charron/>, qui a eu pour fonction de {{citation|dénoncer les mensonges officiels, en donnant à connaître au public des faits et des documents, cachés, jusque-là, à sa connaissance}}, selon le sociologue des médias [[Jean-Marie Charon]]<ref name=charron>{{Article|auteur1=[[Jean-Marie Charon]]|titre=Le journalisme d'investigation et la recherche d'une nouvelle légitimité|périodique=[[Hermès (revue)|Hermès]] |lieu=Paris |éditeur=[[CNRS Éditions]] |numéro=35 |titre numéro=Les journalistes ont-ils encore du pouvoir ? |année=2003 |lire en ligne= https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2003-1-page-137.htm |pages=137-144}}.</ref>.
{{Citation bloc|Je demande au général de Pellieux s'il n'y a pas différentes façons de servir la France ? On peut la servir par l'épée ou par la plume. M. le général de Pellieux a sans doute gagné de grandes victoires ! J'ai gagné les miennes. Par mes œuvres, la langue française a été portée dans le monde entier. J'ai mes victoires ! Je lègue à la postérité le nom du général de Pellieux et celui d'Émile Zola : elle choisira<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w Procès Zola, T1] p. 268</ref> !}}
 
La campagne en faveur de la révision, relayée petit à petit dans la presse de gauche [[Antimilitarisme|antimilitariste]]<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], {{p.|82}}.</ref>, déclenche en retour une vague d'antisémitisme très violente dans l'opinion. La France reste alors très majoritairement antidreyfusarde. Le [[Hubert Henry|commandant Henry]], à la Section de statistiques, est de son côté conscient de la fragilité du dossier d'accusation. À la demande de sa hiérarchie, le [[Raoul Le Mouton de Boisdeffre|général de Boisdeffre]], chef d'état-major général, et le [[Charles-Arthur Gonse|général Gonse]], il est chargé de faire grossir le dossier afin d'éviter toute tentative de révision. Incapable de trouver la moindre preuve, il décide d'en fabriquer une ''a posteriori''.
Scandalisé par l'acquittement d'Esterházy, Zola décide de frapper un coup. Il publie en première page de ''[[L'Aurore (journal)|L'Aurore]]'', un article de {{formatnum:4500}} mots sur six colonnes à la une, en forme de lettre ouverte au [[Liste des présidents de France|président]] [[Félix Faure]]. Clemenceau trouve le titre : {{guillemets|[[J'accuse]] }}. Vendu habituellement à trente mille exemplaires, le journal diffuse ce jour là près de trois cent mille copies. Cet article fait l'effet d'une bombe. Le papier est une attaque directe, explicite et nominale. Tout ceux qui ont comploté contre Dreyfus sont dénoncés, y compris le ministre de la Guerre, l'État-major. L'article comporte de nombreuses erreurs, majorant ou minorant les rôles de tel ou tel acteur <ref>Le rôle du général Mercier est ainsi fortement sous-estimé</ref>, mais Zola n'a pas prétendu faire œuvre d'historien<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 234</ref>.
 
=== La découverte du vrai coupable par Picquart, qui « passe à l'ennemi » ===
{{guillemets|J'accuse}} apporte pour la première fois la réunion de toutes les données existantes sur l'Affaire<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 42</ref>. Le but de Zola est de s'exposer volontairement afin de forcer les autorités à le traduire en justice. Son procès servirait d'occasion pour un nouvel examen public des cas Dreyfus et Esterházy. Il va ici à l'encontre de la stratégie de Scheurer-Kestner et Lazare, qui prônaient la patience et la réflexion<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 236</ref>. Devant le succès national et international de ce coup d'éclat, le procès est inévitable. À partir de ce moment critique, l'Affaire suit deux voies parallèles. D'une part, l'État utilise son appareil pour imposer la limitation du procès à une simple affaire de diffamation, afin de le dissocier des cas Dreyfus et Esterházy, déjà jugés. D'autre part, les conflits d'opinion tentent de peser sur les juges ou le gouvernement, pour obtenir les uns la révision et les autres la condamnation de Zola. Mais l'objectif du romancier est atteint : l'ouverture d'un débat public aux assises.
[[Fichier:Picquart 2.jpg|vignette|gauche|Le lieutenant-colonel [[Marie-Georges Picquart|Georges Picquart]] en tenue d'officier du {{4e|régiment}} de tirailleurs algériens.]]
Le vrai coupable de la trahison est découvert par hasard de deux manières distinctes ; par Mathieu Dreyfus d'une part, en recueillant la dénonciation du banquier [[Jacques de Castro]], et par le Service de Renseignements militaire (SR) d'autre part, à la suite d'une enquête. Le colonel Sandherr étant tombé malade, le lieutenant-colonel [[Marie-Georges Picquart|Georges Picquart]] est affecté à la tête du SR en {{date|juillet 1895}}. En {{date||mars|1896}}, Picquart, qui avait suivi l'affaire Dreyfus dès son origine{{note|groupe=n|C'est lui qui avait reçu le capitaine le matin du 15 octobre 1894, lors de la scène de la dictée.}}, exige désormais de recevoir directement les documents recueillis par M<sup>me</sup> Bastian à l'[[Ambassade d'Allemagne en France|ambassade d'Allemagne]], sans intermédiaire<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|140}}.</ref>. Il y découvre un document surnommé le « petit bleu » : une carte télégramme ni datée ni signée destinée à être envoyée via le [[Poste pneumatique de Paris|réseau pneumatique de Paris]], jamais envoyée, écrite par von Schwartzkoppen et interceptée à l'ambassade d'Allemagne début {{date-|mars 1896}}<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.|276}}.</ref>. Celle-ci est adressée à un officier français, le commandant [[Ferdinand Walsin Esterhazy]], 27 [[rue de la Bienfaisance (Paris)|rue de la Bienfaisance]], Paris<ref>Sur la personnalité et la vie de Walsin Esterhazy, lire Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'' Tome 2], chapitre {{1er}} et toute la première partie de [[#Thomas|''L'Affaire sans Dreyfus'' de Marcel Thomas]].</ref>. Par ailleurs, une autre lettre au crayon noir de von Schwartzkoppen démontre cette relation d'espionnage avec Esterhazy<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|142}}. C'est Marcel Thomas qui a découvert cette lettre au début des années 1970. V. les annexes in [[#Thomas|''L'Affaire sans Dreyfus'']].</ref>.
 
Mis en présence de lettres de cet officier, Picquart s'aperçoit avec stupéfaction que son écriture est exactement la même que celle du « bordereau » qui a servi à incriminer Dreyfus. Il se procure le « dossier secret » remis aux juges en 1894, et devant sa vacuité, acquiert la certitude de l'innocence de Dreyfus.
Le 15 janvier, ''[[Le Temps (quotidien français)|Le Temps]]'' publie une pétition réclamant la révision du procès<ref>Sauf compléments, pour ce paragraphe : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], pp. 29-31.</ref>. Y figurent les noms d'[[Émile Zola]], [[Anatole France]], [[Émile Duclaux]], le directeur de l'Institut pasteur, [[Daniel Halévy]], [[Fernand Gregh]], [[Félix Fénéon]], [[Marcel Proust]], [[Lucien Herr]], [[Charles Andler]], [[Victor Bérard]], [[François Simiand]], [[Georges Sorel]], puis le peintre [[Claude Monet]], l'écrivain [[Jules Renard]], le philosophe [[Émile Durkheim]], l'historien [[Gabriel Monod]], etc. Dans ''L'Aurore'' du 23 janvier, Clemenceau, au nom d'une {{guillemets|pacifique révolte de l'esprit français}}, reprend positivement le terme d'{{guillemets|intellectuels}}. Le 1{{er}} février, Barrès fustige ceux-ci dans le ''Journal''. L'anti-intellectualisme devient un thème majeur des intellectuels de droite, qui reprochent aux ''dreyfusards'' de réfléchir au-delà des intérêts de la nation, argument qui se retrouve tout au long des années qui suivent, et qui constitue le fond du débat public : la préférence entre Justice et Vérité ou défense de la nation, préservation sociale et raison supérieur de l'État<ref>[[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], p. 35</ref>. Cette mobilisation des intellectuels ne se double pas dans un premier temps de celle de la gauche politique : le 19 janvier, les députés socialistes prennent leurs distances face aux {{guillemets|deux factions bourgeoises rivales}}.
 
{{double image|right|Ferdinand Walsin Esterhazy en uniforme du 74e d'infanterie.png|140|Esterhazy - carte postale italienne (vers 1898-1899).png|310|[[Ferdinand Walsin Esterhazy|Esterhazy]] en uniforme du [[74e régiment d'infanterie|{{74e|d'infanterie}}]] (photographie anonyme) et caricaturé aux bras de deux élégantes « [[Cocotte (prostituée)|cocottes]] » (carte postale italienne dreyfusarde, vers 1898).}}
===Les procès Zola===
[[Image:Zola Anthropo.jpg|thumb|left|220px|Photographie anthropomorphique d'[[Émile Zola]] au moment de ses procès]]
[[Image:Zola sortie.jpg|thumb|300px|''Zola aux outrages'', huile sur toile de Henry de Groux, 1898]]
Le général [[Jean-Baptiste Billot|Billot]], ministre de la Guerre, porte plainte contre Zola et Alexandre Perrenx, le gérant de ''L'Aurore'', qui passent devant les [[Cour d'assises (France)|Assises]] de la Seine du [[7 février|7]] au [[23 février]] [[1898]]. La diffamation envers une autorité publique est alors passible des Assises, alors que l'injure publique proférée par la presse nationaliste et antisémite n'amène que très peu de poursuites, et surtout quasiment aucune condamnation. Le ministre ne retient que trois passages de l'article <ref>[[#MiquelQS|Miquel, Que sais-je, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 45</ref>, soit dix-huit lignes sur plusieurs centaines. Il est reproché à Zola d'avoir écrit que le Conseil de guerre avait commis une {{guillemets|illégalité [...] par ordre}}<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Pagès p. 143.</ref>. Le procès s’ouvre dans une ambiance de grande violence : Zola fait l'objet {{guillemets|des attaques les plus ignominieuses}}<ref>Il est traité d'italien, d'émigré et d'apatride.</ref>, tout comme d'importants soutiens et félicitations<ref>Le 2 février, [[Octave Mirbeau]], [[Laurent Tailhade]], [[Pierre Quillard]] et [[Georges Courteline]], entre autres, signent dans ''L'Autore'' une {{guillemets|Adresse à Émile Zola}} l'assurant de leur soutien {{guillemets|au nom de la Justice et de la Vérité}}.</ref>
 
Très ému par sa découverte, Picquart diligente une enquête en secret, sans l'accord de ses supérieurs<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|144}}. Ce qui permet à l'État-Major de contester ouvertement la qualité de la preuve et de s'en prendre à Picquart pour le discréditer.</ref>. Elle démontre qu'Esterhazy avait connaissance des éléments décrits par le « bordereau » et qu'il était bien en contact avec l'ambassade d'Allemagne<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.|56}}.</ref>. Il est établi que l'officier vendait aux Prussiens de nombreux documents secrets dont la valeur était cependant assez faible<ref>Au point que von Schwartzkoppen cesse ses relations avec Esterhazy dès le début 1896. [[#Thomas|Thomas, ''L'affaire sans Dreyfus'']], {{p.|145}}.</ref>.
[[Fernand Labori]], l’avocat de Zola, fait citer environ deux cents témoins. La réalité de l'Affaire Dreyfus, inconnue du grand public, est diffusée dans la presse. Plusieurs journaux<ref>''Le Siècle'' et ''L'Aurore'' entre autres.</ref> publient les notes [[sténographie|sténographiques]] ''in extenso'' des débats au jour le jour, ce qui édifie la population. Celles-ci constituent pour les dreyfusards un outil primordial pour les débats postérieurs. Cependant, les nationalistes, derrière [[Henri Rochefort]], sont alors les plus visibles et organisent des émeutes, forçant le préfet de police à intervenir afin de protéger les sorties de Zola<ref>Qui se font par une porte latérale du Quai des Orfèvres. [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], p. 36</ref> à chaque audience<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 44</ref>.
 
[[Ferdinand Walsin Esterhazy]] est un ancien membre du contre-espionnage français<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 2], {{p.}}26.</ref>, où il avait servi après la Guerre de 1870. Il avait travaillé dans le même bureau que le [[Hubert Henry|commandant Henry]] de 1877 à 1880<ref>Ce qui pose la question de savoir s'il n'y a pas eu complicité entre les deux hommes. [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}144 et [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']] {{p.}}231, sont sceptiques.</ref>. Homme à la personnalité trouble, à la réputation sulfureuse<ref>Lire [[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], Chap. 1, « Le roman d'un tricheur ».</ref>, criblé de dettes, il est pour Picquart le traître probable animé par un mobile certain : l'argent. Picquart communique alors les résultats de son enquête à l'état-major, qui lui oppose « l'autorité de la chose jugée ». Désormais, tout est fait pour l'évincer de son poste, avec l'aide de son propre adjoint, le commandant Henry. Il s'agit avant tout, dans les hautes sphères de l'Armée, de ne pas admettre que la condamnation de Dreyfus puisse être une grave erreur judiciaire. Pour les ministres, Mercier puis [[Émile Zurlinden|Zurlinden]], et pour l'état-major, ce qui est fait est fait, on ne revient jamais en arrière<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.|24}} et s.</ref>. Il convient alors de séparer les affaires Dreyfus et Esterhazy.
Ce procès est aussi le lieu d'une véritable bataille juridique, dans laquelle les droits de la défense sont sans cesse bafoués<ref>Repiquet, bâtonnier de l'ordre, ''in Edgar Demange et Fernand Labori'', [[#Cassation|Cour de cassation]], p. 273 et s.</ref>. De nombreux observateurs prennent conscience de la collusion entre le monde politique et les militaires. À l'évidence, la Cour a reçu des instructions pour que la substance même de l'erreur judiciaire ne soit pas évoquée.
Le président Delegorgue prétextant l'allongement de durée des audiences, jongle sans cesse avec le droit pour que le procès ne traite que de la diffamation reprochée à Zola. Sa phrase {{guillemets|la question ne sera pas posée}}, répétée des dizaines de fois<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w Voir l'intégralité des débats de 1898]</ref>, devient célèbre.
 
=== La dénonciation de Walsin Esterhazy et les progrès du dreyfusisme ===
{{Boîte déroulante|titre=Exemple d'un échange entre Fernand Labori, avocat de la défense et le président de la Cour d'assise Delegorgue|contenu=
La presse nationaliste lance une violente campagne contre le noyau dur naissant des dreyfusards. En contre-attaquant, l'état-major se découvre et révèle des informations, ignorées jusque-là, sur le « dossier secret »<ref>v. articles de ''L'Éclair'' des 10 et {{date|14 septembre 1896}}, hostiles à Dreyfus, mai révélant l'existence du « dossier secret ». [[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|163}}.</ref>. Le doute commence à s'installer et des figures des milieux artistiques et politiques s'interrogent{{note|groupe=n|[[Paul de Cassagnac|Cassagnac]], pourtant antisémite, fait paraître un article intitulé ''Le Doute'', mi-septembre 1896.}}. Picquart tente de convaincre ses chefs de réagir en faveur de Dreyfus, mais l'état-major semble sourd. Une enquête est instruite contre lui, il est surveillé, éloigné dans l'Est, puis muté en [[Tunisie]] {{Citation|dans l'intérêt du service}}<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|167}}.</ref>.
 
[[Fichier:Hubert-Joseph Henry.jpg|vignette|Le commandant [[Hubert Henry|Henry]].]]
{{Citation bloc|Me Labori. - Je vous demande pardon, monsieur le Président, d'intervenir, mais il serait intéressant d'entendre MM. Couard, Belhomme et Varinard.<br>
M. Le président. - Non, non ; j'ai dit ...<br>
Me Labori. - Mais j'ai une question à poser.<br>
M. Le président. - Vous ne la poserez pas.<br>
Me Labori. - J'insiste, monsieur le Président.<br>
M. Le président. - Je vous dis que vous ne la poserez pas.<br>
Me Labori. - Oh ! Monsieur le Président ! Il est intéressant...<br>
M. Le président. - C'est inutile de crier si fort.<br>
Me Labori. - Je crie parce que j'ai besoin de me faire entendre.<br>
M. Le président. - La question ne sera pas posée.<br>
Me Labori. - Permettez, vous dites cela ; mais je dis que je veux la poser.<br>
M. Le président. - Eh bien ! Je dis que non, et c'est une affaire entendue ! Le Président doit écarter du débat tout ce qui peut allonger les débats sans aucune utilité ; c'est mon droit de le faire.<br>
Me Labori. - Vous ne connaissez pas la question ; vous ne savez pas quelle est la question.<br>
M. Le président. - Je sais parfaitement ce que vous allez demander.<br>
Me Labori. - Eh bien, je dépose des conclusions pour avoir un arrêt de la Cour sur ce point. <br>
M. Le président. - Toutes les conclusions que vous voudrez.<br>
Me Labori. - Si vous croyez que cela va raccourcir les débats, vous vous trompez.<br>
M. Le président. - Eh bien nous statuerons sur les conclusions pendant la suspension d'audience.<br>
(''À l'huissier audiencier'') Un autre témoin.<br>
(''M. Auguste Molinier se présente à la barre et prête serment.'')<br>
M. Le président ''au greffier''. - Le témoin est-il cité régulièrement ?<br>
M. le greffier. - Oui monsieur le Président.<br>
M. Le président. - Quelle est la question Maître Labori ?<br>
Me Labori. - Je vous demande pardon, je rédige des conclusions, et je considère qu'il est absolument indispensable que la déposition de M. Paul Meyer et les incidents qu'elle comporte comme discussions soient finis avant la déposition du nouveau témoin. <br>
Je n'ai besoin que de deux minutes ; je demande respectueusement que vous me les accordiez et j'interrogerai ensuite le témoin.<br>
M. Le président. - Mais le témoin vient de prêter serment ; il faut absolument qu'on l'interroge maintenant.<br>
Me Clemenceau. - C'est une question de deux minutes.<br>
M. Le président. - Mais posez donc votre question dès maintenant ; c'est inutile de perdre notre temps.<br>
Me Labori. - Je crois que l'audition de MM. Couard, Belhomme et Varinard est indispensable à la manifestation de la vérité et je tiens à ce que le refus de l'ordonner soit constaté avant que le témoin dépose : je considère cela comme indispensable au point de vue de la défense. <br>
(''M. le Président feuillette le Code d'instruction criminelle.'')<br>
M. Le président à M. A. Molinier. - Monsieur, voulez-vous vous retirer s'il vous plaît .<br>
(''À l'huissier audiencier.'') Voulez-vous faire retirer le témoin, s'il vous plaît.<br>
(''Me Labori rédige ses conclusions.'')<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w Procès Zola] p. 503-505</ref>.}}}}
 
C'est le moment que choisit le commandant [[Hubert Henry|Henry]] pour passer à l'action. Le {{date|1|novembre|1896}}, il fabrique un faux, le « faux Henry »{{note|groupe=n|Autrement appelé « faux patriotique » par les antidreyfusards.}}, en conservant l'entête et la signature{{note|groupe=n|Alexandrine, signature usuelle de Panizzardi.}} d'une lettre quelconque de [[Télégramme de Panizzardi|Panizzardi]]{{note|groupe=n|Le {{date-|2 novembre 1894}}, un télégramme de Panizzardi au général Marselli est intercepté et déchiffré : « ''{{langue|it|Se capitano dreyfus non ha avuto relazione costa sarebbe conveniente incaricare ambasciatore smentire ufficialmente evitare commenti stampa}}'' » (« Si le capitaine Dreyfus n'a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de faire publier par l'ambassadeur un démenti officiel pour éviter les commentaires de la presse »). Le télégramme tend donc au contraire à disculper Dreyfus<ref>« Le télégramme de Panizzardi et l'affaire Dreyfus », sur ''www.bibmath.net'', [https://www.bibmath.net/crypto/index.php?action=affiche&quoi=ancienne/dreyfus lire en ligne], consulté le 15 novembre 2021).</ref>.}}, en rédigeant lui-même le texte central :
Zola est condamné à un an de prison et à {{formatnum:3000}} francs d'amende<ref>[[Octave Mirbeau]] qui paie de sa poche les {{formatnum:7525}} francs, représentant le montant de l'amende et des frais de justice, le [[8 août]] [[1898]].</ref>, la peine maximale. Cette dureté est imputable à l'atmosphère de violence entourant le procès : {{guillemets|La surexcitation de l'auditoire, l'exaspération de la foule massée devant le palais de Justice étaient si violentes qu'on pouvait redouter les excès les plus graves si le jury avait acquitté M. Zola.<ref>Selon les souvenirs de l'antidreyfusard [[Arthur Meyer]], ''Ce que mes yeux ont vu'', [[Plon]], 1912, p. 149.</ref>}} Cependant, le procès Zola est plutôt une victoire pour les dreyfusards<ref>À partir de cette phrase et jusqu’à la fin du paragraphe suivant : Winock, ''Le Siècle des intellectuels'', pp. 39-41.</ref>. En effet, l’Affaire et ses contradictions ont pu être largement évoquées tout au long du procès, en particulier par des militaires. De plus, la violence des attaques contre Zola, et l'injustice de sa condamnation renforcent l'engagement des dreyfusards : [[Stéphane Mallarmé]] se déclare {{guillemets|pénétré par la sublimité de [l']Acte [de Zola]<ref>F. Brown, ''Zola, une vie'', Belfond, 1996, p. 779.</ref>}} et [[Jules Renard]] écrit dans son journal : {{guillemets|À partir de ce soir, je tiens à la République, qui m'inspire un respect, une tendresse que je ne me connaissais pas. Je déclare que le mot Justice est le plus beau de la langue des hommes, et qu'il faut pleurer si les hommes ne le comprennent plus<ref>Jules Renard, ''Journal 1887-1910'', [[Gallimard]], 1965, p. 472.</ref>.}} Le sénateur [[Ludovic Trarieux]] et le juriste catholique [[Paul Viollet]] fondent la [[Ligue pour la défense des droits de l'homme]]. Plus encore que l'affaire Dreyfus, l'affaire Zola opère un regroupement des forces intellectuelles en deux camps opposés.
{{Citation bloc|J'ai lu qu'un député va interpeller sur Dreyfus. Si on demande à Rome nouvelles explications, je dirai que jamais j'avais les relations avec ce Juif. C'est entendu. Si on vous demande, dites comme ça, car il ne faut pas qu'on sache jamais personne ce qui est arrivé avec lui.}}
 
[[Fichier:Faux Henry 1896.jpg|vignette|gauche|Photographie du faux Henry. L'entête (mon cher ami) et la signature (Alexandrine) sont de Panizzardi (quadrillage). Le reste est de la main d'Henry.]]
Le [[2 avril]], une demande de pourvoi en cassation reçoit une réponse favorable. Il s'agit de la première intervention de la Cour dans cette affaire judiciaire. La plainte aurait en effet dû être portée par le Conseil de guerre et non par le ministre. Le procureur général Manau est favorable à la révision du procès Dreyfus et s’oppose fermement aux antisémites. Les juges du Conseil de guerre, mis en cause par Zola, portent plainte pour diffamation. L’affaire est déférée devant les assises de Seine-et-Oise à [[Versailles]] où le public passe pour être plus favorable à l’Armée, plus nationaliste. Le [[23 mai]] [[1898]], dès la première audience, M{{e}} Labori se pourvoit en cassation en raison du changement de juridiction. Le procès est ajourné et les débats sont repoussés au [[18 juillet]]. Labori conseille à Zola de quitter la France pour l'[[Angleterre]] avant la fin du procès, ce que fait l'écrivain, accompagné de sa femme. Les accusés sont de nouveau condamnés. Quant au colonel Picquart, il se retrouve à nouveau en prison.
 
C'est un faux assez grossier. Les généraux Gonse et Boisdeffre, sans se poser de questions, amènent cependant la lettre à leur ministre le général [[Jean-Baptiste Billot|Billot]]. Les doutes de l'État-Major concernant l'innocence de Dreyfus s'envolent<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|168}}.</ref>. Fort de cette trouvaille, l'état-major décide de protéger Esterhazy et de persécuter<ref name="ibid">''Ibid''.</ref> le colonel Picquart, « qui n'a rien compris ». Picquart, qui ignore tout du faux Henry, se sent rapidement isolé de ses collègues militaires. Littéralement accusé de malversations par le commandant Henry<ref>Henry lui envoie une lettre pleine d'insinuations. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'' Tome 2] {{p.|517}} et s.</ref>, il proteste par écrit et rentre à Paris.
===Henry démasqué, l'Affaire rebondit===
[[Image:Faux Henry 1896.jpg|thumb|250px|right|Photographie du faux Henry. L'entête (mon cher ami) et la signature (Alexandrine) sont de Panizzardi (quadrillage). Le reste est de la main d'Henry.]]
L'acquittement d'Esterházy, les condamnations d'Émile Zola et de Georges Picquart, et la présence continue d'un innocent au bagne, ont un retentissement national et international<ref>V. Réception de l'affaire en Grande Bretagne, États-Unis et Allemagne in [[#Drouin|Drouin, ''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus.'']]</ref> considérables. La France expose un arbitraire étatique contredisant les principes républicains fondateurs. L'antisémitisme fait des progrès considérable, et les émeutes sont courantes pendant toute l'année 1898. Cependant, les hommes politiques en restent encore au déni de l'Affaire. En avril et mai 1898, ils sont surtout préoccupés par les [[Élections législatives en France|élections législative]]s, après lesquelles Jaurès perd son siège de député de [[Carmaux]]<ref>De cette phrase à la fin du paragraphe suivant, sauf précision contraire : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], pp. 50-51.</ref>. La majorité reste modérée, et un groupe parlementaire antisémite apparaît à la Chambre. Cependant, la cause dreyfusarde est relancée.
 
Picquart se confie à son ami, l'avocat [[Louis Leblois]], à qui il fait promettre le secret. Ce dernier en parle pourtant au vice-président du Sénat, l'alsacien [[Auguste Scheurer-Kestner]], lequel est à son tour touché par le doute. Sans citer Picquart, le sénateur révèle l'affaire aux plus hautes personnalités du pays. Mais l'état-major soupçonne quand même Picquart d'être à l'origine des fuites. C'est le début de l'affaire Picquart<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.|109}} et s.</ref>, une nouvelle conspiration de l'état-major contre l'officier.
[[Image:G Cavaignac.jpg|thumb|110px|left|Portrait de Godefroy Cavaignac, ministre de la Guerre]]
En effet, [[Jacques Marie Eugène Godefroy Cavaignac|Godefroy Cavaignac]], nouveau ministre de la Guerre et anti-révisionniste farouche, veut démontrer définitivement la culpabilité de Dreyfus, en {{guillemets|tordant le cou}} au passage à Esterházy, qu'il tient pour {{guillemets|un mythomane et un maître chanteur}}<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 287</ref>. Il est absolument convaincu de la culpabilité de Dreyfus, renforcé dans cette idée par la légende des aveux, après avoir rencontré le principal témoin, le capitaine [[Charles Lebrun-Renault|Lebrun-Renault]]<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4] p. 5</ref>. Cavaignac a l'honnêteté d'un doctrinaire intransigeant<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], t. 2, p. 262</ref>, mais ne connaît absolument pas les dessous de l'Affaire, que l'État-major s'est gardé de lui enseigner. Il avait eu la surprise d'apprendre que l'ensemble des pièces sur lesquelles l'accusation se basait n'avaient pas été expertisées, Boisdeffre ayant {{guillemets|une confiance absolue}} en Henry. Il décide d'enquêter lui-même, dans son bureau avec ses adjoints, et rapatrie le dossier secret qui compte alors 365 pièces<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 279. En 1894, il n'y en vait que quatre.</ref>.
 
Le [[Hubert Henry|commandant Henry]], pourtant adjoint de Picquart, mais jaloux{{note|groupe=n|Henry ambitionnait la succession de Sandherr, ayant été son adjoint de longues années. Mais Picquart avait été nommé chef du SR comme on le sait. Le limogeage de Picquart va permettre à Henry d'assouvir son ambition<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']] {{p.|262}}).</ref>.}}, mène de son propre chef une opération d'intoxication afin de compromettre son supérieur. Il se livre à diverses malversations (fabrication d'une lettre le désignant comme l'instrument du « syndicat juif » voulant faire évader Dreyfus, truquage du « petit bleu » pour faire croire que Picquart a effacé le nom du réel destinataire, rédaction d'un courrier nommant Dreyfus en toutes lettres).
Le [[7 juillet]] [[1898]], lors d'une interpellation à la Chambre, Cavaignac fait état de trois pièces {{guillemets|accablantes, entre mille}}, dont deux n'ont aucun rapport avec l'Affaire, et l'autre est le faux d'Henry<ref>Pour ce paragraphe et le suivant : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], pp. 49-51</ref>. Le discours de Cavaignac est efficace : les députés l'ovationnent et votent l'affichage du discours avec la reproduction des trois preuves dans les {{formatnum:36000}} communes de France à 572 voix<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 288</ref>. Les antidreyfusards triomphent, mais Cavaignac a reconnu implicitement que la défense de Dreyfus n'avait pas eu accès à toutes les preuves : la demande en annulation formulée par Lucie Dreyfus devient recevable. Le lendemain, le colonel Picquart déclare dans ''Le Temps'' au président du Conseil : {{guillemets|Je suis en état d'établir devant toute juridiction compétente que les deux pièces portant la date de [[1894]] ne sauraient s'appliquer à Dreyfus et que celle qui portait la date de [[1896]] avait tous les caractères d'un faux.}}, ce qui lui vaut onze mois de prison.
 
