« João Guimarães Rosa » : différence entre les versions

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| date de naissance = {{date de naissance|27 juin 1908|en littérature}}
| lieu de naissance = [[Cordisburgo]], {{Brésil}}
| date de décès = {{date de décès|19 novembre 1967|27 juin 18981908|en littérature}}
| lieu de décès = [[Rio de Janeiro]], {{Brésil}}
| langue = portugais
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| adjectifs dérivés =
| œuvres principales = ''{{lang|pt|Grande sertão: Veredas}}''
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}}
 
'''João Guimarães Rosa''', né le {{date de naissance|27 juin 1908}} à [[Cordisburgo]] ([[Minas Gerais]]) et mort le {{date de décès|19 novembre 1967}} à [[Rio de Janeiro]], est un médecin, écrivain et diplomate [[brésil]]ien. Il est l’auteur d’une importante œuvre littéraire se composant de six recueils de nouvelles (dont deux posthumes) et surtout d’un monumental roman [[Épopée|épique]], à multiples strates, intitulé ''{{||Grande Sertão: veredas}}'' ([[1956]] ; paru en traduction française sous le titre de ''[[Diadorim]]''), ouvrages dans lesquels, la plupart du temps, le ''[[sertão]]'' est le cadre de l'histoire, et qui se signalent par leurs innovations de langage, souvent déroutantes, mélangeant [[archaïsme]]s, mots et tournures des parlers populaires, [[Régionalisme (linguistique)|régionalismes]], termes érudits, vocables empruntés aux autres langues (que l’auteur connaissait en grand nombre), [[néologisme]]s, [[Purisme (linguistique)|purismes]], altérations de mots et d’[[Idiotisme|expressions idiomatiques]], {{etc.}}, à tel point que l’on parla à propos de cette œuvre de ''{{lang|pt|revolução rosiana}}'', de révolution rosienne.
 
== Biographie ==
Né à Cordisburgo le {{date|27 juin 1908}}, dans l'État brésilien du [[Minas Gerais]], un peu au nord de la capitale [[Belo Horizonte]], il étaitest l'aîné des six enfants de Francisca Guimarães Rosa et du commerçant, juge de paix et conteur d’histoires Florduardo Pinto Rosa. Jeune enfantEnfant, il vécutvit chez ses grands-parents à Belo Horizonte, où il terminatermine ses études primaires. Il suivitsuit le cours secondaire dans un collège de [[São João del-Rei]] (situé à mi-chemin entre Belo Horizonte et [[Rio de Janeiro]]), puis revint à Belo Horizonte, où en [[1925]], âgé de seulement {{nobr|16 ans}}, il entrepritentreprend des études de médecine à la Faculté de médecine de l'[[université fédérale du Minas Gerais]]<ref name=UOL>{{lienLien web |langue=pt |url=http://educacao.uol.com.br/biografias/klick/0,5387,1936-biografia-9,00.jhtm |titre=Guimarães Rosa - Biografia |consulté le=2012-06-27 juin 2012|auteurauteur1=Klick Educação |éditeur=UOL - Educação|langue=pt }}.</ref>. En [[1930]], il épousaépouse Lígia Cabral Penna, âgée alors de seize ans, avec qui il euta deux filles : Vilma et Agnes.
 
Ayant cette même année 1930 obtenu son diplôme, il s’installas’installe pour exercer sa profession à Itaguara (alors dans la municipalité d’Itaúna, [[Minas Gerais]], à {{nobr|70&nbsp;km environkm}} à l’ouest de Belo Horizonte), où il séjournaséjourne pendant deux ans. C’est dans cette localité qu’il se familiarisafamiliarise avec le {{lang|pt|[[sertão]]}} qui plus tard constitueraitconstituera une des références essentielles de son œuvre littéraire. En effet, sa fonction de médecin de campagne, l'amenaitamène à parcourir à cheval, une région caractéristique de cet espace de la haute vallée du fleuve São Francisco. Il y acquit une certaine réputation de médecin compétent, et fréquenta notamment un guérisseur local, qui probablement le mitmet probablement en contact avec le spiritisme<ref name="Brasil Escola">{{lienLien web |lang=pt |url=http://www.brasilescola.com/literatura/guimaraes-rosa.htm |consulté le =27 juin 2012-06-12 |éditeur=Brasil Escola |titre=Guimarães Rosa - Vida e Obra |auteurauteur1=Sabrina Vilarinho|langue=pt }}.</ref>.
 
