« Nature morte » : différence entre les versions

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Selon [[Laurence Bertrand Dorléac]], on peut considérer les haches gravées dans la pierre du [[Cairn de Gavrinis]] comme la première nature morte de l'histoire, vers 3500 {{Av JC}} Avant cela, la plus ancienne représentation d'objet connue est actuellement la corne de bison de la [[Vénus de Laussel]], vers 25000 {{Av JC}}
 
Après les haches de Gavrinis, on peut voir des natures mortes dans les [[Débuts de l'écriture en Mésopotamie|pictogrammes mésopotamiens]] et les objets miniaturisés produits par cette culture, notamment dans le cadre d'offrandes ; mais on en retrouve surtout en [[Égypte antique|Égypte]], par exemple avec les peintures de frises d'objets dans les sarcophages du [[Moyen Empire]]. Un objet votif de la [[XIIe dynastie égyptienne|XII{{eXIIe}} dynastie]] représente une table avec quatre pains, deux vases et des animaux destinés à être mangés.
 
Laurence Bertrand Dorléac attire notre attention sur la multiplicité des natures mortes de la Préhistoire : {{Citation|le chariot du Val Camonica imaginé à l'âge de bronze, les longues barques à rames dans les peintures rupestres de Norrköping, la tiare des Hittites, le disque solaire et le croissant lunaire des Carthaginois, l'urne-cabane des Étrusques, le tabernacle, la menorah et le Livre des Juifs, les plantes des Minoens, les clochettes des Scythes, le bustier de la déesse aux serpents des Crétois, etc.}}<ref>{{Ouvrage|langue=français|prénom1=Laurence|nom1=Bertrand Dorléac|titre=Pour en finir avec la nature morte|lieu=Paris|éditeur=Gallimard|date=2020|isbn=978-2-07-288609-6|isbn2=2-07-288609-0|oclc=1225128789|lire en ligne=https://www.worldcat.org/oclc/1225128789|consulté le=2021-03-10}}</ref>
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[[Fichier:Martin Dichtl (attr) Stilleben mit Küchenutensilien 1.jpg|vignette|''Nature morte avec ustensiles de cuisine'', Martin Dichtl (1639-1710).]]
 
Dans le monde moderne, la nature morte naît au {{s-|XVI}} en Italie, avec notamment [[Fede Galizia]]<ref>https://www.mutualart.com/Article/Old-Mistresses--Tracing-the-Origins-of-S/73210A36A14C79C4</ref> et la ''[[Nature morte avec perdrix et gants de fer]]'' de [[Jacopo de' Barbari]], peinte à l'huile sur bois en 1504, qui est considérée par de nombreux historiens comme le chef-d'œuvre qui ouvre une nouvelle ère de l'art de la nature morte<ref name=":0">''Les choses. Une histoire de la nature morte'', {{p. |66}}</ref>. Aux {{s2-|XVI|e|XVIII|e}}, la nature morte prend tout son essor en Flandre et en Hollande ; au nord, on se consacre à la peinture bourgeoise et au sud, aux œuvres religieuses. Ce genre se développe et se fixe à partir du début du {{s-|XVII}}, dans les Écoles du Nord ([[Flandre (Belgique)|Flandre]] et [[Hollande]] notamment sous la forme du « déjeuner monochrome »<ref>{{Lien web|langue=fr|titre=Nature morte|url=http://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/nature_morte/153562|site=larousse.fr|date=}}.</ref>), toujours très enclines à représenter un réel cru. Elle se propage ensuite en [[Europe]], et en [[France]] particulièrement. En 1650, aux [[Pays-Bas]], apparaît le terme ''stilleben'', pour les Anglais ''still-life'', en Espagne ''bodegones'', et en France « nature morte ».
 
Ce retour de l'intérêt pour le monde matériel et quotidien, que l'on trouve dans les domaines de la [[marqueterie]], des [[Objet d'art|objets d'art]] et de la peinture, s'inscrit dans l'héritage de l'[[Antiquité]] gréco-romaine, mais aussi dans les pensées nouvelles, l'évolution du christianisme et le développement du [[capitalisme]], qui leur confèrent de nouvelles significations<ref name=":0" />.
 
Pour montrer que le genre des choses est aussi noble qu'un autre, des artistes figurent des natures mortes en [[Gros plan (cadrage)|gros plan]] sur des paysages qui ne servent plus que de décor. Les choses s'imposent comme de véritables personnages de la scène <ref>Laurence Bertrand Dorléac (sous la dir. de), ''Les choses. Une histoire de la nature morte'', {{p. |120}}</ref>.
 