Parallèlement aux investigations du colonel Picquart, les défenseurs de Dreyfus sont informés de l'identité de l'écriture du « bordereau » avec celle d'Esterhazy en novembre 1897. Mathieu Dreyfus avait fait afficher la reproduction du bordereau, publiée par ''[[Le Figaro]]''. Le banquier Jacques de Castro, identifie formellement cette écriture comme celle du commandant Walsin Esterhazy, son débiteur, et prévient Mathieu. Le {{date|11|novembre|1897}}, les deux pistes se rejoignent, à l'occasion d'une rencontre entre Scheurer-Kestner et Mathieu Dreyfus. Ce dernier obtient enfin la confirmation du fait qu'Esterhazy est bien l'auteur du bordereau. Le {{date|15 novembre}}, sur ces bases, Mathieu Dreyfus porte plainte auprès du ministère de la Guerre contre Walsin Esterhazy<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|200}}.</ref>. La polémique étant publique, l'armée n'a plus d'autre choix que d'ouvrir une enquête. Fin 1897, Picquart, revenu à Paris, fait connaître publiquement ses doutes sur la culpabilité de Dreyfus, du fait de ses découvertes. La collusion destinée à éliminer Picquart semble avoir échoué<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], {{p.|475}}.</ref>. La contestation est très forte et vire à l'affrontement. Afin de discréditer Picquart, Esterhazy envoie sans effet des lettres de plainte au Président de la République<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'' Tome 2], {{p.|603 et 644}}.</ref>.
Le [[13 août]] au soir, le capitaine Cuignet, attaché au cabinet de Cavaignac, qui travaille à la lumière d'une lampe, observe que la couleur du léger quadrillage du papier de l'entête et du bas de page ne correspondent pas avec la partie centrale. Cavaignac tente encore de trouver des raisons logiques à la culpabilité et la condamnation de Dreyfus<ref>[[#Duclert|Duclert, ''l'Affaire Dreyfus'']], p. 48</ref> mais ne tait pas sa découverte<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 301</ref>. Un conseil d'enquête est formé pour enquêter sur Esterházy, devant lequel celui-ci panique et avoue ses rapports secrets avec le commandant du Paty de Clam. La collusion entre l'État-major et le traître est révélée. Le [[30 août]], Cavaignac se résigne à demander des explications au colonel Henry, en présence de Boisdeffre et Gonse. Après une heure d'interrogatoire mené par le ministre lui-même, Henry s'effondre et fait des aveux complets<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4] p. 183 et s.</ref>. Il est placé aux arrêts de forteresse au [[Mont-Valérien]] et se suicide<ref>Les circonstances du décès d'Henry ne sont toujours pas éclaircies et ont nourri quelques fantasmes. L'assassinat est peu probable. [[#MiquelQS|Miquel, ''l'Affaire Dreyfus'']], p. 74</ref> le lendemain en se tranchant la gorge avec un rasoir. La demande de révision déposée par Lucie Dreyfus ne peut plus être repoussée. Pourtant, Cavaignac affirme : {{guillemets|moins que jamais !}}<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 80</ref>, mais le président du Conseil, [[Henri Brisson]], le force à démissionner. Malgré son rôle, apparemment totalement involontaire, dans la révision du procès de 1894, il reste un antidreyfusard convaincu et fait une intervention méprisante et blessante envers Dreyfus au procès de Rennes<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24250f Procès de Rennes, Tome 1] p. 181 et s.</ref>.
 
[[Fichier:Émile Zola par Paul Nadar.jpg|vignette|Émile Zola en 1898.|alt=Émile Zola en 1898]]
[[Image:Caran-d-ache-dreyfus-supper.jpg|thumb|300px|left|Dessin de [[Caran d'Ache]] dans ''[[le Figaro]]'' du 14 février 1898.]]
Les antirévisionnistes ne se considèrent pas battus. Le 6 septembre, [[Charles Maurras]] publie un éloge d'Henry dans ''[[La Gazette de France]]'', qu'il qualifie de {{guillemets|serviteur héroïque des grands intérêts de l'État<ref>[[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], p. 52</ref> }}. ''[[La Libre Parole]]'', journal antisémite de Drumont, propage la notion de {{guillemets|faux patriotique}}. Le même journal lance en décembre une souscription au profit de sa veuve, afin d'ériger un monument à la gloire d'Henry. Chaque donation est accompagnée de remarques lapidaires sur Dreyfus et les dreyfusards, souvent injurieuses. {{formatnum:14000}} souscripteurs<ref>Dont [[Paul Valéry]], [[Pierre Louÿs]], et un [[Paul Léautaud]] ironique, qui joint le message : {{guillemets|Pour l'ordre, contre la justice et la vérité}}. [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], p. 57.</ref>, dont 53 députés, envoient {{formatnum:131000}} francs<ref>[[#MiquelS|Miquel, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 92</ref>. Le [[3 septembre]] [[1898]], le président du Conseil, Brisson, incite Mathieu Dreyfus à déposer une demande en révision du Conseil de guerre de [[1894]]. Le gouvernement transfère le dossier à la Cour de cassation, pour avis sur les quatre années de procédures passées.
 
Le mouvement dit ''dreyfusard''{{note|groupe=n|Selon l'historien [[Vincent Duclert]], il convient de distinguer les « dreyfusards », les « dreyfusiens » et les « dreyfusistes »<ref name="Duclert p.82-83"/>.<br> Les « dreyfusards » sont les premiers défenseurs de Dreyfus, ceux qui le soutiennent dès le début tandis que le terme « dreyfusiste » désigne ceux qui réfléchissent au-delà de l'affaire et voient en celle-ci une nécessité de remettre en cause la société et la politique et, par extension, le fonctionnement de la République (certains dreyfusards seront parfois aussi dreyfusistes par la suite)<ref name="Duclert p.82-83"/>.<br> Quant aux « dreyfusiens », ils n'apparaissent qu'en {{date|décembre 1898}}, lorsque l'affrontement entre dreyfusards et antidreyfusards devient vraiment aigu et que l'affaire compromet la stabilité de la République. Les dreyfusiens, même si certains ont des sympathies pour Alfred Dreyfus, veulent liquider l'affaire en calmant le jeu dans le but de sauver le régime républicain parlementaire alors en place<ref name="Duclert p.82-83">[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}82-83.</ref>{{,}}<ref>{{Chapitre|prénom1=Vincent|nom1=Duclert|lien auteur1=Vincent Duclert|titre chapitre=Alfred Dreyfus, un dreyfusard méconnu|auteurs ouvrage=[[Gilles Manceron]] et Emmanuel Naquet (dir.)|titre ouvrage=Être dreyfusard, hier et aujourd'hui|lieu=Rennes|éditeur=[[Presses universitaires de Rennes]]|collection=Histoire|année=2009|pages totales=551|isbn=978-2-7535-0947-4|lire en ligne=https://books.openedition.org/pur/125007|passage=195}}.</ref>. Ils sont à l'origine d'une certaine conciliation entre les deux camps, grâce à un effort de médiation, en prônant l'apaisement. Leur texte fondateur est « L'Appel à l'union », paru le {{date|23 janvier 1899}} dans le journal ''[[Le Temps (1861-1942)|Le Temps]]''. Ils soutiennent généralement la politique de [[Pierre Waldeck-Rousseau|Waldeck-Rousseau]] et prônent une [[Laïcité|laïcisation]] de la société.}}, animé par Bernard Lazare, Mathieu Dreyfus, [[Joseph Reinach]] et Auguste Scheurer-Kestner s'élargit<ref>Pour tout ce paragraphe, hors précisions complémentaires : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.|11-19}}.</ref>. [[Émile Zola]], informé mi-{{date-|novembre 1897}} par Scheurer-Kestner du dossier, est convaincu de l'innocence de Dreyfus et s'engage officiellement{{note|groupe=n|Il était déjà intervenu dans ''Le Figaro'' en mai 1896, dans l'article « Pour les Juifs ».}}. Le {{date|25 novembre}}, le romancier publie ''M. Scheurer-Kestner'' dans ''[[Le Figaro]]'', premier article d'une série qui en compte trois{{note|groupe=n|Suivi du ''Syndicat'' le {{date|1er décembre}} et de ''Procès-verbal'' le {{date|5 décembre}}.}}. Devant les menaces de désabonnements massifs de ses lecteurs, le directeur du journal cesse de soutenir Zola<ref>Zola, ''Combat pour Dreyfus'', {{p.|44}}.</ref>. De proche en proche, fin novembre-début {{date|décembre 1897}}, les écrivains [[Octave Mirbeau]], dont le premier article paraît trois jours après celui de Zola<ref>Voir [[s:Chez l'Illustre écrivain, Chez l'Illustre écrivain VII|''Chez l'Illustre Écrivain'']], qui paraît dans ''Le Journal'' le 28 novembre 1897, recueilli dans Octave Mirbeau, ''[[L'Affaire Dreyfus (Mirbeau)|L'Affaire Dreyfus]]'', 1991, {{p.|43-49}}.</ref>, et [[Anatole France]], l'universitaire [[Lucien Lévy-Bruhl]], le bibliothécaire de l'École normale supérieure [[Lucien Herr]], qui convainc [[Léon Blum]] et [[Jean Jaurès]], les auteurs de ''[[La Revue blanche]]''{{note|groupe=n|Alors au cœur de l'avant-garde artistique, publiant [[Marcel Proust]], [[Saint-Pol-Roux]], [[Jules Renard]], [[Charles Péguy]]{{etc.}}}}, dont Lazare connaît bien le directeur [[Thadée Natanson]], les frères Clemenceau [[Albert Clemenceau|Albert]] et [[Georges Clemenceau|Georges]] s'investissent dans le combat pour la révision du procès. Blum tente fin novembre de faire signer à son ami [[Maurice Barrès]] une pétition demandant la révision du procès, mais ce dernier refuse, rompt avec Zola et Blum début décembre, et commence à populariser le terme d' « [[intellectuel]]s »{{note|groupe=n|Le concept naît avec un sens profondément péjoratif, afin de dénoncer, comme l'écrit [[Ferdinand Brunetière]], « la prétention de hausser les écrivains, les savants, les professeurs, les philologues, au rang des surhommes »<ref>[[#WinockS|Michel Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.|29}}).</ref>.}}. Cette première rupture est le prélude à une division des élites cultivées, après le {{date|13 janvier}}.
La France est réellement divisée en deux, mais aucune généralisation n'est possible : la communauté juive s'engage peu, les intellectuels ne sont pas tous dreyfusards<ref>Des 40 membres de l'[[Académie française]], Anatole France est le seul révisionniste.</ref>, les protestants sont partagés, des marxistes refusent de soutenir Dreyfus<ref>[[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']] pp. 63-65.</ref>. Le clivage transcende les religions et milieux sociaux, comme l'illustre la célèbre caricature de [[Caran d'Ache]] {{guillemets|Un dîner en famille}}.
 
Si l'affaire Dreyfus occupe de plus en plus les discussions, le monde politique ne le reconnaît toujours pas, et le président du Conseil [[Jules Méline]] déclare en ouverture de séance de l'Assemblée nationale, le {{date|7 décembre}} : {{Citation|Il n'y a pas d'affaire Dreyfus. Il n'y a pas en ce moment et il ne peut pas y avoir d'affaire Dreyfus.}}<ref>[http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Dreyfus/dreyfus_chambredesdeputes_s%C3%A9ance_4decembre1897.asp Extraits de la séance du 4 décembre 1897], sur le site de l'Assemblée nationale.</ref>
===Crise et recomposition du paysage politique===
Henry est mort, Boisdeffre a démissionné, Gonse n'a plus aucune autorité et du Paty a été très gravement compromis par Esterházy : pour les conjurés, c'est la débâcle<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 307</ref>. Le gouvernement est désormais pris entre deux feux : la loi et le droit contre la pression nationaliste de la rue et du commandement supérieur qui se reprend. Cavaignac, démissionné pour avoir continué à répandre sa vision antidreyfusarde de l'Affaire, se pose en chef de file antirévisionniste. Le général [[Émile Auguste François Zurlinden|Zurlinden]] qui lui succède, influencé par l'État-major, rend un avis négatif à la révision le [[10 septembre]], conforté par la presse extrémiste pour laquelle, {{guillemets|la révision, c'est la guerre}}. L'obstination du gouvernement, qui vote le recours à la Cour de cassation le [[26 septembre]], amène la démission de Zurlinden, remplacé aussitôt par le général Chanoine<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 50</ref>. Celui-ci, lors d'une interpellation à la [[Chambre des députés (France)|Chambre]], donne sa démission, la confiance étant refusée à Brisson, contraint lui aussi à la démission. L'instabilité ministérielle entraîne une certaine instabilité gouvernementale.
 
=== Procès et acquittement du commandant Esterhazy ===
Le [[1er novembre]], le progressiste [[Charles Dupuy]] est nommé à la place de Brisson. En 1894, il avait couvert les agissements du général Mercier aux débuts de l'affaire Dreyfus<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1] p. 137</ref> ; quatre ans plus tard, il annonce qu'il suivra les arrêts de la Cour de cassation, barrant la route à ceux qui veulent étouffer la révision et dessaisir la Cour<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4] p. 358 et s.</ref>. Le [[5 décembre]], à la faveur d'un débat à la Chambre sur la transmission du {{guillemets|dossier secret}} à la Cour de cassation, la tension monte encore d'un cran. Les injures, invectives et autres violences nationalistes font place aux menaces de soulèvement. [[Paul Déroulède]] déclare : {{guillemets|S'il faut faire la guerre civile, nous la ferons.}}<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 97</ref>
[[Fichier:Georges Clemenceau (1898) - photo Dornac.jpg|vignette|gauche|[[Georges Clemenceau]] dans son cabinet de travail parisien en 1898.|alt=Portrait photographique en pied et en noir et blanc de Georges Clemenceau.]]
Le [[georges-Gabriel de Pellieux|général de Pellieux]] est chargé d'effectuer une enquête. Celle-ci tourne court, l'enquêteur étant adroitement manipulé par l'état-major. Le vrai coupable, lui dit-on, est le lieutenant-colonel Picquart<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|207}}.</ref>. L'enquête s'achemine vers un non-lieu, quand l'ex-maîtresse d'Esterhazy, {{Mme|de Boulancy}}, fait publier dans ''Le Figaro'' des lettres dans lesquelles il exprimait violemment, une dizaine d'années plus tôt, toute sa haine de la France et son mépris de l'Armée française. La presse militariste vole au secours du traître au travers d'une campagne antisémite sans précédent. La presse dreyfusarde réplique, forte des nouveaux éléments en sa possession. [[Georges Clemenceau]], dans le journal [[L'Aurore (journal français, 1897-1914)|''L'Aurore'']], se demande :
{{Citation bloc|Qui protège le commandant Esterhazy ? La loi s'arrête, impuissante devant cet aspirant prussien déguisé en officier français. Pourquoi ? Qui donc tremble devant Esterhazy ? Quel pouvoir occulte, quelles raisons inavouables s'opposent à l'action de la justice ? Qui lui barre le chemin ? Pourquoi Esterhazy, personnage dépravé à la moralité plus que douteuse, est-il protégé alors que tout l'accuse ? Pourquoi un honnête soldat comme le lieutenant-colonel Picquart est-il discrédité, accablé, déshonoré ? S'il le faut nous le dirons !}}
 
[[Fichier:Esterhazy sortant du conseil de guerre - 1898.jpg|vignette|Au bras de sa maîtresse Marguerite Pays, [[Ferdinand Walsin Esterhazy|Esterhazy]] sort sous les acclamations après son acquittement par le conseil de guerre le {{date-|11 janvier 1898}}.]]
Une nouvelle crise survient au sein même de la Cour de cassation, dès lors que Quesnay de Beaurepaire, président de la chambre civile, accuse la chambre criminelle de dreyfusisme par voie de presse. Il démissionne le [[8 janvier]] [[1899]] en héros de la cause nationaliste. Cette crise aboutit au dessaisissement de la chambre criminelle au profit des chambres réunies. C'est le blocage de la révision<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 53</ref>.
Bien que protégé par l'état-major et donc par le gouvernement, Esterhazy est obligé d'avouer la paternité des lettres francophobes publiées par ''Le Figaro''. Ceci décide le bureau de l'état-major à agir : une solution pour faire cesser les questions, les doutes et les débuts de demande de justification doit être trouvée. L'idée est d'exiger d'Esterhazy qu'il demande lui-même à passer en jugement et être acquitté afin de faire cesser les bruits et de permettre le retour de l'ordre. C'est donc pour le disculper définitivement, selon la vieille règle « {{langue|la|''[[Res judicata pro veritate habetur]]''}} »{{note|groupe=n|La chose jugée est tenue pour véridique.}}, qu'Esterhazy est présenté le {{date|10|janvier|1898}} devant un Conseil de guerre. Le huis clos « retardé »{{note|groupe=n|La salle est vidée dès que les débats abordent des sujets touchant à la défense nationale, c'est-à-dire le témoignage de Picquart.}} est prononcé. Esterhazy est prévenu des sujets du lendemain avec des indications sur la ligne de défense à tenir. Le procès est peu régulier : les constitutions de parties civiles de Mathieu et Lucie Dreyfus{{note|groupe=n|Le président Delegorgue refuse de l'interroger alors qu'elle est appelée à la barre.}} leur sont refusées, les trois experts en écritures ne reconnaissent pas l'écriture d'Esterhazy dans le bordereau et concluent à la contrefaçon<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], Tome 2, {{p.|244}}.</ref>. L'accusé lui-même est applaudi, les témoins à charge, hués et conspués, Pellieux intervenant pour défendre l'État-Major sans qualité légale<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}39.</ref>. Le véritable accusé est le colonel Picquart, sali par tous les protagonistes militaires de l'Affaire<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], Tome 2, {{p.|245}}.</ref>. Esterhazy est acquitté à l'unanimité dès le lendemain, après trois minutes de délibéré<ref name="Bredin227">[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.|227}}.</ref>. Sous les vivats, il a du mal à se frayer un chemin vers la sortie où l'attendent {{unité|1500|personnes}}.
 
[[Fichier:L Agitation-Antisemite.jpg|vignette|Une effigie de [[Mathieu Dreyfus]] est brûlée à Montmartre lors d'émeutes antisémites<br> (''[[Le Pèlerin (magazine)|Le Pèlerin]]'', {{date|23 janvier 1898}}).|alt=Émeutes antisémites dans une gravure du Pèlerin.|gauche]]
En [[1899]], l'Affaire occupe de plus en plus la scène politique. Le [[16 février]] 1899, le président de la République [[Félix Faure]] décède<ref>Pour ce paragraphe : [[#Demier|Francis Démier, ''La France du {{XIXe}} siècle'']] pp. 384-5.</ref>. [[Émile Loubet]] est élu, une avancée pour la cause de la révision, le précédent président en étant un farouche opposant. Le [[23 février]], à la faveur des funérailles de Félix Faure, Déroulède tente un coup de force sur l'[[Palais de l'Élysée|Élysée]]. C'est un échec, les militaires ne se ralliant pas. Le 4 juin, Loubet est agressé sur le champ de course de [[Hippodrome de Longchamp|Longchamp]]. Ces provocations, auxquelles s'ajoutent les manifestations permanentes de l'extrême-droite, bien qu'elle ne mettent jamais réellement la République en danger, créent un sursaut républicain qui conduit à la formation d'un {{guillemets|gouvernement de défense républicaine}} autour de [[Waldeck-Rousseau]] le 22 juin. Les républicains progressistes antidreyfusards, tel Méline, sont rejetés à droite. L'affaire Dreyfus a conduit à une recomposition claire du paysage politique français.
 
Par erreur, un innocent a été condamné, mais par ordre, le coupable est acquitté. Pour beaucoup de [[républicains modérés]], c'est une atteinte insupportable aux valeurs fondamentales qu'ils défendent. L'acquittement d'Esterhazy amène donc un changement de la stratégie dreyfusarde. Au libéralisme respectueux de [[Auguste Scheurer-Kestner|Scheurer-Kestner]] et [[Joseph Reinach|Reinach]], succède une action plus combative et contestataire<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}40.</ref>. En réaction, d'importantes et violentes émeutes antidreyfusardes et antisémites ont lieu dans toute la France. On attente aux biens et aux personnes.
===La cassation du jugement de 1894===
[[Image:Cassation Dreyfus.jpg|thumb|left|250px|Les magistrats de la chambre criminelle dans ''Le Petit Journal'']]
La Cour de cassation examine l'affaire, dans un contexte de campagnes de presse à l'encontre de la [[Chambre criminelle de la Cour de cassation française|chambre criminelle]], les magistrats étant constamment traînés dans la boue dans les journaux nationalistes depuis le [[scandale de Panamá]]<ref>[[#MiquelQS|Miquel, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 91</ref>. Le [[26 septembre]] [[1898]], après un vote du Cabinet, le garde des Sceaux saisit la Cour de cassation. Le [[29 octobre]], à l'issue de la communication du rapport du rapporteur Alphonse Bard, la chambre criminelle de la Cour déclare {{guillemets|la demande recevable et dit qu'il sera procédé par elle à une instruction supplémentaire<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Royer-Ozaman, p. 182</ref>}}.
 
Fort de sa victoire, l'état-major arrête le lieutenant-colonel Picquart sous l'accusation de violation du secret professionnel, à la suite de la divulgation de son enquête à son avocat qui l'aurait révélée au sénateur Scheurer-Kestner. Le colonel, bien qu'il soit mis aux arrêts au [[forteresse du Mont-Valérien|fort du Mont-Valérien]], n'abdique pas et s'engage de plus en plus dans l'Affaire. À Mathieu qui le remercie, il réplique qu'il ne « fait que son devoir »<ref name="Bredin227"/>. Le commandant Esterhazy est mis rapidement à la réforme, et devant les risques qui pèsent sur sa personne, s'exile en Angleterre où il terminera ses jours confortablement dans les années 1920<ref>[[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], Thomas, entrée "Esterhazy en Angleterre".</ref>. Il aura bénéficié lors de « L'Affaire » de l'appui des hautes sphères de l'Armée, qu'explique le désir de l'état-major d'étouffer toute velléité de remise en cause du verdict du Conseil de guerre qui avait condamné le capitaine Dreyfus en 1894.
Le rapporteur Louis Loew préside. Il est l'objet d'une très violente campagne d'injures antisémites, alors qu'il est [[Protestantisme|protestant]] alsacien, accusé d'être un déserteur, un vendu aux Prussiens. Malgré les silences complaisants de Mercier, Billot, Zurlinden et Roget qui se retranchent derrière l'autorité de la chose jugée et le secret d'État, la compréhension de l'Affaire augmente. Cavaignac fait une déposition de deux jours, mais ne parvient pas à démontrer la culpabilité de Dreyfus. Au contraire il le disculpe involontairement par une démonstration de la datation exacte du bordereau (août 1894)<ref>''Ibid''</ref>.
 
== L'affaire explose en 1898 ==
Puis Picquart démontre l'ensemble des rouages de l’erreur puis de la conspiration<ref>Reinach, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4] p. 397 et s.</ref>. Dans une décision du [[8 décembre]] [[1898]] en représailles au dessaisissement qui s'annonce, Picquart est écarté du Conseil de guerre par la chambre criminelle<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], La première révision, Royer et Ozaman, p. 215</ref>. C'est un nouvel obstacle aux volontés de l’État-major. Une nouvelle campagne de presse furieusement antisémite éclate à l'occasion de cet événement, alors que ''L'Aurore'' du 29 octobre titre ''Victoire'' dans les mêmes caractères que ''J'Accuse''<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], p. 194</ref>. Le travail d'enquête est tout de même repris par la chambre criminelle<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 52</ref>. Le {{guillemets|dossier secret}} est analysé à partir du [[30 décembre]], et la chambre demande la communication du dossier diplomatique, ce qui est accordé.
=== « J'accuse… ! » : l'affaire Dreyfus devient l'Affaire ===
{{Article détaillé|Émile Zola dans l'affaire Dreyfus|J'accuse… !}}
[[Fichier:jaccuse autographe.jpg|vignette|Page autographe du manuscrit de « [[J'accuse… !]] », {{date-|janvier 1898}}.]]
Zola donne le {{date|13|janvier|1898}} une nouvelle dimension à l'affaire Dreyfus, qui devient l'Affaire. Premier grand intellectuel dreyfusard, il est alors au sommet de sa gloire : les vingt volumes des [[Les Rougon-Macquart|Rougon-Macquart]] ont été diffusés dans des dizaines de pays. C'est une sommité du monde littéraire, et il en a pleinement conscience. Au général de Pellieux, il affirme pendant son procès :
{{Citation bloc|Je demande au général de Pellieux s'il n'y a pas différentes façons de servir la France ? On peut la servir par l'épée ou par la plume. M. le général de Pellieux a sans doute gagné de grandes victoires ! J'ai gagné les miennes. Par mes œuvres, la langue française a été portée dans le monde entier. J'ai mes victoires ! Je lègue à la postérité le nom du général de Pellieux et celui d'Émile Zola : elle choisira<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w Procès Zola, Tome 1], {{p.}}268.</ref> !}}
 
Scandalisé par l'acquittement d'Esterhazy, Zola décide de frapper un coup. Il publie le surlendemain, en première page de ''[[L'Aurore (journal français, 1897-1914)|L'Aurore]]'', un article de {{unité|4500|mots}} sur six colonnes à la une, en forme de lettre ouverte au [[Liste des présidents de la République française|président]] [[Félix Faure]]. [[Ernest Vaughan]], directeur de la toute jeune ''Aurore'', trouve le titre : « [[J'accuse… !]] ». Vendu habituellement à trente mille exemplaires, le journal diffuse ce jour-là près de trois cent mille copies. Cet article fait l'effet d'une bombe. Le texte est une attaque directe, explicite et nominative. Tous ceux qui ont comploté contre Dreyfus sont dénoncés, y compris le ministre de la Guerre, l'état-major. L'article comporte de nombreuses erreurs, majorant ou minorant les rôles de tel ou tel acteur{{note|groupe=n|Le rôle du général Mercier est ainsi fortement sous-estimé.}}, mais Zola n'a pas prétendu faire œuvre d'historien<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}234.</ref>.
Le [[9 février]], la chambre criminelle rend son rapport en mettant en exergue deux faits majeurs : il est certain qu'Esterházy a utilisé le même papier pelure que le bordereau<ref>La Cour a fait réaliser plusieurs expertises scientifiques minutieuses afin de conclure à des certitudes.</ref> et le dossier secret est totalement vide. Ces deux fait majeurs anéantissent à eux seuls toute les procédures à l'encontre d'Alfred Dreyfus. Mais parallèlement, pour faire suite à l'incident de Beaurepaire, le président Mazeau instruit une enquête sur la chambre criminelle, qui aboutit au dessaisissement de celle-ci {{guillemets|afin de ne pas la laisser porter seule toute la responsabilité de la sentence définitive}}, ce qui prive la chambre criminelle de la poursuite des actions qui découleraient de son rapport.
 
« J'accuse… ! » apporte pour la première fois la réunion de toutes les données existantes sur l'Affaire<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}42.</ref>. Le but de Zola est de s'exposer volontairement afin de forcer les autorités à le traduire en justice. Son procès servirait d'occasion pour un nouvel examen public des cas Dreyfus et Esterhazy. Il va ici à l'encontre de la stratégie de Scheurer-Kestner et Lazare, qui prônaient la patience et la réflexion<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}236.</ref>. Devant le succès national et international de ce coup d'éclat, le procès est inévitable. À partir de ce moment critique, l'Affaire suit deux voies parallèles. D'une part, l'État utilise son appareil pour imposer la limitation du procès à une simple affaire de diffamation, afin de le dissocier des cas Dreyfus et Esterhazy, déjà jugés. D'autre part, les conflits d'opinion tentent de peser sur les juges ou le gouvernement, pour obtenir les uns la révision et les autres la condamnation de Zola. Mais l'objectif du romancier est atteint : l'ouverture d'un débat public aux assises.
Le [[28 février]], [[Waldeck-Rousseau]] s'exprime au Sénat sur le fond et dénonce la {{guillemets|conspiration morale}} au sein du gouvernement et dans la rue. La révision n'est plus évitable. Le {{1er mars}} [[1899]], le nouveau président de la chambre civile de la Cour de cassation, Alexis Ballot-Beaupré est nommé rapporteur pour l'examen de la demande de révision. Il aborde le dossier en juriste et décide d'un supplément d'enquête. Dix témoins complémentaires sont interrogés, lesquels affaiblissent encore la version de l'État-major. Dans le débat final et par un modèle d'objectivité, le président Ballot-Beaupré démontre l'inanité du bordereau, la seule charge contre Dreyfus. Le procureur Manau abonde dans le sens du président. M{{e}} Mornard qui représente Lucie Dreyfus plaide sans aucune difficulté ni opposition du parquet<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t v. ''Débats de la Cour de Cassation en vue de la révision'']</ref>.
 