Entre-temps, il s’adonnas’adonne à l’étude de ce qui, dès l’enfance déjà, le passionnait : les langues étrangères (en commençant d’ailleurs par le français, qu’il se mitmet à étudier dès l’âge de sept ans) ; d'après ses déclarations, il se serait familiarisé avec plus d'une dizaine d'entre elles, dont le hongrois et le [[hindi]]. Voici à ce sujet ce qu'il précisait à une de ses cousines:
 
{{citation bloc|Je parle [[portugais]], [[allemand]], [[français]], [[anglais]], [[espagnol]], [[italien]], [[espéranto]], un peu de [[russe]] ; je lis le [[suédois]], le [[néerlandais]], le [[latin]] et le [[Grec ancien|grec]] (mais avec un dictionnaire à portée de main) ; je comprends quelques dialectes allemands ; j'ai étudié la grammaire du [[hongrois]], de l'[[arabe]], du [[sanscrit]], du [[lituanien]], du [[polonais]], du [[Tupi (langue)|tupi]], de l'[[hébreu]], du [[japonais]], du [[tchèque]], du [[finnois]], du [[danois]] ; j'en baragouine quelques autres. Mais toutes mal. Et je pense qu'étudier l'esprit et le mécanisme des autres langues aide beaucoup à une compréhension plus profonde de sa propre langue. Principalement quand on étudie pour le divertissement, par goût et pour le plaisir.}}
 
Dans le même temps, il recueillaitrecueille de la bouche des habitants illettrés du lieu, dans des carnets, les dénominations de toutes sortes d’animaux et de plantes, à côté d’une multitude d’expressions et de tournures régionales.
 
De retour d’Itaguara, Guimarães Rosa servitsert comme médecin volontaire de la Force Publiquepublique (actuelle ''Police militaire de l'État du Minas Gerais'') durant la Révolution constitutionnaliste de [[1932]], à la tête du secteur dit ''du tunnel'' à Passa-Quatro (Minas Gerais), où il euta d’ailleurs des contacts avec le futur président du Brésil [[Juscelino Kubitschek]], alors médecin-chef de l’hôpital de campagne. Plus tard, par voie de concours, il intégraintègre le cadre de la Force publique. En [[1933]], il vintvient s’installer à Barbacena (entre Belo Horizonte et Rio de Janeiro), en qualité de médecin officier du {{9e|bataillon}} d’infanterie. C’est aussi à cette époque qu’il entreprend des recherches sur le ''{{lang|pt|jaguncismo}}'', qui avait sévi dans la vallée du fleuve [[Rio São Francisco|São Francisco]] jusqu’en 1930.
 
[[Fichier:Guimarães_Rosa_em_viagem.jpg|vignette|Guimarães Rosa en 1952.]]
 
En [[1934]], après avoir été reçu deuxième au concours d’entrée au Ministère des Affaires Étrangères, il entamaentame une carrière diplomatique, qui l'amenaamène à exercer pendant plusieurs années en [[Europe]] et en [[Amérique latine]]. Il renonçaitrenonce ainsi à la profession médicale, une décision que, dans une lettre de {{date-|mars 1934}}, il justifiaitjustifie en ces termes : « {{citation|Premièrement, tout travail matériel me répugne ; je ne puis m’épanouir que sur le terrain des théories, des textes, du raisonnement pur, des subjectivismes. Je suis un joueur d’[[échecs]] ; je ne pourrais jamais, par exemple, jouer au billard ou au [[football]] »}}.
 