AÀ partir de la seconde moitié du {{S-|XVI}}, les artistes représentent souvent les choses qui s'accumulent, s'échangent ou s'achètent dans un monde [[Capitalisme|capitaliste]] ouvert aux échanges de [[Marchandise|marchandises]] ou de monnaie. Elles contribuent à dévoiler les vies, les croyances et les sentiments. Les choses se mêlent aux figures humaines, mais aussi religieuses. Le récit chrétien est renvoyé au second plan, en miniature, les paysans derrière les fruits et légumes qu'ils récoltent. Un nouveau statut en majesté s'impose pour les choses ordinaires qui contribuent à définir et à ordonner l'espace social<ref>''Les choses. Une histoire de la nature morte'', {{p. |74}}</ref>.
 
Nombreuses furent alors les natures mortes de fleurs. Les Grandes découvertes et l’arrivée en Europe de plantes (et autres merveilles naturelles) inconnues suscitèrent un énorme intérêt pour la nature qui amena à l’accumulation de spécimens (dans des [[cabinet de curiosité|cabinets de curiosité]] et des [[jardins botaniques]]), puis à leur classification, à la création de catalogues, puis d’ouvrages de botanique, et donc à l’apparition de l’[[illustration botanique|illustration scientifique]]. On commença à apprécier ces objets pour eux-mêmes, dépouillés de toute association religieuse, morale ou mythologique.
[[File:Arellano-guirnalda-louvre.jpg|vignette|Juan de Arellano, ''[[Guirlande de fleurs, Oiseaux et Papillon]]'', vers 1650-1670, musée du Louvre]]
Les spécimens collectionnés, échangés, vendus servirent de modèles aux peintres qui en donnèrent des représentations réalistes. La passion pour l’horticulture créa un marché, dès le début du {{s-|XVII}}, pour les natures mortes de fleurs (peintes à des fins esthétiques), et pour les [[Miniature (portrait)|miniatures]] (révélant une approche plus scientifique). Parmi les premiers peintres fleuristes privilégiant le naturalisme, on peut mentionner les Flamands ou Néerlandais [[Jan Brueghel l'Ancien]] (1568-1625), [[Roelandt Savery]] (1576-1539) ou [[Ambrosius Bosschaert]] l'Ancien (1573-1621), puis [[Jean-Michel Picart]] (1600-1682), qui fut au début de sa carrière au service d’un « curieux » (amateur de curiosités) célèbre : [[Henri de Bourbon-Verneuil]]. Le Français (né à Lille) [[Jean-Baptiste Monnoyer]] (1636-1699) est connu en particulier pour ''Fleurs, fruits, et objets d'art'' (1665), tableau représentant des objets tels que ceux conservés dans les cabinets de curiosité, le tout orné d’une sorte de guirlande de fleurs et fruits. Dans ''Le Livre de toutes sortes de fleurs d'après nature'' (vers 1670-1680 ?), il présente des arrangements floraux dans lesquels les fleurs sont figurées de manière exacte et précise. Dans la seconde moitié du siècle, des peintres espagnols, dont [[Juan de Arellano]], qui est à la tête d'un atelier prospère à [[Madrid]], se spécialisent en peignant presque exclusivement de luxuriants bouquets, des guirlandes et des couronnes de fleurs<ref>Charlotte Chastel-Rousseau, ''Les choses. Une histoire de la nature morte'', {{p. |114}}</ref> .
 
Au {{s-|XVII}}, en [[Espagne]], les natures mortes se présentent souvent sous la forme de vanités à la morale catholique. Par opposition, l'[[Europe du Nord]] [[Protestantisme|protestante]] refuse les sujets religieux et se consacre à la peinture bourgeoise, au travers des [[Paysage dans l'art|paysages]] et de la nature morte. Cette dernière devient alors un outil au service des deux principales puissances religieuses du moment.
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[[Fichier:Jean-Baptiste Siméon Chardin 029.jpg|thumb|''Nature morte avec carafe et fruits'' (1750), peinture de [[Jean Siméon Chardin]] (1699-1779) [[Staatliche Kunsthalle Karlsruhe]].]]
 