Le {{date-|15 janvier}}, ''[[Le Temps (1861-1942)|Le Temps]]'' publie une pétition réclamant la révision du procès<ref>Sauf compléments, pour ce paragraphe : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}29-31.</ref>. Y figurent les noms d'[[Émile Zola]], [[Anatole France]], le directeur de l'Institut Pasteur [[Émile Duclaux]], [[Daniel Halévy]], [[Fernand Gregh]], [[Félix Fénéon]], [[Marcel Proust]], [[Lucien Herr]], [[Charles Andler]], [[Victor Bérard]], [[François Simiand]], [[Georges Sorel]], puis le peintre [[Claude Monet]], l'écrivain [[Jules Renard]], le sociologue [[Émile Durkheim]], l'historien [[Gabriel Monod]], etc.
Le [[3 juin]] [[1899]], les chambres réunies de la Cour de cassation cassent le jugement de [[1894]] en audience solennelle<ref>[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t v. arrêt de la Cour du 3 juin 1899]</ref>. L’affaire est renvoyée devant le Conseil de guerre de Rennes. Les conséquences sont immédiates : Zola, exilé en Angleterre, revient en France, Picquart est libéré, Mercier est accusé de communication illégale de pièces. Par cet arrêt, la Cour de cassation s'impose comme une véritable autorité, capable de tenir tête à l'armée et au pouvoir politique<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Royer et Ozaman, p. 210</ref>. Pour de nombreux Dreyfusards cette décision de justice est l'antichambre de l'acquittement du capitaine ; ils oublient de considérer que c'est de nouveau l'armée qui le juge. La Cour, en cassant avec renvoi, a cru en l'autonomie juridique du Conseil de guerre sans prendre en compte les lois de l'esprit de corps<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Royer et Ozaman, p. 211</ref>.
 
Le {{date-|20 janvier}}, à la suite d'une intervention à la [[Chambre des députés]] de l'élu catholique [[Albert de Mun]] contre Zola, celle-ci décide les poursuites par 312 voix contre 122<ref>[[Michel Winock]], ''Clemenceau'', éditions Perrin, 2007, {{p.}}254.</ref>. Dans ''L'Aurore'' du {{date-|23 janvier}}, Clemenceau, au nom d'une « pacifique révolte de l'esprit français », reprend positivement le terme d'« intellectuels ». Le {{date-|1|février|}}, Barrès fustige ceux-ci dans ''[[Le Journal]]''. L'anti-intellectualisme devient un thème majeur des intellectuels de droite, qui reprochent aux ''dreyfusards'' de réfléchir au-delà des intérêts de la nation, argument qui se retrouve tout au long des années qui suivent, et qui constitue le fond du débat public : priorité accordée à la justice et vérité ou à la défense de la nation, préservation sociale ou raison supérieure de l'État<ref>[[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}35.</ref>... Cette mobilisation des intellectuels ne se double pas dans un premier temps de celle de la gauche politique : le {{date-|19 janvier}}, les députés socialistes prennent leurs distances face aux « deux factions bourgeoises rivales ».
== Le procès de Rennes 1899==
===Déroulement du procès===
[[Image:Port Haliguen (2).JPG|thumb|left|Port Haliguen à [[Quiberon]] où Dreyfus débarque en juin 1899]]
[[Image:Demange Labori.jpg|thumb|200px|La défense de Dreyfus à Rennes : Edgar Demange et Fernand Labori]]
Le prisonnier n'est en rien au courant des événements qui se déroulent à des milliers de kilomètres de lui.
Ni des complots ourdis pour que jamais il ne puisse revenir, ni de l'engagement d'innombrables honnêtes hommes et femmes à sa cause. L'administration pénitentiaire filtre les informations qu'elle jugeait confidentielles.
À la fin de l'année [[1898]], il apprend avec stupéfaction la dimension réelle de l'Affaire, dont il ne sait rien : l'accusation de son frère contre Esterházy, l'acquittement du traître, l'aveu et le suicide d'Henry, ceci à la lecture du dossier d'enquêtes de la Cour de cassation qu'il reçoit deux mois après sa publication<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 543</ref>.
Le [[5 juin]] [[1899]], Alfred Dreyfus est prévenu de la décision de cassation du jugement de [[1894]].
Le [[9 juin]], il quitte l'[[Île du Diable (Guyane)|île du Diable]], cap vers la France, enfermé dans une cabine comme un coupable qu'il n'est pourtant plus.
Il débarque le [[30 juin]] à Port Haliguen, sur la [[presqu'île de Quiberon]], dans le plus grand secret, {{guillemets|par une rentrée clandestine et nocturne}}<ref>Jean Jaurès, in ''L'Humanité'' du 4 juillet 1899</ref>.
Après cinq années de martyre, il retrouve le sol natal, mais il est immédiatement enfermé dès le 1{{er}} juillet à la prison militaire de [[Rennes]].
Il est déféré le [[7 août]] devant le Conseil de guerre de la capitale bretonne.
 
=== Les procès Zola ===
Le général Mercier, champion des antidreyfusards, intervient constamment dans la presse, pour réaffirmer l'exactitude du premier jugement : Dreyfus est bien le coupable.
[[Fichier:Zola sortie.jpg|vignette|gauche|redresse=1.2|La foule agresse [[Émile Zola]] lorsque l'écrivain sort de son procès à Versailles en {{date-|février 1898}}.<br> ''Zola aux outrages'', huile sur toile peinte par [[Henry de Groux]], 1898.]]
Mais immédiatement, des dissensions se font jour dans la défense de Dreyfus.
Le général [[Jean-Baptiste Billot|Billot]], ministre de la Guerre, porte plainte contre Zola et Alexandre Perrenx, le gérant de ''L'Aurore'', qui passent devant les [[Cour d'assises (France)|Assises]] de la Seine du 7 février au {{date-|23|février|1898}}. La diffamation envers une autorité publique est alors passible des Assises, alors que l'injure publique proférée par la presse nationaliste et antisémite n'amène que très peu de poursuites, et surtout quasiment aucune condamnation. Le ministre ne retient que trois passages de l'article<ref>[[#MiquelQS|Miquel, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}45.</ref>, soit dix-huit lignes sur plusieurs centaines. Il est reproché à Zola d'avoir écrit que le Conseil de guerre avait commis une « illégalité […] par ordre »<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], [[Alain Pagès|Pagès]], {{p.}}143.</ref>. Le procès s'ouvre dans une ambiance de grande violence : Zola récolte des insultes (« italianasse »<ref>[[Alain Pagès]], [https://books.google.fr/books?id=gh4YYlEIWZMC&pg=PA51&lpg=PA51&dq=zola+dreyfus+italianasse&source=bl&ots=A85mbUYpKG&sig=ZfkHfaUJueFeiaMHzEbkmuvc-sk&hl=fr&sa=X&ei=TzYjUpa1McHz0gXZqIHQAQ&ved=0CFwQ6AEwBw#v=onepage&q=zola%20dreyfus%20italianasse&f=false Zola au Panthéon: l'épilogue de l'affaire Dreyfus], [[Presses Sorbonne Nouvelle]], 2010, 264 pages.</ref>, émigré, apatride<ref>Carpanin Marimoutou et Jean-Michel Racault, [https://books.google.fr/books?id=WKYEVBtXFJcC&pg=PA261&dq=zola+apatride&hl=fr&sa=X&ei=6jYjUsaWHcHs0gXTioGQBg&ved=0CEsQ6AEwBA#v=onepage&q=zola%20apatride&f=false Métissages : Littérature-histoire], [[éditions L'Harmattan]], 1992, 304 pages.</ref>), mais aussi d'importants soutiens et de félicitations{{note|groupe=n|Le 2 février, [[Octave Mirbeau]], [[Laurent Tailhade]], [[Pierre Quillard]] et [[Georges Courteline]], entre autres, signent dans ''L'Aurore'' une « Adresse à Émile Zola » l'assurant de leur soutien « au nom de la Justice et de la Vérité ».}}.
Ses deux avocats sont en effet sur des stratégies opposées.
M{{e}} Demange souhaite se tenir sur la défensive et obtenir simplement l'acquittement de Dreyfus.
M{{e}} Labori, brillant avocat de 35 ans, offensif, cherche à frapper plus haut ; il veut la défaite de l'État-major, son humiliation publique.
Mathieu Dreyfus a imaginé une complémentarité entre les deux avocats.
Le déroulement du procès montre l'erreur, dont va se servir l'accusation, devant une défense si affaiblie.
 
[[Fichier:Charles Paul Renouard - The Dreyfus Affair, the Trial of M Zola in the Assize Court, Paris.jpg|vignette|Zola devant les [[Cour d'assises (France)|Assises]] de la Seine, en compagnie de son avocat [[Fernand Labori]] et de [[Georges Clemenceau]].<br> Dessin de [[Paul Renouard]] à la [[Une (journalisme)|une]] du magazine ''[[The Graphic]]'', {{date-|12 février 1898}}.]]
[[Image:Dreyfus-rennes2.jpg|thumb|250px|left|Le procès d'[[Alfred Dreyfus]] au Conseil de guerre de Rennes]]
[[Fichier:L'affaire Dreyfus à Paris. Mise en vente des journaux du soir rue du Croissant.jpg|vignette|« L'affaire Dreyfus à Paris. Mise en vente des journaux du soir rue du Croissant ».]]
Le procès s’ouvre le [[7 août]] [[1899]] dans un climat de violence inouïe.
Rennes est en état de siège<ref>Mathieu Dreyfus, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t L'Affaire...], pp. 206 et s.</ref>.
Les juges du Conseil de guerre sont sous pression.
Esterházy, qui a avoué la paternité du bordereau, en exil en Angleterre, et du Paty, se sont faits excuser.
Dreyfus apparaît, l’émotion est forte.
Son apparence physique bouleverse ses partisans et certains de ses adversaires<ref>Maurice Barres fait une description poignante de Dreyfus</ref>. Malgré sa condition physique dégradée, il a une maîtrise complète du dossier, acquise en seulement quelques semaines<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 562</ref>.
Tout l'État-major témoigne contre Dreyfus sans apporter aucune preuve.
On ne fait que s’entêter et on considère comme nuls les aveux d’Henry et d’Esterházy.
Le procès tend même à déraper, dans la mesure où les décisions de la Cour de cassation ne sont pas prises en compte.
On discute notamment du bordereau, alors que la preuve a été apportée de la culpabilité d’Esterházy.
Pourtant, Mercier se fait huer à la sortie de l'audience.
La presse nationaliste et antidreyfusarde se perd en conjectures sur son silence à propos de la {{guillemets|preuve décisive}} (le pseudo bordereau annoté par le Kaiser, dont personne ne verra jamais aucune preuve), dont il n'avait cessé de faire état avant le procès.
{{Wikisource|Acte d'accusation contre le capitaine Dreyfus|l'Acte d'accusation de Besson d'Ormescheville}}
 
[[Fernand Labori]], l'avocat de Zola, fait citer environ deux cents témoins. La réalité de l'Affaire Dreyfus, inconnue du grand public, est diffusée dans la presse. Plusieurs journaux, dont ''[[Le Siècle (journal)|Le Siècle]]'' d'[[Yves Guyot]], autre militant dreyfusard, et ''L'Aurore'', publient les notes [[sténographie|sténographiques]] ''in extenso'' des débats au jour le jour, ce qui édifie la population. Celles-ci constituent pour les dreyfusards un outil primordial pour les débats postérieurs. Cependant, les nationalistes, derrière [[Henri Rochefort]], sont alors les plus visibles et organisent des émeutes, forçant le [[Préfecture de police|préfet de police]] à intervenir afin de protéger les sorties de Zola<ref>qui se font par une porte latérale du Quai des Orfèvres. [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}36.</ref>, à chaque audience<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}44.</ref>.
Le [[14 août]], M{{e}} Labori est victime d'un attentat sur son parcours vers le tribunal.
Il se fait tirer dans le dos par un extrémiste qui s'enfuit et ne sera jamais retrouvé.
L'avocat est écarté des débats pendant plus d'une semaine, au moment décisif de l'interrogatoire des témoins.
Le [[22 août]], sont état s'étant amélioré, il est de retour.
Les incidents entre les deux avocats de Dreyfus se multiplient, Labori reprochant à Demange sa trop grande prudence.
Le gouvernement, devant le raidissement militaire du procès, pouvait agir encore de deux manières pour infléchir les événements ; en faisant appel à un témoignage de l'[[Allemagne]] ou par l'abandon de l'accusation<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Joly, p. 231</ref>.
Mais ces tractations en arrière-plan sont sans résultats.
L'ambassade d'Allemagne adresse un refus poli au gouvernement.
Le ministre de la guerre, le général [[Gaston de Galliffet]], fait envoyer un mot respectueux au commandant [[Louis Carrière]], commissaire du gouvernement.
Il lui demande de rester dans l'esprit de l'arrêt de révision de la Cour de cassation.
L'officier feint de ne pas comprendre l'allusion et aidé de l'avocat nationaliste Auffray, âme véritable de l'accusation, il fait un réquisitoire contre Dreyfus.
Du côté de la défense, il faut prendre une décision, car l'issue du procès s'annonce mal, malgré l'évidence de l'absence de charges contre l'accusé.
Au nom du président du Conseil, Waldeck-Rousseau, aidé de Jaurès et Zola, M{{e}} Labori est convaincu de renoncer à sa plaidoirie pour ne pas heurter l'armée.
On décide de jouer la conciliation en échange de l'acquittement que semble promettre le gouvernement.
Mais c'est un nouveau jeu de dupes<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 60</ref>.
M{{e}} Demange, seul et sans illusions, assure la défense de Dreyfus, dans une atmosphère de guerre civile. <br/>
À Paris, les agitateurs antisémites et nationalistes d’Auteuil sont arrêtés.
[[Jules Guérin]] et ceux qui se sont enfuis et retranchés dans le [[Fort Chabrol]] sont assaillis par la police.
 
Ce procès est aussi le lieu d'une véritable bataille juridique, dans laquelle les droits de la défense sont sans cesse bafoués<ref>Repiquet, bâtonnier de l'ordre, ''in Edgar Demange et Fernand Labori'', [[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], {{p.}}273 et s.</ref>. De nombreux observateurs prennent conscience de la collusion entre le monde politique et les militaires. À l'évidence, la Cour a reçu des instructions pour que la substance même de l'erreur judiciaire ne soit pas évoquée. Le président Delegorgue, prétextant l'allongement de durée des audiences, jongle sans cesse avec le droit pour que le procès ne traite que de la diffamation reprochée à Zola. Sa phrase « la question ne sera pas posée », répétée des dizaines de fois<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w Voir l'intégralité des débats de 1898].</ref>, devient célèbre{{note|groupe=n|Exemple d'un échange entre Fernand Labori, avocat de la défense et le président de la Cour d'assise Delegorgue :<br>
===Nouvelle condamnation===
<poem>« Me Labori. — Je vous demande pardon, monsieur le Président, d'intervenir, mais il serait intéressant d'entendre MM. Couard, Belhomme et Varinard.
[[Image:Dreyfus proteste.jpg|thumb|left|Nouvelle condamnation pour [[Alfred Dreyfus]]]]
M. Le président. — Non, non ; j'ai dit …
Le [[9 septembre]] [[1899]], la Cour rend son verdict : Dreyfus est reconnu coupable de trahison mais {{guillemets|avec circonstances atténuantes}} (par 5 voix contre 2), condamné à dix ans de réclusion et à une nouvelle dégradation. Contrairement aux apparences, ce verdict est au bord de l'acquittement à une voix près. Le code de justice militaire prévoyait en effet le principe de minorité de faveur à trois voix contre quatre<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], p. 159</ref>.<br />
Me Labori. — Mais j'ai une question à poser.
Ce verdict absurde<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 544</ref> a les apparences d'un aveu coupable des membres du Conseil de guerre.
M. Le président. — Vous ne la poserez pas.
Ils semblent ne pas vouloir renier la décision de [[1894]], et savent bien que le dossier ne repose que sur du vent.
Me Labori. — J'insiste, monsieur le Président.
Mais on peut aussi interpréter cette décision comme un verdict habile, car les juges, tout en ménageant leurs pairs ainsi que les modérés angoissés par les risques de guerre civile, reconnaissent implicitement l'innocence de Dreyfus (peut-on trahir avec des circonstances atténuantes ?)<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 61</ref>.
M. Le président. — Je vous dis que vous ne la poserez pas.
Me Labori. — Oh ! Monsieur le Président ! Il est intéressant…
M. Le président. — C'est inutile de crier si fort.
Me Labori. — Je crie parce que j'ai besoin de me faire entendre.
M. Le président. — La question ne sera pas posée.
Me Labori. — Permettez, vous dites cela ; mais je dis que je veux la poser.
M. Le président. — Eh bien ! Je dis que non, et c'est une affaire entendue ! Le Président doit écarter du débat tout ce qui peut allonger les débats sans aucune utilité ; c'est mon droit de le faire.
Me Labori. — Vous ne connaissez pas la question ; vous ne savez pas quelle est la question.
M. Le président. — Je sais parfaitement ce que vous allez demander.
Me Labori. — Eh bien, je dépose des conclusions pour avoir un arrêt de la Cour sur ce point.
M. Le président. — Toutes les conclusions que vous voudrez.
Me Labori. — Si vous croyez que cela va raccourcir les débats, vous vous trompez.
M. Le président. — Eh bien nous statuerons sur les conclusions pendant la suspension d'audience.
(''À l'huissier audiencier'') Un autre témoin.
(''M. Auguste Molinier se présente à la barre et prête serment.'')
M. Le président ''au greffier''. — Le témoin est-il cité régulièrement ?
M. le greffier. — Oui monsieur le Président.
M. Le président. — Quelle est la question Maître Labori ?
Me Labori. — Je vous demande pardon, je rédige des conclusions, et je considère qu'il est absolument indispensable que la déposition de M. Paul Meyer et les incidents qu'elle comporte comme discussions soient finis avant la déposition du nouveau témoin. Je n'ai besoin que de deux minutes ; je demande respectueusement que vous me les accordiez et j'interrogerai ensuite le témoin.
M. Le président. — Mais le témoin vient de prêter serment ; il faut absolument qu'on l'interroge maintenant.
Me Clemenceau. — C'est une question de deux minutes.
M. Le président. — Mais posez donc votre question dès maintenant ; c'est inutile de perdre notre temps.
Me Labori. — Je crois que l'audition de MM. Couard, Belhomme et Varinard est indispensable à la manifestation de la vérité et je tiens à ce que le refus de l'ordonner soit constaté avant que le témoin dépose : je considère cela comme indispensable au point de vue de la défense.
(''M. le Président feuillette le Code d'instruction criminelle.'')
M. Le président à M. A. Molinier. — Monsieur, voulez-vous vous retirer s'il vous plaît.
(''À l'huissier audiencier.'') Voulez-vous faire retirer le témoin, s'il vous plaît.
(''Me Labori rédige ses conclusions.'') », [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w Procès Zola] {{p.}}503-505.</poem>}}.
 
Zola est condamné à un an de prison et à {{unité|3000|francs}} d'amende, la peine maximale. [[Octave Mirbeau]] paie de sa poche les {{unité|7525|francs}}, représentant le montant de l'amende et des frais de justice, le {{date|8|août|1898}}<ref>[[Pierre Michel (écrivain)|Pierre Michel]], [https://books.google.fr/books?id=dLJu5fhxyVwC&pg=PA342#v=onepage&q&f=false ''Les Combats d'Octave Mirbeau''], {{p.|342}}, [[Université de Franche-Comté|Presses universitaires de Franche-Comté]], 1993, 181 pages.</ref>. La dureté du verdict est imputable à l'atmosphère de violence entourant le procès : {{citation bloc|La surexcitation de l'auditoire, l'exaspération de la foule massée devant le palais de Justice étaient si violentes qu'on pouvait redouter les excès les plus graves si le jury avait acquitté M. Zola<ref>Selon les souvenirs de l'antidreyfusard [[Arthur Meyer]], ''Ce que mes yeux ont vu'', [[Plon]], 1912, {{p.}}149.</ref>.}}
Le lendemain du verdict, Alfred Dreyfus, après avoir beaucoup hésité, dépose un pourvoi en révision.
Waldeck-Rousseau, dans une position difficile, aborde pour la première fois la grâce. Pour Dreyfus, c'est accepter la culpabilité.
Mais à bout de force, éloigné des siens depuis trop longtemps, il accepte.
Le décret est signé le [[19 septembre]] et il est libéré le [[21 septembre]] [[1899]].
Nombreux sont les dreyfusards frustrés par cet acte final.
L'opinion publique accueille cette conclusion de manière indifférente.
La France aspire à la paix civile et à la concorde à la veille de [[Expositions universelles de Paris|l'exposition universelle de 1900]] et avant le grand combat que la République s'apprête à mener pour la [[Association loi de 1901|liberté des associations]] et la [[Séparation des Églises et de l'État en 1905|laïcité]].
 
Cependant, le procès Zola est plutôt une victoire pour les dreyfusards<ref>À partir de cette phrase et jusqu'à la fin du paragraphe suivant : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}39-41.</ref>. En effet, l'Affaire et ses contradictions ont pu être largement évoquées tout au long du procès, en particulier par des militaires. De plus, la violence des attaques contre Zola, et l'injustice de sa condamnation renforcent l'engagement des dreyfusards : [[Stéphane Mallarmé]] se déclare {{Citation|pénétré par la sublimité de [l']Acte [de Zola]}}<ref>F. Brown, ''Zola, une vie'', Belfond, 1996, {{p.}}779.</ref> et [[Jules Renard]] écrit dans son journal : {{citation bloc|À partir de ce soir, je tiens à la République, qui m'inspire un respect, une tendresse que je ne me connaissais pas. Je déclare que le mot Justice est le plus beau de la langue des hommes, et qu'il faut pleurer si les hommes ne le comprennent plus<ref>Jules Renard, ''Journal 1887-1910'', [[Éditions Gallimard|Gallimard]], 1965, {{p.}}472).</ref>.}}
[[Image:Monde Illustré.jpg|thumb|250px|Le colonel Jouaust, président du Conseil de guerre, lit le verdict de condamnation, à la une de l'hebdomadaire ''Le monde illustré.'']]
C'est dans cet esprit que le [[17 novembre]] 1899, Waldeck-Rousseau dépose une loi d’amnistie couvrant {{guillemets|tous les faits criminels ou délictueux connexes à l’Affaire Dreyfus ou ayant été compris dans une poursuite relative à l’un de ces faits}}.
Les dreyfusards s’insurgent, ils ne peuvent accepter que les véritables coupables soient absous de leurs crimes d'État, alors même que Zola et Picquart doivent toujours passer en jugement.
Malgré d'immenses protestations, la loi est adoptée.
Il n’existe alors plus aucun recours possible pour obtenir que l’innocence de Dreyfus soit reconnue ; il faut désormais trouver un fait nouveau pouvant entraîner la révision.
 
Le sénateur [[Ludovic Trarieux]] et le juriste catholique [[Paul Viollet]] fondent la [[Ligue des droits de l'homme (France)|Ligue pour la défense des droits de l'homme]]. Plus encore que l'affaire Dreyfus, l'affaire Zola opère un regroupement des forces intellectuelles en deux camps opposés.
===Réactions===
Les réactions en [[France]] sont vives, faites de {{guillemets|stupeur et de tristesse}} dans le camp révisionniste<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 395</ref>. Pourtant d'autres réactions tendent à montrer que le {{guillemets|verdict d'apaisement}} rendu par les juges est compris et accepté par la population.
Les Républicains cherchent avant tout la paix sociale, pour tourner la page de cette longue affaire extrêmement polémique.
Aussi, les manifestations sont très peu nombreuses en province, alors que l'agitation persiste quelque peu à Paris<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 404</ref>.
Dans le monde militaire, l'apaisement est aussi de rigueur.
Deux des sept juges ont voté l'acquittement<ref>Il s'agissait du président du Conseil de guerre et du commandant de Bréon</ref>.
Ils ont refusé de céder à l'ordre militaire implicite.
Ceci est aussi clairement perçu. Dans une apostrophe à l'armée, Galliffet annonce : {{guillemets|l'incident est clos}}.
 
Le {{date-|2 avril}}, une demande de [[Pourvoi en cassation en droit français|pourvoi en cassation]] reçoit une réponse favorable. Il s'agit de la première intervention de la Cour dans cette affaire judiciaire. La plainte aurait en effet dû être portée par le Conseil de guerre et non par le ministre. Le procureur général Manau est favorable à la révision du procès Dreyfus et s'oppose fermement aux antisémites. Les juges du Conseil de guerre, mis en cause par Zola, portent plainte pour diffamation. L'affaire est déférée devant les assises de Seine-et-Oise à [[Versailles]] où le public passe pour être plus favorable à l'Armée, plus nationaliste. Le {{date-|23|mai|1898}}, dès la première audience, M{{e}} Labori se pourvoit en cassation en raison du changement de juridiction. Le procès est ajourné et les débats sont repoussés au {{date-|18 juillet}}. Labori conseille à Zola de quitter la France pour l'[[Angleterre]] avant la fin du procès, ce que fait l'écrivain, en partant seul pour un exil d'un an en Angleterre. Les accusés sont de nouveau condamnés. Quant au colonel Picquart, il se retrouve à nouveau en prison.
Des manifestations anti-françaises ont lieu dans vingt capitales étrangères ; la presse est scandalisée<ref>[[#MiquelQS|Miquel, ''Affaire Dreyfus'']] p. 114</ref>.
Les réactions sont de deux ordres. Les Anglo-saxons, légalistes, se focalisent sur l'affaire d'espionnage et contestent assez violemment ce verdict de culpabilité sans arguments positifs à son édification.
À ce titre, le rapport du ''[[Lord Chief Justice]]'' d'Angleterre, [[Lord Russell of Killowen]], à la [[reine Victoria]] le [[16 septembre]] [[1899]], est un symbole de la répercussion mondiale de ''l'Affaire'' en [[Grande-Bretagne]].
Le magistrat anglais, qui s'était rendu en observateur à Rennes, critique les faiblesses du Conseil de Guerre :
 
=== Henry démasqué, l'Affaire rebondit ===
{{Citation bloc| Les juges militaires « n'étaient pas familiers de la loi » [...]. Ils manquaient de l'expérience et de l'aptitude qui permettent de voir la preuve derrière le témoignage. [...] Ils agirent en fonction de ce qu'ils considéraient comme l'honneur de l'armée. [...] ils accordèrent trop d'importance aux fragiles allégations qui furent seules présentées contre l'accusé. Ainsi conclut-il : Il parait certain que si le procès de révision avait eu lieu devant la [[Cour de cassation (France)|Cour de cassation]], Dreyfus serait maintenant un homme libre.}}
{{double image|right|Troubles d'Alger (Monde illustré, 1898-02-05).jpeg|160|Les émeutes à Alger - Le Petit Journal (6 février 1898).jpg|150|Émeutes antisémites à [[Alger]] en {{date-|janvier 1898}}<br> (''[[Le Monde illustré (Paris)|Le Monde illustré]]'' et ''[[Le Petit Journal (quotidien)|Le Petit Journal]]'').}}
L'acquittement d'Esterhazy, les condamnations d'Émile Zola et de Georges Picquart, et la présence continue d'un innocent au bagne, ont un retentissement national et international<ref>V. Réception de l'affaire en Grande-Bretagne, États-Unis et Allemagne in [[#Drouin|Drouin, ''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']].</ref> considérable. La France expose un arbitraire étatique contredisant les principes républicains fondateurs. L'antisémitisme fait des progrès considérables, et les émeutes sont courantes pendant toute l'année 1898. Cependant, les hommes politiques en restent encore au déni de l'Affaire. En avril et {{date-|mai 1898}}, ils sont surtout préoccupés par les [[Élections législatives en France|élections législatives]], après lesquelles Jaurès perd son siège de député de [[Carmaux]]<ref>De cette phrase à la fin du paragraphe suivant, sauf précision contraire : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}50-51.</ref>. La majorité reste « modérée », et un groupe parlementaire antisémite apparaît à la Chambre. Cependant, la cause dreyfusarde est relancée.
 
[[Fichier:G Cavaignac.jpg|vignette|gauche|Portrait de [[Godefroy Cavaignac (homme politique)|Godefroy Cavaignac]], ministre de la Guerre.]]
En [[Allemagne]] et en [[Italie]], les deux pays largement mis en cause par les procès contre Dreyfus, c'est le soulagement.
Même si l'Empereur d'Allemagne regrette que l'innocence de Dreyfus n'ait pas été reconnue, la normalisation des relations franco-prussiennes qui s'annonce est vue comme une détente bienvenue. Aucune des nations n'a intérêt à une tension permanente.
La diplomatie des trois puissances, avec l'aide de l'Angleterre, va s'employer à détendre une atmosphère qui ne se dégradera à nouveau qu'à la veille de la [[Première Guerre mondiale]].
Cette conclusion judiciaire a aussi une conséquence funeste sur les relations entre la famille Dreyfus et la branche ultra des dreyfusistes. Fernand Labori, Jaurès et Clemenceau, avec le consentement du général Picquart, reprochent ouvertement à Alfred Dreyfus d'avoir accepté la grâce et d'avoir mollement protesté à la loi d'amnistie.
En deux ans après cette conclusion, leur amitié se finissait ainsi, avec de sordides calculs<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 411</ref>.
 