La première fonction qu’il assumaassume à l’étranger futest celle de Consul adjoint du Brésil à [[Hambourg]], en [[Allemagne]], de [[1938]] à [[1942]]. Pour aider des Juifs à fuir vers le Brésil, il fitfait octroyer, aidé de sa seconde épouse [[Aracy Guimarães Rosa|Aracy de Carvalho Guimarães Rosa]], des visas en nombre bien supérieur au quota fixé légalement. Cette action humanitaire lui valutvaut après guerre la reconnaissance de l’État d’[[Israël]] ; Aracy est du reste la seule femme brésilienne honorée dans le Jardin des [[Juste parmi les nations|Justes parmi les nations]], au Musée de l’Holocauste, en Israël<ref name=ABL>{{lienLien web |langue=pt |url=http://www.academia.org.br/academicos/joao-guimaraes-rosa/biografia |titre=João Guimarães Rosa |éditeur=[[Académie brésilienne des lettres]] |consulté le=2017-08-17 août 2017|langue=pt}}</ref>. Lorsqu’en [[1942]] le Brésil rompitrompt ses relations diplomatiques avec l’Allemagne, il futest, avec d’autres diplomates, interné pendant quatre mois à [[Baden-Baden]]. Revenu la même année au Brésil, il occupaoccupe divers postes diplomatiques notamment à [[Bogota]] (secrétaire d’ambassade jusqu’en 1944), et à [[Paris]] (conseiller d'ambassade en 1948) ; à partir de 1951, il remplit divers postes de responsabilité à Rio de Janeiro, au Ministère des Affaires Étrangères, et notamment en tant que chef du service de délimitation territoriale, et, à ce titre, joua un rôle de médiateur dans les contentieux frontaliers avec le [[Pérou]] et le [[Paraguay]].
 
[[Fichier:Posse de Guimarães Rosa na ABL, 1967.tif|gauche|vignette|190px|Réception de Guimarães Rosa à l’[[Académie brésilienne des lettres]] en 1967.]]
Après une première tentative infructueuse en 1957, où dix voix seulement se portèrent sur son nom, il reposa en 1963 sa candidature à l’[[Académie brésilienne des lettres]], où il fut élu à l’unanimité. Cependant, souffrant de problèmes cardiaques, il s’efforça de différer le plus possible son installation officielle. En 1967, il s'y résolut enfin, et la cérémonie eut lieu le jeudi {{date-|16 novembre}} ; le dimanche {{date-|19 novembre}} au matin, sa femme et sa petite-fille le trouvaient mort à sa table de travail. Auparavant, à l’initiative de ses éditeurs allemand, français et italien, il avait été proposé pour le [[prix Nobel de littérature]].
 
Après une première tentative infructueuse en 1957, où dix voix seulement se portèrentportent sur son nom, il reposarepose en 1963 sa candidature à l’[[Académie brésilienne des lettres]], où il futest élu à l’unanimité. Cependant, souffrant de problèmes cardiaques, il s’efforças’efforce de différer le plus possible son installation officielle. En 1967, il s'y résolutrésout enfin, et la cérémonie euta lieu le jeudi {{date-|16 novembre}} ; le dimanche {{date-|19 novembre}} au matin, sa femme et sa petite-fille le trouvaienttrouvent mort à sa table de travail. Auparavant, à l’initiative de ses éditeurs allemand, français et italien, il avait été proposé pour le [[prix Nobel de littérature]].
L’homme Guimarães Rosa, dont l’œuvre pourtant regorge de violence, de passion, d’outrance, de questionnements métaphysiques, de poésie intense, d’écarts langagiers, était à la ville un homme affable et méthodique, prévenant, de haute stature, toujours impeccablement mis, avec son inséparable nœud papillon et ses grosses lunettes. Il évitait la presse et la publicité, se soustrayant autant que possible à la cohue des journalistes ; il est significatif qu’il n’accorda, de toute sa vie, que deux entretiens importants : en [[1965]], au critique allemand Günther Lorenz, et en 1966 au journaliste Fernando Camacho. En revanche, ses échanges par lettres avec les traducteurs (italien: Edoardo Bizarri, allemand: Meyer-Clason, français : J.J Villard, et anglais : Harriet de Onis) constituent des sources d'information très importantes pour la compréhension de son œuvre littéraire.
 