Au {{s-|XVIII|e}}, en France, la représentation d’objets passe du symbolisme à l’esthétisme et ''vice versa''. Dans les textes de Diderot consacrés à [[Jean Siméon Chardin|Chardin]], le plaisir mimétique pur, inavoué au {{s-|XVII|e}} dans les vanités, s'affirme pleinement et la représentation d'objets dans la peinture y est constamment partagée entre le plaisir de la [[mimesis]] et celui de la [[symbolique]]. Cette dualité de la nature morte est illustrée dès l'Antiquité, et aussi par son premier classement de genres, qui place la nature morte tout en bas de l'échelle, tout en considérant [[Zeuxis (peintre)|Zeuxis]] comme un peintre de génie pour être parvenu à peindre des grains de raisin qui trompent jusqu'aux oiseaux.
 
À la fin du siècle, [[Claude-Henri Watelet|Watelet]] daigne consacrer un article à la nature morte dans son volume de l'[[Encyclopédie méthodique]] consacré aux beaux-arts, et écrit de Chardin qu'il {{citation|a peint de la manière la plus ragoutante et la plus vraie, la nature morte : il ne devait rien à l'imitation, aux conventions d'aucun artiste, et semblait avoir inventé l'art}}, pour conclure après quelques éloges techniques, qu'il a été {{citation|un très-grand peintre dans un petit genre<ref>{{ouvrage|prénom1=Claude-Henri|nom1=Watelet|lien auteur=Claude-Henri Watelet|tome=2|titre=Beaux-arts|collection=[[Encyclopédie méthodique]]|éditeur=Panckoucke|année=1791|lire en ligne=http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6568639g|passage=137}}.</ref>.}}.
 
La nature morte se place ainsi à la charnière entre le désir artistique de rivaliser avec la Nature, hérité de l'Antiquité et redécouvert à la [[Renaissance]], et l'expression de l'artiste par la façon de la représenter, qui va dominer le siècle suivant. Chardin est avec Poussin et Claude Lorrain l'artiste français antérieur au {{s-|XIX}} qui a eu le plus d'influence sur la peinture moderne{{sfn|Sterling|1952|p=80}}.
 
=== {{s-|XIX|e}} ===
Au {{s-|XIX|e}}, Delacroix sut se différencier des autres peintres de nature morte. Ces peintres firent valoir à leurs yeux l‘art et la science. La valeur symbolique de l’objet se perpétua selon les époques et devint une constante mathématique de la peinture française. Un outil sur lequel on peut se fonder pour mesurer le degré d’évolution de la société, de la culture, de la religion… On peint des objets de la vie courante, contrairement à la période [[Peinture néo-classique|néo-classique]] (''grosso modo'' la période [[1700]] à [[1850]]) où l’on peint des objets des Antiquités romaine et grecque.
 
{{Citation bloc|Les artistes du {{s-|XIX}}, à part [[Eugène Delacroix|Delacroix]], n'inventent guère de nouveaux arrangements. [[Édouard Manet|Manet]] même héritera de ces formules non sans les pénétrer, il est vrai, de son génie.}}
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Étrangement, la nature morte traverse tout l'art du {{s-|XX}} alors que ce genre est perçu par la plupart des gens comme étranger à l'[[art contemporain]]. Le genre a évolué et la représentation des objets n'est plus étroitement liée à une symbolique chrétienne, comme elle le fut au {{s-|XVII}}, mais la signification de la nature morte a évolué avec celle de l'objet. Il n'est dès lors pas surprenant de retrouver les natures mortes aussi bien chez les [[Surréalisme|surréalistes]], que dans le [[pop art]], où il symbolise à lui seul une « société de consommation ».
 
Avec le [[cubisme]], le [[futurisme]] ou le [[dada]], les codes de la représentation du réel éclatent. Les objets sont observés en tous sens, sous plusieurs angles et simultanément. Le lien avec le monde n'est plus rendu par [[Homologie (transformation géométrique)|homologie]], par sa représentation fidèle à la réalité, mais par l'intrusion du journal, de tissus, de plastiques ou des [[déchet]]s. Les artistes donnent une forme à la série, au bruit, à la vitesse, au chaos de la société moderne où, les êtres et les marchandises se confondent, en particulier les femmes qui fusionnent avec les objets domestiques de leur cuisine<ref>''Les Choses. Une histoire de la nature morte'', {{p. |218}}</ref>.
 
Quoi qu'il en soit, la nature morte est aujourd'hui partagée entre son lourd passé et son omniprésence au sein même de l'art contemporain. Si l'on voulait ouvrir le débat, il serait dès lors tentant de réfléchir sur le ''[[ready-made]]'' en tant que nature morte contemporaine. Car si cette forme artistique ne répond pas à la définition de Charles Sterling citée en introduction, elle n'en reste pas moins la mise en valeur d'un objet anodin par le biais de l'art, et certains [[Commissaire d'exposition|commissaires d'exposition]] n'hésitent pas à associer le ''ready-made'' à la nature morte, comme le démontre l'exposition ''Objects of Desire: The Modern Still Life'', organisée par le [[Museum of Modern Art]] de [[New York]], en [[1997]]. La question de la nature morte reste donc aujourd'hui encore, ouverte.
 