En effet, [[Godefroy Cavaignac (homme politique)|Godefroy Cavaignac]], nouveau ministre de la Guerre et anti-révisionniste farouche, veut démontrer définitivement la culpabilité de Dreyfus, en « tordant le cou » au passage à Esterhazy, qu'il tient pour « un mythomane et un maître chanteur »<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}287.</ref>. Il est absolument convaincu de la culpabilité de Dreyfus, renforcé dans cette idée par la légende des aveux, après avoir rencontré le principal témoin, le capitaine [[Charles Lebrun-Renault|Lebrun-Renault]]<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4], {{p.}}5.</ref>. Cavaignac a l'honnêteté d'un doctrinaire intransigeant<ref>[[#Thomas|Thomas, ''L'Affaire sans Dreyfus'']], Tome 2, {{p.}}262.</ref>, mais ne connaît absolument pas les dessous de l'Affaire, que l'État-Major s'est gardé de lui enseigner. Il a la surprise d'apprendre que l'ensemble des pièces sur lesquelles l'accusation se basait n'avaient pas été expertisées, Boisdeffre ayant « une confiance absolue » en Henry. Il décide d'enquêter lui-même, dans son bureau avec ses adjoints, et rapatrie le dossier secret qui compte alors 365 pièces<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}279. En 1894, il n'y en avait que quatre.</ref>.
==La longue marche vers la réhabilitation - 1900-1906==
Préférant éviter un troisième procès, le gouvernement décide de [[grâce présidentielle|gracier]] Dreyfus, décret que signe le président Loubet le [[19 septembre]] [[1899]], après de multiples tergiversations.
Dreyfus n'est pas pour autant innocenté. Le processus de réhabilitation ne sera achevé que six années plus tard, sans éclat ni passion. De nombreux ouvrages paraissent pendant cette période. Outre les mémoires d'Alfred Dreyfus <ref>''Cinq années de ma vie''</ref>, Reinach fait paraître son ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'', et Jaurès publie ''Les Preuves''. Quant à Zola, il écrit le troisième de ses ''Évangiles'' : ''Vérité''. Même [[Esterhazy|Esterházy]] en profite par des confidences et vend plusieurs versions différentes des textes de sa déposition au consul de France<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 414</ref>.
 
Le {{date-|7|juillet|1898}}, lors d'une interpellation à la Chambre, Cavaignac fait état de trois pièces « accablantes, entre mille », dont deux n'ont aucun rapport avec l'Affaire, et l'autre est le faux d'Henry<ref>Pour ce paragraphe et le suivant : [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}49-51.</ref>. Le discours de Cavaignac est efficace : les députés l'ovationnent et votent l'affichage du discours avec la reproduction des trois preuves dans les {{unité|36000|communes}} de France à {{nombre|572|voix}}<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}288.</ref>. Les antidreyfusards triomphent, mais Cavaignac a reconnu implicitement que la défense de Dreyfus n'avait pas eu accès à toutes les preuves : la demande en annulation formulée par Lucie Dreyfus devient recevable. Le lendemain, le colonel Picquart déclare dans ''Le Temps'' au président du Conseil : « Je suis en état d'établir devant toute juridiction compétente que les deux pièces portant la date de 1894 ne sauraient s'appliquer à Dreyfus et que celle qui portait la date de [[1896]] avait tous les caractères d'un faux. », ce qui lui vaut onze mois de prison.
===Décès de Zola===
Le [[29 septembre]] [[1902]], [[Zola]], l'initiateur de l'Affaire, le premier des intellectuels dreyfusards, meurt asphyxié par la fumée de sa cheminée. Son épouse, Alexandrine, en réchappe de justesse<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 417</ref>. C'est le choc dans le clan des dreyfusards.
 
[[Fichier:Le suicide du lieutenant-colonel Henry - Le Progrès illustré (septembre 1898).jpg|vignette|Suicide du lieutenant-colonel [[Hubert Henry]] dans une cellule de la [[forteresse du Mont-Valérien]] (''[[Le Progrès (Lyon)|Le Progrès illustré]]'', 1898).]]
[[Anatole France]], qui a exigé que Dreyfus soit présent aux obsèques, alors que le Préfet de police souhaitait son absence {{guillemets|pour éviter les troubles}}, lit sa célèbre oraison funèbre à l'auteur de [[J'accuse]] :
Le {{date-|13 août}} au soir, le capitaine [[Louis Cuignet|Cuignet]], attaché au cabinet de Cavaignac, qui travaille à la lumière d'une lampe, observe que la couleur du léger quadrillage du papier de l'entête et du bas de page ne correspondent pas à la partie centrale. Cavaignac tente encore de trouver des raisons logiques à la culpabilité et la condamnation de Dreyfus<ref>[[#Duclert|Duclert, ''l'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}48.</ref> mais ne tait pas cette découverte<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}301.</ref>. Un conseil d'enquête est formé pour enquêter sur Esterhazy, devant lequel celui-ci panique et avoue ses rapports secrets avec le commandant du Paty de Clam. La collusion entre l'État-Major et le traître est révélée. Le {{date|30 août}}, Cavaignac se résigne à demander des explications au colonel Henry, en présence de Boisdeffre et Gonse. Après une heure d'interrogatoire mené par le ministre lui-même, Henry s'effondre et fait des aveux complets<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4], {{p.}}183 et s.</ref>. Il est placé aux arrêts de forteresse au [[forteresse du Mont-Valérien|Mont-Valérien]] et se suicide{{note|groupe=n|Les circonstances du décès d'Henry ne sont toujours pas éclaircies et ont nourri quelques fantasmes. L'assassinat est peu probable<ref>[[#MiquelQS|Miquel, ''l'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}74.</ref>.}}{{,}}<ref>{{Lien web|url=http://www.dreyfus.culture.fr/fr/pedagogie/pedago-doc-annonce-suicide-colonel-henry.htm|titre=Annonce du suicide du lieutenant colonel Henry|série=Document militaire|auteur=Le chef d'escadron Walter, commandant du Mont-Valérien|date=31-08-1898|site=dreyfus.culture.fr|éditeur=Centre historique des Archives nationales|consulté le=31 août 2008}}.</ref> le lendemain en se tranchant la gorge avec un rasoir. La demande de révision déposée par Lucie Dreyfus ne peut plus être repoussée. Pourtant, Cavaignac affirme : {{Citation|moins que jamais !}}<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}80.</ref>, mais le président du Conseil, [[Henri Brisson]], le force à démissionner. Malgré son rôle, apparemment totalement involontaire, dans la révision du procès de 1894, il reste un antidreyfusard convaincu et fera une intervention méprisante et blessante envers Dreyfus au procès de Rennes<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24250f Procès de Rennes, Tome 1], {{p.}}181 et s.</ref>.
[[Image:Anatole France Oseques Zola.jpg|thumb|240px|Les obsèques de Zola où [[Anatole France]] dit l'hommage à son ami.]]
 
{{Citation bloc|Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la vérité, m'est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d'un innocent et qui, se sentant perdus s'il était sauvé, l'accablaient avec l'audace désespérée de la peur ? <br>
Les antirévisionnistes ne se considèrent pas comme battus. Le {{date-|6 septembre}}, [[Charles Maurras]] publie un éloge d'Henry dans ''[[La Gazette (France)|La Gazette de France]]'', qu'il qualifie de « serviteur héroïque des grands intérêts de l'État »<ref>[[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}52.</ref>. ''[[La Libre Parole]]'', journal antisémite de Drumont, propage la notion de « faux patriotique ». Le même journal lance en décembre une souscription au profit de sa veuve, afin d'ériger un monument à la gloire d'Henry, d'où le nom qui lui est donné de ''Monument Henry''<ref>{{Article|auteur1=Stephen Wilson|titre=Le monument Henry : la structure de l'antisémitisme en France, 1898-1899|périodique=Annales|volume=32-2|année=1977|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1977_num_32_2_293815|pages=265-291}}</ref>. Chaque donation est accompagnée de remarques lapidaires sur Dreyfus et les dreyfusards, souvent injurieuses. {{unité|14000|souscripteurs}}<ref>Dont [[Paul Valéry]], [[Pierre Louÿs]], et un [[Paul Léautaud]] ironique, qui joint le message : « Pour l'ordre, contre la justice et la vérité ». [[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}57.</ref>, dont 53 députés, envoient {{unité|131000|francs}}<ref>[[#MiquelQS|Miquel, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}92.</ref>. Le {{date-|3|septembre|1898}}, le président du Conseil, Brisson, incite Mathieu Dreyfus à déposer une demande en révision du Conseil de guerre de 1894. Le gouvernement transfère le dossier à la Cour de cassation, pour avis sur les quatre ans de procédures passées.
Comment les écarter de votre vue, alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et désarmé devant eux ? <br>
 
Puis-je taire leurs mensonges ?
La France est réellement divisée en deux, mais aucune généralisation n'est possible : la communauté juive s'engage peu, les intellectuels ne sont pas tous dreyfusards{{note|groupe=n|Des {{nombre|40|membres}} de l'[[Académie française]], Anatole France est le seul révisionniste.}}, les protestants sont partagés, des marxistes refusent de soutenir Dreyfus<ref>[[#WinockS|Winock, ''Le Siècle des intellectuels'']], {{p.}}63-65.</ref>. Le clivage transcende les religions et milieux sociaux, comme l'illustre la célèbre caricature de [[Caran d'Ache]] ''[[Un dîner en famille]]''.
Ce serait taire sa droiture héroïque. <br>
 
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Henry-Ibels.jpg|<center>Caricature dreyfusarde d'[[Henri-Gabriel Ibels]] moquant le projet du « monument Henry » (''[[Le Sifflet (1898)|Le Sifflet]]'', 1898).</center>
Caran-d-ache-dreyfus-supper.jpg|<center>''[[Un dîner en famille]]'', dessin de [[Caran d'Ache]] dans ''[[le Figaro]]'' du {{date-|14|février|1898}}.</center>
</gallery>
 
=== Crise et recomposition du paysage politique ===
[[Fichier:Caricature d'Émile Zurlinden par Charles Léandre - Le Rire - 24 septembre 1898.jpg|vignette|gauche|Le général [[Émile Zurlinden|Zurlinden]] tente de faire pencher avec son épée la [[Justice (allégorie)|balance de la Justice]]<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Paul|nom1=Ducatel|titre=Histoire de la {{IIIe}} République vue à travers l'imagerie populaire et la presse satirique|lieu=Paris|éditeur=Jen Grassin|tome={{III}}|titre volume=La Belle époque (1891-1910)|année=1976|pages totales=223|passage=87}}.</ref>. Caricature par [[Charles Léandre]], ''[[Le Rire]]'', {{date-|24 septembre 1898}}.]]
[[Hubert Henry|Henry]] est mort, [[Raoul Le Mouton de Boisdeffre|Boisdeffre]] a démissionné, [[Charles-Arthur Gonse|Gonse]] n'a plus aucune autorité et [[Armand du Paty de Clam|du Paty]] a été très gravement compromis par [[Ferdinand Walsin Esterhazy|Esterhazy]] : pour les conjurés, c'est la débâcle<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}307.</ref>. Le gouvernement est désormais pris entre deux feux : la loi et le droit contre la pression nationaliste de la rue et du commandement supérieur qui se reprend. [[Godefroy Cavaignac (homme politique)|Cavaignac]], démis pour avoir continué à répandre sa vision antidreyfusarde de l'Affaire, se pose en chef de file antirévisionniste. Le général [[Émile Zurlinden|Zurlinden]] qui lui succède, influencé par l'état-major, rend un avis négatif à la révision le 10 septembre, conforté par la presse extrémiste pour laquelle « la révision, c'est la guerre ». L'obstination du gouvernement, qui vote le recours à la Cour de cassation le {{date-|26 septembre}}, amène la démission de Zurlinden, remplacé aussitôt par le général [[Jules Chanoine|Chanoine]]<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}50.</ref>. Celui-ci, lors d'une interpellation à la [[Chambre des députés|Chambre]], donne sa démission, la confiance étant refusée à [[Henri Brisson|Brisson]], contraint lui aussi à la démission. L'instabilité ministérielle entraîne une certaine instabilité gouvernementale.
 
[[Fichier:À hue et à dia. Arrivera-t-elle ? (Le Grelot, 1899-01-22).jpg|vignette|Poussé par la [[Ligue des droits de l'homme (France)|Ligue des droits de l'homme]], le [[Président de la République française|président]] [[Émile Loubet]] conduit le char de l'État apportant la révision du procès Dreyfus. Les antidreyfusards (dont la [[Ligue des patriotes]] et la [[Grand Occident de France|Ligue antisémitique de France]]) tentent de lui mettre des bâtons dans les roues. Caricature d'[[Claude Guillaumin (artiste)|Édouard Pépin]] à la [[Une (journalisme)|une]] du [[Presse satirique|journal satirique]] ''[[Le Grelot]]'', {{date-|22 janvier 1899}}.]]
 
Le {{date-|1er novembre}}, le progressiste{{note|groupe=n|Dans les années 1890, les républicains modérés de la nouvelle génération se rebaptisent progressistes, selon le terme utilisé par le jeune [[Paul Deschanel]] dans son discours de rentrée après les législatives de 1893.}} [[Charles Dupuy]] est nommé à la place de Brisson. En 1894, il avait couvert les agissements du général Mercier aux débuts de l'affaire Dreyfus<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 1], {{p.}}137.</ref> ; quatre ans plus tard, il annonce qu'il suivra les arrêts de la Cour de cassation, barrant la route à ceux qui veulent étouffer la révision et dessaisir la Cour<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4], {{p.}}358 et s.</ref>. Le 5 décembre, à la faveur d'un débat à la Chambre sur la transmission du « dossier secret » à la Cour de cassation, la tension monte encore d'un cran. Les injures, invectives et autres violences nationalistes font place aux menaces de soulèvement. [[Paul Déroulède]] déclare : {{Citation|S'il faut faire la guerre civile, nous la ferons.}}<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}97.</ref>
 
Une nouvelle crise survient au sein même de la Cour de cassation, lorsque [[Jules Quesnay de Beaurepaire|Quesnay de Beaurepaire]], président de la chambre civile, accuse la chambre criminelle de dreyfusisme par voie de presse. Il démissionne le {{date|8|janvier|1899}} en héros de la cause nationaliste. Cette crise aboutit au dessaisissement de la chambre criminelle au profit des chambres réunies. C'est le blocage de la révision<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}53.</ref>.
 
En 1899, l'Affaire occupe de plus en plus la scène politique. Le {{date-|16|février|1899}}, le président de la République [[Félix Faure]] meurt<ref>Pour ce paragraphe : [[#Demier|Francis Démier, ''La France du {{s|XIX}}'']] {{p.}}384-5.</ref>. [[Émile Loubet]] est élu, une avancée pour la cause de la révision, le président précédent en étant un farouche opposant. Le 23 février, à la faveur des funérailles de Félix Faure, Déroulède tente un coup de force sur l'[[Palais de l'Élysée|Élysée]]. C'est un échec, les militaires ne se ralliant pas. Le {{date-|4 juin}}, Loubet est agressé sur le champ de course de [[Hippodrome ParisLongchamp|Longchamp]]. Ces provocations, auxquelles s'ajoutent les manifestations permanentes de l'extrême-droite, bien qu'elles ne mettent jamais réellement la République en danger, créent un sursaut républicain qui conduit à la formation d'un « gouvernement de défense républicaine » autour de [[Pierre Waldeck-Rousseau|Waldeck-Rousseau]] le {{date-|22 juin}}. Les républicains « progressistes » antidreyfusards, tel [[Jules Méline|Méline]], sont rejetés à droite. L'affaire Dreyfus a conduit à une recomposition claire du paysage politique français.
 
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File:Le général Roget et M. Déroulède - Le Petit Journal illustré 1899-03-12.jpg|Chef de la [[Ligue des patriotes]], [[Paul Déroulède]] [[Tentative de coup d'État du 23 février 1899|tente un coup d'État]] le {{date-|23 février 1899}} en cherchant à entraîner les troupes du [[Gaudérique Roget|général Roget]] vers le [[palais de l'Élysée]]<br> (''[[Le Petit Journal (quotidien)|Le Petit Journal]]'', 1899).
File:Agression contre Loubet (Monde moderne, 1899-08).jpg|Le [[Président de la République française|président]] [[Émile Loubet]] agressé à la tribune de l'[[hippodrome d'Auteuil]] (''[[Le Monde moderne]]'', 1899).
File:Gouvernement Pierre Waldeck-Rousseau - L'Illustration (1er juillet 1899).jpg|Le « [[Gouvernement Pierre Waldeck-Rousseau|gouvernement de défense républicaine]] » de [[Pierre Waldeck-Rousseau|Waldeck-Rousseau]] (''[[L'Illustration]]'', {{date-|1er juillet 1899}}).
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=== La cassation du jugement de 1894 ===
[[Fichier:Cassation Dreyfus.jpg|vignette|gauche|Les magistrats [[Louis Loew]], [[Jean-Pierre Manau]] et Louis Chambareaud de la [[Chambre criminelle de la Cour de cassation française|chambre criminelle]] de la [[Cour de cassation (France)|Cour de cassation]] (''Le Petit Journal'').]]
Le {{date-|26|septembre|1898}}, après un vote du Cabinet, le [[Ministère de la Justice (France)|garde des Sceaux]] saisit la Cour de cassation. Le 29 octobre, à l'issue de la communication du rapport du rapporteur Alphonse Bard, la chambre criminelle de la Cour déclare « la demande recevable et dit qu'il sera procédé par elle à une instruction supplémentaire »<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Royer-Ozaman, {{p.}}182.</ref>.
 
La Cour de cassation examine l'affaire dans un contexte de campagnes de presse contre la [[Chambre criminelle de la cour de cassation française|chambre criminelle]], les magistrats étant constamment traînés dans la boue dans les journaux nationalistes depuis le [[scandale de Panama]]<ref>[[#MiquelQS|Miquel, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}91.</ref>. Le rapporteur [[Louis Loew]] préside. Il est l'objet d'une très violente campagne d'injures antisémites, alors qu'il est [[Protestantisme|protestant]] alsacien, accusé d'être un déserteur, un vendu aux Prussiens. Malgré les silences complaisants de Mercier, [[Jean-Baptiste Billot|Billot]], Zurlinden et Roget qui se retranchent derrière l'autorité de la chose jugée et le secret d'État, la compréhension de l'Affaire progresse. Cavaignac fait une déposition de deux jours, mais ne parvient pas à démontrer la culpabilité de Dreyfus. Au contraire, il le disculpe involontairement par une démonstration de la datation exacte du bordereau ({{date-|août 1894}})<ref name="ibid"/>.
 
Puis Picquart démontre l'ensemble des rouages de l'erreur puis de la conspiration<ref>Reinach, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t ''Histoire de l'affaire Dreyfus'', Tome 4], {{p.}}397 et s.</ref>. Dans une décision du {{date-|8|décembre|1898}}, Picquart est écarté du Conseil de guerre par la chambre criminelle<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], La première révision, Royer et Ozaman, {{p.}}215.</ref>. C'est un nouvel obstacle aux volontés de l'état-major. Une nouvelle campagne de presse furieusement antisémite éclate à l'occasion de cet événement, alors que ''L'Aurore'' du {{date-|29 octobre}} titre « Victoire » dans les mêmes caractères que « J'accuse… ! »<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], {{p.}}194.</ref>. Le travail d'enquête est tout de même repris par la chambre criminelle<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}52.</ref>. Le « dossier secret » est analysé à partir du {{date-|30 décembre}}, et la chambre demande la communication du dossier diplomatique, ce qui est accordé.
 
Le {{date-|9 février}}, la chambre criminelle rend son rapport en mettant en exergue deux faits majeurs : il est certain qu'Esterhazy a utilisé le même papier pelure que le bordereau{{note|groupe=n|La Cour a fait réaliser plusieurs expertises scientifiques minutieuses afin de conclure à des certitudes.}} et le dossier secret est totalement vide. Ces deux faits majeurs anéantissent toutes les procédures contre Alfred Dreyfus à eux seuls. Mais parallèlement, faisant suite à l'incident provoqué par Quesnay de Beaurepaire, le [[Charles Mazeau|président Mazeau]] instruit une enquête sur la chambre criminelle, qui aboutit au dessaisissement de celle-ci {{Citation|afin de ne pas la laisser porter seule toute la responsabilité de la sentence définitive}}, ce qui prive la chambre criminelle de la poursuite des actions qui découleraient de son rapport.
 
Le {{date-|28 février}}, [[Pierre Waldeck-Rousseau|Waldeck-Rousseau]] s'exprime au Sénat sur le fond et dénonce la « conspiration morale » au sein du gouvernement et dans la rue. La révision n'est plus évitable. Le {{date-|1|mars|1899}}, le nouveau président de la chambre civile de la Cour de cassation, Alexis Ballot-Beaupré, est nommé rapporteur pour l'examen de la demande de révision. Il aborde le dossier en juriste et décide d'un supplément d'enquête. Dix témoins complémentaires sont interrogés, lesquels affaiblissent encore la version de l'état-major. Dans le débat final et en modèle d'objectivité, le président Ballot-Beaupré démontre l'inanité du bordereau, la seule charge contre Dreyfus. Le procureur Manau abonde dans le sens du président. M{{e}} Mornard qui représente Lucie Dreyfus plaide sans aucune difficulté ni opposition du parquet<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t v. ''Débats de la cour de cassation en vue de la révision''].</ref>.[[Fichier:9Fi51 Arrêt de la cour de cassation dans l'affaire Dreyfus.jpg|vignette|Arrêt de la Cour de cassation, affiché dans toutes les communes de France à partir du {{date-|5|juin|1899}}.]]Le {{date-|3|juin|1899}}, les chambres réunies de la Cour de cassation cassent le jugement de 1894 en audience solennelle<ref>[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t v. arrêt de la Cour du 3 juin 1899].</ref>. L'affaire est renvoyée devant le Conseil de guerre de Rennes. Les conséquences sont immédiates : Zola, exilé en Angleterre, revient en France, Picquart est libéré, Mercier est accusé de communication illégale de pièces. Avec cet arrêt, la Cour de cassation s'impose comme une véritable autorité, capable de tenir tête à l'armée et au pouvoir politique<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Royer et Ozaman, {{p.}}210.</ref>. Pour de nombreux dreyfusards, cette décision de justice est l'antichambre de l'acquittement du capitaine ; ils oublient de considérer que c'est de nouveau l'armée qui le juge. La Cour, en cassant avec renvoi, a cru en l'autonomie juridique du Conseil de guerre sans prendre en compte les lois de l'esprit de corps{{douteux}}<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Royer et Ozaman, {{p.}}211.</ref>.
 
== Le procès de Rennes 1899 ==
=== Déroulement du procès ===
[[Fichier:Port Haliguen (2).JPG|vignette|gauche|Port Haliguen à [[Quiberon]] où Dreyfus débarque en {{date-|juin 1899}}.]]
Le prisonnier n'est en rien informé d'événements qui se déroulent à des milliers de kilomètres de lui : ni des complots ourdis pour qu'il ne puisse jamais revenir, ni de l'engagement d'innombrables hommes et femmes à sa cause. L'administration pénitentiaire filtre les informations qu'elle juge confidentielles. À la fin de l'année 1898, il apprend avec stupéfaction la dimension réelle de l'Affaire, dont il ne sait rien : l'accusation de son frère contre Esterhazy, l'acquittement du traître, l'aveu et le suicide d'Henry, ceci à la lecture du dossier d'enquêtes de la Cour de cassation qu'il reçoit deux mois après sa publication<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}543.</ref>. Le {{date-|5|juin|1899}}, Alfred Dreyfus est prévenu de la décision de cassation du jugement de 1894. Le 9 juin, il quitte l'[[île du Diable]], cap vers la France, enfermé dans une cabine comme un coupable qu'il n'est pourtant plus. Il débarque le 30 juin à [[Port-Haliguen]], sur la [[presqu'île de Quiberon]], dans le plus grand secret, « par une rentrée clandestine et nocturne<ref>Jean Jaurès, in ''L'Humanité'' du 4 juillet 1899.</ref> ». Après cinq années de martyre, il retrouve son sol natal, mais il est immédiatement enfermé dès le {{1er}} juillet à la prison militaire de [[Rennes]]. Il est déféré le 7 août devant le Conseil de guerre de la capitale bretonne, dans le lycée de Rennes (aujourd'hui [[Lycée Émile-Zola de Rennes|lycée Émile-Zola]]).
 
[[Fichier:Demange Labori.jpg|vignette|redresse|La défense de Dreyfus à Rennes : [[Edgar Demange]] et [[Fernand Labori]].]]
 
Le général Mercier, champion des antidreyfusards, intervient constamment dans la presse, pour réaffirmer l'exactitude du premier jugement : Dreyfus est bien le coupable. Or immédiatement se font jour des dissensions dans la défense de Dreyfus : ses deux avocats suivent des stratégies opposées. M{{e}} Demange souhaite se tenir sur la défensive et obtenir simplement l'acquittement de Dreyfus. M{{e}} Labori, brillant avocat de 35 ans, offensif, cherche à frapper plus haut ; il veut la défaite de l'état-major, son humiliation publique. Mathieu Dreyfus a imaginé une complémentarité entre les deux avocats. Le déroulement du procès montre que c'est une erreur, dont l'accusation va se servir devant une défense affaiblie.
 
[[Fichier:Dreyfus-rennes2.jpg|vignette|gauche|Le procès d'[[Alfred Dreyfus]] au Conseil de guerre de Rennes.]]
 
Le procès s'ouvre le {{date|7|août|1899}} dans un climat de tension extrême. [[Rennes]] est en état de siège<ref>Mathieu Dreyfus, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t L'Affaire…], {{p.}}206 et s.</ref>. Les juges du Conseil de guerre sont sous pression. Esterhazy, qui a avoué la paternité du bordereau, en exil en Angleterre, et du Paty, se sont fait excuser. Dreyfus apparaît, l'émotion est forte. Son apparence physique bouleverse ses partisans et certains de ses adversaires{{note|groupe=n|[[Maurice Barrès]] fait une description poignante de Dreyfus.}}. Malgré sa condition physique dégradée, il a une maîtrise complète du dossier, acquise en seulement quelques semaines<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}562.</ref>. Tout l'état-major témoigne contre Dreyfus sans apporter aucune preuve.
 
On ne fait que s'entêter et on considère comme nuls les aveux d'Henry et d'Esterhazy. Le procès tend même à déraper, dans la mesure où les décisions de la Cour de cassation ne sont pas prises en compte. On discute notamment du bordereau, alors que la preuve a été apportée de la culpabilité d'Esterhazy. Pourtant, Mercier se fait huer à la sortie de l'audience. La presse nationaliste et antidreyfusarde se perd en conjectures sur son silence à propos de la « preuve décisive » dont il n'a cessé de faire état avant le procès (un prétendu bordereau annoté par le Kaiser, dont personne ne verra jamais aucune trace).
 
[[Fichier:Petit journal 8 27 1899 Fernand Labori.jpg|vignette|Tentative d'assassinat de {{nobr|M{{e}} [[Fernand Labori|Labori]]}} le {{date-|14 août 1899}}, vue par ''Le Petit Journal''.]]
 
Le 14 août, M{{e}} Labori est victime d'un attentat sur son parcours vers le tribunal. Un antidreyfusard extrémiste, qui s'enfuit et ne sera jamais retrouvé, lui tire dans le dos. L'avocat est donc écarté des débats pendant plus d'une semaine, au moment décisif de l'interrogatoire des témoins. Le 22 août, son état s'étant amélioré, il est de retour. Les incidents entre les deux avocats de Dreyfus se multiplient, Labori reprochant à Demange sa trop grande prudence. Le gouvernement, devant le raidissement militaire du procès, peut agir encore de deux manières pour infléchir les événements : en faisant appel à un témoignage des [[Empire allemand|Allemands]], ou par l'abandon de l'accusation<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Joly, {{p.}}231.</ref>.
 
[[Fichier:Dreyfus proteste.jpg|vignette|gauche|Dreyfus proteste lors du Conseil de guerre de Rennes.|alt=Dreyfus proteste lors du Conseil de guerre de Rennes.]]
 
Mais ces tractations en arrière-plan sont sans résultats. L'[[Ambassade d'Allemagne en France|ambassade d'Allemagne]] adresse un refus poli au gouvernement. Le ministre de la guerre, le général [[Gaston de Galliffet]], fait envoyer un mot respectueux au commandant [[Louis Carrière]], commissaire du gouvernement. Il lui demande de rester dans l'esprit de l'arrêt de révision de la Cour de cassation. L'officier feint de ne pas comprendre l'allusion et, aidé de l'avocat nationaliste Auffray, âme véritable de l'accusation, il prononce un réquisitoire contre Dreyfus. Du côté de la défense, il faut prendre une décision, car l'issue du procès s'annonce mal, malgré l'évidence de l'absence de charges contre l'accusé. Sur pression du président du Conseil Waldeck-Rousseau, aidé de Jaurès et Zola, M{{e}} Labori est convaincu de renoncer à sa plaidoirie pour ne pas heurter l'armée. On décide de jouer la conciliation en échange de l'acquittement que semble promettre le gouvernement. Mais c'est un nouveau jeu de dupes<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}60.</ref>.
 
[[Fichier:Fortchabrol.jpg|vignette|redresse|« Le dernier ravitaillement du [[fort Chabrol]]. Poursuite sur les toits » (''Le Petit Journal'', {{date-|octobre 1899}}).]]
M{{e}} Demange, seul et sans illusions, assure la défense de Dreyfus, dans une atmosphère tendue. À Paris, les agitateurs antisémites et nationalistes d'Auteuil sont arrêtés. [[Jules Guérin]], président de la Ligue antisémitique et directeur du journal hebdomadaire ''[[L'Antijuif]]'', et ceux qui se sont retranchés avec lui au « [[Fort Chabrol]] » sont assaillis par la police. Accusés de complot, plusieurs meneurs et militants antidreyfusards [[Procès pour complot devant la Haute Cour (1899)|comparaissent devant la Haute Cour]].
 