L’homme Guimarães Rosa, dont l’œuvre pourtant regorge de violence, de passion, d’outrance, de questionnements métaphysiques, de poésie intense, d’écarts langagiers, était à la ville un homme affable et méthodique, prévenant, de haute stature, toujours impeccablement mis, avec son inséparable nœud papillon et ses grosses lunettes. Il évitait la presse et la publicité, se soustrayant autant que possible à la cohue des journalistes ; il est significatif qu’il n’accorda, de toute sa vie, que deux entretiens importants : en [[1965]], au critique allemand Günther Lorenz, et en 1966 au journaliste Fernando Camacho. En revanche, ses échanges par lettres avec les traducteurs (italien : Edoardo Bizarri, allemand : Meyer-Clason, français : J.J Villard, et anglais : Harriet de Onis) constituent des sources d'information très importantes pour la compréhension de son œuvre littéraire.
 
== Œuvre ==
La carrière d'écrivain de Rosa adébute débuté paravec la publication des quatre contes primés en 1929 par le jury du concours organisé par la revue ''{{lang|pt|Cruzeiro'' : ''Caçador de camurças}}'' (Chasseur de chamois), ''{{lang|el|Chronos kai Anagke}}'' (Temps et Destin, en grec ancien), ''{{lang|pt|O Mistério de Highmore Hall}}'' et ''Makiné (comme Maquiné, grotte célèbre proche de sa ville natale)''. Son recueil de poèmes ''Magma'' obtint en 1936 le prix de poésie de l’Académie Brésilienne de Lettres, mais ne fut publié qu'en 1997 (Rio de Janeiro, Nova Fronteira).
 
=== ''Sagarana'' ===
En 1938, sous le pseudonyme de ''Viator'' (mot latin signifiant ''voyageur''), il pritprend part, avec une première version de Sagarana, au concours organisé par la maison d’édition José Olympio ; cependant, préférence fut donnée à ''Maria Perigosa'', de Luís Jardim. Graciliano Ramos, juré du concours, qui avait voté pour le livre de Luís Jardim, relata, des années plus tard, qu’il avait ouvert « {{citation|un cartable de cinq cents grandes pages : une douzaine de nouvelles énormes » ; il y vit un « volume inégal », avec des « sommets qui étaient magnifiques, et des creux qui me déçurent »}}. Lorsque les nouvelles furentsont publiées en [[1946]], c'est-à-dire une dizaine d’années après, Graciliano les saluasalue : « {{citation|Je vois aujourd’hui, relisant Sagarana, que le volume de 500 pages s’est assez aminci et qu’il a gagné beaucoup en consistance par une longue et patiente dépuration »}}, mais de relever dans la prose de Rosa des « {{citation|cheminements de troupeau avec vingt adjectifs plus ou moins inconnus au lecteur »}}. L’année précédant la parution de cet ouvrage, qui connutconnaît un succès immédiat, Rosa avait fait un long périple à cheval à travers le sertão, afin de revoir les paysages et les gens de sa jeunesse, et, de fait, l’action de toutes les nouvelles de ce recueil se déroule dans le sertão, qui est, sinon explicitement nommé, toujours reconnaissable, avec ses plaines immenses, ses ''serras'', ses ''fazendas'' (propriétés terriennes) de la taille d’un département français, les villages poussiéreux et torrides dépourvus de toute structuration sociale, {{etc.}} Cependant, si Rosa se sert de ce cadre bien typé, ce n’est pas tant pour développer une thématique nationale, comme cela a pu être affirmé un peu légèrement (notamment par Álvaro Lins, chantre de la littérature brésilienne nationale), ou pour mettre en scène des personnages incarnant un hypothétique caractère national brésilien, mais pour en faire le décor de récits [[Faust (Goethe)|faustiens]], [[Dante Alighieri|dantesques]], [[Homère|homériens]], [[Don Quichotte|quichottesques]], récits dont la folie, la destinée et le mystère constituent les thèmes, et dont les protagonistes — idiots, enfants, animaux — ont seuls le pouvoir de déceler dans les choses quotidiennes, à la surface desquelles la métaphysique affleure, le miracle et le mystère.
 