=== La femme dans la nature morte ===
Depuis longtemps, des femmes sont reconnues pour avoir enrichi la nature morte qui prise le territoire domestique. Si les femmes désirables se mélangent dangereusement à leurs marchandises dans les marchés peints des {{Sp-|XVI|et|XVII|s}}, elles fusionnent avec leurs objets quotidiens à partir du {{S-|XX}}. AÀ partir de la seconde moitié des années 1960 notamment, les femmes artistes comme [[Louise Bourgeois (plasticienne)|Louise Bourgeois]], [[Niki de Saint Phalle]], [[Judy Chicago]] ou [[Miriam Schapiro]] inventent des formes nouvelles pour raconter leur condition, où les objets jouent un rôle central. [[Alina Szapocznikow]] dresse sur la coupe de son ''Dessert III'' (1971) des [[sein]]s coupés<ref>Laurence Bertrand Dorléac (sous la dir. de), ''Les choses. Une histoire de la nature morte'', pp{{p. |22-23}}</ref>.
 
== Écoles ==
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==== {{s-|XVII}} ====
[[File:Frans Snyders - Still Life with a Wine Cooler - Google Art Project.jpg|upright=1.3|thumb|''Nature morte avec un rafraîchisseur à vin'', [[Frans Snyders]], [[Gemäldegalerie Alte Meister]].]]
Au {{s-|XVII|e}}, parallèlement à la peinture de paysages et d'intérieurs, apparaît des représentations d'objets inanimés peints pour eux-mêmes. D'abord sous forme d'études (de fleurs, de fruits, etc.), les arrangements simples d'aliments prennent le nom de ''déjeuner'' et, pour des représentations plus fastueuses, de ''banquet''. Les natures mortes de poissons rencontrent alors un vif succès, ornant les murs des notables d'Amsterdam et d'Utrecht, comme celle de [[Willem Ormea]] (''[[Nature morte aux poissons]]'')<ref>Aude Prigot, ''Les choses. Une histoire de la nature morte'', {{p. |130}}</ref>. Ce n'est que vers 1650 qu'apparaît le terme ''stilleven'' pour désigner des natures mortes.
 
Les natures mortes prennent peu à peu tous les objets décoratifs ou domestiques comme sujets à représenter. Elles reflètent bientôt le luxe croissant des classes moyennes. Ainsi, les tapis persans remplacent les nappes blanches et les poteries chinoises la faïence. Ces tableaux prennent preneurs auprès d'une clientèle fortunée qui décore ses demeures avec ce reflet de leur niveau de vie.
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==== {{S-|XIX}} ====
* [[Édouard Manet]] (1832-1883)<ref>''Les choses. Une histoire de la nature morte'', {{p. |170}} et s.</ref>, dont les natures mortes représentent environ un cinquième de son œuvre<ref>George Mauner, ''Manet : the still-life paintings.'' {{p. |12}}.</ref>.
 
==== {{s-|XX}} ====
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Fichier:Jan Davidsz de Heem 002.jpg|''Vase avec fleurs'', [[Jan Davidszoon de Heem|Jan Davidsz de Heem]].
Fichier:Luis Meléndez - Still Live - Google Art Project.jpg|''Nature morte'', [[Luis Eugenio Meléndez]].
Fichier:Francesco Stringa - Allegorical Still Life with Bernini's Bust of Francis I d'Este - Google]], (18 Art Project.jpg|''Nature morte allégorique avec le buste de Francis I<sup>er</sup>{{Ier}} d'Este de Bernini'', [[Francesco Stringa]].
Fichier:Munari, Cristoforo - Still-Life with Musical Instruments and Fruit - Galleria Palatina.jpg|''Nature morte avec instruments de musique et fruits'', {{Lien|fr=Cristoforo Munari|lang=en}}.
Fichier:Composition-la-verseuse-en-cristal-de-roche-la-chope-en-ivoire-coupe-en-serpentine-et-orchide.jpg|''Composition avec verseuse en cristal de roche, chope en ivoire, coupe en serpentine et orchidée'', Blaise [[Alexandre Desgoffe]] (1830-1901).
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