=== Nouvelle condamnation ===
[[Fichier:Monde Illustré.jpg|vignette|gauche|Le colonel Jouaust, président du Conseil de guerre de Rennes, lit le verdict de condamnation, à la une de l'hebdomadaire ''Le Monde illustré''.]]
Le {{date-|9|septembre|1899}}, la Cour rend son verdict : Dreyfus est reconnu coupable de trahison mais « avec circonstances atténuantes » (par 5 voix contre 2), condamné à dix ans de réclusion et à une nouvelle dégradation. Contrairement aux apparences, ce verdict est au bord de l'acquittement à une voix près. Le code de justice militaire prévoyait en effet le principe de minorité de faveur à trois voix contre quatre<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p.}}159.</ref>. Ce verdict absurde<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}544.</ref> a les apparences d'un aveu coupable des membres du Conseil de guerre. Ils semblent ne pas vouloir renier la décision de [[1894]], et savent bien que le dossier ne repose que sur du vent. Mais on peut aussi interpréter cette décision comme un verdict habile, car les juges, tout en ménageant leurs pairs ainsi que les modérés angoissés par les risques de guerre civile, reconnaissent implicitement l'innocence de Dreyfus : peut-on trahir avec des circonstances atténuantes<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}61.</ref> ?
 
[[Fichier:Edgar Demange par Paul Renouard.jpg|vignette|[[Edgar Demange]], avocat d'Alfred Dreyfus, après la deuxième condamnation de son client à Rennes, le {{date-|9 septembre 1899}}.<br> Gravure de [[Paul Renouard]], 1899.]]
Le lendemain du verdict, Alfred Dreyfus, après avoir hésité, dépose un pourvoi en révision. [[Pierre Waldeck-Rousseau|Waldeck-Rousseau]], dans une position difficile, aborde pour la première fois la grâce. Pour Dreyfus, c'est accepter la culpabilité. Mais à bout de force, éloigné des siens depuis trop longtemps, il accepte. Le décret est signé le 19 septembre et il est libéré le {{date-|21|septembre|1899}}. Nombreux sont les dreyfusards frustrés par cette solution. L'opinion publique accueille cette conclusion de manière indifférente. La France aspire à la paix civile et à la concorde à la veille de [[Expositions universelles de Paris|l'exposition universelle de 1900]]{{refnec}} et avant le grand combat que la République s'apprête à mener pour la [[Association loi de 1901|liberté des associations]].
 
C'est dans cet esprit que le {{date-|17|novembre|1899}}, Waldeck-Rousseau dépose une loi d'amnistie couvrant « tous les faits criminels ou délictueux connexes à l'Affaire Dreyfus ou ayant été compris dans une poursuite relative à l'un de ces faits ». Les dreyfusards s'insurgent, ils ne peuvent accepter que les véritables coupables soient absous de leurs crimes d'État, alors même que Zola et Picquart doivent toujours passer en jugement. Malgré d'immenses protestations, la loi est adoptée. Il n'existe alors plus aucun recours possible pour obtenir que l'innocence de Dreyfus soit reconnue ; il faut désormais trouver un fait nouveau pouvant entraîner la révision.
 
=== Réactions ===
[[Fichier:L'affaire Dreyfus, la dernière dame voilée, en place pour le quadrille.jpg|vignette|gauche|''La dernière dame voilée, en place pour le [[Quadrille (danse)|quadrille]]''.<br> Une {{citation|allégorie de la [[Mort (mythologie)|Mort]], voilée comme l'était l'informatrice mystérieuse et imaginaire rencontrée par [[Ferdinand Walsin Esterhazy|Esterhazy]], joue du violon pour faire danser, pendus à des gibets, les corps des chefs de l'État-major, aux visages grimaçants et expressifs – [[Armand du Paty de Clam|Du Paty de Clam]], [[Auguste Mercier|Mercier]] et [[Raoul Le Mouton de Boisdeffre|Boisdeffre]]}}, responsables de la condamnation de [[Alfred Dreyfus|Dreyfus]]<ref>{{harvsp|Tillier|2009|p=229}}.</ref>.<br> Caricature dreyfusarde d'[[Henri-Gabriel Ibels|Ibels]], Paris, [[musée Carnavalet]].]]
Les réactions en France sont vives, faites de « stupeur et de tristesse » dans le camp révisionniste<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}395.</ref>. Pourtant d'autres réactions tendent à montrer que le « verdict d'apaisement » rendu par les juges est compris et accepté par la population. Les Républicains cherchent avant tout la paix sociale, pour tourner la page de cette longue affaire extrêmement polémique. Aussi, les manifestations sont très peu nombreuses en province, alors que l'agitation persiste quelque peu à Paris<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}404.</ref>. Dans le monde militaire, l'apaisement est aussi de rigueur. Deux des sept juges ont voté l'acquittement{{note|groupe=n|Il s'agissait du président du Conseil de guerre et du commandant de Bréon, un catholique qui se rendait « tous les jours à la messe »<ref>J.-D. Bredin, ''Bernard Lazare, le premier des dreyfusards'', Éditions de Fallois, Paris 1992, {{p.|263}}.</ref>.}}. Ils ont refusé de céder à l'ordre militaire implicite. Ceci est aussi clairement perçu. Dans une apostrophe à l'armée, Galliffet annonce : {{Citation|L'incident est clos.}}
 
Des manifestations anti-françaises ont lieu dans vingt capitales étrangères ; la presse est scandalisée<ref>[[#MiquelQS|Miquel, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}114.</ref>. Les réactions sont de deux ordres. Les Anglo-saxons, légalistes, se focalisent sur l'affaire d'espionnage et contestent assez violemment ce verdict de culpabilité sans arguments positifs pour son édification. À ce titre, le rapport adressé le {{date-|16|septembre|1899}} par le ''[[Lord juge en chef d'Angleterre et du pays de Galles|Lord Chief Justice]]'' d'Angleterre, [[Charles Russell (baron Russell de Killowen)|Lord Russell of Killowen]], à la [[Victoria (reine)|reine Victoria]], est significatif de la répercussion mondiale de l'Affaire. Le magistrat [[Grande-Bretagne|britannique]], qui s'est rendu en observateur à Rennes, critique les failles du conseil de guerre :
{{Citation bloc|Les juges militaires “n'étaient pas familiers de la loi” […]. Ils manquaient de l'expérience et de l'aptitude qui permettent de voir la preuve derrière le témoignage. […] Ils ont agi en fonction de ce qu'ils considéraient comme l'honneur de l'armée. […] ils ont accordé trop d'importance aux fragiles allégations qui ont seules été présentées contre l'accusé. […] Il paraît certain que si le procès de révision avait eu lieu devant la Cour de cassation, Dreyfus serait maintenant un homme libre.}}
 
En [[Empire allemand|Allemagne]] et en [[Royaume d'Italie (1861-1946)|Italie]], les deux pays largement mis en cause par les procès contre Dreyfus, c'est le soulagement. Même si l'[[Guillaume II (empereur allemand)|Empereur d'Allemagne]] regrette que l'innocence de Dreyfus n'ait pas été reconnue, la normalisation des relations franco-prussiennes qui s'annonce est vue comme une détente bienvenue. Aucune nation n'a intérêt à une tension permanente. La diplomatie des trois puissances, avec l'aide de l'Angleterre, va s'employer à détendre une atmosphère qui ne se dégradera de nouveau qu'à la veille de la [[Première Guerre mondiale]].
 
Le philosophe juif [[lituanie]]n [[Emmanuel Levinas]] citera plus tard son grand-père, qui répétait en se référant à l'affaire Dreyfus : {{citation|Un pays qui se déchire, qui se divise pour sauver l’honneur d’un petit officier juif, c’est un pays où il faut rapidement aller.}}<ref>{{article|auteur=Marc Riglet|titre=Deux siècles d'intégration|périodique=L'Express|jour=1|mois=octobre|année=2004|url=https://www.lexpress.fr/culture/livre/la-france-et-les-juifs_809458.html}}.</ref> Emmanuel Levinas ajoute que cette affaire a contribué à son établissement ultérieur en France.
 
Cette conclusion judiciaire a aussi une conséquence malheureuse sur les relations entre la famille Dreyfus et la branche radicale des dreyfusistes. Fernand Labori, Jaurès et Clemenceau, appuyés par le colonel Picquart, reprochent ouvertement à Alfred Dreyfus d'avoir accepté la grâce et d'avoir mollement protesté à la loi d'amnistie. Deux ans après la conclusion provisoire de l'Affaire, leur amitié prenait ainsi fin<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}411.</ref>.
{{clr}}
 
== La longue marche vers la réhabilitation, 1900-1906 ==
[[Fichier:Jean Jaurès - Les Preuves.jpg|vignette|redresse|''Les Preuves'', ouvrage de [[Jean Jaurès]], 1898.]]
Préférant éviter un troisième procès, le gouvernement a donc décidé de [[grâce (droit)|gracier]] Dreyfus : le [[Président de la République française|président]] [[Émile Loubet]] le {{date-|19|septembre|1899}} signe le décret après de multiples tergiversations. Dreyfus n'est pas pour autant innocenté. Le processus de réhabilitation ne sera achevé que près de sept ans plus tard, sans éclat ni passion.
 
De nombreux ouvrages paraissent pendant cette période. Jaurès publie ''Les Preuves'' en 1898, Reinach fait paraître son ''Histoire de l'Affaire Dreyfus'' à partir de 1901, Zola écrit le troisième de ses ''Quatre évangiles'' : ''Vérité'', publié après sa mort, en 1903. Même [[Maison Esterházy|Esterhazy]] en profite par des confidences et vend plusieurs versions différentes des textes de sa déposition au consul de France<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}414.</ref>. Alfred Dreyfus, quant à lui, publie ses mémoires en 1901<ref>''Cinq années de ma vie, 1894-1899''.</ref>.
 
=== Mort de Zola ===
[[Fichier:Anatole France Oseques Zola.jpg|vignette|gauche|Les obsèques de Zola où [[Anatole France]] rend hommage à son ami.]]
Le {{date-|29|septembre|1902}}, [[Émile Zola|Zola]], l'initiateur de l'explosion de « l'Affaire » et le plus en vue des intellectuels dreyfusards, meurt asphyxié par la fumée de sa cheminée. Son épouse, Alexandrine, en réchappe de justesse<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}417.</ref>. C'est le choc dans le clan des dreyfusards.
 
[[Anatole France]], qui a exigé que Dreyfus soit présent aux obsèques, alors que le préfet de police souhaitait son absence « pour éviter les troubles », prononce une célèbre oraison funèbre en faveur de l'auteur de « [[J'accuse… !]] » :
<poem>{{Citation bloc|Devant rappeler la lutte entreprise par Zola pour la justice et la vérité, m'est-il possible de garder le silence sur ces hommes acharnés à la ruine d'un innocent et qui, se sentant perdus s'il était sauvé, l'accablaient avec l'audace désespérée de la peur ?
Comment les écarter de votre vue, alors que je dois vous montrer Zola se dressant, faible et désarmé devant eux ?
Puis-je taire leurs mensonges ?
Ce serait taire sa droiture héroïque.
Puis-je taire leurs crimes ?
Ce serait taire sa vertu.<br>
Puis-je taire les outrages et les calomnies dont ils l'ont poursuivi ?
Ce serait taire sa récompense et ses honneurs.<br>
Puis-je taire leur honte ?
Ce serait taire sa gloire.<br>
Non, je parlerai. <br>
Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et un grand acte. <br>
Envions-le, sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand. <br>
Il fut un moment de la conscience humaine.}}</poem>
 
===La semiSemi-réhabilitation ===
==== Réhabilitation juridique ====
[[Image:{{double image|right|Louis André, général.jpg|145|Manuel Baudoin.jpg|thumb160|250Le pxgénéral [[Louis André (général)|Louis André]] et [[Manuel-Achille BaudoinBaudouin|Manuel Baudouin]], procureur général, auœuvrent cœur deà la réhabilitation du capitaine Dreyfus]].}}
Les élections de [[1902]] avaient vu la victoire des gauches. C'est [[Jean Jaurès]], réélu, qui relance l'Affaire le [[{{date-|7 |avril]] [[|1903]]}} alors que la France la pensait enterrée. àDans jamais.un discours, Jaurès évoque la longue liste des faux qui parsèment le dossier Dreyfus, et insiste particulièrement sur deux pièces saillantes :
* La lettre de démission du général de Pellieux, rédigée en termes très durs. Juridiquement, elle a les formes d'un aveu de la collusion de l'état-major :
Dans un discours, Jaurès évoque la longue liste des faux qui parsèment le dossier Dreyfus, et insiste particulièrement sur deux pièces saillantes :
*La lettre de démission du général de Pellieux, rédigée en termes très durs. Juridiquement, elle a les formes d'un aveu de la collusion de l'État-major :
{{Citation bloc|Dupe de gens sans honneur, ne pouvant plus compter sur la confiance des subordonnés sans laquelle le commandement est impossible, et de mon côté, ne pouvant avoir confiance en ceux de mes chefs qui m'ont fait travailler sur des faux, je demande ma mise à la retraite.}}
* Le bordereau prétendument annoté (par [[Guillaume II d'Allemagne(empereur allemand)|l'empereur {{souverain-|Guillaume II}}]]) auquel le général Mercier avait fait allusion au procès de Rennes, et dont le fait rapporté par la presse aurait influencé les juges du Conseil de guerre<ref>{{note|groupe=n|Devant l'évidence de l'identité des écritures du bordereau et d'EsterházyEsterhazy, l'État-majorMajor avait fait courir le bruit que le bordereau n'était en fait qu'un décalque d'une note commentée de la main même de l'Empereurempereur d'Allemagne {{souverain-|Guillaume II}}. Cela permettait à leurs auteurs d'expliquer le secret entourant toute l'affaire, ainsi que la transmission du {{guillemets|« dossier secret}} » en 1894. Évidemment, on n'a jamais retrouvé aucune preuve de ces commodes affirmations</ref>.}}{{,}}<ref>[[#Doise|Doise, ''Un secret bien gardé'']], {{p. }}160.</ref>{{, }}<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'affaireAffaire Dreyfus'']], {{p. }}104.</ref>.
 
Devant ces faits nouveaux, le général André, nouveau ministre de la Guerre, mène une enquête à l'instigation d'[[Émile Combes]], assisté de magistrats.
Devant ces faits nouveaux, le général [[Louis André (général)|André]], nouveau ministre de la Guerre, mène une enquête à l'instigation d'[[Émile Combes]], assisté de magistrats. L'enquête est menée par le capitaine [[Antoine Targe|Targe]], officier d'ordonnance du ministre. À l'occasion de perquisitions à la Section de statistiques, il découvre de très nombreuses pièces dont la majorité sont visiblement fabriquées<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Becker, {{p.}}262.</ref>. En {{date-||novembre|1903}}, un rapport est remis au garde des Sceaux par le ministre de la Guerre. C'est l'application des règles lorsque le ministre constate une erreur commise en Conseil de guerre. C'est le début d'une nouvelle révision, dirigée par l'avocat [[Ludovic Trarieux]]<ref>{{Ouvrage|langue=fr|nom1=Favreau, Bertrand.|nom2=Baudet, Jacques.|titre=Dreyfus réhabilité, cent ans après|sous-titre=antisémitisme, il y a cent ans, et aujourd'hui|lieu=Latresne|éditeur=Bord de l'eau|année=2007|pages totales=181|isbn=978-2-915651-73-7|isbn2=2-915651-73-6|oclc=152506022}}</ref>, fondateur de la [[Ligue des droits de l'homme (France)|Ligue des droits de l'homme]], avec une enquête minutieuse qui s'étendra sur deux ans.
L'enquête est menée par le capitaine Targe, officier d'ordonnance du ministre.
 
À l'occasion de perquisitions à la Section de statistiques, il découvre de très nombreuses pièces dont la majorité sont visiblement fabriquées<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Becker, p. 262 </ref>.
Les années 1904 et 1905 sont consacrées aux différentes phases judiciaires devant la Cour de cassation. La cour emploie trois moyens (causes) à la révision :
En novembre [[1903]], un rapport est remis au garde des Sceaux par le ministre de la Guerre.
* démonstration de la falsification du [[télégramme de Panizzardi]].
C'était le respect des règles, dès lors que le ministre constate une erreur commise en Conseil de guerre.
* démonstration du changement de date d'une pièce du procès de 1894 ({{date-|avril 1895}} changé en {{date-|avril 1894}}).
C'est le début d'une nouvelle révision, avec une enquête minutieuse qui s'étend sur deux ans.
* démonstration du fait que Dreyfus n'avait pas fait disparaître les minutes d'attribution de l'artillerie lourde aux armées.
 
Concernant l'écriture du bordereau, la cour est particulièrement sévère à l'égard de [[Alphonse Bertillon|Bertillon]] qui a {{Citation|raisonné mal sur des documents faux}}. Le rapport{{note|groupe=n|Parmi les experts sollicités, on note la contribution du mathématicien et physicien [[Henri Poincaré]].}} démontre que l'écriture est bien d'Esterhazy, ce que ce dernier a d'ailleurs avoué entre-temps. Enfin, la Cour démontre par une analyse complète et subtile du bordereau l'inanité de cette construction purement intellectuelle, et une commission de quatre généraux dirigée par un spécialiste de l'artillerie, le général [[Hippolyte Sebert|Sebert]], affirme « qu'il est fortement improbable qu'un officier d'artillerie ait pu écrire cette missive »<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Becker, {{p.}}267.</ref>.
 
[[Fichier:Décoration d'Alfred Dreyfus à l'École militaire.jpg|vignette|redresse=1.5|Réintégré dans l'armée, [[Alfred Dreyfus]] est décoré de la [[Ordre national de la Légion d'honneur|Légion d'honneur]], le {{date-|21 juillet 1906}}. Il s'entretient ici avec le général Gillain et le commandant Targe après la cérémonie tenue dans la petite cour des jardins de l'[[École militaire (France)|École militaire]], au milieu du pavillon de l'artillerie<ref>{{Ouvrage |langue=fr |prénom1=Vincent |nom1=Duclert |lien auteur1=Vincent Duclert |titre=Alfred Dreyfus, l'honneur d'un patriote |lieu=Paris |éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]] |année=2006 |pages totales={{XII}}-1259 |isbn=978-2-213-62795-3}}.</ref>.|alt=Alfred Dreyfus réhabilité et décoré à l'École militaire.]]
{{Wikisource|Affaire Dreyfus - arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906|Texte du second arrêt}}
Les années [[1904]] et [[1905]] sont consacrées aux différentes phases judiciaires devant la Cour de cassation.
La cour emploie trois moyens (causes) à la révision :
*démonstration de la falsification du [[télégramme de Panizzardi]].
*démonstration du changement de date d'une pièce du procès de 1894 (avril 1895 changé en avril 1894).
*démonstration du fait que Dreyfus n'avait pas fait disparaître les minutes d'attribution de l'artillerie lourde aux armées.
Concernant l'écriture du bordereau, la cour est particulièrement sévère à l'encontre de [[Bertillon]] qui a {{guillemets|raisonné mal sur des documents faux}}. Le rapport démontre que l'écriture est bien d'Esterházy, ce que ce dernier a d'ailleurs avoué entre-temps.
Enfin, la Cour démontre par une analyse complète et subtile du bordereau l'inanité de cette construction purement intellectuelle, et une commission de quatre généraux dirigée par un spécialiste de l'artillerie, le général Sebert, affirme {{guillemets|qu'il est fortement improbable qu'un officier d'artillerie ait pu écrire cette missive}}<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Becker, p. 267</ref>.
 
Le {{date-|9|mars|1905}}, le procureur général Baudouin rend un rapport de {{nombre|800|pages}} dans lequel il réclame la cassation sans renvoi et fustige l'armée. Il amorce un dessaisissement de la justice militaire qui ne trouvera sa conclusion qu'en 1982<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']] {{p.}}108.</ref>. Il faut attendre le {{date-|12|juillet|1906}} pour que la Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule sans renvoi le jugement rendu à [[Rennes]] en 1899 et prononce « l'arrêt de réhabilitation du capitaine Dreyfus ». Les antidreyfusards crient à la réhabilitation à la sauvette. Mais le but est évidemment politique : il s'agit d'en finir et de tourner la page définitivement. Rien ne peut entamer la conviction des adversaires de Dreyfus. Cette forme est donc la plus directe et la plus définitive. Ce qui est annulé est non seulement l'arrêt de Rennes, mais toute la chaîne des actes antérieurs, à commencer par l'ordre de mise en jugement donné par le général [[Félix Gustave Saussier|Saussier]] en 1894. La Cour s'est focalisée sur les aspects juridiques uniquement et constate que Dreyfus ne doit pas être renvoyé devant un Conseil de guerre pour la simple raison qu'il n'aurait jamais dû y passer, devant l'absence totale de charges :
[[Image:DREYFUS réhab.jpg|thumb|250px|left|À droite, Alfred Dreyfus réhabilité aux Invalides. Au centre, le capitaine Targe, enquêteur et découvreur de nombreux faux.]]
Le [[9 mars]] [[1905]], le procureur général Baudouin rend un rapport de 800 pages dans lequel il réclame la cassation sans renvoi et fustige l'armée. Il amorce un dessaisissement de la justice militaire qui trouve sa conclusion seulement en 1982<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']] p. 108</ref>.
Il faut attendre le [[12 juillet]] [[1906]] pour que la Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule sans renvoi le jugement rendu à [[Rennes]] en [[1899]] et prononce {{guillemets|l'arrêt de réhabilitation du capitaine Dreyfus}}.
Les antidreyfusards crient à la réhabilitation à la sauvette.
Mais le but est évidemment politique : il s'agit d'en finir et de tourner la page définitivement.
Rien ne peut entamer la conviction des adversaires de Dreyfus.
Cette forme est donc la plus directe et la plus définitive.
Il faut noter que ce qui est annulé est non seulement l'arrêt de Rennes, mais toute la chaîne des actes antérieurs, à commencer par l'ordre de mise en jugement donné par le général [[Saussier]] en [[1894]].
La Cour s'est focalisée sur les aspects juridiques uniquement et constate que Dreyfus ne doit pas être renvoyé devant un Conseil de guerre pour la simple raison qu'il n'aurait jamais dû y passer, devant l'absence totale de charges.
{{Citation bloc|Attendu, en dernière analyse, que de l'accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout ; et que l'annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse à sa charge être qualifié crime ou délit ; dès lors, par application du paragraphe final de l'article 445 aucun renvoi ne doit être prononcé.}}
 
==== L'injustice militaire<ref>Titre du recueil des articles écrits par Clemenceau au procès de Rennes.</ref>====
[[ImageFichier:Dreyfus-annee-de-sa-mort.jpg|thumb|200pxvignette|Alfred Dreyfus en 1935âgé, l'annéedurant deles saannées mort1930.|alt=Alfred Dreyfus en 1935|gauche]]
Dreyfus est réintégré dans l'armée, avec le grade de [[chef d'escadron]] (commandant), par la loi du {{date|13|juillet|1906}}. Alors qu'il pouvait légitimement prétendre au grade de [[Lieutenant-colonel (France)|lieutenant-colonel]]<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}566.</ref>, ses cinq années de déportation et d'incarcération ne sont pas prises en compte pour la reconstitution de sa carrière. En raison de son âge, cette réintégration incomplète brise son espoir d'atteindre, à terme, le grade d'officier général. Il demande donc à contrecœur sa mise en retraite en {{date-|juin 1907}}. Les magistrats ne pouvaient rien contre cette ultime injustice volontairement commise. Le droit et l'égalité étaient encore une fois bafoués<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Canivet, premier président, {{p.}}12.</ref>. Dreyfus n'a jamais demandé de dédommagement à l'État, ni de dommages-intérêts à qui que ce soit. La seule chose qui lui importait, c'était la reconnaissance de son innocence<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}962.</ref>.
Dreyfus est réintégré partiellement dans l'armée, au grade de chef d'escadron (commandant), par la loi du [[13 juillet]] [[1906]].
Ses cinq années d'incarcération ne sont pas prises en compte pour la reconstitution de sa carrière, et il ne peut plus prétendre à un grade d'officier général.
Cette décision brise tout espoir d'une carrière digne de ses réussites antérieures à son arrestation de 1894.
Il est donc contraint à une douloureuse démission en juin 1907.
Les magistrats ne pouvaient rien contre cette ultime injustice volontairement commise.
Le droit et l'égalité avaient été encore une fois bafoués<ref>[[#Cassation|Cour de cassation, ''De la Justice dans l'affaire Dreyfus'']], Canivet, premier président, p. 12</ref>.
Dreyfus n'a jamais demandé aucun dédommagement à l'État, ni dommages et intérêts à qui que ce soit.
La seule chose qui lui importait, c'était la reconnaissance de son innocence<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'', p. 962]]</ref>.
 
Le {{date-|4|juin|1908}}, à l'occasion du transfert des cendres d'Émile Zola au [[Panthéon (Paris)|Panthéon]], Alfred Dreyfus est la cible d'un attentat. [[Louis Grégori]], journaliste d'extrême droite, adjoint de Drumont, tire deux coups de revolver et blesse Dreyfus légèrement au bras. Il s'agissait, pour l'Action française, de perturber au mieux cette cérémonie en visant « les deux traîtres » : Zola et Dreyfus<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}1009.</ref>. Mais aussi de refaire le procès Dreyfus au travers d'un nouveau procès, une revanche en quelque sorte. Le procès aux Assises de la Seine, d'où Grégori sort acquitté, dernière d'une longue série de fautes judiciaires, est l'occasion de nouvelles émeutes antisémites que le gouvernement réprime mollement<ref>M. Drouin, ''Zola au Panthéon : La quatrième affaire Dreyfus'', Librairie Académique Perrin, 2008, {{p.}}287.</ref>.
Le [[4 juin]] [[1908]], à l'occasion du transfert des cendres d'Émile Zola au [[Panthéon de Paris|Panthéon]], Alfred Dreyfus est la cible d'un attentat.
Louis-Anthelme Grégori, journaliste d'extrême droite, adjoint de Drumont, tire deux coups de revolver et blesse Dreyfus légèrement au bras.
Il s'agissait, pour l'Action française, de perturber au mieux cette cérémonie en visant {{guillemets|les deux traîtres}} : Zola et Dreyfus<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 1009</ref>.
Mais aussi de refaire le procès Dreyfus au travers d'un nouveau procès, une revanche en quelque sorte.
Le procès aux Assises de la Seine, d'où Grégori sort acquitté, dernière d'une longue série de fautes judiciaires, est l'occasion de nouvelles émeutes antisémites que le gouvernement réprime mollement.
 
Officier de réserve, Dreyfus est mobilisé en 1914 au camp retranché de Paris, comme chef d'un parc d'artillerie, puis affecté en 1917 au [[Bataille du Chemin des Dames|Chemin des Dames]] et en 1918 à [[Verdun]]. Il termine la [[Première Guerre mondiale]] au rang de [[Lieutenant-colonel (France)|lieutenant-colonel]] et est élevé au rang d'[[Ordre national de la Légion d'honneur|officier de la Légion d'honneur]]<ref>[[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}622.</ref>. Il meurt le {{date|12|juillet|1935}} à l'âge de soixante-seize ans dans l'indifférence générale. Le [[Marie-Georges Picquart|colonel Picquart]] est lui aussi réhabilité officiellement et réintégré dans l'armée en 1906 au grade de général de brigade, rétroactivement en date de 1903. Il est même ministre de la Guerre de 1906 à 1909 dans le premier gouvernement Clemenceau. Il meurt en 1914 d'un accident de cheval<ref>[[#Drouin|Drouin, ''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], entrée "Picquart", {{p.}}263.</ref>.
Officier de réserve, Dreyfus participe à la [[guerre de 1914-1918]] au camp retranché de Paris, comme chef d'un parc d'artillerie, puis affecté au [[Bataille du Chemin des Dames|Chemin des Dames]] et à [[Bataille de Verdun|Verdun]].
Il termine sa carrière militaire au grade de colonel<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], p. 111</ref>.
Il décède le 12 juillet 1935 à l'âge de soixante-seize ans dans l'indifférence générale.
Le [[colonel Picquart]] est lui aussi réhabilité officiellement et réintégré dans l'armée au grade de général de brigade.
Il est même nommé ministre de la Guerre en 1906 dans le gouvernement Clemenceau jusqu'en 1909.
Il décède en 1914 d'un accident de cheval<ref>[[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], entrée ''Picquart'', p. 263</ref>.
 