=== ''Corpo de Baile'' et ''Diadorim'' ===
Un périple effectué par Rosa en 1952 au Mato Grosso, seraest suivi d’une période de grande fécondité littéraire. Dans les années qui suivirentsuivent, entre 1953 et 1955, il rédigearédige en effet ses deux œuvres les plus amples et les plus complexes : ''{{lang|pt|Corpo de Baile}}'' (titré ''Buriti'' en français) d’abord, recueil réunissant sept nouvelles longues, puis son unique roman, ''{{lang|pt|Grande sertão: Veredas}}'' (titre de la traduction française : ''Diadorim''), — publiés coup sur coup en janvier et en {{date-|mai 1956}}, respectivement.
 
''{{lang|pt|Corpo de Baile}}'' est sans doute son œuvre la plus autobiographique, avec en particulier la nouvelle ''{{lang|pt|Campo Geral}}'', où l’auteur conte en fait une expérience personnelle, emblématique, qu’il vécut enfant : l’expérience d’un garçonnet passant pour indolent jusqu’au jour où un médecin de passage détecte sa [[myopie]] et lui prescrit des lunettes ; le monde alors s’ouvrits’ouvre subitement à lui, lui apparaissant comme quelque chose de miraculeux, expérience qui peut passer pour une métaphore de sa création littéraire.
 
''{{lang|pt|Grande sertão: Veredas}}'' est l’œuvre maîtresse de Rosa, que l’auteur qualifiait d' « autobiographie irrationnelle ». Il s'agit d'un texte extraordinaire par son ampleur, sa structure, son souffle, son langage, sa multistratification, et par la pluralité des interprétations auxquelles il peut donner lieu : on a pu y voir une grande [[allégorie]] de la condition humaine, tout en le considérant à la fois comme un roman philosophique, psychologique, initiatique, et comme une épopée apparentée aux chansons de geste, en rapport avec les littératures et les mythologies aussi bien orientales qu'occidentales. En dépit de toutes ces strates interprétatives, on peut se contenter de le lire comme un roman d’aventures captivant, aux multiples péripéties, et au dénouement inattendu.
 
==== L'intrigue de ''{{lang|pt|Grande Sertão: Veredas}}'' (traduction française : ''Diadorim'' en français) ====
Dans un immense monologue dont aucun découpage en chapitres ne facilite la lecture, un propriétaire terrien âgé, Riobaldo,raconte sa jeunesse aventureuse à un intellectuel issu de la ville, et qu’il imagine bardé de diplômes. Apparu par hasard dans sa fazenda de l’intérieur de Minas Gerais, dans la haute vallée du fleuve São Francisco, ce narrateur inconnu serait venu enquêter sur le monde du sertão en cours de disparition ; et il écoute le témoignage du vieil homme sans l’interrompre pendant trois journées d'affilée.
 
Maintenant riche et sédentaire, le protagoniste-narrateur a mené ‑ probablement dans les années 1920/30, l’existence errante des {{lang|pt|jagunços}}, ces bandits de grand chemin écumeurs du sertão de Minas, plus ou moins au service de chefs politiques locaux en opposition avec le gouvernement central de la jeune république brésilienne. Et son discours est d'emblée marqué par l’obsession qu’il pourrait être un suppôt de Satan : en effet, pour venger Joca Ramiro, le chef charismatique assassiné par deux de ses lieutenants, Riobaldo avait imaginé de s’assurer l’appui du prince des ténèbres, en le citant à comparaître sur les ''{{lang|pt|Veredas Mortes}}'', un espace a priori négatif, situé sur une hauteur, à la croisée de deux ''{{lang|pt|veredas}}'' aux eaux stagnantes. En contradiction totale avec la charge positive dont le terme de ''{{lang|pt|vereda}}'' bénéficie tout au long du récit où il identifie un paysage d’oasis orné de palmiers ''{{lang|pt|buritis}}'' en contraste avec la sécheresse des plateaux du sertão de Minas Gerais, ce toponyme se trouve réhabilité à la fin du roman lorsqu’un habitant de la contrée en rectifie le qualificatif : en « réalité » il s’agissait des ''Veredas Hautes'' et non pas ''Mortes''.
 
Le prétendu pacte avec Lucifer se serait déroulé à une date non précisée, mais qu’un certain nombre de repères temporels fournis au hasard du discours permet au lecteur méticuleux de situer par recoupements à la minuit de la Saint Jean d’hiver. En fait, le diable n’a pas comparu, et pourtant à l’issue de cette nuit fatidique, investi d’une puissance irrésistible, Riobaldo prend la tête de la bande, et pourchasse victorieusement les traîtres, qui sont exécutés au terme de deux combats décisifs : l’un dans la plaine du Tamandua-tão, l’autre dans le hameau de Paredão, deux espaces dont la topographie suggère la sacralité. Cependant l’épopée débouche sur la tragédie : le fils de Joca Ramiro, l’étrange Diadorim aux yeux verts, ce {{lang|pt|jagunço}} pour lequel le protagoniste ressentait une attirance qui était plus que de l’amitié, périt auà climax
l'acmé de l’ultime combat, et la toilette de son cadavre révèle l’un des mystères que le récit n’a cessé d’entretenir...
 
Mais au-delà de l'intrigue, l’essentiel réside dans l’interrogation permanente du narrateur sur les motivations profondes qui ont déterminé ses actes tout au long de sa traversée du sertão. Cette interrogation, est menée avec l’aide d’un guide spirituel, un adepte du spiritisme d’Allan Kardec, ce « Compère Quelémém », que Riobaldo consulte régulièrement, et dont les références multiples à la réincarnation et à la loi du Karma, fonctionnent comme autant d’appels susceptibles de s’appliquer au « destin » de son disciple. Quant à la visite inopinée du narrateur, elle constitue une occasion idéale pour remettre en question toute la vie de l’ex-jagunço, et notamment l’horrible hypothèse d’une éventuelle damnation consécutive à la tentative de pacte avec le diable. 
 
==== Le sertão oriental-occidental  ====
Entre autres énigmes, Riobaldo s’inquiète de sa relation avec le premier des chefs {{lang|pt|jagunços}}, Hermogénés, sous les ordres de qui il entreprendra sa traversée du sertão, avant que ledit Hermogénés n’assassine Joca Ramiro. Cet Hermogénés apparaît d’emblée comme une caricature du traître, émanation du mal absolu ; d’ailleurs la rumeur le prétend lié à Satan par « le » pacte qui lui assurerait la victoire en toutes circonstances. Mais à un autre niveau, « Père et Fils d’Hermès » comme son nom l’indique, Hermogénés incarne les forces obscures et chtoniennes symbolisées par ce « Premier Mercure » que les alchimistes disent devoir extraire et intégrer à leur matière première au tout début de leur entreprise. Et c’est bien sous son égide que Riobaldo intègre les forces des ténèbres, lors de son premier combat, et en dépit de la haine irrationnelle qu’il ne cesse de ressentir à l’encontre de son initiateur, avant même que ce dernier n’ait commis son forfait. Pour incarner ensuite le Chef chargé d’éliminer du sertão la figure maléfique d’Hermogénés, l’apprenti Riobaldo devra progresser sur la voie de la maîtrise.
 
Il entreprend cette démarche, d’abord sous le parrainage de Zé Bébélo qui prenait la tête des jagunços restés fidèles à l’image idéalisée de Joca Ramiro après son assassinat. Nouveau Zorobabel réorganisant une troupe désemparée, Zé Bébélo ne parviendrait pas à conduire ses hommes en Terre Promise. À la suite d'un premier échec lors du siège de la Fazenda des Toucans – fazenda dans laquelle le lecteur averti pourra reconnaître leTemple-Pyramide-Nécropole de Memphis installé dans la vallée brésilienne du fleuve São Francisco – il s’immobilisait sur les terres de Seô Habão que ses voisins immédiats appellent Abrão, du nom du premier patriarche d’Israël. Là-bas, comme Moïse cédant de son plein gré le pouvoir à Josué, Zé Bébélo investissait son protégé Riobaldo en le baptisant du nom d’''Urutu-Branco'' (''Crotale-Blanc),'' sous lequel le nouveau Chef entreprend de parachever l’œuvre de vengeance ‑ et de sanctionner le karma d’Hermogénés comme dirait « Compère Quélémem ».