== L’affaire au prisme du théâtre ==
==Conséquences de l'affaire Dreyfus==
Le théâtre de l’époque est particulièrement révélateur du retentissement qu'a alors l’affaire et de sa perception.
L'affaire Dreyfus a-t-elle laissé une trace ?
Quel héritage la société française peut-elle retirer de ces douze années ?
Pour certains, l'affaire Dreyfus a marqué la société française au fer rouge<ref>Jaurès, discours à la Chambre 8 mai 1903</ref>. Tous les compartiments de la société sont touchés, certains sont bouleversés.
[[Image:Bilan fin de siècle.jpg|thumb|left|250px|Bilan fin de siècle, caricature anti-républicaine parue dans ''Le Pélerin'' en 1900]]
 
Marie Duval a relevé 46 pièces publiées ou jouées de 1895 à 1906 (la majorité entre 1898 et 1901) et traitant ou s’inspirant directement de l’affaire (voir l’[[#Théâtre|annexe Théâtre]]), et cette liste n'est pas exhaustive. De grandes plumes s’y emploient : [[Seymour Hicks]], [[Alfred Jarry]], [[Julien Benda]]… Ce théâtre ne manque pas de surprendre : en France, on compte 22 œuvres classées comme dreyfusardes et 5 comme anti-dreyfusardes. À l’étranger, (Europe et Amériques), les 19 œuvres sont toutes dreyfusardes. Et les plus anciennes ne sont pas données en France, mais en Angleterre et aux Pays-Bas<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr">{{Lien web |langue=fr |prénom=Marie |nom=Duval |titre=Dreyfus au théâtre à l’heure de l’Affaire (1895-1906) Un engagement international pour des valeurs universelles|url=https://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=427&lang=en |site=revues.mshparisnord.fr|date=2020-09-26 |consulté le=2021-11-15}}</ref>. Ceci donne raison à Clemenceau : {{Citation|Quant à l’opinion de l’étranger sur l’affaire Dreyfus, nous avons répété cent fois qu’elle était unanime, […] unanime contre le Gouvernement qui s’emploie au profit des coupables à fausser la justice de la loi}}<ref>Georges Clemenceau, « À l'étranger », ''L'Aurore'', 17 février 1899</ref>. Le monde ne comprend pas la France : il est devenu évident que Dreyfus n’est pour rien dans la trahison, or non seulement l’état-major s’enferme dans, au mieux, ce qu’il croit être la défense de l’institution, mais une grande partie de la classe politique le soutient dans cette impasse, et une frange vociférante de la population s’enflamme dans l’antisémitisme et l’irrationalité<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" />.
===Des conséquences politiques===
L'affaire fait revivre l'affrontement des deux France<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 94</ref>.
Toutefois, cette opposition a servi l'ordre républicain, selon tous les historiens.
On assiste en effet à un renforcement de la démocratie parlementaire et à un échec des forces monarchistes et réactionnaires.
L'excessive violence des partis nationalistes a rassemblé les républicains en un front uni, qui met en échec les tentatives de retour à ''l'ordre ancien''<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 475</ref>.
A court terme, les forces politiques ''progressistes'', issues des élections de 1893, confirmées en 1898, en pleine affaire Dreyfus, disparaissent en 1899.
Le choc des procès Esterházy et Zola amène une politique dreyfusienne dont le but est de développer une conscience républicaine et de lutter contre le nationalisme autoritaire qui s'exprime lors de l'Affaire.
Car la progression désinhibée d'un nationalisme de type populiste est une autre grande conséquence de l'événement dans le monde politique français, et ce même s'il n'est pas né avec l'affaire Dreyfus, puisque le nationalisme est théorisé par Maurice Barrès dès 1892<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], p. 93</ref>.
Le nationalisme connaît des hauts et des bas, mais parvient à se maintenir en tant que force politique, sous le nom d'[[Action française]], jusqu’à la défaite de 1940, lorsque après cinquante ans de combat, elle accède au pouvoir et peut, vieux rêve de Drumont, [[Lois sur le statut des Juifs|{{guillemets|purifier}} l'État]] avec les conséquences que chacun sait.
On note à cette occasion le ralliement de nombreux républicains à Vichy, sans qui le fonctionnement de l'État eût été précaire, montrant en cela la fragilité de l'institution républicaine dans des circonstances extrêmes<ref name="Birnbaum95">[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'affaire Dreyfus'']], p. 95</ref>.
À la libération, [[Charles Maurras]], condamné le 25 janvier 1945 pour faits de collaboration, s'écrie au verdict : {{guillemets|C'est la revanche de Dreyfus !}}
 
Face à eux, le théâtre tente de faire parler la voix de la raison, comme [[Romain Rolland]] dans ''Les Loups'' : il y restitue en termes philosophiques le débat entre défense de la Nation et défense de la Justice<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" />. Bien sûr le théâtre est rebelle, et l’affaire est aussi l’occasion d’affirmer les positions d’intellectuels qui peuvent aussi être militants ou sympathisants anarchistes ([[Charles Malato]]), pacifistes (Romain Rolland), etc. Mais le personnage de Dreyfus et la défense de la communauté juive ne sont pas au centre des œuvres. C’est l’injustice, celle qui touche aussi les classes populaires, qui est avant tout dénoncée, c’est l’erreur judiciaire qui révolte<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" />. Les antidreyfusards ne sont pas tous antisémites, mais l’inverse est aussi vrai : on peut être antisémite et dreyfusard. Romain Rolland ou Charles Malato sont plus qu’ambigus. Plus que l’affaire Dreyfus, le théâtre met en scène une ''affaire sans Dreyfus'', dont le héros est Picquart et non lui<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" />{{,}}<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" />. Longtemps absent, sans doute est-il ensuite trop effacé, trop sobre, trop respectueux de l'armée et de l'ordre pour être le héros pour le costume duquel Picquart est taillé. Est-ce pourquoi, par la suite, le théâtre s’intéressera si peu à l’affaire<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" /> ? En revanche, Esterhazy, Bertillon ou Du Paty de Clam y sont éreintés<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" />.
Elle amène par effet de réaction, l'autre conséquence, une mutation intellectuelle du socialisme.
Jaurès est un dreyfusard tardif (janvier 1898) et sceptique, relativement isolé.
Mais son engagement devient résolu, aux côtés de [[Georges Clemenceau]] à partir de 1899, sous l'influence de Lucien Herr.
L'année 1902 voit la naissance de deux partis, résultantes des combats politiques de l'affaire : le Parti socialiste français, qui rassemble les jaurésiens et le Parti socialiste de France, sous influence de Guesde et Vaillant.
Les deux partis fusionnent en 1905 en une section française de l'Internationale ouvrière (SFIO).
Par ailleurs, 1901 voit la naissance du Parti républicain radical-socialiste, premier parti politique moderne<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], p. 67</ref> conçu comme une machine électorale de rassemblement républicain.
Il a une structure permanente et s'appuie sur les réseaux dreyfusards.
La création de la [[Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen]] est contemporaine de l'affaire.
C'est le creuset d'une gauche intellectuelle extrêmement active au début du siècle, conscience de la gauche humaniste.
 
== Conséquences de l'affaire Dreyfus ==
Conséquence finale sur le plan politique, le tournant du siècle voit un renouvellement profond du personnel politique, avec la disparition de grandes figures républicaines, à commencer par Auguste Scheurer-Kestner.
[[Fichier:Bilan fin de siècle.jpg|vignette|« Bilan fin de siècle », caricature anti-républicaine d'[[Achille Lemot]] dans ''[[Le Pèlerin (magazine)|Le Pèlerin]]'' en 1900.]]
Ceux qui à la fin du siècle ont pu peser fortement sur les événements de l'affaire ont désormais disparu, laissant la place à des hommes nouveaux dont l'ambition est de réformer et de corriger les erreurs et défauts.
Pour certains, l'affaire Dreyfus a marqué la société française au fer rouge<ref>Jaurès, discours à la Chambre 8 mai 1903.</ref>. Tous les compartiments de la société sont touchés, certains sont bouleversés.
 
=== Des conséquences socialespolitiques ===
L'affaire fait revivre l'affrontement des deux France<ref>[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}94.</ref>. Toutefois, cette opposition sert l'ordre républicain, selon tous les historiens. On assiste en effet à un renforcement de la démocratie parlementaire et à un échec des forces monarchistes et réactionnaires. L'extrême violence des nationalistes rassemble les républicains en un front uni, mettant en échec les tentatives de retour à ''l'ordre ancien''<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}475.</ref>. À court terme, les forces politiques « progressistes », issues des élections de 1893, confirmées en 1898, en pleine affaire Dreyfus, disparaissent en 1899. Le choc des procès Esterhazy et Zola amène une politique dreyfusienne dont le but est de développer une conscience républicaine et de lutter contre le nationalisme autoritaire qui s'exprime lors de l'Affaire. Car la progression désinhibée d'un nationalisme de type populiste est une autre grande conséquence de l'événement dans le monde politique français, et ce même s'il n'est pas né avec l'affaire Dreyfus, puisque le nationalisme est théorisé par [[Maurice Barrès]] dès 1892<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}93.</ref>. Le nationalisme connaîtra des hauts et des bas, mais parviendra à se maintenir en tant que force politique, entre autres à travers l'[[Action française]], jusqu'à la défaite de 1940. Après cinquante ans de combat, elle accède au pouvoir et peut réaliser le vieux rêve de Drumont, [[Lois sur le statut des Juifs du régime de Vichy|« purifier » l'État]] avec les conséquences que chacun sait. On note à cette occasion le ralliement de nombreux républicains à [[Régime de Vichy|Vichy]], sans qui le fonctionnement de l'État eût été précaire, montrant en cela la fragilité de l'institution républicaine dans des circonstances extrêmes<ref name="Birnbaum95">[[#Birnbaum|Birnbaum, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}95.</ref>. À la Libération, [[Charles Maurras]], condamné le {{date-|25 janvier 1945}} pour faits de collaboration, s'écrie au verdict : « C'est la revanche de Dreyfus ! ».
[[Image:Vallotton En Famille.jpg|thumb|left|250px|''En famille'' de Félix Vallotton dans ''Le Cri de Paris''. L'affaire Dreyfus coupe durablement la France en deux, jusque dans les familles.]]
Socialement, [[antisémitisme en France|l'antisémitisme]] est au devant de la scène.
Préexistant à l'affaire Dreyfus, il s'était exprimé lors des affaires du [[Boulangisme]] et du canal de Panamá.
Mais il était restreint à une élite intellectuelle.
L'affaire Dreyfus répand la haine raciale dans toutes les couches de la société, mouvement certes initié par le succès de ''La France juive'' de [[Drumont]] en 1886, mais énormément amplifié par les divers épisodes judiciaires et les campagnes de presse pendant près de quinze ans.
L'antisémitisme est donc dès lors officiel et exposé dans de nombreux milieux, y compris ouvriers<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], p. 95</ref>.
Des candidats à l'élection législative se prévalent de l'antisémitisme comme mot d'ordre aux élections législatives.
Cet antisémitisme est renforcé par la crise de la [[Séparation des Églises et de l'État en 1905|séparation des églises et de l'État]] à partir de 1905, l'amenant probablement à son paroxysme en France.
Le passage à l'acte est permis par l'avènement du [[régime de Vichy]], qui laisse libre cours à l'expression débridée et complète de la haine raciale.
Au sortir de la guerre, la monstruosité de la [[solution finale]] s'impose à tous, muselant jusqu’à nos jours l'expression d'un antisémitisme qui peut s'exprimer de temps à autres au travers de déclarations des partis nationalistes, d'autant plus fracassantes qu'elles sont devenues rarissimes<ref>Du fait de leur pénalisation</ref>.
La persistance d'un sentiment antisémite résiduel en France, paraît toujours d'actualité à en juger par certains crimes et délits qui, de temps à autre, peuvent défrayer la chronique<ref>Bien que cet antisémitisme soit d'origine multiple et pas seulement issu des conséquences de l'affaire Dreyfus.</ref>.
 
L'Affaire produit, par effet de réaction, une autre conséquence : la mutation intellectuelle du socialisme. Jaurès est un dreyfusard tardif ({{date-|janvier 1898}}), convaincu par les [[Parti ouvrier socialiste révolutionnaire|socialistes révolutionnaires]]<ref>« Au début même de ce grand drame, ce sont les socialistes révolutionnaires qui m'encourageaient le plus, qui m'engageaient le plus à entrer dans la bataille. » Jean Jaurès, "Les deux méthodes", 26 novembre 1900.</ref>. Mais son engagement devient résolu, aux côtés de [[Georges Clemenceau]] à partir de 1899, sous l'influence de [[Lucien Herr]]. L'année 1902 voit la naissance de deux partis : le [[Parti socialiste français (1902)|Parti socialiste français]], qui rassemble les jaurésiens, et le [[Parti socialiste de France (guesdiste)|Parti socialiste de France]], sous influence de Guesde et Vaillant. Les deux partis fusionnent en 1905 dans la [[Section française de l'Internationale ouvrière]] (SFIO).
Le choc de l'affaire Dreyfus a un impact également sur le mouvement [[sionisme|sioniste]] {{guillemets|qui y trouve un terrain propice à son éclosion}}<ref name="BennyMorris">[[Benny Morris]], ''Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, 2003, p.29 et 34.</ref>.<br/>
Le journaliste austro-hongrois [[Théodore Herzl]] ressort profondément marqué de l'affaire Dreyfus dont il suit les débuts comme correspondant de la ''Neue freie Presse'' de Vienne et assiste à la dégradation d'Alfred Dreyfus en 1895.
{{guillemets|L'affaire [...] agit comme un catalyseur dans la conversion de Herzl}}.
Devant la vague d'antisémitisme qui l'accomptagne, Herzl se {{guillemets|convainc de la nécessité de résoudre la question juive}}, qui devient {{guillemets|une obsession pour lui}}.
Dans ''Der Judenstaat'' (''l'État des Juifs''), il considère que {{guillemets|si la France - bastion de l'émancipation, du progrès et du socialisme universaliste - p[eut] se laisser emporter dans un maelström d'antisémitisme et laisser la foule parisienne scander « À mort les Juifs ! », où ces derniers p[euvent]-ils encore être en sécurité - si ce n'est dans leur propre pays ? L'assimiliation ne résoud[ra] pas le problème parce que le monde des gentils ne le permett[ra] pas, comme l'affaire Dreyfus l'[a] si clairement démontré}}<ref name="BennyMorris"/>. Le choc est d'autant plus fort qu'ayant vécu toute sa jeunesse en Autriche, pays antisémite, Herzl a choisi d'aller vivre en France pour l'image humaniste dont se prévaut le pays de Voltaire, à l'abris des excès extrémistes.<br/>
Il organise dès 1897, le {{1er}} congrès sioniste à Bâle<ref>[[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], entrée Théodor Herzl et le sionisme, Nicault, p. 505</ref> et est considéré comme l'{{guillemets|invent[eur] [du] sionisme en tant que véritable mouvement politique}}<ref name="BennyMorris"/>.
L'affaire Dreyfus marque aussi un grand tournant dans la vie de nombreux Juifs d'Europe centrale et occidentale, tout comme les [[pogrom]]s de 1881-1882 l'avaient fait pour les Juifs d'Europe orientale<ref name="BennyMorris"/>.
 
Par ailleurs, 1901 voit la naissance du [[Parti radical (France)|Parti républicain, radical et radical-socialiste]], premier parti politique moderne<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}67.</ref> conçu comme une machine électorale de rassemblement républicain. Il a une structure permanente et s'appuie sur les réseaux dreyfusards. La création de la [[Ligue des droits de l'homme (France)|Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen]] est contemporaine de l'affaire. C'est le creuset d'une gauche intellectuelle extrêmement active au début du siècle, conscience de la gauche humaniste.
Autre conséquence sociale, le rôle renforcé de la presse.
Pour la première fois, elle a exercé une importante influence sur la vie politique française<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 471</ref>.
On peut parler d'un quatrième pouvoir, dès lors qu'elle se substitue à tous les organes de l'État<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], p. 92</ref>.
Surtout que la haute tenue rédactionnelle de cette presse est principalement issue du travail d'écrivains et de romanciers, qui utilisent les journaux comme un moyen révolutionnaire d'expression.
La puissance de cette presse a très certainement porté les hommes politiques à l'action, à l'exemple d'un Mercier qui paraît avoir poussé au procès Dreyfus en 1894 pour plaire à [[La Libre Parole]] qui l'attaquait férocement.
Cela dit, le rôle de la presse est limité par la diffusion des titres, à la fois importante à Paris et faible à l'échelle nationale<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L’Affaire'']], p. 474</ref>.
L'ensemble du tirage de la presse nationale paraît tourner autour de quatre millions et demi d'exemplaires, ce qui relativise fortement son influence réelle.
 
Enfin le tournant du siècle voit un renouvellement profond du personnel politique. De grandes figures républicaines, à commencer par Auguste Scheurer-Kestner, disparaissent. Ceux qui ont pu peser fortement sur les événements de l'affaire à la fin du siècle font désormais place à des hommes nouveaux, dont l'ambition est de réformer et de corriger les erreurs et injustices commises auparavant.
==Historiographie de l'affaire Dreyfus<ref name="Historio">Historiographie construite à partir de Thomas [[#Drouin|''in Dictionaire de l'affaire Dreyfus'']] p. 586 et [[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], p. 1193</ref>==
[[Image:Brochure Lazare.jpg|thumb|left|Première brochure de Bernard Lazare, ''Une erreur judiciaire'', publiée en 1896 à Bruxelles]]
L'affaire Dreyfus se distingue par le nombre important d'ouvrages publiés à son sujet<ref>La bibliographie listée dans le présent article n'expose qu'une faible partie de ce qui a été édité depuis plus d'un siècle.</ref>. Une partie importante de ces publications relève de la simple polémique et ne peut intéresser l'historien guidé par l'objectivité et la rigueur<ref name="Historio"/>. Mais ces ouvrages peuvent toutefois être consultés dans le cadre d'études psycho-sociales de l'affaire<ref>Voir les 96 pages de la bibliographie générale publiée dans Drouin, [[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], p. 629</ref>.
 
Selon l'historien [[Simon Epstein]], dans son ouvrage ''[[Les Dreyfusards sous l'Occupation]]'', une autre conséquence à long terme sera de permettre la généralisation d'une interprétation particulière de l’Histoire de France selon laquelle s'opposeraient deux blocs : l'un à gauche, incarnant le Bien, l'autre à droite, identifié au Mal. Cette écriture de l’histoire séparant ''deux France'' se poursuivra une grande partie du {{s-|XX}}, présentant finalement la [[Résistance française|Résistance]] comme l'héritière du parti dreyfusard, et inversement la [[Collaboration en France|Collaboration]] comme celle des antidreyfusards. Cette vision idéalisée ou manichéenne de l'histoire n'épargnera pas l'historiographie ultérieure qui, d'après Simon Epstein, tend à minimiser le collaborationnisme issu de la gauche politique et à mettre au contraire en avant celui venant de la droite<ref>{{Ouvrage|prénom1=Simon|nom1=Epstein|titre=Les Dreyfusards sous l'Occupation|lieu=Paris|éditeur=Albin Michel|année=2001|pages totales=358|isbn=978-2-226-12225-4|passage=335-336}}.</ref>.
Le grand intérêt de l'étude de l'affaire Dreyfus réside dans le fait que toutes les archives sont aisément disponibles. Bien que les débats du Conseil de guerre de 1894 n'aient pas été pris en [[sténographie]], les comptes-rendus de toutes les audiences publiques des nombreux procès de l'affaire peuvent être consultés. Par ailleurs, un grand nombre d'archives sont facilement accessibles aux [[Archives nationales (France)|Archives nationales]] et aux Archives militaires du fort de Vincennes.
 
=== Des conséquences sociales ===
Une littérature contemporaine de l'affaire a été publiée entre [[1894]] et [[1906]]. À commencer par l'opuscule de [[Bernard Lazare]], premier intellectuel dreyfusard : malgré des erreurs factuelles, il reste un témoignage des étapes vers la révision.
[[Fichier:Vallotton En Famille.jpg|vignette|''En famille'', gravure sur bois de [[Félix Vallotton]] (''[[Le Cri de Paris]]'', {{date-|13 février 1899}}). L'affaire Dreyfus coupe durablement la France en deux, jusque dans les ménages. Le père de famille lit le journal antidreyfusard ''[[L'Intransigeant]]'' tandis que la jeune femme, lui tournant le dos, est plongée dans le quotidien dreyfusard ''[[L'Aurore (journal français, 1897-1914)|L'Aurore]]''. Son fils (?) lit ''[[Le Libertaire]]'', feuille anarchiste dirigée alors par [[Sébastien Faure]], favorable à Dreyfus<ref>{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Vincent|nom1=Duclert|lien auteur1=Vincent Duclert|titre=La République imaginée|sous-titre=1870-1914|lieu=Paris|éditeur=[[Belin éditeur|Belin]]|collection=Histoire de France|numéro dans collection=11|année=2010|pages totales=861|passage=287|isbn=978-2-7011-3388-1}}.</ref>.]]
Socialement, [[antisémitisme en France|l'antisémitisme]] est au-devant de la scène. Préexistant à l'affaire Dreyfus, il s'était exprimé lors des affaires du [[boulangisme]] et du [[Scandale de Panama|canal de Panama]]. Mais il était restreint à une élite intellectuelle. L'affaire Dreyfus répand la haine raciale dans toutes les couches de la société, mouvement qui débute certes avec le succès de ''La France juive'' d'[[Édouard Drumont]] en 1886, mais énormément amplifié ensuite par les divers épisodes judiciaires et les campagnes de presse pendant près de quinze ans. L'antisémitisme est donc dès lors officiel et exposé dans de nombreux milieux, y compris ouvriers<ref>[[#Duclert|Duclert, ''L'Affaire Dreyfus'']], {{p.}}95.</ref>. Des candidats aux élections législatives font de l'antisémitisme un argument électoral. Cet antisémitisme est renforcé par la crise de la [[Loi de séparation des Églises et de l'État|séparation des églises et de l'État]] à partir de 1905, l'amenant probablement à son paroxysme en France. Le passage aux actes viendra avec l'avènement du [[régime de Vichy]] en 1940, laissant libre cours à l'expression débridée et complète de la haine raciale. Des [[Lois sur le statut des Juifs du régime de Vichy|lois antisémites]] sont appliquées, de nombreux Juifs sont arrêtés par la [[Collaboration policière sous le régime de Vichy|police française]], et le gouvernement de la [[Collaboration en France|collaboration]] participe à la déportation de dizaines de milliers d'entre eux. Au sortir de la guerre, la monstruosité de la [[Shoah en France|Shoah]], reconnue comme un [[crime contre l'humanité]], s'impose à tous, discréditant l'antisémitisme. Ce dernier s'exprime pourtant de temps à autre au travers de déclarations de partis d'extrême droite. La persistance d'un sentiment antisémite résiduel en France est toujours d'actualité, comme le montrent par exemple les crimes et délits qui continuent d'être perpétrés{{note|groupe=n|Cet antisémitisme est bien entendu d'origines multiples et n'est pas en lui-même une conséquence de l'affaire Dreyfus.}}.
 
Autre conséquence sociale, le rôle renforcé de la presse : elle exerce durant l'Affaire une influence sur la vie politique française qu'elle n'avait jamais eu à ce point<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}471.</ref>. On peut parler d'un [[quatrième pouvoir]], dès lors qu'elle vient contrebalancer l'action du pouvoir judiciaire et politique de l'État<ref>[[#Boussel|Boussel, ''L'affaire Dreyfus et la presse'']], {{p.}}92.</ref>. Dans l'Affaire, la haute tenue rédactionnelle de la presse est principalement le fait d'écrivains et de romanciers utilisant les journaux comme un moyen révolutionnaire d'expression. La puissance de la presse a très certainement porté les hommes politiques à l'action, à l'exemple d'un Mercier qui paraît avoir poussé au procès Dreyfus en 1894 pour plaire à ''[[La Libre Parole]]'' quand celle-ci l'attaquait férocement. Cela dit, le rôle de la presse est limité par la diffusion des titres, à la fois importante à Paris et faible à l'échelle nationale<ref>[[#Bredin|Bredin, ''L'Affaire'']], {{p.}}474.</ref>. L'ensemble du tirage de la presse nationale paraît tourner autour de quatre millions et demi d'exemplaires, ce qui relativise fortement son influence réelle. On assiste par ailleurs en 1899 à la parution d'une presse spécifique destinée à coordonner la lutte (dans le camp dreyfusiste), avec le ''[[Le Journal du peuple|Journal du Peuple]]'' de [[Sébastien Faure]].
L'ouvrage de [[Joseph Reinach]], l'''Histoire de l'affaire Dreyfus'' en sept volumes, qui commence à paraître en [[1901]] et se termine avec l'index en [[1911]], a été la référence jusqu’à la publication des travaux d'histoire scientifique livrés à partir des années 1960. Il contient de très nombreuses informations exactes, malgré quelques interprétations généralement contestées sur le pourquoi de l'affaire<ref name="Historio"/>{{,}}<ref>[[#HAD|Disponible sur Gallica]]</ref>.
 
=== Des conséquences internationales ===
D'autre part, il existe des {{guillemets|mémoires instantanés}} de témoins directs, comme le livre d'Esterházy - à prendre avec les précautions qui s'imposent - ou celles d'Alfred Dreyfus lui-même dans ''Cinq années de ma vie''. Il s'agit de témoignages de nature à compléter le panorama de l'affaire.
[[Fichier:Theodor Herzl retouched.jpg|vignette|gauche|[[Theodor Herzl]] a créé le [[congrès sioniste]] à la suite de l'affaire Dreyfus.|alt=Theodor Herzl a créé le congrès sioniste à la suite de l'affaire Dreyfus.]]
L'affaire Dreyfus crée des difficultés sur le chemin de l'amélioration des rapports entre la France et l'[[Italie]] après la guerre douanière, l'Italie étant la nation d'Europe la plus dreyfusarde<ref>Pierre Milza, ''L{{'}}''affaire'' Dreyfus nelle relazioni franco-italiane'' (en italien), in: Comune di Forlì–Comune di Roma, ''Dreyfus. L'''affaire'' e la Parigi'' fin de siècle ''nelle carte di un diplomatico italiano'', Edizioni Lavoro, Roma 1994, {{p.|23-36}}.</ref>.
 
Le choc de l'affaire Dreyfus a également un impact sur le mouvement [[sionisme|sioniste]] « qui y trouve un terrain propice à son éclosion »<ref name="BennyMorris">[[Benny Morris]], ''Victimes. Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste'', 2003, {{p.}}29 et 34.</ref>.
On peut consulter aussi, avec tout l'esprit critique et scepticisme qui conviennent, ''Le précis de l'affaire Dreyfus'' par {{guillemets|[[Henri Dutrait-Crozon]]}}, pseudonyme du colonel Larpent<ref>Inspiré par le commandant Cuignet.</ref> et base de toute la littérature antidreyfusarde postérieure à l'affaire, jusqu’à nos jours. L'auteur y développe en effet la [[théorie du complot]], alimenté par la finance juive, pour pousser Esterházy à s'accuser du crime. Sous des dehors scientifiques, on y retrouve un échafaudage de théories qu'aucune preuve ne soutient.
 
Le journaliste austro-hongrois [[Theodor Herzl]] ressort profondément marqué de l'affaire Dreyfus dont il suit les débuts comme correspondant de la ''[[Die Presse|Neue freie Presse]]'' de Vienne, pour laquelle il assiste à la dégradation d'Alfred Dreyfus en 1895. « L'affaire […] agit comme un catalyseur dans la conversion de Herzl ». Devant la vague d'antisémitisme qui l'accompagne, Herzl se « convainc de la nécessité de résoudre la question juive », qui devient « une obsession pour lui ». Dans son livre {{langue|de|''[[Der Judenstaat]]''}} (''L'État des Juifs''), il considère que<ref name="BennyMorris"/> :{{début citation bloc}}Si la France — bastion de l'émancipation, du progrès et du socialisme universaliste — [peut] se laisser emporter dans un maelström d'antisémitisme et laisser la foule parisienne scander "À mort les Juifs !", où ces derniers peuvent-ils encore être en sécurité — si ce n'est dans leur propre pays ? L'assimilation ne résoudra pas le problème parce que le monde des gentils ne le permettra pas, comme l'affaire Dreyfus l'a si clairement démontré.{{fin citation bloc}}Le choc est d'autant plus fort qu'ayant vécu toute sa jeunesse en [[Autriche]], pays où existe un courant politique antisémite influent, Herzl a choisi d'aller vivre en France pour l'image [[humanisme|humaniste]] dont elle se prévaut à l'abri des excès extrémistes.
La publication des carnets de Schwartzkoppen, en [[1930]], amène un éclairage sur le rôle coupable d'Esterházy dans l'affaire et disculpe du même coup Alfred Dreyfus, s'il en était besoin. Les ambiguïtés et imprécisions de cette publication ont permis à la [[droite nationale]] de contester la valeur du témoignage, mais la plupart des historiens le retient comme source valide<ref name="Historio"/>.
 
Il organise dès 1897, le {{1er}} [[congrès sioniste]] à [[Bâle]]<ref>[[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], Nicault, entrée "Théodor Herzl et le sionisme", {{p.}}505.</ref> et est considéré comme l'« inventeur du sionisme en tant que véritable mouvement politique »<ref name="BennyMorris"/>. L'affaire Dreyfus marque aussi un grand tournant dans la vie de nombreux Juifs d'Europe centrale et occidentale, tout comme les [[pogrom]]s de 1881-1882 l'avaient fait pour les Juifs d'Europe orientale<ref name="BennyMorris"/>.
La période noire de l'[[Europe sous domination nazie|Occupation]] jette un voile sur l'affaire. La [[Libération (histoire)|Libération]] et la révélation de la [[Shoah]] amènent une réflexion de fond sur l'ensemble de l'affaire Dreyfus. Jacques Kayser (1946), puis [[Maurice Paléologue]] (1955) et Henri Giscard d'Estaing (1960) relancent l'affaire sans grandes révélations, avec une démarche généralement jugée insuffisante sur le plan historique<ref name="Historio"/>.
 
== Historiographie de l'affaire Dreyfus ==
C'est Marcel Thomas, archiviste [[paléographe]], conservateur en chef aux [[Archives nationales (France)|Archives nationales]], qui en [[1961]], apporte, par son ''Affaire sans Dreyfus'' en deux volumes, un renouvellement complet de l'histoire de l'affaire, appuyée sur toutes les archives publiques et privées disponibles. Son ouvrage est le [[socle]] de l'ensemble des études historiques ultérieures, <ref>Lire les recommandations bibliographiques chez Bach, Birnbaum, Bredin, Doise, Duclert, Drouin, Micquel.</ref>.
[[Fichier:Listes des versements aux Archives, par le ministère de la Justice, des scellés de l’affaire Dreyfus - Archives Nationales - AB-V-d-9 - (1).jpg|vignette|Listes des versements aux Archives, par le ministère de la Justice, des scellés de l’affaire Dreyfus, {{date-|décembre 1929}}. [[Archives nationales (France)|Archives nationales de France]].]]
[[Fichier:Brochure Lazare.jpg|vignette|gauche|Première brochure de Bernard Lazare, ''Une erreur judiciaire'', publiée en 1896 à Bruxelles.]]
L'affaire Dreyfus se distingue par le nombre important d'ouvrages<ref name="Historio">Historiographie construite à partir de Thomas in [[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], {{p.}}586 et [[#DuclertBio|Duclert, ''Biographie d'Alfred Dreyfus'']], {{p.}}1193.</ref> publiés à son sujet{{note|groupe=n|La bibliographie listée dans le présent article n'expose qu'une faible partie de ce qui a été édité depuis plus d'un siècle.}}. Une partie importante de ces publications relève de la simple polémique et ne sont pas des livres historiques<ref name="Historio"/>. Mais ces ouvrages sont consultés dans le cadre d'études psycho-sociales de l'affaire<ref>Voir les 96 pages de la bibliographie générale publiée dans [[#Drouin|Drouin, ''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], {{p.}}629.</ref>.
 
Le grand intérêt de l'étude de l'affaire Dreyfus réside dans le fait que toutes les archives sont aisément disponibles. Bien que les débats du Conseil de guerre de 1894 n'aient pas été pris en [[sténographie]], les comptes-rendus de toutes les audiences publiques des nombreux procès de l'affaire peuvent être consultés. Par ailleurs, un grand nombre d'archives sont facilement accessibles aux [[Archives nationales (France)|Archives nationales]] et aux [[Service historique de la Défense|Archives militaires du fort de Vincennes]].
[[Henri Guillemin]], la même année, avec son ''Enigme Esterházy'', semble trouver la clef de {{guillemets|l'énigme }} dans l'existence d'un troisième homme (en plus de Dreyfus et Esterházy), explication qu'il partage momentanément avec Michel de Lombarès, puis l'abandonne quelques années plus tard.
 
Une littérature contemporaine de l'affaire a été publiée entre 1894 et 1906. À commencer par l'opuscule de [[Bernard Lazare]], premier intellectuel dreyfusard : malgré des erreurs factuelles, il reste un témoignage des étapes vers la révision<ref>[http://affaire-dreyfus.com/2015/01/02/les-souvenirs-de-bernard-lazare-sur-son-engagement-dans-laffaire-dreyfus/ « Les souvenirs de Bernard Lazare sur son engagement dans l'affaire Dreyfus »], sur le ''blog de la [[Société internationale d'histoire de l'affaire Dreyfus]]'', 2 janvier 2015.</ref>.
[[Jean Doise]], normalien et spécialiste des armées, malgré de solides réflexions et descriptions, tente d'expliquer l'affaire par la genèse du canon de 75 mm dans ''Un secret bien gardé'', mais ses hypothèses conclusives sont regardées de manière très critique.
 
L'ouvrage de [[Joseph Reinach]], l'''Histoire de l'affaire Dreyfus'' en sept volumes, qui commence à paraître en [[1901]] et se termine avec l'index en 1911, a été la référence jusqu'à la publication des travaux d'histoire scientifique livrés à partir des [[années 1960]]. Il contient de très nombreuses informations exactes, malgré quelques interprétations généralement contestées sur le pourquoi de l'affaire<ref name="Historio"/>{{,}}<ref>[[#HAD|Joseph Reinach, ''Histoire de l'affaire Dreyfus'']].</ref>.
[[Jean-Denis Bredin]], avocat et historien, livre ''L'Affaire'' en 1983, reconnue comme la meilleure somme sur l'affaire Dreyfus. L'intérêt de l'ouvrage porte sur une relation strictement factuelle et documentée des faits et une réflexion polyforme sur les différents aspects de cet évènement.
 
D'autre part, il existe des « mémoires instantanés » de témoins directs, comme le livre antisémite et mensonger d'Esterhazy, ou celui d'Alfred Dreyfus lui-même dans ''Cinq années de ma vie''. Il s'agit de témoignages de nature à compléter le panorama de l'affaire.
Il revient enfin à [[Vincent Duclert]] d'avoir livré en 2005 la première ''Biographie d'Alfred Dreyfus'', en {{formatnum:1300}} pages, parmi une dizaine d'autres publications sur l'affaire Dreyfus, incluant la correspondance complète d'Alfred et Lucie Dreyfus de 1894 à 1899.
 
''Le précis de l'affaire Dreyfus'' par « [[Henri Dutrait-Crozon]] », pseudonyme du colonel Larpent{{note|groupe=n|Inspiré par le commandant Cuignet.}} est la base de toute la littérature antidreyfusarde postérieure à l'affaire, jusqu'à nos jours. L'auteur y développe la [[théorie du complot]], alimenté par la finance juive, pour pousser Esterhazy à s'accuser du crime. Sous des dehors scientifiques, on y retrouve un échafaudage de théories qu'aucune preuve ne soutient.
Enfin, l'affaire Dreyfus a fourni le prétexte à de nombreux romans. La dernière œuvre d'[[Émile Zola]] (1902), ''Vérité'', transpose l'affaire Dreyfus dans le monde de l'école. [[Anatole France]] publie ''[[L'Île des pingouins]]'' (1907) qui relate l'affaire au livre VI : « L’Affaire des quatre-vingt mille bottes de foin. »<ref>[[s:L'Île des Pingouins|L'Île des Pingouins]].</ref> D'autres auteurs y contribueront, comme [[Roger Martin du Gard]], [[Marcel Proust]] ou [[Maurice Barrès]].
 
La publication des carnets de Schwartzkoppen, en 1930, amène un éclairage sur le rôle coupable d'Esterhazy dans l'affaire et disculpe du même coup Alfred Dreyfus, s'il en était besoin. L'[[extrême droite]] conteste la valeur de ce témoignage, mais la plupart des historiens le retiennent comme source valide, malgré quelques ambiguïtés et imprécisions<ref name="Historio"/>.
==Annexes==
[[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]] : Source utilisée pour la rédaction de l’article
 
La période de l'[[Europe sous domination nazie|Occupation]] jette un voile sur l'affaire. La [[Libération de la France|Libération]] et la révélation de la [[Shoah]] amènent une réflexion de fond sur l'ensemble de l'affaire Dreyfus. [[Jacques Kayser]] (1946), puis [[Maurice Paléologue]] (1955) et [[Henri Giscard d'Estaing]] (1960) relancent l'affaire sans grandes révélations, avec une démarche généralement jugée insuffisante sur le plan historique<ref name="Historio"/>{{,}}<ref name="affaire-dreyfus.com">[http://affaire-dreyfus.com/discussions/lhistoire-canon-au-sujet-de-quelques-ouvrages-du-doute-et-du-soupcon/ « "L'Histoire-canon". Au sujet de quelques ouvrages "du doute et du soupçon" »], sur le ''blog de la [[Société internationale d'histoire de l'affaire Dreyfus]]''.</ref>.
=== Documentation ===
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--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Sources primaires — '''</span><!--
-->
* [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w Compte rendu ''in extenso'' du procès d’Émile Zola aux Assises de la Seine et à la Cour de Cassation] (1898) [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t Débats de la Cour de Cassation en vue de la révision du procès Dreyfus] (1898) [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* Compte rendu in extenso du procès de Rennes (1899) [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24250f Tome 1], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24251s Tome 2], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k242524 Tome 3] [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* [[s:Affaire Dreyfus - arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906|Décision de la Cour de Cassation]] en vue de la cassation sans renvoi du procès Dreyfus de 1899. (1906) [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
 
C'est [[Marcel Thomas (bibliothécaire)|Marcel Thomas]], archiviste [[paléographie|paléographe]], conservateur en chef aux [[Archives nationales (France)|Archives nationales]], qui en 1961, apporte, par son ''Affaire sans Dreyfus'' en deux volumes, un renouvellement complet de l'histoire de l'affaire, appuyée sur toutes les archives publiques et privées disponibles. Son ouvrage est le socle de l'ensemble des études historiques ultérieures<ref>Lire les recommandations bibliographiques chez Bach, Birnbaum, Bredin, Doise, Duclert, Drouin, Miquel.</ref>.
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--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Bibliographie de référence — '''</span><!--
-->
* {{ouvrage|id=Bredin|titre=L'Affaire|auteur=[[Jean-Denis Bredin]]|éditeur=Fayard, Paris|année=1993 (1{{re}} édition 1981)|isbn=2-260-00346-X}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=DuclertBio|titre=Biographie d'Alfred Dreyfus, l'honneur d'un patriote|auteur=[[Vincent Duclert]]|éditeur=Fayard, Paris|année=2006 |isbn=2213627959}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=HAD|auteur=[[Joseph Reinach]]|titre=Histoire de l'affaire Dreyfus|éditeur=Fasquelle|année=1901}} ; éd. Robert Laffont, deux vol., 2006
**Édition originale en ligne sur Gallica, [[Bibliothèque nationale de France|BnF]]: [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
:[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s Tome 1, ''Procès de 1894'']
:[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 Tome 2, ''L'affaire Esterházy'']
:[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75084g Tome 3, ''Procès Esterházy et Zola'']
:[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t Tome 4, ''Cavaignac et Félix Faure'']
:[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750865 Tome 5, ''Procès de Rennes'']
:[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75087h Tome 6, ''La révision'']
:[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k751017 Tome 7, ''Index général'']
* {{ouvrage|id=Thomas|auteur=Marcel Thomas|titre=L'Affaire sans Dreyfus|éditeur=Fayard - Idégraf (Genève)|année=1961 - 1979}} - 2 volumes. [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
 
[[Henri Guillemin]], la même année, avec son ouvrage ''L'énigme Esterhazy'', croit trouver la clef de « l'énigme » dans l'existence d'un troisième homme (en plus de Dreyfus et Esterhazy)<ref>{{harvsp|Rebérioux|1976|p=406, {{n.}}1}}.</ref>, explication qu'il partage momentanément avec Michel de Lombarès<ref>L'affaire Dreyfus. La clef du mystère, Paris, Robert Lafon, « Les ombres de l'histoire », 1972.</ref>, avant de l'abandonner quelques années plus tard<ref name="affaire-dreyfus.com"/>.
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--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Autres ouvrages généraux — '''</span><!--
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* {{ouvrage|id=Birnbaum|titre=L'Affaire Dreyfus, la République en péril|auteur=Pierre Birnbaum|éditeur=Gallimard, coll. {{guil|Découvertes}}|année=1994|isbn=978-2070532773}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Burns|titre=Histoire d'une famille française, les Dreyfus|auteur=Michael Burns|éditeur=Fayard|année=1994|isbn=978-2213031323}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* Éric Cahm, L’Affaire Dreyfus, Le Livre de poche, coll. {{guil|références}}, 1994
* {{ouvrage|id=Demier|titre=La France du {{XIXe siècle}}|auteur=Francis Démier|éditeur=Seuil, coll. {{guil|Points Histoire}}|année=2000|isbn=}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Drouin|titre=[http://www.histoforum.org/histobiblio/article.php3?id_article=175 L'Affaire Dreyfus Dictionnaire]|auteur=Michel Drouin (dir.)|éditeur= Flammarion|année=1994, réédition 2006|isbn=2082105477}}. [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Duclert|titre =L'Affaire Dreyfus|auteur=[[Vincent Duclert]]|éditeur=La Découverte|année=2006 (1{{re}} éd. 1994)|isbn=2707147931}}. [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=DuclertLar|titre=Dreyfus est innocent, histoire d'une affaire d'État|auteur=[[Vincent Duclert]]|éditeur=Larousse|année=2006 |isbn=203582639}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=MiquelQS|titre=L’affaire Dreyfus|auteur=[[Pierre Miquel]]|éditeur=Presses Universitaires de France - PUF - Coll. Que sais-je ?|année=1961, réédité 2003|isbn=2130532268}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Miquel|titre=La troisième République|auteur=[[Pierre Miquel]]|éditeur=Fayard|année=1989|isbn=}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Winock|titre=La Fièvre hexagonale. Les grandes crises politiques. 1871-1968|auteur=Michel Winock|éditeur=Points Seuil|année=1986 |isbn=2020098318}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=WinockS|titre=Le Siècle des intellectuels|auteur=Michel Winock|éditeur=Le Seuil, coll. {{guillemets|Points}}|année=1999|isbn=}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
 
[[Jean Doise]], normalien et spécialiste des armées, avec des réflexions et descriptions d'ordre technique, tente d'expliquer l'affaire par la genèse du canon de {{unité|75|mm}} modèle 1897 dans ''[[#Doise|Un secret bien gardé]]'', mais ses hypothèses conclusives sont regardées de manière très critique<ref name="affaire-dreyfus.com"/>.
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--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Ouvrages spécialisés — '''</span><!--
-->
* {{ouvrage|id=Bach|titre=L'Armée de Dreyfus. Une histoire politique de l'armée française de Charles X à « L'Affaire »|auteur=Général [[André Bach]]|éditeur=Tallandier|année=2004 |isbn=2-84734-039-4}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Boussel|titre=L'affaire Dreyfus et la presse|auteur=Patrice Boussel|éditeur=Armand Colin, collection Kiosque|année=1960, 272 p.}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Doise|titre=Un secret bien gardé - Histoire militaire de l'Affaire Dreyfus|auteur=[[Jean Doise]]|éditeur=Le Seuil 225 p.|année=1994|isbn=2-020211009}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Guillemin|titre=L'énigme Estherhazy|auteur=[[Henri Guillemin]]|éditeur=Gallimard|année=1962|isbn=}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* Armand Israël, ''Les vérités cachées de l'affaire Dreyfus'', Albin Michel, 2000 {{ISBN|2-226-11123-9}}
* Thierry Levy, Jean-Pierre Royer, ''Labori, un avocat'', Louis Audibert Editions, 2006, {{ISBN|2-226-11123-9}}
* Collectif, ''Les intellectuels face à l’affaire Dreyfus alors et aujourd’hui'', L’Harmattan, 2000, {{ISBN|978-2738460257}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* {{ouvrage|id=Cassation|titre=De la justice dans l’affaire Dreyfus|auteur=Cour de Cassation, collectif|éditeur=Fayard|année=2006|isbn=978-2213629520}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
 
[[Jean-Denis Bredin]], avocat et historien, livre [[#Bredin|''L'Affaire'']] en 1983, reconnue comme la meilleure somme sur l'affaire Dreyfus. L'intérêt de l'ouvrage porte sur une relation strictement factuelle et documentée des faits et une réflexion multiforme sur les différents aspects de cet événement.
{{ouvrage|id=|titre=|auteur=|éditeur=|année=1994|isbn=}}
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--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Articles et presse — '''</span><!--
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* Revue ''L'Histoire'' n° 173, Spécial Dreyfus, janvier 1994. [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
* Édition spéciale du ''Figaro'' du 12 juillet 2005, {{guil|Le centenaire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus}}.
* ''{{guil|Dreyfusards !}} : souvenirs de Mathieu Dreyfus et autres inédits'' (présentés par Robert Gauthier). Gallimard & Julliard, coll. {{guil|Archives}} n° 16, Paris, 1978.
* Thomas Loué, {{guillemets|L'affaire Dreyfus}}, in L. Boltanski et alii éds., ''Affaires, scandales et grandes causes'', Paris, Stock, 2007, pp. 213-227.
 
Il revient enfin à [[Vincent Duclert]] d'avoir livré en [[2005]] la première [[#DuclertBio|biographie d'Alfred Dreyfus]], en {{unité|1300|pages}}, parmi une dizaine d'autres publications sur l'affaire Dreyfus, incluant la correspondance complète d'Alfred et Lucie Dreyfus de 1894 à 1899.
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--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Témoignages — '''</span><!--
En 2014, ont paru deux travaux qui reviennent sur l'histoire de l'Affaire : ''Histoire politique de l'affaire Dreyfus'' de Bertrand Joly (Fayard) qui analyse l'Affaire « de l'extérieur » en la replaçant dans le contexte politique de la période et ''L'Histoire de l'affaire Dreyfus de 1894 à nos jours'' (Les Belles Lettres) de [[Philippe Oriol]] qui procède « de l'intérieur » et, sur la base d'un siècle de publications et du dépouillement systématique de la presse française et des fonds d'archives connus et jusqu'alors inconnus, livrant ainsi de très nombreux inédits, propose une narration analytique de l'événement plus précise.
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*{{ouvrage|id=Dreyfus5|titre=[http://www.histoforum.org/histobiblio/article.php3?id_article=232 Cinq années de ma vie]|auteur=Alfred Dreyfus|éditeur=Fasquelle, Paris|année=1935, réédité 2006 (La Découverte)|isbn=2707148067}}
Par ailleurs, l'affaire Dreyfus a fourni la matière de nombreux romans. La dernière œuvre d'[[Émile Zola]] ([[1903 en littérature|1903]]), ''Vérité'', transpose l'affaire Dreyfus dans le monde de l'école. [[Anatole France]] publie ''[[L'Île des Pingouins|L'Île des pingouins]]'' ([[1907 en littérature|1907]]) qui relate l'affaire au livre {{VI}} : « L'Affaire des quatre-vingt mille bottes de foin »<ref>''[[s:L'Île des Pingouins|L'Île des Pingouins]]''.</ref>. D'autres auteurs y contribueront, comme [[Roger Martin du Gard]] (''[[Jean Barois]]''), [[Marcel Proust]] (''[[Jean Santeuil]]''), [[Maurice Barrès]] (''Ce que j'ai vu à Rennes'') ou plus récemment encore le Britannique [[Robert Harris (écrivain)|Robert Harris]] avec ''D.'' (2013).
*{{ouvrage|id=Lettres|titre=[http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4941c ''Lettres d'un innocent'']|auteur=Alfred Dreyfus|éditeur=Stock|année=1898}}
 
* [[Léon Blum]], ''Souvenirs sur l’Affaire'', Flammarion, Folio Histoire, 1993, {{ISBN|978-2070327522}}
== Voir aussi ==
* [[Georges Clemenceau]], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2027775 ''L'iniquité''], Stock, 1899
{{Catégorie principale}}
* [[Georges Clemenceau]], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82753m ''La honte''], 1903
{{Autres projets
* [[Georges Clemenceau]], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82754z ''Vers la réparation''], Tresse & Stock, 1899
| commons=Category:Alfred Dreyfus
* [[Mathieu Dreyfus]], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k21872p ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], Bernard Grasset, Paris, 1978.{{ISBN|2-246-00668-6}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
| wikisource=catégorie:Affaire Dreyfus
* [[Jean Jaurès]], [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72819h ''Les preuves''], Recueil d'articles parus dans ''La Petite République'', 1898 - [http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Preuves version Wikisource]
| wikiquote=Affaire Dreyfus
* Jean-Louis Lévy, ''Combat pour Dreyfus'', Editions Dilecta, 2006.{{ISBN|978-2916275048}}
}}
* [[Octave Mirbeau]], ''L'Affaire Dreyfus'', Librairie Séguier, 1991.
{{légende plume}}
* {{ouvrage|id=Paléologue|titre=L’Affaire Dreyfus et le Quai d’Orsay|auteur=[[Maurice Paléologue]]|éditeur=Plon|année=1955|isbn=}} [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
 
* [[Émile Zola]], ''Combat pour Dreyfus''. Préface de Martine Le Blond-Zola. Postface de Jean-Louis Lévy. Présentation et notes d'Alain Pagès. Éditions Dilecta, 2006. [[Image:Feather.svg|20px|Source de l'article]]
=== Sources primaires ===
* [http://www.affairedreyfus.com/p/ressources.html Compte rendu ''in extenso'' du procès d'Émile Zola aux Assises de la Seine et à la Cour de cassation] (1898) {{Plume}}
* [http://www.affairedreyfus.com/p/ressources.html Enquête de la Cour de cassation] (1898-1899) {{Plume}}
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24254t Débats de la Cour de cassation en vue de la révision du procès Dreyfus] (1898) {{Plume}}
* Compte rendu ''in extenso'' du procès de Rennes (1899) [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24250f Tome 1], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24251s Tome 2], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k242524 Tome 3] {{Plume}}
* [http://www.affairedreyfus.com/p/ressources.html Mémoire d'Alfred Dreyfus pour la Cour de cassation] (1904) {{Plume}}
* [http://www.affairedreyfus.com/p/ressources.html Enquête de la Cour de cassation] (1904) {{Plume}}
* [http://www.affairedreyfus.com/p/ressources.html Débats de la Cour de cassation] (1906) {{Plume}}
* [[s:Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906|Décision de la Cour de cassation]] en vue de la cassation sans renvoi du procès Dreyfus de 1899. (1906) {{Plume}}
 
==== Témoignages ====
{{div col||30em}}
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Alfred Dreyfus|titre=Cinq années de ma vie, 1894-1899|lieu=Paris|éditeur=Fasquelle, Paris|année=|année première édition=1901|réimpression=2006 (La Découverte), 2015 (Théolib)|pages totales=277|isbn=2707148067|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k15234823|id=Dreyfus5}}
* {{Ouvrage|auteur1=Alfred Dreyfus|titre=Lettres d'un innocent|éditeur=[[Éditions Stock|Stock]]|année=1898|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4941c|id=Lettres}}. Réédition Théolib, Paris, 2013 ({{ISBN|978-2-36500-070-3}}
* Alfred Dreyfus, ''Carnets 1899-1907'', Calmann-Lévy, 1998.
*Péguy publie, du 1er février au 15 novembre 1899, une série de 11 articles dans ''La Revue blanche''
* [https://www.franceculture.fr/histoire/archive-exceptionnelle-ecoutez-la-voix-dalfred-dreyfus-lui-meme-en-1912 La voix d'Alfred Dreyfus enregistrée en 1912]
* [[Léon Blum]], ''Souvenirs sur l'Affaire'', Flammarion, Folio Histoire, 1993 {{ISBN|978-2070327522}}
* [[Georges Clemenceau]], ''L'Iniquité'', Stock, 1899, lire en ligne
* Georges Clemenceau, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82753m ''La Honte''], 1903
* Georges Clemenceau, [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82754z ''Vers la réparation''], Tresse & Stock, 1899
* [[Bernard Lazare]], ''[http://www.manioc.org/patrimon/FRA11093 L'Affaire Dreyfus : une erreur judiciaire]'', Stock, 1897
* [[Mathieu Dreyfus]], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k21872p ''L'Affaire telle que je l'ai vécue''], Bernard Grasset, Paris, 1978.{{ISBN|2-246-00668-6}} {{Plume}}
* [[Jean Jaurès]], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72819h ''Les Preuves''], recueil d'articles parus dans ''La Petite République'', 1898. [[Fichier:Wikisource-logo.svg|18px|Wikisource]] [[s:Les Preuves|Disponible sur Wikisource]]
* [[Octave Mirbeau]], ''[[L'Affaire Dreyfus (Mirbeau)|L'Affaire Dreyfus]]'', Librairie Séguier, 1991.
* {{Ouvrage|auteur1=[[Maurice Paléologue]]|titre=L'Affaire Dreyfus et le Quai d'Orsay|éditeur=[[Plon]]|année=1955|id=Paléologue}} {{Plume}}
* [[Émile Zola]], ''Combat pour Dreyfus''. Préface de Martine Le Blond-Zola. Postface de Jean-Louis Lévy. Présentation et notes d'[[Alain Pagès]]. Éditions Dilecta, 2006. {{Plume}}
* [[Paschal Grousset]], [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1128929 ''L'Affaire Dreyfus et ses ressorts secrets : précis historique''], éd. Godet et Cie, Paris, 240 p., 1898.
* Paschal Grousset, ''L'Affaire Dreyfus, le mot de l'énigme'', Paris, Stock. 1899.
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=== Bibliographie ===
==== Bibliographie de référence ====
* {{Ouvrage|auteur1=[[Joseph Reinach]]|titre=Histoire de l'affaire Dreyfus|éditeur=[[Éditions Fasquelle|Fasquelle]]|année=1901|id=HAD}} ; éd. Robert Laffont, deux vol., 2006<ref>Édition originale en ligne sur Gallica, [[Bibliothèque nationale de France|BnF]] :
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75082s Tome 1, ''Procès de 1894'']
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750834 Tome 2, ''L'affaire Esterhazy'']
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75084g Tome 3, ''Procès Esterhazy et Zola'']
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75085t Tome 4, ''Cavaignac et Félix Faure'']
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k750865 Tome 5, ''Procès de Rennes'']
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75087h Tome 6, ''La révision'']
* [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k751017 Tome 7, ''Index général''].</ref> {{Plume}}
* {{Ouvrage|auteur1=Marcel Thomas|titre=L'Affaire sans Dreyfus|éditeur=Fayard, Idégraf (Genève)|année=1961-1979|isbn=|id=Thomas}}, 2 volumes. {{Plume}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jean-Denis|nom1=Bredin|lien auteur1=Jean-Denis Bredin|titre=L'Affaire|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Julliard|Julliard]]|année=1983|pages totales=551|isbn=2-260-00346-X}}. {{commentaire biblio|Réédition : {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jean-Denis|nom1=Bredin|lien auteur1=Jean-Denis Bredin|titre=L'Affaire|lieu=Paris|éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]]|année=1993|pages totales=856|isbn=2-213-03138-X|id=Bredin|plume=oui}}}}
* {{Ouvrage |langue=fr |prénom1=Vincent |nom1=Duclert |lien auteur1=Vincent Duclert |titre=Alfred Dreyfus, l'honneur d'un patriote |lieu=Paris |éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]] |année=2006 |pages totales={{XII}}-1259 |isbn=978-2-213-62795-3 |id=DuclertBio |plume=oui}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Louis|nom1=Leblois|titre=L'affaire Dreyfus|sous-titre=l'iniquité, la réparation, les principaux faits et les principaux documents|lieu=Saint-Martin-de-Bonfossé|éditeur=Théolib|collection=Résistances|année=2012|année première édition=1929 ([[Aristide Quillet]])|isbn=978-2-36500-002-4}}
 
==== Autres ouvrages généraux ====
{{div col||30em}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Pierre|nom1=Birnbaum|lien auteur1=Pierre Birnbaum|titre=L'affaire Dreyfus|sous-titre=la République en péril|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|Gallimard]]|collection=[[Découvertes Gallimard]] : histoire|numéro dans collection=213|année=1994|pages totales=144|isbn=2-07-053277-1|id=Birnbaum|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Pierre|nom1=Birnbaum|lien auteur1=Pierre Birnbaum|directeur1=oui|titre=La France de l'affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|Gallimard]]|collection=Bibliothèque des histoires|année=1994|pages totales=597|isbn=2-07-073700-4}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Michael Burns|titre=Histoire d'une famille française, les Dreyfus|éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]]|année=1994|pages totales=700|isbn=978-2213031323|id=Burns|plume=oui}}
* Éric Cahm, ''L'Affaire Dreyfus'', Le Livre de poche, coll. « références », 1994
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Francis Démier|titre=La France du {{XIXe siècle}}|éditeur=Seuil, coll. « Points Histoire »|année=2000|isbn=|id=Demier|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Drouin|directeur1=oui|titre=L'affaire Dreyfus de A à Z|lieu=Paris|éditeur=[[Groupe Flammarion|Flammarion]]|année=1994|pages totales=713|isbn=2-08-066930-3|présentation en ligne=https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1996_num_46_3_395074}}. {{commentaire biblio|Réédition : {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Drouin|directeur1=oui|titre=L'Affaire Dreyfus|sous-titre=dictionnaire|lieu=Paris|éditeur=Flammarion|année=2006|pages totales=759|isbn=2-08-210547-4|id=Drouin|plume=oui}}}}
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Vincent Duclert]]|titre=L'Affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=[[La Découverte]]|collection=Repères : histoire|numéro dans collection=141|année=2006|année première édition=1994|pages totales=127|isbn=2-7071-4793-1|présentation en ligne=https://clio-cr.clionautes.org/laffaire-dreyfus-2.html|id=Duclert|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|nom1=Vincent Duclert|lien auteur1=Vincent Duclert|titre=Dreyfus est innocent, histoire d'une affaire d'État|lieu=Paris|éditeur=Larousse|année=2006|pages totales=239|isbn=203582639X|id=DuclertLar|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Vincent Duclert]]|titre=L'Affaire Dreyfus. Quand la justice éclaire la République|éditeur=[[Éditions Privat|Privat]]|année=2010|isbn=|id=DuclertLar}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Pierre Gervais|auteur2=Pauline Peretz|auteur3=Pierre Stutin|titre=Le dossier secret de l'affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=Alma éditeur|année=2012|pages totales=345|isbn=978-2-36279-043-0|présentation en ligne=https://www.lemonde.fr/livres/article/2012/10/18/bonnes-feuilles-le-dossier-secret-de-l-affaire-dreyfus_1777066_3260.html|id=DS}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Bertrand|nom1=Joly|titre=Histoire politique de l'affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]]|année=2014|pages totales=783|isbn=978-2-213-67720-0|présentation en ligne=https://www.cairn.info/revue-historique-2016-1-page-179.htm#pa175}}, {{lire en ligne|lien=https://www.cairn.info/revue-parlements-2018-1-page-205.htm?contenu=plan#pa46|texte=présentation en ligne}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|nom1=Pierre Miquel|lien auteur1=Pierre Miquel|titre=L'affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=Presses Universitaires de France, PUF|collection=Que sais-je ?|année=1961|réimpression=2003|pages totales=127|isbn=2130532268|id=MiquelQS|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|nom1=Pierre Miquel|lien auteur1=Pierre Miquel|titre=La Troisième République|éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]]|année=1989|pages totales=739|isbn=978-2213023618|id=Miquel}} {{Plume}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Philippe|nom1=Oriol|lien auteur1=Philippe Oriol|titre=L'histoire de l'affaire Dreyfus|sous-titre=de 1894 à nos jours|volume=1 et 2|lieu=Paris|éditeur=[[Les Belles Lettres]]|année=2014|pages totales=1489|isbn=978-2-251-44467-3}}.
* {{Ouvrage|langue=en|prénom1=Piers Paul|nom1=Read|titre=The Dreyfus affair : the story of the most infamous miscarriage of justice in French history|lieu=Londres|éditeur=Bloomsbury|année=2013|isbn=9781408830574}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Winock|lien auteur1=Michel Winock|titre=La Fièvre hexagonale|sous-titre=les grandes crises politiques de 1871 à 1968|lieu=Paris|éditeur=[[Calmann-Lévy]]|collection=Histoire|année=1986|pages totales=428|isbn=2-7021-1426-1|présentation en ligne=https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1986_num_11_1_1504_t1_0140_0000_1|id=Winock|plume=oui}} {{commentaire biblio|Nouvelle édition revue et augmentée : {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Winock|titre=La Fièvre hexagonale|sous-titre=les grandes crises politiques de 1871 à 1968|lieu=Paris|éditeur=Éditions du Seuil|collection=Points. Histoire|numéro dans collection=H97|année=2009|pages totales=475|isbn=978-2-7578-1538-0}}.}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Winock|lien auteur1=Michel Winock|titre=Le Siècle des intellectuels|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions du Seuil|Le Seuil]]|collection=Points : essai|numéro dans collection=613|année=1999|pages totales=885|isbn=2-02-036416-6|id=WinockS|plume=oui}}
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==== Ouvrages spécialisés ====
{{div col||30em}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=André|nom1=Bach|postnom1=(général)|lien auteur1=André Bach|titre=L'armée de Dreyfus|sous-titre=une histoire politique de l'armée française de {{souverain-|Charles X}} à « l'Affaire »|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Tallandier|Tallandier]]|année=2004|pages totales=622|isbn=2-84734-039-4|id=Bach|plume=oui}}
* {{Ouvrage|auteur1=Patrice Boussel|titre=L'Affaire Dreyfus et la presse|éditeur=Armand Colin, coll. « Kiosque »|année=1960|pages totales=272|id=Boussel|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Jean Doise]]|titre=Un secret bien gardé, Histoire militaire de l'Affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions du Seuil|Le Seuil]]|année=1994, 225 {{p.}}|pages totales=225|isbn=2-020211009|id=Doise|plume=oui}}
* Jean-Luc Jarnier, ''L'Affaire Dreyfus et l'imagerie de presse en France (1894-1908)'', thèse de doctorat en histoire de l'art, 2017, 752 p.
* {{Ouvrage|auteur1=Georges Joumas|titre=Échos de l'Affaire Dreyfus en Orléanais|éditeur=Corsaire Éditions|année=2010|isbn=|id=Joumas}} {{ISBN|978-2-910475-12-3}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Philippe-E.|nom1=Landau|titre=L'opinion juive et l'affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Albin Michel|Albin Michel]]|collection=Présences du judaïsme|numéro dans collection=17|année=1995|pages totales=152|format livre=poche|isbn=2-226-07553-4}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Thierry|nom1=Lévy|lien auteur1=Thierry Lévy|prénom2=Jean-Pierre|nom2=Royer|titre=Labori, un avocat|sous-titre=pour Zola, pour Dreyfus, contre la terre entière|lieu=Paris|éditeur=Audibert|collection=AUDIBERT LM|année=2006|jour=6|pages totales=271|isbn=9782847490831|isbn2=2847490833}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Roselyne|nom1=Koren|directeur1=oui|prénom2=Dan|nom2=Michman|directeur2=oui|titre=Les intellectuels face à l'affaire Dreyfus alors et aujourd'hui|sous-titre=perception et impact de l'affaire en France et à l'étranger : actes du colloque de l'Université Bar-Ilan, Israël, 13-{{date-|15 décembre 1994}}|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions L'Harmattan|L'Harmattan]]|année=1998|pages totales=351|isbn=2-7384-6025-9|lire en ligne=https://books.google.com/books?id=tIObGbvrv9AC&printsec=frontcover|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Cour de Cassation, collectif|titre=De la justice dans l'affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=[[Librairie Arthème Fayard|Fayard]]|année=2006|pages totales=419|isbn=2-213-62952-8|id=Cassation|plume=oui}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Alain|nom1=Pagès|lien auteur1=Alain Pagès|titre=L'affaire Dreyfus|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Perrin|Perrin]]|collection=Vérités et légendes|année=2019|pages totales=283|isbn=978-2-262-07494-4|id=Pagès}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Michel|nom1=Denis|lien auteur1=Michel Denis (historien)|directeur1=oui|prénom2=Michel|nom2=Lagrée|lien auteur2=Michel Lagrée|directeur2=oui|prénom3=Jean-Yves|nom3=Veillard|lien auteur3=Jean-Yves Veillard|directeur3=oui|titre=L'affaire Dreyfus et l'opinion publique en France et à l'étranger|lieu=Rennes|éditeur=[[Presses universitaires de Rennes]]|collection=Histoire|année=1995|pages totales=346|isbn=2-86847-160-9|lire en ligne=https://books.openedition.org/pur/16484}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Gilles|nom1=Manceron|lien auteur1=Gilles Manceron|directeur1=oui|auteur2=Emmanuel Naquet|directeur2=oui|titre=Être dreyfusard, hier et aujourd'hui|lieu=Rennes|éditeur=[[Presses universitaires de Rennes]]|collection=Histoire|année=2009|pages totales=551|isbn=978-2-7535-0947-4|lire en ligne=https://books.openedition.org/pur/124812?lang=fr}}.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Pierre|nom1=Pierrard|lien auteur1=Pierre Pierrard|titre=Les chrétiens et l'Affaire Dreyfus|éditeur=Éditions de l'Atelier|année=1998|pages totales =216}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Bertrand|nom1=Tillier|lien auteur1=Bertrand Tillier|titre=Les artistes et l'affaire Dreyfus, 1898-1908|lieu=Seyssel|éditeur=[[Éditions Champ Vallon|Champ Vallon]]|collection=Époques|année=2009|pages totales=373|isbn=978-2-87673-516-3|présentation en ligne=https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/02/11/les-artistes-et-l-affaire-dreyfus_1304142_3260.html}}.
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=== Littérature de fiction ===
Différents écrivains contemporains de l'affaire Dreyfus s'en inspirent dans leurs œuvres, dont [[Anatole France]] qui en donne une version satirique avec l'« affaire Pyrot » dans ''[[L'Île des Pingouins]] (1908).'' Le premier roman à prendre en compte l'affaire elle-même est publié en 1913; il s'agit de ''[[Jean Barois]]'' où l'auteur, [[Roger Martin du Gard]], en intègre les péripéties réelles dans le cheminement moral du héros éponyme. [[Marcel Proust]] l'évoque à plusieurs reprises dans ''[[À la recherche du temps perdu]]'', où l'affaire sert de fil rouge courant à travers un certain nombre d'épisodes, et de pierre de touche de la moralité des personnages les plus saillants... jusqu'à [[G. K. Chesterton]] qui la met en scène dans une enquête du [[père Brown]], « Le Duel du Dr Hirsch » (''[[La Sagesse du père Brown]]'').
 
Au {{s-|XXI}}, [[Umberto Eco]] en relate les prémices et le déroulement dans ''[[Le Cimetière de Prague]]'' pendant que [[Robert Harris (écrivain)|Robert Harris]] lui consacre un thriller intitulé ''[[D. (roman)|D.]]''
 
=== Théâtre ===
* [[Seymour Hicks]], ''One of the best'' (''L'un des meilleurs''), créée au théâtre Adelphi de [[Londres]], 1895 (anglais), puis un an aux États-Unis<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI">{{Chapitre|prénom1=Assia|nom1=Kettani|titre chapitre=L’affaire Dreyfus au théâtre : à la recherche de l’universel|titre ouvrage=Théâtre et politique : Les alternatives de l’engagement|éditeur=Presses universitaires de Rennes|collection=Interférences|date=2018-09-03|isbn=978-2-7535-5792-5|lire en ligne=http://books.openedition.org/pur/53278|consulté le=2021-11-15|passage=191–204}}</ref> ;
* Anton van Sprinckhuysen, ''Dreyfus, de martelaar van het Duivelseiland'' (''Dreyfus, le martyr de l’île du Diable''), drame en huit tableaux et une apothéose créé à [[Amsterdam]] le 21 décembre 1897 (néerlandais), puis en Europe<ref>{{Lien web |langue=nl |titre=Anton van Sprinkhuysen |url=https://theaterencyclopedie.nl/wiki/Anton_van_Sprinkhuysen |site=TheaterEncyclopedie |date=2021-05-19 |consulté le=2021-11-15}}</ref> ;
* ''J’accuse… ou le procès Zola'' , créée au Parckschouwburg d’Amsterdam, 19 février 1898 (néerlandais), interdite quelques jours plus tard à la demande de l’ambassade de France à la Haye<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" /> ;
* [[Romain Rolland]], ''Les Loups'', drame philosophique en trois actes, créé au [[Théâtre de l'Œuvre|théâtre de l’Œuvre]], 18 mai 1898<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" /> ;
* [[Georges Grison]] et Albert Dupuy, ''Fergus'', drame patriotique en cinq actes et six tableaux créé aux [[Théâtre des Bouffes-Parisiens|Bouffes-Parisiens]] le 29 juin 1898<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" /> ;
* ''Le Procès Dreyfus ou le condamné de l’île du diable'', créée au théâtre Tacon de [[La Havane]], 20 septembre 1898 (espagnol)<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" /> ;
* [[Alfred Jarry]], ''L’Île du Diable, pièce secrète en trois ans et plusieurs tableaux'', écrite en 1899<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" /> ;
* [[Julien Benda]], ''Dialogues à Byzance'', dialogue philosophique publié par ''[[La Revue blanche]]'' (1900) ;
* Dep, ''L’Or Dieu'', publiée en 1901, commençant ainsi : {{Citation|Tous les personnages ont le type juif accentué. Blenhoff se distingue par des yeux ronds hors de la tête. Il ressemble à un bouledogue}}<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" /> ;
* Ortego de Quintana, ''Le Procès Dreyfus'', créée au Théâtre National de [[San Salvador (Salvador)|San Salvador]] (janvier 1906)<ref name="26septembre2020_revues.mshparisnord.fr" /> ;
* Wilhelm Herzog et Hans Rehfisch, ''L’Affaire Dreyfus'' (1930), traduite par [[Jacques Richepin]] et jouée au [[Théâtre de l'Ambigu-Comique|théâtre de l’Ambigu]], interrompue à cause de manifestations organisées par l’Action Française<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" /> ;
* [[Jean-Claude Grumberg]], ''Dreyfus'', écrite en 1974 (l’action se déroule en 1930 en Pologne, autour de la répétition d’une pièce sur l’affaire)<ref name="3septembre2018_Assia_KITTANI" /> ;
* Bernard Matignon, ''L'Affaire Dreyfus'', d'après ''L'Affaire'', de Jean-Denis Bredin, lecture au [[Festival d'Avignon]], {{date-|8 juillet 1994}}.
 
=== Filmographie ===
En regard de l'importance de l'événement et de ses répercussions, l'affaire Dreyfus a été portée à la fois sur le petit et le grand écran français et international<ref>{{Article|langue=fr|prénom1=Marie|nom1=Duval|titre=L’affaire Dreyfus sur la scène internationale : cinéma et censure|périodique=Double jeu. Théâtre / Cinéma|numéro=17|date=2020-12-31|issn=1762-0597|doi=10.4000/doublejeu.2715|lire en ligne=https://journals.openedition.org/doublejeu/2715|consulté le=2022-12-20|pages=13–36}}</ref>. On soulignera parfois un [[Manichéisme (attitude)|manichéisme]] face aux réactions françaises<ref>{{Lien web|url= https://www.contrepoints.org/2016/07/12/239432-laffaire-dreyfus-ecrans|titre= L'Affaire Dreyfus sur les écrans|site= ContrePoints|date= 12 juillet 2016}}.</ref>.
En regard de l'importance de l'événement et de ses répercussions, l'affaire Dreyfus a été très peu portée à l'écran, et jamais au cinéma en France.<ref>[[#Drouin|''Dictionnaire de l'affaire Dreyfus'']], entrée Le Cinéma, de Baecque, pp. 550-551</ref>
 
==== Actualités et assimilés ====
<!--
* 1899 :
--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Actualités et assimilés — '''</span><!--
** ''La Garde en faction devant le tribunal de Rennes'', Catalogue des vues [[Auguste et Louis Lumière|Lumière]].
-->
** 1899 : ''{{frMme}} LaDreyfus gardeet enson factionavocat devantà lela tribunalsortie de la prison de Rennes -'', Catalogue des vues [[Auguste et Louis Lumière|Lumière]].
** ''[[L'Affaire Dreyfus (film, 1899)|L'Affaire Dreyfus]]'' (actualité reconstituée, onze tableaux, {{unité|15|min}}) de [[Georges Méliès]] (point de vue dreyfusard), DVD 2008 par Studio Canal
* 1899 : {{fr}} Mme Dreyfus et son avocat à la sortie de la prison de Rennes. - Catalogue des vues Lumière.
* 1899 : {{fr}}* ''L'Affaire Dreyfus'' (actualité reconstituée, 15six mntableaux), deActualités [[Georges MélièsPathé]] (point de vue dreyfusard)
* 18991902 : {{fr}} ''L'Affaire Dreyfus'' (actualitéde reconstituée,[[Ferdinand 6Zecca]] tableaux).produit -par Actualités [[Pathé]]
* 19021907 : {{fr}} ''L'Affaire Dreyfus'', Film français attribué àde Ferdinand[[Lucien ZeccaNonguet]] produit par Pathé
* 1907 : {{fr}} ''L'Affaire Dreyfus'', Film français de Lucien Nonguet produit par Pathé
 
==== Cinéma ====
<!--
* 1899 :
--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Documentaires — '''</span><!--
** ''[[L'Affaire Dreyfus (film, 1899)|L'Affaire Dreyfus]]'' de [[Georges Méliès]]
-->
** ''Arrestation, Aveux du colonel Henry''
* 1965 : {{fr}} ''L'affaire Dreyfus'', Film français réalisé pour les écoles de Jean Vigne - Noir et blanc - 18 mn
** ''Au mont Valérien, Suicide du colonel Henry''
* 1972 : {{en}} ''The Dreyfus Affair'', Film documentaire américain - Noir et blanc - 15 mn
** ''[[Avenue de la Gare à Rennes]]''
* 1974 : {{fr}} ''Dreyfus ou l'Intolérable Vérité'', Film documentaire français de Jean Chérasse - Couleur - 90 mn - DVD 2006 par Alpamedia/Janus Diffusion
** ''[[Dreyfus dans sa cellule à Rennes]]''
* 1994 : {{fr}} ''La Raison d'État, Chronique de l'Affaire Dreyfus'', Film français en deux épisodes de Pierre Sorlin - Couleur - 26 mn
** ''[[Entrée au conseil de guerre]]''
** ''[[Prison militaire de Rennes rue Duhamel]]''
** ''[[Sortie du conseil de guerre]]''
* 1930 : ''[[Dreyfus (film, 1930)|Dreyfus]]'' de [[Richard Oswald]]
* 1931 : {{en}} ''Dreyfus'', Film anglais de F.W. Kraemer et [[Milton Rosmer]], noir et blanc, {{unité|90|min}}
* 1937 : ''[[La Vie d'Émile Zola]]'' de [[William Dieterle]], noir et blanc, {{unité|90|min}}
* 1958 : ''[[L'Affaire Dreyfus (film, 1958)|L'Affaire Dreyfus]]'' de [[José Ferrer (acteur)|José Ferrer]]
* 1978 : ''[[Dreyfus ou l'Intolérable Vérité]]'' de [[Jean Chérasse]]
* 2019 : ''[[J'accuse (film, 2019)|J'accuse]]'' de [[Roman Polanski]]
 
==== Télévision ====
<!--
--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Films au cinéma — '''</span><!--
-->
* 1930 : {{de}} ''Dreyfus'', Film allemand de Richard Oswald - Noir et blanc - 90 mn
* 1931 : {{en}} ''Dreyfus'', Film anglais de F.W Kraemer et Milton Rosmer - Noir et blanc - 90 mn
* 1937 : {{en}} ''The Life of Émile Zola'', Film américain de William Dietele - Noir et blanc - 90 mn
* 1957 : {{en}} ''I accuse'', Film américain de José Ferrer - Noir et blanc - 90 mn
 
===== Documentaires =====
<!--
* 1966 : ''L'Affaire Dreyfus'' de [[Jean Vigne]], réalisé pour les écoles, noir et blanc, {{unité|18|min}}.
--><span style="font-variant: {{#ifexpr:{{{pc|1}}}|small-caps|normal}}; display: inline; margin: none; font-size: 100%">'''Dramatiques de télévision — '''</span><!--
* 1994 :
-->
** ''La Raison d'État, Chronique de l'Affaire Dreyfus'' de [[Pierre Sorlin]], Couleur, {{unité|26|min}}.
* 1978 : {{fr}} ''Zola ou la Conscience humaine'', Film français en quatre épisodes de Stellio Lorenzi - Produit par Antenne 2 - Couleur
** [[Les Brûlures de l'histoire|Les Brûlures de l'Histoire]] épisode ''L'affaire Dreyfus'' de Rober Mugnerot.
* 1991 : {{en}} ''Can a Jew Be innocent ?'', Film anglais en quatre épisodes de Jack Emery - Produit par la [[BBC]] - Couleur - 30 mn
* 2015 : [[L'Ombre d'un doute (émission de télévision)|L'ombre d'un doute]], ''Le dossier secret de l'affaire Dreyfus''.
* 1991 : {{en}} ''Prisoners of Honnor'', Film américain de Ken Russel - Couleur - 105 mn
* 2017 : [[Karambolage]], ''l'Affaire Dreyfus''.
* 1994 : {{fr}} ''L'affaire Dreyfus'', Film français en deux épisodes d'Yves Boisset - Produit par France 2 - Couleur
 
===== Téléfilms =====
* 1968 : (cs) ''Dreyfusova aféra'', série tchécoslovaque en trois parties
* 1978 : ''[[Émile Zola ou la Conscience humaine]]'' de [[Stellio Lorenzi]], Produit par [[France 2|Antenne 2]], Couleur.
* 1991 :
** {{en}} {{langue|en|''Can a Jew Be innocent ?''}}, film anglais en quatre épisodes de Jack Emery, Produit par la [[British Broadcasting Corporation|BBC]], Couleur, {{unité|30|min}}.
** {{en}} {{langue|en|''Prisoners of Honor''}}, film américain de [[Ken Russell|Ken Russel]], Couleur, {{unité|105|min}}.
* 1994 : ''Rage et Outrage de George Whyte'', film français, Produit par ARTE, Couleur.
* 1995 :
** ''[[L'Affaire Dreyfus (téléfilm)|L'Affaire Dreyfus]]'' de [[Yves Boisset]].
** {{en}} {{langue|en|''Dreyfus in Opera and Ballett''}}, film allemand et anglais, Produit par WDR, Couleur.
 
=== Articles connexes ===
* [[Alfred Dreyfus]]
{{Autres projets|
* [[Chronologie commons=Category:Alfredde l'affaire Dreyfus|]]
* [[Hirtzel Lévy]]
s=catégorie:Affaire Dreyfus|
q=Affaire Dreyfus
}}
====Personnalités====
*[[Raoul Allier]]
*[[Maurice Barrès]]
*[[Godefroy Cavaignac]]
*[[Léon Dehon]]
*[[Mathieu Dreyfus]]
*[[Hubert-Joseph Henry]]
*[[Bernard Lazare]]
*[[Auguste Mercier]]
*[[Francis de Pressensé]]
*[[Émile Zola]]
 
====Évènements Personnalités ====
* [[Liste de personnalités liées à l'affaire Dreyfus]]
*[[Crises de la Troisième République]] :
**[[Commune de Paris (1871)]]
**[[Scandale des décorations]] ([[1887]])
**[[Affaire Schnaebelé]] (1887)
**[[Boulangisme]] ([[1886]]-[[1889]])
**[[Scandale de Panama]] ([[1892]])
**[[Fort Chabrol]] ([[1899]])
**[[Affaire des Fiches]] ([[1904]])
**[[Affaire Thalamas]] ([[1908]])
**[[Première Guerre mondiale]] (1914-1918)
**[[Affaire Stavisky]] ([[1933]])
*[[Affaire Mortara]]
 
====Mouvements Événements ====
* Crises de la [[Troisième République (France)|Troisième République]] (1870-1940) : [[Commune de Paris (1871)]], Faillite de l'[[Union générale]] (1882), [[Scandale des décorations de 1887|Scandale des décorations]] (1887), [[Affaire Schnæbelé|Affaire Schnaebelé]] (1887), [[Boulangisme]] (1886-1889), [[Scandale de Panama]] (1892), [[Fort Chabrol]] (1899), [[Affaire des fiches (France)|Affaire des Fiches]] (1904), [[Affaire Thalamas]] (1908), [[Première Guerre mondiale]] (1914-1918), [[Affaire Stavisky]] (1933), [[Affaire Mortara]] (1858), [[Crise du 6 février 1934]].
*[[Action française]]
* [[Jean-Jacques Liabeuf|Affaire Liabeuf]], l'« affaire Dreyfus des ouvriers » (1910).
*[[Antisémitisme]]
* [[Jules Durand|Affaire Durand]], l'« affaire Dreyfus du monde du travail » (1910).
*[[Antisémitisme français]]
**[[Édouard Drumont]]
**[[Jules Guérin]]
**[[La Libre parole]]
*[[Ligue de la patrie française]]
*[[Ligue française des droits de l'Homme]] ([[1898]])
*[[Nationalisme français]]
*[[Revanchisme]]
 
===== Événements concernant l'affaire Dreyfus =====
===Liens externes===
* {{date-|13 juillet 1906}} : Hommage du [[Sénat (France)|Sénat]] à [[Auguste Scheurer-Kestner]].
* {{date-|11 février 1908}} : Le [[Sénat (France)|Sénat]] inaugure le monument Scheurer-Kestner.
 
==== Mouvements et politique ====
* {{fr}} [http://www.capitainedreyfus.mulhouse.fr/ Commémoration de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus à Mulhouse à l’occasion de l’année Dreyfus]
* Journaux et organisations : [[Action française]], ''[[L'Aurore (journal français, 1897-1914)|L'Aurore]]'', ''[[La Libre Parole]]'', [[Ligue de la patrie française]], [[Ligue des droits de l'homme (France)|Ligue des droits de l'Homme]] ([[1898]]), ''[[La Petite République]]''.
* {{fr}} [http://www.dreyfus.culture.fr/fr/plan-du-site.htm 1906 - Dreyfus réhabilité]
* [[Antisémitisme]] → [[Antisémitisme en France|Antisémitisme français]] : [[Édouard Drumont]], [[Jules Guérin]].
* {{fr}} [http://www.cahiers-naturalistes.com/centenaire_rehabilitation.htm Colloque organisé par la cour de cassation le 19 juin 2006, à l'occasion du centenaire de la réhabilitation d'Alred Dreyfus]
* Politique : [[Nationalisme en France|Nationalisme français]], [[Revanchisme]], [[Radicalisme|Radicaux]].
* {{fr}} [http://dreyfus.mahj.org/ Fonds Dreyfus] [[Musée d'art et d'histoire du judaïsme|du Musée d'art et d'histoire du judaïsme]]
* {{fr}} [http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Dreyfus/index.asp Site de l'Assemblée nationale]
* {{fr}} [http://gallica.bnf.fr/themes/PolXVIIIIr.htm Site de la Bibliothèque nationale de France]
 
==== Société ====
=== Évènements concernant l'Affaire Dreyfus ===
* [[Intellectuel]]
* 13 juillet 1906 : Hommage du [[Sénat (France)|Sénat]] à [[Auguste Scheurer-Kestner|A.Scheurer-Kestner]]
* 11 février 1908 : Le [[Sénat (France)|Sénat]] inaugure le monument Scheurer-Kestner
 
=== NotesLiens et référencesexternes ===
{{Trop de liens|date=juin 2024}}
{{Références|colonnes = 2}}
{{Liens}}
* [http://www.affairedreyfus.com L'affaire Dreyfus], réalisé, en 2013, en collaboration avec le [[Service historique de la Défense]], concerne l'histoire de l'affaire et la numérisation du dossier secret.
* [https://www.archives.rennes.fr/n/l-affaire-dreyfus/n:282 Dossiers pédagogiques concernant l'affaire Dreyfus], Archives municipales de Rennes.
* [http://www.dreyfus.culture.fr/fr/index.htm 1906 Dreyfus site du ministère de la culture].
* [https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/dossiers-individuels/alfred-dreyfus-1849-1935 Numérisation complète du dossier secret au Service historique de la Défense].
* [http://www.affaire-dreyfus.com/ Site de la Société internationale d'histoire de l'affaire Dreyfus (SIHAD). Documents et études sur l'Affaire].
* [http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Dreyfus/index.asp Site de l'Assemblée nationale].
* [http://rennesetdreyfus.blogspot.fr/ 36 photos prises sur le vif au procès de Rennes par Auguste Hautebert].
* [http://www.police-scientifique.com/Les-grandes-affaires/dreyfus Affaire Dreyfus] sur le site de la police technique et scientifique.
* [http://sabix.revues.org/122 Le centenaire de l'affaire Dreyfus (X 1878)] sur le site de la Société des amis de la bibliothèque et de l'histoire de l'École polytechnique.
* [http://www.lajauneetlarouge.com/traditions/alfred-dreyfus-une-affaire-polytechnicienne#.WC_sU9XhCHs Alfred Dreyfus, une affaire polytechnicienne] sur le site de [[Association des anciens élèves et diplômés de l'École polytechnique|La Jaune et la Rouge]].
* [https://www.maisonzola-museedreyfus.com/ Site de Maison Zola-Musée Dreyfus] ([[Maison d'Émile Zola|dans le domaine d'Émile Zola à Médan]])
 
== Notes et références ==
{{Article de qualité|oldid=18653590|date=10 juillet 2007}}
=== Notes ===
{{Multi bandeau|Portail France au XIXe siècle|Portail histoire militaire|Portail droit français|Portail renseignement}}
{{Références|groupe=n}}
 
=== Références ===
[[Catégorie:Affaire Dreyfus|*]]
{{Références nombreuses|taille=30}}
[[Catégorie:Cabale]]
[[Catégorie:Histoire juive]]
[[Catégorie:Espionnage]]
[[Catégorie:Nationalisme français]]
 
{{Palette|Affaire Dreyfus|Antisémitisme}}
{{lien BA|de}}
{{Portail|France au XIXe siècle|années 1890|histoire militaire|droit français|renseignement|judaïsme|Armée française|politique française|Histoire|Littérature française}}
[[als:Dreyfus-Affäre]]
{{Bon article|oldid=216091103|date=30 juin 2024}}
[[ca:Cas Dreyfus]]
 
[[da:Dreyfus-affæren]]
[[deCatégorie:Affaire Dreyfus-Affäre|*]]
[[enCatégorie:Dreyfus1894 en affairFrance]]
[[Catégorie:Crise politique]]
[[es:Caso Dreyfus]]
[[Catégorie:Scandale politique français]]
[[fi:Dreyfusin tapaus]]
[[Catégorie:Jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation française|Dreyfus]]
[[he:פרשת דרייפוס]]
[[Catégorie:Mémoire collective en France]]
[[hr:Afera Dreyfus]]
[[id:Peristiwa Dreyfus]]
[[it:Affare Dreyfus]]
[[ja:ドレフュス事件]]
[[ko:드레퓌스 사건]]
[[lb:Affär Dreyfus]]
[[nl:Dreyfus-affaire]]
[[no:Dreyfussaken]]
[[pl:Afera Dreyfusa]]
[[pt:Caso Dreyfus]]
[[ru:Дело Дрейфуса]]
[[simple:Dreyfus Affair]]
[[sk:Dreyfusova aféra]]
[[sl:Afera Dreyfus]]
[[sv:Dreyfusaffären]]
[[tr:Dreyfus Davası]]
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